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Full text of "De la physiologie générale"

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PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 





COULOMMIERS. 


TYPOa. A. MOUSSIN 


104221 


DE LA 


AbklÜ 


PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


PAR 

CLAUDE BERNARD 



PARIS 

LIBRAIRIE HACHETTE ET C>* 

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 

1872 

Tous droits réservés 




WV2U 



PRÉFACE 


Après de longs tâtonnements, la physiologie, définitive¬ 
ment engagée dans la voie expérimentale, n’a plus qu à 
poursuivre sa marche ; elle pénètre de plus en plus dans 
la nature intime des phénomènes des êtres organisés et 
nous dévoile peu à peu les principes de la science de la vie. 

Les sciences générales se forment toujours les der¬ 
nières. Nous n’apercevons d’abord dans la nature que des 
résultantes de phénomènes dont la complexité nous cache 
l’origine, et ce n’est que par les efforts longtemps soutenus 
de l’analyse expérimentale que nous arrivons aux faits élé¬ 
mentaires d’où nous déduisons ensuite la conception syn¬ 
thétique des phénomènes les plus variés. 

La physiologie générale n’échappe pas à cette loi évolu¬ 
tive des sciences, et loin de chercher à la constituer dès 
l’abord par des généralités plus ou moins vagues sur l’en¬ 
semble des manifestations de la vie, on ne peut au con¬ 
traire la fonder que sur la connaissance expérimentale la 
plus précise des propriétés élémentaires des corps vivants ; 
pour comprendre un phénomène vital quelconque, il faut 
toujours remonter aux propriétés des éléments organiques 
qui en sont le principe. 

Dans l’état actuel de nos connaissances, une semblable , 
étude ne pouvait être que fort imparfaite ; ma tentative à,4 



VI 


PRÉFACE 


ce sujet se trouve expliquée par les circonstances mêmes 
dans lesquelles est né ce livre. En 1867, M. Duruy, Ministre 
de l’Instruction publique, demanda aux savants et aux 
professeurs des corps enseignants des rapports sur les di¬ 
verses branches des sciences. Je répondis à l’appel du 
Ministre, non par un rapport complet, dans le sens rigou¬ 
reux du mot, mais par un simple exposé dans lequel je trai¬ 
tai de la physiologie générale , de ses progrès et de son 
développement particulièrement en France. Je pensai que 
dans une science en voie d’évolution, il n’y avait rien de 
mieux à faire que d’indiquer la marche que suit cette évo¬ 
lution elle-même. 

Je publie aujourd’hui ce même travail sans avoir eu rien 
d’essentiel à y changer. En effet la tendance de la science 
physiologique est restée la même qu’il y a cinq ans, et ses 
progrès sont si rapides qu’ils nous font concevoir l’espé¬ 
rance que, dans une époque peu éloignée, la physiologie, 
établie sur ses bases définitives, aura conquis la véritable 
place qu’elle doit occuper parmi les sciences biologiques. 

Claude Bernard. 


15 Avril 1872, 


DE LA 


PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


INTRODUCTION* 


INFLUENCE FRANÇAISE SUR LA PHYSIOLOGIE 
MODERNE 

Si Ton peut trouver, dans la plus haute antiquité, 
les traces de toutes les sciences, parce qu’elles exis¬ 
tent toutes en germe dans l’intelligence humaine, 
leur développement ne se fait cependant que d’une 
manière progressive, et à mesure que le temps accu¬ 
mule les matériaux nécessaires à l’édification de 
chacune d’elles. Dans l’étude analytique des phé¬ 
nomènes qui l’entourent, l’homme a compris d’abord 
les choses les plus simples pour n’arriver que suc¬ 
cessivement aux plus compliquées. Il en est résulté 
que les sciences ont suivi la même loi dans leur 
évolution, et que celles qui reposent sur des notions 
très-générales et peu nombreuses se sont formées 
les premières, tandis que celles qui renferment 



2 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

des conditions très-multiples n’ont pu se consti¬ 
tuer que les dernières. Sous ce rapport la physio¬ 
logie, qui est la connaissance et l'explication de 
toutes les manifestations de la vie, embrasse 
incontestablement les phénomènes les plus com¬ 
plexes de la nature. Il n’est donc pas étonnant 
que sa marche ait été si lente et son appari¬ 
tion si tardive dans l’ordre des sciences définies ; 
il lui fallait, pour prendre son essor, attendre que 
des sciences plus simples, qui devaient lui servir de 
points d’appui ou d’instruments, fussent elles- 
mêmes constituées. 

Depuis longtemps la physiologie cherche à poser 
ses fondements et à conquérir son indépendance 
scientifique, mais c’est seulement de nos jours 
qu’elle peut commencer à entrevoir son véritable 
problème et à pressentir ses destinées. Elle s’efforce, 
de plus en plus de sortir de l’obscurité dans laquelle 
s’est préparé son développement, et elle lutte pour 
se débarrasser de l’empirisme et se dégager des hypo¬ 
thèses qui gênent encore ses premiers pas. Cette 
seule indication suffit pour faire comprendre les dif¬ 
ficultés particulières -que l’on devra rencontrer pour 
tracer, dans un rapport, un tableau des progrès 
récents, de la physiologie 1 *. Quand il s’agit de 
sciences qui dès longtemps sont en possession de 
leurs principes et de leurs méthodes, leur histoire 
devient plus facile : on s’appuie sur une base solide 


* Ces chiffres, correspondent aux numéros des notes et docu¬ 
ments a consulter à la fin de ce rapport. 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 3 

de connaissances acquises, auxquelles les connais¬ 
sances nouvelles peuvent venir s’ajouter chronologi¬ 
quement et par superposition. Quand il s’agit au con¬ 
traire de sciences qui n’en sont qu’à leurs premiers 
linéaments, l’appréciation n’est plus aussi simple, et 
les causes de leur avancement doivent être recher¬ 
chées à la fois dans les faits, dans les idées et dans les 
méthodes. Les progrès de la physiologie ne sauraient 
dès lors être marqués seulement par les découvertes 
nombreuses qui sont venues l’enrichir et augmenter 
ses matériaux; il faudra aussi ranger au nombre de 
ses conquêtes les plus réelles l’introduction des mé¬ 
thodes et des idées nouvelles qui ont eu pour but de 
diriger sa marche dans la voie où elle trouvera son 
autonomie scientifique. Enfin nous devrons encore 
tenir compte des moyens de travail dont la physio¬ 
logie expérimentale peut disposer, et signaler les prin¬ 
cipaux obstacles qu’elle rencontre. Si notre tâche de¬ 
vient ainsi plus difficile, l’intérêt qui s’attache à "son 
accomplissement ne saurait diminuer; car il n’en 
sera que plus important d’examiner la part d’in¬ 
fluence que la France peut revendiquer dans le déve¬ 
loppement et dans la fondation de cette belle science 
de la vie, dont l’avénement sera une des gloires de 
notre siècle. 

Nous n’avons pas à remonter aux premiers temps 
de la physiologie, puisque les limites de notre cadre 
circonscrivent notre sujet à l’examen des progrès de 
cette science en France, particulièrement dans ce 
dernier quart de siècle. Cependant, pour bien in- 



4 de la physiologie générale 

terpréter l’influence que la physiologie française a 
exercée sur notre époque, il est nécessaire que nous 
jetions tout d’abord un coup d’œil rapide vers la fin 
du dernier siècle et le commencement de celui-ci. 
4 ce moment remarquable la France posséda trois 
grands hommes, Lavoisier, Laplace et Bichat, qui im¬ 
primèrent à la physiologie une direction décisive et 
durable 2 . 

De tout temps les phénomènes de la vie furent, à 
juste titre, regardés comme les plus impénétrables. 
Les apparences, qui nous voilent presque toujours 
le fond réel des choses, avaient conduit les physio¬ 
logistes à admettre que les manifestations vitales 
s’accomplissaient en dehors des lois physico-chimi¬ 
ques ordinaires, et qu’elles étaient régies par des 
causes occultes, mystérieuses {principe vital, es¬ 
prit , âme physiologique ou archée ), qu’on ne pou¬ 
vait ni saisir ni localiser. Il est vrai que d’autres 
opinions étaient venues s’opposer aux premières; 
mais la physiologie générale n'aurait jamais pu se 
fonder sur ces idées vagues ni avancer par les discus¬ 
sions stériles de la scolastique. Il fallait résoudre les 
questions par des faits et les accompagner de dé¬ 
monstrations expérimentales directes. 

Lavoisier, en créant la chimie moderne, expliqua, 
du même coup, la nature des phénomènes chimiques 
qui se passent dans les êtres vivants. Il fit voir clai¬ 
rement que la vie est entretenue par des phénomènes 
chimico-physiques qui ne different pas quant à leur 
cause immédiate de ceux qui ont leur siège dans les 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 5 

corps bruts. Il démontra que les animaux qui respi¬ 
rent et les métaux que l’on calcine absorbent dans 
l’air le même principe actif ou vital (Voxygène ) 3 , et 
que l’absence de cet air respirable arrête la calcina¬ 
tion aussi bien que la respiration. Dans un autre 
travail, Lavoisier et Laplace 4 annoncèrent que la cha¬ 
leur organique qui anime les êtres vivants est en¬ 
gendrée en eux par une véritable combustion, en 
tous points semblable aux combutions de nos foyers. 
L’antique fiction de la vie comparée à une flamme 
qui brille et s’éteint cessa d’être une simple méta¬ 
phore pour devenir une réalité scientifique. Ce sont, 
en effet, les mêmes conditions chimiques qui ali¬ 
mentent le feu et la vie. Ainsi Lavoisier et Laplace 
établirent cette première vérité fondamentale, qui 
rnst la base de la physique et de la chimie physiolo¬ 
giques, savoir: que les actions physico-chimiques 
qui manifestent et règlent les phénomènes propres 
aux êtres vivants rentrent dans les lois ordinaires 
de la physique et de la chimie générales. 

Mais si les corps animés puisent les conditions de 
leurs activités chimico-vitales aux mêmes sources 
que les corps bruts, ils en diffèrent complètement par 
les formes spéciales de leurs manifestations physiolo¬ 
giques. L’anatomie seule peut rendre compte de ces 
dernières, parce qu’elles sont l’expression directe des 
propriétés de la matière organisée et delà contexture 
plus ou moins complexe des organismes vivants. Par 
les dissections anatomiques et les vivisections physio¬ 
logiques, on était sans doute déjà parvenu à recon- 



6 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

naître et à déterminer les usages et les propriétés de 
beaucoup d’organes du corps. La science s’était enri¬ 
chie, dans cette voie, d’un grand nombre de décou¬ 
vertes précieuses; mais la physiologie générale n’en 
restait pas moins toujours plongée dans le vague des 
hypothèses touchant la nature du principe qui anime 
le corps vivant et attribue à chacun de ses divers 
organes des fonctions particulières. 

Ce fut Bicbat qui, en fondant l’anatomie générale 
des tissus, apporta à la physiologie générale le point 
i d’appui anatomique qui lui manquait. Il fit com¬ 
prendre l’inanité de la recherche d’un principe 
mystérieux et unique pour expliquer toutes les ma¬ 
nifestations vitales, et il montra qu’én physiologie^ 
chaque phénomène doit être rattaché directement et! 
rigoureusement aux propriétés physiologiques spé-j 
ciales d’un tissu vivant, de même qu’en physique! 
chaque phénomène dérive des propriétés physiques 
d’une matière déterminée 5 . Il ramena la physiologie 
générale sur un terrain défini, où il fut désormais 
possible de suivre et de localiser les phénomènes 
des corps vivants, en lés rattachant aux propriétés 
élémentaires des tissus, comme des effets àleur cause. 
Or Vobjet de la physiologie générale est précisé¬ 
ment de déterminer par Vanalyse expérimentale 
les propriétés physiologiques élémentaires des 
tissus , afin d'en déduire ensuite d'une manière 
nécessaire l’explication des mécanismes vitaux. 

Il ne pouvait être donné au génie de Bichat de 
créer son œuvre avec une perfection qui ne devait 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 7 

être apportée que par le temps ; mais l’idée vraie et 
fondamentale n’en avait pas moins été posée, et 
I c’est à lui que revient la gloire d’avoir créé l’anato- 
’mie générale et d’avoir ouvert à cette science de la 
structure des corps vivants la voie brillante et fé¬ 
conde qu’elle parcourt. Bichat fut le plus grand ana¬ 
tomiste des temps modernes, et, à cause de cela 
même, il ne fut point un physiologiste complet, dans 
l’acception précise et plus vaste qu’il faut aujour¬ 
d’hui donner à ce mot. 

La vie ne se conçoit que par le conflit des pro¬ 
priétés physico-chimiques du milieu extérieur et des 
propriétés vitales de l’organisme réagissant les unes 
sur les autres. Il faut nécessairement le concours de 
ces deux facteurs ; car, si l’on supprime ou si l’on 
i modifie soit le milieu, soit l’organisme, la vie cesse 
I ou s’altère aussitôt. La physiologie générale ne peut 
être solidement fondée qu’à la condition de reposer 
sur cette double base ; elle doit considérer à la fois 
dans l’organisme les propriétés vitales Ou physiolo¬ 
giques des tissus vivants et les propriétés physico¬ 
chimiques des milieux sous l’influence desquelles 
1 la vitalité des tissus se manifeste. Si le physiologiste 
reste trop exclusivement anatomiste, physicien ou 
chimiste, et ne s’appuie que sur un ordre des con¬ 
naissances que nous avons signalées, ou seulement 
s’il lui accorde une trop large part, il fait nécessaire¬ 
ment fausse route et il s’expose à avancer, sur les 
phénomènes de la vie, des explications erronées ou 
incomplètes. 11 faudra toujours, en un mot, tenir 



g DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

compte de deux ordres de conditions: 1° des con¬ 
ditions anatomiques de la matière organisée qui 
donnent la nature ou la forme des phénomènes phy¬ 
siologiques; 2° des conditions physico-chimiques 
ambiantes qui déterminent et règlent les manifes¬ 
tations vitales. 

Une troisième impulsion était encore indispensa¬ 
ble pour assurer les progrès de la physiologie : il 
fallait la ramener définitivement à la méthode des 
i sciences expérimentales; il fallait la pousser avec 
vigueur dans la direction des expériences sur les or¬ 
ganismes vivants, afin de la détourner de la voie des 
hypothèses et des explications prématurées dans 
laquelle elle s’était si souvent égarée. Un grand 
physiologiste français, Magendie 6 , mon maître, est 
venu, au commencement de ce siècle, exercer cette 
action générale sur la science physiologique, en 
même temps qu’il l’enrichissait par ses propres dé¬ 
couvertes. Magendie fut élevé dans l’école anatomi¬ 
que de Paris, mais il n’était point disposé à suivre 
les successeurs de Bichat dans leurs explications 
hypothétiques 7 . Doué d’un esprit précis et péné¬ 
trant, sceptique et indépendant, il fut hé de bonne j 
heure avec Laplace, qui le patronna. Par cette in¬ 
fluence il se trouva encore fortifié dans son antipa¬ 
thie innée pour les explications physiologiques dans 
lesquelles on ne se payait que de mots. Puis, par 
une tendance spontanée de réaction qui, à cette épo¬ 
que, fut très-utile à la physiologie, il s’arrêta à Yex-\ 
périmentation empirique, c’est-à-'diré _ au résultat^ 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 9 

brut de l’expérience considérée en dehors de toute 
interprétation et de tout raisonnement 8 . 

Magendie a exercé son influence sur la physiologie 
moderne en insistant pendant toute sa vie sur la 
nécessité des expériences et en réagissant toujours 
1 contre les hypothèses et les explications systémati¬ 
ques. Du reste Magendie joignit l’exemple au pré¬ 
cepte. Il entreprit des cours privés de physiologie 
expérimentale fondée sur les vivisections 9 . Quand 
il commença à enseigner la physiologie expérimen¬ 
tale, son enseignement était unique en Europe. 
Il fut fréquenté par des élèves nombreux, parmi les¬ 
quels se trouvaient beaucoups d’étrangers. C’est de 
ce foyer que sont sortis de jeunes physiologistes qui 
sont allés porter les germes de la nouvelle scie nce 
dans des écoles voisines, où elle s’est développée 
ensuite avec une si prodigieuse rapidité. Ce sont là 
des faits contemporains, devenus des souvenirs de 
jeunesse pour les physiologistes de la vieille géné¬ 
ration. Il n’est pas nécessaire d’y insister davan¬ 
tage 10 . 

Depuis Galien jusqu’à nos joùrs, les physiologistes 
des divers pays qui pratiquèrent des expériences sur 
les animaux vivants ne s’étaient montrés que par 
intervalles et de loin en loin. Tour à tour prônées 
ou décriées, reprises, puis abandonnées, ces expé¬ 
riences n’avaient point acquis droit de domicile dans 
la physiologie. Maintenant elles y sont entrées pour 
n’en plus sortir, et désormais les vivisections, per¬ 
fectionnées et analytiquement instituées, forment 



40 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

une des branches fondamentales de la méthode d’in¬ 
vestigation appliquée aux phénomènes de la vie. L’a- 
vénement de la physiologie expérimentale appar¬ 
tient à la France ; c’est à Magendie que revient la 
;gloire d’avoir arboré définitivement le drapeau -de 
l'expérimentation physiologique. Ce sera un de ses 
titres à la reconnaissance de la postérité. 

En résumé, les progrès actuels de la physiologie 
se relient à une véritable renaissance que cette 
■ science a éprouvée vers le commencement de ce 
siècle. Il était important de montrer que la France 
a été le berceau de cette rénovation, à laquelle ont 
principalement concouru Lavoisier, Laplace, Bichat 
et Magendie. 

C’est à partir seulement de cette époque moderne 
que la physiologie expérimentale a réellement pu se 
constituer, ayant pour base solide ce trépied indis¬ 
pensable : les sciences physicochimiques, les scien¬ 
ces anatomiques et l’expérimentation sur l’orga¬ 
nisme vivant. 

Aujourd’hui cette nouvelle science expérimentale 
•des phénomènes de la vie est partout cultivée avec 
la plus grande activité. L’importance et l’attrait des 
problèmes qu’elle poursuit, le pressentiment de l’in¬ 
fluence qu’elle est destinée à exercer, dans l’avenir, 
sur le bien-être de l’homme, ont excité l’ardeur 
scientifique des jeunes générations et lui ont valu 
-la sympathie de tous les hommes éclairés. Dans 
cette voie féconde, la physiologie expérimentale doit 
êtie considérée comme science indépendante; elle 



de la physiologie générale h 

marche à pas de géant, et elle a réalisé dans ce siècle 
des progrès vraiment extraordinaires. Chaque pays 
participe nécessairement à ce progrès rapide. Mais on 
peut concourir à Pavancement de la physiologie, 
comme à celui de toutes les sciences, par deux voies 
distinctes : 1° par l’impulsion des découvertes et des 
idées nouvelles; 2° par la puissance des moyens de 
travail et de développements scientifiques. Dans 
Dévolution des sciences, l’invention est, sans con¬ 
tredit, la partie essentielle. Toutefois les idées nou¬ 
velles et les découvertes sont comme des germes : 
il ne suffit pas de leur donner naissance et de les 
I semer, il faut encore les nourrir et les développer 
1 par la culture scientifique. Sans cela ils meurent, 
ou bien ils émigrent; et alors on les voit prospérer 
et fructifier dans le sol fertile qu’ils ont trouvé loin 
du pays qui les a vus naître. 






EXPOSÉ DES DÉCOUVERTES 

ET PROGRÈS PRINCIPAUX 

DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE EN FRANCE 

DEPUIS VINGT-CINQ ANS 


Dans l’exposé qui va suivre nous considérerons 
spécialement le développement de la physiologie gé¬ 
nérale, et nous montrerons que tous les progrès de 
cette science tendent à déterminer les propriétés et 
les conditions d’existence des éléments organiques 
qui constituent les radicaux physiologiques de la vie. 
Notre but sera de bien faire comprendre les diffi¬ 
cultés et l’importance d’un tel problème. La physio¬ 
logie générale est encore trop peu avancée pour 
prétendre à aucune systématisation. L’histologie elle- 
même, dont l’objet est de donner les caractères ana¬ 
tomiques des tissus, est en voie d’évolution, et, sur 
beaucoup de points, elle ne peut actuellement four¬ 
nir que des distinctions provisoires que l’avenir mo¬ 
difiera, sans aucun doute. C’est pourquoi nous ne 
chercherons pas à établir une classification rigou¬ 
reuse des phénomènes physiologiques élémentaires.' 
Nous garderons seulement un cadre assez large pour 
nous permettre d’embrasser à la fois les résultats 


14 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

synthétiques acquis, et les recherches analytiques 
qui se rapportent à des questions de physiologie gé¬ 
nérale encore à l’étude. 

I 

PHÉNOMÈNES DE SENSATION ET DE LOCOMOTION 


Systèmes et éléments nerveux et musculaires. 

La sensibilité et le mouvement, qui se rattachent 
aux propriétés des systèmes nerveux et musculaire,* 
doivent être réunis ici dans une même-étude physio¬ 
logique. Ces deux attributs, les plus élevés de l’ani- 
malité, sont, en effet, tellement connexes que, l’un 
sans l’autre, ils n’auraient pas de raison d’être. Le 
système musculaire est le démonstrateur indispen¬ 
sable des propriétés du système nerveux, et les nerfs 
sont les excitateurs et les coordinateurs nécessaires 
du système musculaire. 

Les phénomènes de sensibilité et de mouvement, 
obscurs ou inconscients dans les êtres inférieurs, ap¬ 
paraissent d’autant plus variés et mieux caractérisés . 
qu’on les étudie dans des animaux plus parfaits. De 
même, les éléments qui représenter anatomique¬ 
ment ces phénomènes se séparent et se différer cient 
davantage à mesure que l’organisation se perfec¬ 
tionne. C’est pourquoi les études expérimentales 
instituées sur les animaux supérieurs sont les plus 
faciles et ordinairement les plus utiles à la physio- : 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 15. 

logie générale. Ce serait une grande erreur de croire 
que les êtres inférieurs sont nécessairement les pins 
simples, anatomiquement et physiologiquement 11 . 
Ils possèdent seulement une organisation inférieure 
dans laquelle les éléments des tissus sont moins dé¬ 
veloppés et présentent des propriétés plus confuses. 
Ce qui signifie, en d’autres termes, que le perfection¬ 
nement organique se traduit par une différenciation 
anatomique et physiologique de plus en plus grande. 

La séparation anatomique et physiologique des 
divers éléments constitutifs du système nerveux n’a. 
été définitivement établie par l’analyse expérimen¬ 
tale que dans ces derniers temps, et la France a 
puissamment contribué à ce progrès. Le premier 
pas important dans cette voie a été marqué par la 
découverte dès- fonctions distinctes des nerfs rachi¬ 
diens. Des expériences faites sur des animaux vivants 
démontrent que la section des nerfs rachidiens anté¬ 
rieurs produit: constamment la paralysie du mou¬ 
vement, tandis que la section des nerfs rachidiens 
postérieurs entraîne exclusivement la perte du sen¬ 
timent. 

Le mérite d'avoir fait connaître les fonctions des. 
racines rachidiennes a été réclamé en faveur de deux 
physiologistes, l’un Anglais, Ch. Bell, l’autre Fran¬ 
çais, Magendie. Bien que l’origine de cette contro¬ 
verse puisse réellement remonter à un demi-siècle, 
cependant le jugement définitif sur l’objet en litige 
appartient à notre époque. De semblables débats ne 
peuvent être justement appréciés qu’après la mort 



16 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

des auteurs 12 et lorsque les passions qui s’agitaient 
autour d’eux se sont éloignées et éteintes avec le 
temps; car/ ainsi que l’a dit Bacon, « la science a 
parfois aussi les yeux humectés par les passions hu¬ 
maines. » 

L’idée qu’il pouvait ou même qu’il devait exister 
des nerfs distincts de sentiment et de mouvement est 
fort ancienne : on pourrait la retrouver dans Galien. 
Mais la question dont il s’agit ici est celle de savoir 
quel est le physiologiste qui a, le premier, démontré 
expérimentalement la vérité scientifique sur ce, 
point. Si les hommes qui pressentent les choses et 
émettent sur elles des opinions anticipées sont sou¬ 
vent très-utiles, c’est toujours à ceux qui apportent 
les faits positifs que revient le principal mérite. Ce 
sont eux qui accomplissent le progrès réel, en ce 
qu’ils fixent la science et lui fournissent un point 
d’appui pour aller plus au delà marcher en avant. 

C’est toujours par des publications et par des textes 
précis qu’un auteur peut appuyer ses droits à une 
découverte. Mais, entre Ch. Bell et Magendie, le 
débat ne doit pas, selon moi, rester réduit à une 
simple question de date. Il y a un grand intérêt à 
prendre le sujet de plus haut pour l’envisager en 
même temps plus philosophiquement, au point de 
vue de la méthode d’investigation. On verra que, 
pour bien asseoir son jugement, il faut absolument 
tenir compte de l’esprit scientifique opposé des deux 
auteurs et de la manière différente suivant laquelle 
chacun d’eux a procédé. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 17 

Ch. Bell était avant tout un anatomiste 13 . Sans 
faire aucune expérience, il disséqua pendant long¬ 
temps, comme il nous l’apprend lui-même, le cer¬ 
veau, le cervelet, la moelle épinière, ainsi que les 
nerfs qui en émanent. D’après l’anatomie seule, il se 
forma des idées préconçues sur les relations physio¬ 
logiques de ces divers centres nerveux et sur les 
usages des nerfs rachidiens et encéphaliques. Il pensa 
que les nerfs tirent leur spéç iajité de fonc tions.de 1 eur 
différence d’ori gine , et q ue pl us un nerf a d’usages à 
remplir,., plus iL doit avoir d’origines distinctes. Par¬ 
tant de cette vue, Ch. Bell commença par en faire 
l’application aux nerfs rachidiens, qui possèdent 
deux racines apparentes : l’une venant de la partie 
antérieure de la moelle, l’autre de sa partie posté¬ 
rieure. Il admit encore, et toujours d’après ses dis¬ 
sections anatomiques, que la racine antérieure pre¬ 
nait son. origine dans le cerveau par l’intermédiaire 
de la colonne médullaire antérieure, et que la racine 
postérieure communiquait avec le cervelet par le 
moyen de la colonne postérieure de la moelle. Puis 
il supposa que chacune de ces racines était chargée 
de porter, dans les diverses parties du corps où elle 
se distribue, l’influence du centre nerveux d’où elle 
émanait. Mais ce qu’il faut bien savoir ici, c’est que, 
d’après les idées de Ch. Bell (empruntées à Willis), 
le cerveau était l’organe de la sensibilité et du mou¬ 
vement, et le cervelet, l’organe nerveux qui présidait 
aux fonctions vitales organiques (circulation, nutri¬ 
tion, sécrétion 14 ). D’où il suivait tout naturellement 



i g DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

que/ pour Ch. Bell, la racine antérieure était chargée 
de porter aux parties du corps les facultés cérébrales, 
c’est-à-dire le mouvement et la sensibilité; tandis 
que la racine postérieure avait pour mission de leur 
transmettre l’influence cérébelleuse, c’est-à-dire la 
jnutrition et la vitalité. Telles sont les fonctions hy¬ 
pothétiques. que Ch. Bell attribua aux nerfs rachi¬ 
diens dans sa première brochure, imprimée pour ses 
amis en 1811, An idea of a new anatomy of the 
brain. Ce travail, comme l’indique son titre, est 
bien plus méditatif qu’expérimental. Il n’y est ques¬ 
tion d’aucune expérience détaillée. Ch. Bell, qui du 
reste montre une grande répulsion pour l’expéri¬ 
mentation sur les animaux, se contente de dire va¬ 
guement, et sans indiquer sur quel animal l’expé¬ 
rience a pu être faite, que l’attouchement de la racine 
ou du faisceau antérieurs de la moelle fait entrer les 
muscles en convulsion, tandis que cela n’a pas heu 
pour la racine et le faisceau postérieurs. Ch. Bell, 
dominé par ses idées préconçues, se hâta de voir la 
confirmation de tout son système dans cette seule 
expérience, qui ne le contredisait point, il est vrai, 
f îRâis qui ne prouvait rien au delà du résultat incom- 
Iplet et partiel qu’elle exprimait. En 1811, Ch. Bell 
ne connut donc point les fonctions des nerfs rachi¬ 
diens; il interprétait faussement un fait que l’on a 
voulu plus tard alléguer en sa faveur. 

En 1821, Ch. Bell était toujours sous l’influence 
des mêmes idées systématiques qu’en 1811; mais il 
essaya d’en faire l’application, cette fois, aux nerfs de 



DE LA PHYSIOLO&IE GÉNÉRALE 19 

la face, qui sont plus complexes que ceux de la 
moelle épinière. Il regarda le nerf de la cinquième 
paire on trijumeau comme représentant à lui seul 
un nerf mixte rachidien qui, par son origine céré¬ 
brale, avait les fonctions d’une racine antérieure 
(sensibilité et mouvement volontaire), et qui, par son 
origine cérébelleuse, participait aux fonctions d’une 
racine postérieure (nutrition et sécrétion). Quant au 
nerf de la septième paire ou facial. Ch. Bell le rangea 
dans les nerfs de mouvements involontaires, qu’il 
avait appelés nerfs respiratoires, etc. Dans ce der¬ 
nier travail, les expériences sont plus complètes et 
plus nombreuses que dans le mémoire de 1811. 
Cependant telle est l’influence funeste des idées pré¬ 
conçues trop enracinées, qu’elles empêchent celui 
qu’elles subjuguent d’apercevoir la vérité qui est 
devant ses yeux. Ch. Bell vit toutes ses expériences 
au travers du prisme de son système, et c’est pour¬ 
quoi il les interpréta encore faussement. Il dota le 
nerf facial d’une faculté motrice exclusivement respi¬ 
ratoire, qui est chimérique, et il accorda au nerf tri¬ 
jumeau une influence motrice volontaire sur les 
lèvres et les narines, qui n’existe pas. 

C’est en 1822 que Magendie apparut dans la ques¬ 
tion. Il ne connaissait que les dernières expériences 
de Ch. Bell; mail il n’avait et ne pouvait avoir, d’ail- 
' leurs, aucune raison à priori pour partager ou 
combattre ses idées. En effet. Ch. Bell et Magendie 
étaient deux esprits entièrement opposés. Autant 
l’un avait peu de sympathie pour les expériences et 



20 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

se complaisait dans les combinaisons spéculatives, 
autant l’autre était prompt et ardent à expérimenter 
et se souciait peu des idées et des raisonnements. 
Magendie disait ce qu’il voyait en expérimentant, et 
il poussait même l’excès de l’empirisme jusqu’à don¬ 
ner les résultats bruts de l’expérience, sans les dé¬ 
gager des apparences contradictoires que les condi¬ 
tions diverses de l’expérimentation pouvaient parfois 
leur donner. 

Magendie, selon son habitude, commença donc 
par expérimenter. 11 mit la moelle épinière à nu sur 
des animaux vivants (chiens), après quoi il coupa les 
racines rachidiennes postérieures et antérieures, iso¬ 
lément et successivement, puis les deux en même 
temps. Il vit qu’en coupant la racine postérieure, la 
sensibilité était éteinte, qu’en coupant l’antérieure, 
le mouvement disparaissait, et qu’en divisant les 
deux à la fois, la sensibilité et le mouvement étaient 
abolis dans les parties du corps où se rendaient ces 
nerfs 15 . Magendie fit une autre expérience des plus 
décisives : il empoisonna, par la noix vomique, un 
animal chez lequel il avait coupé, d’un côté, les 
racines postérieures, et, de l’autre, les racines anté¬ 
rieures. Les convulsions manquèrent dans le mem¬ 
bre dépourvu de ses racines antérieures, tandis 
qu’elles éclatèrent avec toute leur force dans le 
membre seulement privé des racines postérieures. 
De ces résultats directs de l’expérience Magendie tira 
cette conclusion : que les racines antérieures prési¬ 
dent au mouvement, et les racines postérieures au 



21 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
sentiment. Telles sont, en effet, les véritables fonc¬ 
tions des nerfs rachidiens, dont la découverte appar¬ 
tient à Magendie. 

L’opinion que je viens d’émettre ne saurait être 
douteuse pour quiconque lira les mémoires successifs 
de Ch. Bell et de Magendie, en se reportant au temps 
des premières publications et aux textes originaux 16 . 
Récemment, un jeune physiologiste français, M. Vul- 
pian, a, dans l’intérêt de la vérité scientifique, étudié 
avec soin toutes les pièces du débat relatif à la dé¬ 
couverte des fonctions des nerfs rachidiens. Il a 
résolu également la question en faveur de Magendie, 
à l’aide de faits et d’arguments qui ne laissent aucune 
incertitude 17 . 

Une ère nouvelle de progrès rapides commence, 
pour la physiologie du système nerveux, à la décou¬ 
verte des fonctions distinctes des nerfs rachidiens. 
Ce fait fondamental, repris et étudié par les physio¬ 
logistes de tous les pays P, fut confirmé, et bientôt 
généralisé à tous les nerfs du corps. 

Le nerf sensitif, le nerf moteur et le muscle sont 
trois éléments absolument inséparables, sans la'réu¬ 
nion desquels on ne pourrait concevoir aujourd’hui 
le jeu des mécanismes sensitivo moteurs dans l’or¬ 
ganisme vivant. L’objet de la physiologie générale 
sera de distinguer expérimentalement ces divers 
éléments et de montrer que c’est de leurs propriétés 
physiologiques élémentaires que se déduisent les 
explications de tous les phénomènes nerveux les 
plus complexes. En conséquence, nous aurons d’a- 



22 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

bord à démontrer l’indépendance de l’élément mus¬ 
culaire; puis il nous faudra rechercher si le nerf 
moteur et le nerf sensitif, que la vivisection a sépa¬ 
rés, constituent bien, en réalité, des radicaux phy¬ 
siologiques distincts et autonomes. Nous signalerons 
les principaux matériaux que la physiologie française 
a fournis pour la solution de ces importantes ques¬ 
tions. 

Déjà, flans le siècle dernier, lorsque les nerfs n’é¬ 
taient point encore distingués en moteurs et sensi¬ 
tifs, Haller avait entrepris de prouver que la pro¬ 
priété spéciale du nerf, qu’il appelait la sensibilité, 
était séparée de la propriété contractile du muscle, 
qu’il nommait Y irritabilité. Il admettait déjà que 
les propriétés musculaires et nerveuses étaient dis¬ 
tinctes et indépendantes l’une de l’autre. Le nerf, 
suivant lui, ne donnait pas au muscle sa contracti¬ 
lité; il ne faisait que l’exciter, c’est-à-dire la solli¬ 
citer à entrer en fonction. Mais les preuves expéri¬ 
mentales décis ives manquaient, et cette question, 
dite de Virritabilité hallerienne, resta irrésolue 
jusqu’à ces derniers temps. En 1841, M. Longet 49 , 
en France, montra, à l’exemple d’autres expérimen¬ 
tateurs, mais d’une façon plus nette, qu’en réséquant 
sur un animal "vivant le nerf d’un membre, son bout 
périphérique meurt et cesse d’être excitable avant 
que les muscles auxquels il se distribue aient perdu 
leur contractilité. S ans d oute ces expériences témoi- 
gnaient en faveur de la distinction des propriétés . 
nerveuses et musculaires; mais c’est particulière- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 23 

ment à l’aide des poisons et des modificateurs phy- 
sico-cMmiqTi.es que f on a pu démontrer cette indé¬ 
pendance des deux ordres de propriétés d’une ma¬ 
nière complète et frappante. La. .vivisection a ses 
limites, et, dans tous les cas, elle devient un moyen 
trop grossier quand il s’agit d’isoler et de distinguer 
les éléments des tissus vivants. Le microscope, spé¬ 
cialement utile à l’analyse anatomique, ne se prête 
que dans des circonstances exceptionnelles à l’étude 
des propriétés physiologiques élémentaires. Les poi- 
sons, au contraire, sont particulièrement applicables 
à ces sortes d’études, parce qu’ils pénètrent, avec le 
sang, dans tous les tissus, et peuvent aller agir di¬ 
rectement sur,., les.éléments histologiques. Cette 

direction nouvelle et féconde de l’analyse physiolo¬ 
gique a reçu en France une puissante impulsion, 
ainsi que nous le verrons plus loin. Mais, pour que 
cette méthode d’investigation ait toute son impor¬ 
tance, il est nécessaire qu’elle s’appuie sur l’histo¬ 
logie et qu’elle marche parallèlement avec elle. 

L’analyse anatomique des tissus nerveux et mus¬ 
culaires avait fait de grands progrès, en même temps 
que leur analyse physiologique se perfectionnait. 
L’histologie, cultivée partout, mais plus particulière¬ 
ment développée en Allemagne, avait appris qu’à 
leur état parfait de développement anatomique et 
physiologique (le seul où nous devions les considérer 
ici), les éléments des muscles et des nerfs sont cons¬ 
titués les uns et les autres par des fibres ou tubes 
microscopiques. Le muscle, décomposé anatomique- 




24 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ment, se réduit à une fibre musculaire ou faisceau 
primitif dont la longueur peut être différente, mais 
dont la grosseur ne varie guère qu’entre 0 mm ,01 et 
Q mm ,02. Cette fibre musculaire est formée par un tube 
ou enveloppe extérieure élastique et par une subs¬ 
tance intérieure contractile. Chacune des extrémités 
du tube musculaire s’insère, en général, par de la 
substance tendineuse, aux parties qu’il rapproche ou 
resserre, lorsque sa contraction, c’est-à-dire son 
raccourcissement, vient à s’effectuer. 

Les racines rachidiennes antérieures et posté¬ 
rieures, de même que tous les troncs nerveux du 
corps, se décomposent anatomiquement en fibres 
ou en tubes plus fins encore que les tubes mus¬ 
culaires. Leur grosseur varie entre 0 mm , 0027 et 
Ô mm , 02. Leur longueur est relativement très-consi¬ 
dérable, et la fibre nerveuse, qui n’est autre chose 
qu’une sorte de fil conducteur moteur ou sensitif, 
s’étend toujours depuis un centre nerveux jusque 
dans un muscle ou dans une partie sensible du corps. 
Les tubes nerveux moteurs sont généralement plus 
gros que les tubes nerveux sensitifs, mais leur struc¬ 
ture est identique. Tous ces tubes sont constitués 
par une enveloppe hyaline et par de la moelle ner¬ 
veuse, qui les remplit. Au centre du tube nerveux 
se trouve un filament très-ténu, appelé le cylindey- 
axis, qui constitue la partie conductrice vraiment 
essentielle de l’élément nerveux; l’enveloppe et la 
moelle nerveuse ne sont que des parties protectrices. 

C’est par leur origine et par leur terminaison que 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 25 

les éléments nerveux sensitifs et moteurs se distin¬ 
guent et se caractérisent. Le cylinder-axis de la fibre 
nerveuse motrice prend naissance an centre, dans 
une cellule nerveuse spéciale, appelée cellule mo¬ 
trice, et, par son extrémité périphérique, il se ter¬ 
mine dans la fibre musculaire en formant une intu¬ 
mescence particulière (colline, plaque nerveuse), 
découverte et étudiée par divers savants français, 
MM. Doyère, de Quatrefages, Rouget 20 , etc. Le cy¬ 
linder-axis de la fibre nerveuse sensitive s'insère , 
par l'une de ses extrémités, au centre nerveux, dans 
une cellule spéciale, appelée cellule sensitive; il 
finit à son autre bout par des terminaisons à formes 
variées, dans la peau ou dans une autre partie sen¬ 
sible du corps. Sur son trajet, au niveau du ganglion 
intervertébral, la fibre sensitive présente parfois, 
chez les poissons, ainsi que l’a découvert M. Cb. Ro¬ 
bin 21 , une cellule nerveuse bipolaire. Mais elle 
n’existe pas toujours chez les mammifères;.le gan¬ 
glion intervertébral, dans ces animaux, contient 
beaucoup de cellules unipolaires donnant des nerfs 
qui se dirigent surtout vers la périphérie, où il est 
difficile de les suivre 22 . Enfin, dans les centres ner- 
| veux, les cellules motrices et sensitives communi- 
! quent entre elles par des commissures qui leur per¬ 
mettent de réagir les unes sur les autres. 

Tous les éléments musculaires et nerveux situés 
dans la profondeur du corps se nourrissent et mani- 
festentleur activité sous l’influence des conditions chi¬ 
mico-physiques qui se passent dans le mibeu liquide. 


26 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

quilesbaigne. Environnés de vaisseaux capillaires, ces 
éléments sont mis en contact avec le sang qui leur ap¬ 
porte les conditions physiologiques de la vie. Mais c’est 
également le sang qui leur transmet les conditions- 
toxiques qui peuvent les empoisonner ou les détruire 
en les attaquant isolément et d’une façon véritable¬ 
ment individuelle, ainsi que nous allons le démontrer. 

J’ai fait voir que le poison américain connu sous- 
le nom de curare ou woorara est un agent ou un 
réactif véritablement spécifique pour isoler physio¬ 
logiquement les divers éléments des systèmes ner¬ 
veux et musculaires 23 . Depuis ces expériences, qui 
remontent à vingt-cinq ans, ce poison, jadis relégué 
parmi les curiosités, a pris une importance physio¬ 
logique qu’il n’avait pas. On le trouve aujourd’hui 
dans tous les laboratoires, et l’on s’en sert comme 
d’un réactif indispensable pour l’analyse physiolo¬ 
gique des fonctions vitales. 

D’abord j’ai montré que le. curare isole la pro¬ 
priété contractile du muscle de la propriété motrice 
du nerf. La preuve en est facile à donner. Si l’on 
empoisonne un animal vertébré, et particulièrement 
un vertébré à sang froid (grenouille), avec une forte 
dose de curare, et si l’on découvre, aussitôt après la 
mort, les nerfs et les muscles, on constate que les nerfs 
moteurs ont complètement perdu leur propriété phy¬ 
siologique; en les irritant à l’aide de l’électricité ou par 
d autres excitants mécaniques ou chimiques, on ne- 
provoque plus de convulsion dans les membres. Les 
muscles, au contraire, ont conservé leur propriété 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 27' 

physiologique tout à fait entière, et ils se contractent 
avec énergie quand on les excite directement. Le 
cœur, qui est un muscle, continue ses mouvements; 
mais l’irritation du pneumogastrique, qui suspend 
ses battements dans l’état normal, ne les arrête plus 
après l’empoisonnement bien complet par le curare, 
parce que le poison a détruit l’activité du nerf pneu¬ 
mogastrique et a laissé persister celle du cœur. Ces- 
expériences établissent clairement que le poison amé¬ 
ricain détruit la propriété physiologique de la fibre 
nerveuse motrice et n’atteint pas celle de la fibre 
musculaire. Elles démontrent donc déjà, par cela 
même, que le muscle et le nerf moteur sont deux 
éléments distincts doués de propriétés indépen¬ 
dantes, puisqu’ils peuvent être empoisonnés et mou¬ 
rir l’un sans l’autre. 

Mais ce n’est pas tout. Notre réactif curarique 
rend encore d’autres services à la physiologie géné¬ 
rale. Il ne se borne pas à séparer l’élément musculaire 
de l’élément nerveux moteur, il distingue encore 
l’élément nerveux moteur de l’élément sensitif 24 . 

Afin de bien saisir l’expérience démonstrative de 
cette distinction, il est nécessaire de savoir que le- 
curare attaque la fibre nerveuse par son, extrémité 
périphérique et non par son extrémité centrale. Ce 
qui le prouve, c’est qu’après qu’on a coupé un nerf' 
moteur pour le séparer de la moelle épinière, ce 
nerf peut encore être empoisonné si le curare est 
porté par le sang sur son extrémité qui pénètre dans, 
le muscle. Au contraire, si on laisse le nerf moteur 



28 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

attenant à la moelle et si l’on empêche le sang de 
toucher son extrémité musculaire, l’empoisonne¬ 
ment n’a pas lieu, bien que l’origine des nerfs dans 
la moelle épinière soit baignée par du sang empoi¬ 
sonné. Il résulte de là qu’en liant les vaisseaux qni 
portent le sang dans les muscles des membres, nous 
pourrons préserver de l’empoisonnement un ou plu¬ 
sieurs nerfs moteurs, qui nous serviront de témoins 
pour savoir si la sensibilité persiste dans les autres 
parties du corps où les nerfs moteurs sont paralysés. 

| Yoici comment se pratique cette expérience décisive : 
sur une grenouille, on découvre, en soulevant le sa¬ 
crum, les deux faisceaux des nerfs lombaires qui se 
rendent aux membres postérieurs ; puis on lie for¬ 
tement les vaisseaux et toutes les parties qui se 
trouvent au-devant d’eux. De cette manière on in¬ 
terrompt la circulation sanguine entre le tronc et les 
membres postérieurs, tout en laissant ceux-ci en 
communication avec la moelle épinière par les nerfs 
lombaires qui sont restés en dehors de la ligature. 
Alors on empoisonne la grenouille en plaçant le poi¬ 
son sous la peau du dos; et il arrive que bientôt le 
tronc, la tête et les membres antérieurs sont seuls 
empoisonnés, les membres postérieurs ne pouvant 
éprouver l’effet du curare, puisqu’ils ne reçoivent 
plus de sang. Dans cette condition, tous les nerfs mo¬ 
teurs des membres antérieurs, de la tête et du trône 
sont seuls paralysés, tandis que ceux des membres 
postérieurs ne le sont pas. Aussi l’arrière-train de 
1 animal continue à jouir de tous ses mouvements et 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 29 

de sa sensibilité, lorsque le tronc, la tête et les 
membres antérieurs sont devenus flasques et immo¬ 
biles. Mais ce qu’il importe de prouver ici, c’est que 
les parties empoisonnées ont complètement perdu 
[ leur mouvement et cependant conservé toute leur 
sensibilité. Il suffit, pour s’en assurer, de pincer la 
peau du tronc ou celle des. membres antérieurs, et 
aussitôt la grenouille agite plus ou moins violem¬ 
ment et seulement ses membres postérieurs pour 
témoigner sa douleur. Cette expérience démontre 
donc que, dans les parties empoisonnées, l’élément 
j sensitif reste intact, tandis que l’élément moteur se 
trouve seul complètement paralysé. Or, en établissant 
que le poison de la fibre nerveuse motrice n’est pas 
j| le poison de la fibre nerveuse sensitive, on montre 
clairement que les éléments nerveux moteurs et sen- 
sitifs sont des radicaux physiologiques distincts. 

Les résultats de l’expérience précédente sont cons¬ 
tants. Ils sont plus faciles à observer sur les vertébrés 
à sang froid parce que, chez ces animaux, les pro¬ 
priétés des nerfs sensitifs, ainsi que celles des autres 
éléments, résistent davantage à l’asphyxie et se 
maintiennent plus longtemps. Mais chez les mam¬ 
mifères les phénomènes ne sont pas différents 25 . 
L’expérience réussit de même si, par la respiration 
artificielle ou par la transfusion partielle du membre 
réservé, on empêche la mort des muscles et des nerfs 
moteurs d’arriver par anémie. L’analyse physiolo¬ 
gique devient encore plus instructive chez les ani¬ 
maux élevés ; car on voit plus facilement chez eux 




, 3 o DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

que le curare a’altère ai la voloaté ni l’intelligence- 
-ce qui indiquerait que ces deux facultés se ratta¬ 
chent aux fonctions d’organes nerveux dont les pro¬ 
priétés dérivent de celles des éléments sensitifs m 

La spécialisation toxique du curare que nous venons 
4e constater sur l’élément nerveux moteur n’est point 
un fait isolé et une sorte d’exception; l’élément 
musculaire et l’élément nerveux sensitif ont aussi 
leurs poisons propres et caractéristiques. Autrefois 
. j’avais donné le sulfocyanure de potassium 27 comme 
le poison spécial de l’élément musculaire, mais de¬ 
puis on en a trouvé beaucoup d’autres. 

Un des poisons les plus énergiques de l’élément 
: nerveux sensitif est la strychnine. Mais comme les 
■excitations se propagent du nerf sensitif à l’ensemble 
du système nerveux, il devient plus difficile d’isoler 
et de délimiter son action toxique. Néanmoins on 
parvient, par une analyse bien faite, à démontrer la 
spécialisation des effets de la strychnine sur l’élé¬ 
ment nerveux sensitif. Pour en donner la preuve 
expérimentale, il importe d’abord de faire remarquer 
que, par un mécanisme toxique en quelque sorte in¬ 
verse de celui du curare, la strychnine attaque l’élé¬ 
ment sensitif par son extrémité centrale ou médul¬ 
laire, ce qui fait dire habituellement que ce poison 
agit sur la moelle épinière 28 . 

L’extrémité médullaire du nerf sensitif excite le 
-centre nerveux et réagit sur l’extrémité centrale du 
nerf moteur, comme l’extrémité périphérique de ce 
-nerf moteur lui-même excite et fait fonctionner la 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 31 

fibre musculaire. Le poison attaquera donc, dans les 
deux ordres de nerfs, leur bout actif ou fonctionnel. 
Or nous avons vu qu’on peut préserver de l’empoi¬ 
sonnement par le curare les nerfs moteurs en empê¬ 
chant ce poison d’être porté sur leur périphérie par 
la circulation; pour s’opposer à l’empoisonnement 
des nerfs sensitifs par la strychnine, il faudra, au 
contraire, empêcher le poison d’être porté sur leur 
extrémité centrale, dans la moelle. On peut arriver 
à ce résultat en coupant sur une grenouille la moelle 
épinière en arrière des bras, et en détruisant avec 
précaution tous les rameaux de l’aorte qui vont por¬ 
ter le sang dans sa partie lombaire. Si alors on met 
une solution de strychnine sous la peau des membres 
postérieurs, on constate que bientôt le poison a été 
absorbé et que son action se manifeste seulement 
dans le tronc et dans les membres antérieurs. On ne 
voit en effet survenir aucune convulsion dans les 
jambes, bien que le sang continue à y circuler et à 
porter le poison à la périphérie des nerfs sensitifs et 
moteurs. Les membres postérieurs possèdent d’ail¬ 
leurs pendant longtemps la sensibilité et des mouve¬ 
ments réflexes très-énergiques, tandis qu’ après l’em¬ 
poisonnement complet les membres antérieurs sont 
, immobiles et insensibles. Gomme dernière démons¬ 
tration de la différence des mécanismes toxiques de 
la strychnine et du curare, j’ajouterai que, pour opé¬ 
rer localement et sans l’intervention de la circulation 
l’empoisonnement des nerfs moteurs, il faut porter 
directement le curare sur leur extrémité périphéri- 



32 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

que; tandis que, pour opérer l’empoisonnement des 
nerfs sensitifs dans les mêmes conditions, il faut 
porter la strychnine directement sur leur extrémité 
centrale 29 . 

Les éléments musculaires et nerveux, avons-nous 
| dit plus haut, trouvent les conditions de leur vitalité 
dans le contact avec le liquide sanguin normal, qui 
est pour eux le véritable milieu nutritif intérieur. 
Quand on supprime simplement la circulation du 
sang, les divers éléments finissent nécessairement 
par mourir; et l’on peut dire alors qu’ils périssent de 
leur mort naturelle, puisque aucune matière toxique 
n’intervient. Dans ce cas, les nerfs sensitifs, les nerfs 
moteurs et les muscles meurent chacun à sa manière, 

! ce qui prouve encore une fois de plus que ces élé- 
| ments se comportent comme des individualités or- 
| ganiques élémentaires distinctes. Toutes choses égales 
d’ailleurs, l’élément sensitif meurt le premier, ensuite 
l’élément moteur, et enfin l’élément musculaire, qui 
paraît persister plus longtemps que les deux autres. 
L’élément nerveux sensitif meurt en perdant ses 
propriétés successivement de la périphérie au centre, 
tandis que l’élément nerveux moteur les perd du 
centre à la périphérie 30 . 

Quant à leur forme anatomique, les éléments ner¬ 
veux moteur et sensitif ne représentent, en réalité, 
que des conducteurs nerveux ayant chacun deux extré¬ 
mités, l’une périphérique, l’autre centrale. De ces 
deux extrémités nerveuses, l’une est active et agit 
sur l’élément qui lui est subordonné, l’autre est pas* 




DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 33 

sive et reçoit l’impression des excitations ambiantes 
on l’inflnence de l’élément qui la domine. L’extré¬ 
mité active est disposée en sens inverse pour les 
deux ordres de nerfs cérébro-spinaux : dans l’élément 
moteur, elle est à la périphérie; dans l’élément sen¬ 
sitif, elle est au centre. Il est remarquable que, pour 
entretenir les propriétés des éléments nerveux, il 
faille que l’action excitatrice et respiratoire du sang 
ait lieu dans chacun d’eux par une extrémité spé¬ 
ciale, comme si en quelque sorte l’élément organique 
avait une tête, un corps et une queue. L’extrémité 
nerveuse active ou fonctionnelle, qui représenterait la 
tête de l’élément, paraît seule impressionnable aux 
modificateurs normaux et anomaux. Nous avons 
constaté que c'est sur elle que les poisons portent 
leur action délétère; c'est aussi sur elle que le sang 
exerce son influence excitatrice et vivifiante. Gela ré¬ 
sultera clairement, ainsi que nous allons le voir, de 
l’étude des phénomènes qui se passent dans les deux 
ordres de nerfs, après la suppression du sang autour 
de leur extrémité périphérique et autour de leur 
extrémité centrale. 

Dans la soustraction du sang à la 'périphérie, dans 
les muscles et dans la peau, par la ligature des artères 
des membres, un animal à sang chaud tombe et 
semble paralysé presque immédiatement du mouve¬ 
ment et du sentiment 31 . Mais il n’y a pourtant dans 
ce cas qu’un seul ordre de nerfs qui soit paralysé. 
Le nerf moteur seul meurt par anémie, et j’ai cons¬ 
taté qu’alors il perd, comme toujours, ses propriétés 



34 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

du centre à la périphérie, c’est-à-dire de son extré¬ 
mité passive vers son extrémité active. Quant au 
nerf sensitif, il ne meurt réellement pas dans toute 
son étendue; ses propriétés disparaissent accidentel¬ 
lement et il cesse de fonctionner dans les parties 
seulement où la circulation du sang est suspendue, 
parce que là les liquides ambiants, se décompo¬ 
sant ou changeant seulement de réaction par leur 
stagnation, altèrent la substance nerveuse. J’ai ob¬ 
servé, en effet, que le nerf sensitif reste sensible 
indéfiniment au-dessus de la ligature des vaisseaux, 
et il en serait de même au-dessous, si la circulation 
des liquides pouvait empêcher l’altération locale de 
la fibre nerveuse. C’est pourquoi dans l’empoisonne¬ 
ment par le curare 32 le nerf sensitif reste intact et 
conserve ses propriétés depuis la moelle jusque dans 
la peau; caria circulation du sang curarisé, n’étant 
toxique que pour le nerf moteur, ne supprime en 
quelque sorte la circulation périphérique que pour lui, 
mais elle continue pour le nerf sensitif et le protège 
contre les altérations locales qu’entraîne la stagnation 
des humeurs. 

Dans la soustraction du sang à Yextrémité cen¬ 
trale des nerfs, dans la moelle 3S , un animal à sang 
chaud tombe également comme s’il était paralysé à 
la fois du mouvement et du sentiment; mais il n’y a 
aussi dans ce cas qu’un seul ordre de nerfs qui soit 
paralysé. La mort physiologique rapide ne survient 
que pour l’élément nerveux sensitif. L’élément ner¬ 
veux moteur ne meurt réellement pas par simple 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 3S 

soustraction do sang; il périt accidentellement par 
altération de la substance de la moelle. C’est, comme 
on le voit, précisément l’inverse de ce que l’on ob¬ 
serve dans l’anémie des extrémités périphériques des 
nerfs. Ces expériences montrent donc bien nette¬ 
ment que c’est par son extrémité centrale que l’élé¬ 
ment nerveux sensitif reçoit l’influence vivifiante du 
sang. Dans l’anémie nerveuse centrale, le nerf sen¬ 
sitif meurt d’ailleurs physiologiquement, en perdant 
graduellement ses propriétés de la périphérie au 
centre, c’est-à-dire de son extrémité passive péri¬ 
phérique vers son extrémité active centrale, qui 
meurt la dernière. 

Mais si l’on supprime la circulation centrale médul¬ 
laire, en laissant continuer la circulation périphéri¬ 
que, le nerf sensitif meurt seul. Enfin, quand on sup¬ 
prime la circulation à la fois à l’extrémité périphéri¬ 
que et à l’extrémité centrale des nerfs, ce qui arrive 
quand, par exemple, on fait périr un animal d’hémor¬ 
rhagie, les deux ordres de nerfs moteurs et sensitifs 
meurent simultanément; mais le nerf sensitif semble 
mourir beaucoup plus vite que le nerf moteur 34 . 

Après avoir établi que c’est par leur extrémité 
active que les éléments nerveux sensitif et moteur 
reçoivent à la fois l’influence vivifiante du sang et 
l’influence délétère des poisons, il faut ajouter, 
comme complément de tout ce qui précède et comme 
un résultat des plus imprévus, que l’action du curare 
sur l’extrémité périphérique du nerf moteur ne 
diffère en rien de celle de la suppression du sang. 



36 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

J’ai prouvé, en effet, que dans l’empoisonnement 
parle curare, comme dans la soustraction du sang à 
la périphérie, le nerf moteur meurt en perdant ses 
propriétés motrices du centre à la périphérie. J’ai 
vu de plus qu’un nerf moteur séparé de la moelle 
épinière meurt plus vite qu’un nerf intact, soit quand 
on empoisonne l’animal par le curare, soit quand on 
supprime simplement le sang dans les muscles. 

D’après l’ensemble de tous ces faits, qui par leur 
rapprochement s’éclairent mutuellement, il ne peut 
rester, ce me semble, aucun doute dans l’esprit sur 
l’interprétation qu’il convient de leur donner. Nous 
devons en conclure, en outre, que le curare n’attaque 
pas profondément la substance même du nerf mo¬ 
teur, mais qu’il agit comme s’il suppiimait en quel¬ 
que sorte le sang à sa périphérie. Il faut nécessaire¬ 
ment qu’il produise dans ce liquide une modification 
engourdissante, de telle nature que le sang devienne 
impropre à vivifier l’élément nerveux moteur, tan¬ 
dis qu’il est encore apte à exercer son influence 
vitale sur le nerf sensitif, sur les muscles et sur tous 
les autres éléments de l’organisme. Dans l’état actuel 
de nos connaissances, il nous est bien difficile de 
nous faire une idée d’une altération aussi spéciale. 
Mais le fait n’en est pas moins positif, et il viendra 
un moment où nous l’expliquerons certainement. 

Si, comme nous venons de le prouver, le sang 
doit circuler autour des extrémités actives des élé¬ 
ments nerveux pour les vivifier et exciter leurs fonc¬ 
tions spécifiques, cèla ne suffit pas toutefois pour 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 37 

entretenir leur Yitalité et leur nutrition. La propriété 
nutritive des éléments nerveux paraît, au contraire, 
résider dans leur extrémité p assive , qui, par oppo¬ 
sition, est insensible aux excitants toxiques et aux 
influences fonctionnelles du sang. 

Chaque élément nerveux renferme en lui une cel¬ 
lule spéciale ou un noyau de cellule qui est son cen¬ 
tre de nutrition etjie-conservation organique. Pour 
l’élément nerveux moteur, cette cellule conserva¬ 
trice existe à son extrémité centrale, dans la moelle 
épinière; tandis que, pour l’élément nerveux sensi¬ 
tif, elle siège en dehors de la moelle, dans le gan¬ 
glion, intervertébral. Il résulte de là que, si l’on 
coupe un nerf de mouvement sur un animal vivant, 
le bout attenant à la moelle conserve sa texture, 
tandis que le bout périphérique, bien qu’il continue 
à recevoir du sang comme à l’état normal, se dété¬ 
riore dans sa substance et meurt peu à peu en per¬ 
dant ses propriétés physiologiques. Quand on divise 
un nerf de sensibilité, c’est toujours le bout qui tient 
au ganglion intervertébral, c’est-à-dire à la cellule 
nutritive, qui se conserve; l’autre s’altère, se désor- 
garnise et meurt â5 . 

L’élément musculaire et les éléments nerveux 
sensitif et moteur nous présentent donc un grand 
nombre de phénomènes vitaux distincts et caracté¬ 
ristiques pour c ha cun d’eux; ce qui prouve qu’ils 
constituent de véritables organismes élémentaires 
J autonomes. Mais ils n’en ont pas moins aussi des 
conditions communes d’existence et de dépérisse- 



38 DE LA PHYSIO LOGIE GÉNÉRALE 

ment, que nous devons maintenant examiner. 

Quand une ou plusieurs des conditions vitales des 
tissus viennent à manquer, leurs propriétés physio¬ 
logiques disparaissent, mais avec ce caractère singu¬ 
lier que, pour tous les éléments histologiques, la 
mort est précédée par des phénomènes d’excitabilité 
fonctionnelle 35 bis . Quand les éléments nerveux et 
musculaire meurent de leur mort naturelle, c’est-à- 
dire par la cessation de la vie, déterminée par la 
simple soustraction de leur milieu sanguin normal, 
on observe ce fait remarquable, que la vitalité des 
éléments augmente au moment où débute la série 
des phénomènes successifs de leur mort. M. E. Fai¬ 
vre, dans un travail intéressant, a fait voir que, chez 
les grenouilles récemment sacrifiées, l’excitabilité 
des nerfs et des muscles augmente avant de com¬ 
mencer à s’éteindre 36 . J’ai observé qu’il en était de 
même pour les nerfs et les muscles qui mouraient 
sans être séparés du corps, lors même que la circu¬ 
lation continuait. Dans le cas, par exemple, où l’on 
fait la section d’un tronc nerveux mixte, le bout pé¬ 
riphérique, avant de dégénérer, devient toujours 
plus excitable. 

La mort amène la rigidité cadavérique des élé¬ 
ments. Les substances nerveuse et musculaire, demi- 
fluides et transparentes, d’une réaction alcaline ou 
neutre pendant la vie, se coagulent, deviennent 
opaques et acides après la mort. Toutefois la réac¬ 
tion acide n’est pas un caractère constant de la mort 
nomme on l’avait cru. J’ai montré qu’elle pouvait 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 39 

souvent manquer chez les mammifères 37 , et je ne 
l’ai point rencontrée chez les crustacés 38 . J’ai attri¬ 
bué son absence au manque de la matière glycogène 
dans le muscle 39 . 

Quand les muscles et les nerfs se sont ainsi altérés 
dans leur substance et sont devenus rigides, leur 
irritabilité 40 , c’est-à-dire leurs propriétés physiolo¬ 
giques, sont complètement perdues. Mais si l’on 
n’attend pas trop longtemps, on peut les restituer 
au moyen d’une transfusion convenablement prati¬ 
quée. C’est ainsi qu’en injectant par les artères du 
sang défibriné et oxygéné à l’air, on fait reparaître 
la contractilité et la motricité dans des membres 
déjà envahis par un commencement de rigidité ca¬ 
davérique 41 . 

Le sang, en circulant autour des éléments muscu¬ 
laires et nerveux, leur permet d’engendrer et de 
manifester leurs propriétés spécifiques par suite d’un 
; véritable échange nutritif qui se produit entre ces 
| éléments et le milieu sanguin. Pour connaître la 
nature de cet échange nutritif, il faut examiner la 
composition du sang avant et après son contact avecles 
S éléments musculaires et nerveux. La 'méthode ana- 

\ lytique de la physiologie générale conduit en effet à 
considérer les phénomènes de la vie, non dans tout 
l’organisme à la fois, mais dans chaque organe, dans 
chaque tissu et dans chaque élément en particulier. 
La nutrition du muscle et la nutrition du nerf for¬ 
ment une des parties les plus intéressantes de la 
physiologie; car, outre l’importance des fonctions 



40 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

de ces deux espèces d’organes, les nerfs et les mus¬ 
cles constituent par leur masse la presque totalité 
du corps des vertébrés. Il y a longtemps déjà que 
j’ai commencé des recherches sur la nutrition des 
muscles sur l’animal vivant, et en insistant sur la 
nécessité de considérer les changements qu’éprouve 
le sang dans les organes à l’état de repos et à l’état 
de fonction 42 . En effet, j’ai vu que, pendant la con¬ 
traction, le sang veineux musculaire sort plus chaud 
que le sang artériel, en même temps qu’il a une cou¬ 
leur très-noire et qu’il contient beaucoup d’acide 
carbonique et peu d’oxygène. Pendant le repos ab¬ 
solu du muscle, c’est-à-dire après la section des 
nerfs qui l’animent, le sang veineux musculaire 
paraît peu brûlé; il sort presque aussi rouge que le 
sang artériel et renferme encore beaucoup d’oxygène. 
Il semble résulter de là que l’état de fonction du 
muscle est nécessaire pour que sa nutrition s’opère. 
Cela s’accorde d’ailleurs avec d’autres observations, 
qui prouvent que des muscles paralysés ou condam¬ 
nés au repos pendant trop longtemps finissent par 
s’atrophier et par tomber en dégénérescence grais¬ 
seuse. Mais on peut éviter cette dégénérescence des 
muscles en excitant leur fonction à l’aide du galva¬ 
nisme, qui remplacé alors l’influence nerveuse et 
ramène à la fois dans l’organe le fonctionnement et 
la nutrition. 

Les propriétés, vitales des muscles et des nerfs 
dérivent donc du sang. Elles sont en effet la consé¬ 
quence des phénomènes de la nutrition des tissus et 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 41 

des éléments. L’énergie des manifestations des pro¬ 
priétés vitales des muscles et des nerfs est en rapport 
direct avec l’intensité des phénomènes physico-chi¬ 
miques qui s’accomplissent autour d'eux. Mais doit- 
on voir dans cette relation constante la preuve d’une 
transformation des forces physico-chimiques en pro¬ 
priétés vitales? Dans l’action des nerfs et dans la 
I contraction des muscles il y a évidemment un travail, 
produit, des phénomènes chimiques accomplis et de 
la chaleur engendrée, etc. Mais y a-t-il équivalence 
entre les phénomènes chimico-calorifiques dévelop¬ 
pés et le mouvement musculaire produit? Peut-on, 
en un mot, appliquer ici la loi de l’équivalent méca- 
; nique de la chaleur? Toutes ces questions de trans¬ 
formation des forces, qui ont pris une si grande 
; extension dans les sciences mécaniques, devaient 
naturellement chercher à s’introduire dans la phy¬ 
siologie des phénomènes mécaniques de la vie. Le 
premier travail sur ce sujet difficile est dû à un phy¬ 
siologiste français, M. J. Béclard. Dans le mémoire 
qu’il a publié en 1861 4S , cet auteur a essayé de 
| montrer que, dans la 43 bis contraction musculaire 
avec charge, il y a disparition d’une certaine quan¬ 
tité de chaleur qui s’est transformée en travail, c’est- 
à-dire en mouvement. 

Au point de vue physique, la contraction du mus¬ 
cle a encore été mesurée dans son énergie et étudiée 
dans ses formes diverses, à l’aide de moyens graphi¬ 
ques d’une grande précision 44 . De même les muscles 
et les nerfs possèdent des propriétés électro-physio- 



42 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

logiques qui ont été l’objet de beaucoup de travaux 
de la part des physiologistes et des physiciens 
Les propriétés électriques des muscles disparais¬ 
sent après la mort, comme leurs propriétés vitales. 
Toutefois, il n’est pas prouvé qu’il y ait un parallè¬ 
lisme nécessaire entre la disparition de ces propriétés 
électriques et la perte de la sensibilité et de la mo¬ 
tricité dans les nerfs ou de la contractilité dans les 
muscles. Après l’empoisonnement par le curare, il 
y a extinction de la propriété physiologique du nerf, 
et cependant les propriétés électriques persistent. 
J’ai aussi constaté depuis longtemps que, dans l’ac¬ 
tion de certains poisons musculaires qui agissent, 
très-rapidement, la propriété contractile du muscle 
disparaît, tandis que les propriétés électriques pré¬ 
sentent encore leur apparence normale. D’où je 
conclus que , si les propriétés vitales des muscles et 
des nerfs ont besoin, pour se manifester, de la pré¬ 
sence des propriétés physico-chimiques, elles ne 
paraissent point directement engendrées par elles. 

Dans toutes les études si complexes des phéno¬ 
mènes de la vie, nous ne devons jamais oublier que 
l’objet de la physiologie générale est de distinguer 
d’abord les éléments histologiques, de déterminer 
ensuite leurs conditions d’activité vitale, et d’établir 
enfin leurs relations physiologiques réciproques 
dans le jeu des divers mécanismes vitaux. Jusqu’à 
présent j’ai voulu indiquer les principaux progrès 
effectués par l’analyse physiologique expérimentale, 
dans le but d’établir l’autonomie des éléments mus* 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 43 

ciliaires et nerveux, ainsi que leurs conditions essen¬ 
tielles d’activité vitale. Cependant il ne faut pas dis¬ 
simuler que l’histoire physiologique de ces éléments 
organiques présente de nombreuses lacunes et des 
difficultés apparentes d’interprétation, résultant d’ex¬ 
périences encore mal définies. Quant aux lacunes, 
l’avenir les comblera; mais je désire m’arrêter quel¬ 
ques instants à l’examen de certaines objections que 
l’on a cru pouvoir faire contre l’autonomie des élé¬ 
ments nerveux sensitif et moteur. Cela me permettra 
de corroborer l’opinion que j’ai soutenue et que je 
crois l’expression exacte des'faits. En outre, cet exa¬ 
men critique me fournira l’occasion d’indiquer aux 
investigateurs la direction scientifique de la physio¬ 
logie générale, en leur signalant en même temps les- 
questions fondamentales qu’elle soulève actuelle¬ 
ment. 

Une des conséquences nécessaires de la distinction 
et de l’autonomie des éléments organiques, c’est de 
ne pouvoir jamais se suppléer physiologique¬ 
ment les uns les autres. Autrefois, avant qu’on 
connût la spécialisation physiologique des différents 
nerfs, on pensait que la sensibilité elle mouvement, 
avaient des organes nerveux non distincts. Aujour¬ 
d’hui il est des physiologistes qui paraissent revenir,, 
pour ainsi dire, aux vieilles idées, en voulant prou¬ 
ver expérimentalement que les nerfs de mouvement: 
et de sensibilité n’ont rien de spécial et peuvent se 
suppléer réciproquement. En France, on a soutenu 
cette opinion, que je considère non-seulement 



44 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

comme erronée, mais même comme opposée aux 
progrès de la physiologie générale 46 . 

Avant d’examiner les expériences sur lesquelles 
s’appuie la manière de voir qui précède, nous de¬ 
vons rappeler la distinction que nous avons établie 
entre le corps et les extrémités des éléments ner¬ 
veux. Nous avons vu que la spécialité de ces élé¬ 
ments siège dans leurs extrémités, qui sont les par¬ 
ties essentielles, et non dans le corps, qui n’est 
qu’une partie conductrice. Pour l’élément sensitif, 
c’est son extrémité centrale qui est active et vrai¬ 
ment spécifique ; tandis que, pour l’élément moteur, 
c’est son extrémité périphérique. Quant au corps de 
l’élément nerveux, qui n’est qu’un long fil conduc¬ 
teur unissant les deux extrémités nerveuses, comme 
un fil télégraphique relie deux stations, on conçoit 
qu’il puisse ne rien avoir de spécial. On n’est pas en 
droit, en effet, d’admettre aujourd’hui un fluide ner¬ 
veux moteur ni un fluide nerveux sensitif ; mais il 
n’en faut pas moins reconnaître qu’il y a, à l’extré- 
/ mité des filets nerveux, tantôt un organe élémentaire 
moteur particulier, tantôt un organe élémentaire 
sensitif spécial. En un mot, on peut bien considérer 
ce qui circule ou ce qui vibre dans les deux ordres 
de conducteurs nerveux comme un agent excitateur 
physiologique identique ; mais cet agent n’en pro¬ 
duit pas moins des phénomènes dissemblables, 
parce qu’il excite des extrémités nerveuses douées 
de propriétés physiologiques spéciales 46 bis . 11 n’est 
pas nécessaire d’admettre non plus que l’agent incita- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 45 

teur nerveux marche dans un sens centripète pour 
le nerf sensitif, ou centrifuge pour le nerf moteur ; 
quand un nerf est excité, il vibre et peut propager 
son influence dans toutes les directions 47 ; seule¬ 
ment l’action nerveuse spéciale ne se manifeste qu’à 
l’extrémité active de l’élément nerveux. 

L’expérience invoquée comme la plus décisive pour 
prouver* que les nerfs moteurs et sensitifs peuvent 
se remplacer est due à MM. Philippeaux et Yulpian. 
Cette expérience consiste à souder le nerf lingual 
(nerf sensitif de la langue) avec le nerf hypoglosse 
(nerf moteur du même organe), de telle façon que 
la partie supérieure ou originelle du nerf lingual 
sensitif vienne se continuer avec la partie inférieure 
ou terminale du nerf hypoglosse moteur. Lorsque, 
après l’union des deux nerfs, l’hypoglosse s’est régé¬ 
néré, on constate, en mettant à nu les parties sou¬ 
dées, que les excitations peuvent se transmettre 
d’un nerf à l’autre. Quand on pince, au-dessus de la 
soudure, la portion du nerf formée par le lingual, 
l’animal éprouve une vive douleur, en même temps 
qu’il se produit un mouvement dans la moitié cor¬ 
respondante de la langue. Cela montre que l’excita¬ 
tion du nerf sensitif s’est propagée dans les deux 
sens à la fois, vers le centre pour déterminer la sen¬ 
sation, et vers la périphérie pour faire mouvoir la 
langue par l’intermédiaire du bout inférieur d‘e 
l’hypoglosse. Toutefois, si,-comme nous venons de 
le voir, le nerf lingual sensitif a pu exciter le nerf 
hypoglosse moteur, la réciproque ne s’observe pas. 



46 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Quand on pince l’hypoglosse an-dessous de la cica¬ 
trice de soudure, on constate bien que des mouve¬ 
ments éclatent dans la moitié correspondante de la 
langue, mais on ne voit pas l’animal manifester de 
la douleur. De sorte que, si l’hypoglosse irrité pro¬ 
page son influence très-nettement à la périphérie, 
il reste très-douteux qu’il la transmette au centre, ou 
tout au moins qu’il excite le nerf lingual. D’ailleurs, 
après cette soudure effectuée entre le nerf hypo¬ 
glosse et le lingual, la langue n’en reste pas moins 
toujours paralysée, c’est-à-dire privée de tout mou¬ 
vement volontaire. Il est donc évident, d’après cela, 
que le nerf lingual n’a pas remplacé le nerf 
hypoglosse . Si l’animal reprenait le mouvement vo¬ 
lontaire de la langue, alors seulement on pourrait 
admettre que les nerfs se suppléent et que le nerf de 
sentiment est devenu un nerf moteur. 

En attendant, et pour ne pas aller au delà des 
faits, je conclurai, quant à moi, de l’expérience qui 
précède, qu’après l’union par soudure et bout à bout 
4’un nerf sensitif avec un nerf moteur, le nerf sen¬ 
sitif est capable d’exciter les propriétés du nerf mo¬ 
teur 48 , mais que le nerf moteur n’excite pas celles du 
nerf sensitif. Gela est, du reste, d’accord avec le rôle 
fonctionnel normal des deux ordres d’éléments ner¬ 
veux. L’élément nerveux sensitif est l’excitateur na¬ 
turel ou physiologique de l’élément moteur : tandis 
que l’élément moteur, qui a pour usage d’agir sur 
l’élément musculaire, n’excite jamais les éléments 
sensitifs. G est ce qui explique pourquoi les actions 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 47 

toxiques ou excitatrices quelconques portées sur les 
éléments nerveux moteurs ne se généralisent pas 
comme celles qui, sont dirigées sur l’élément sen¬ 
sitif. 

En résumé, la science ne saurait conduire, quant 
à présent, à refuser l’autonomie physiologique et la 
spécialité fonctionnelle aux. divers éléments du sys¬ 
tème nerveux. Au contraire, je pense que l’on devra 
être amené par les progrès de la physiologie générale 
à admettre encore dans les organismes élevés un plus 
grand nombre d’éléments nerveux distincts. 

Je considère qu’il y aurait heu dès aujourd’hui à 
distinguer deux ordres de caractères pour les élé¬ 
ments histologiques, les uns génériques, les autres 
spécifiques. Les caractères histologiques génériques 
seraient fondés physiologiquement sur des diffé¬ 
rences de fonctions élémentaires, non-seulement 
distinctes, mais encore indépendantes; et anatomi¬ 
quement sur une différence radicale de substance. 
Tels sont les caractères qui séparent les éléments 
■des divers systèmes musculaire, nerveux, glandu¬ 
leux, etc. Les caractères histologiques spécifiques 
seraient fondés physiologiquement sur des diffé¬ 
rences fonctionnelles positives, mais connexes, c’est- 
• à-dire non indépendantes, et anatomiquement sur 
nne différence d'arrangement moléculaire dans 
la matière organisée. C’est de cet ordre que sont les 
caractères qui différencient les divers éléments his¬ 
tologiques du système nerveux. En effet, ces élé¬ 
ments sont tous constitués par de la substance ner- 



48 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

veuse, et leurs propriétés physiologiques, bien 
qu’elles soient essentiellement distinctes, ne sont 
pas, à proprement dire, indépendantes, en ce sens 
qu'elles se trouvent dans une relation telle qu’on ne 
saurait avoir l’idée de l’existence des unes sans les 
autres. En effet, on conçoit que le système muscu¬ 
laire ou contractile puisse exister sans le système 
nerveux, s’il se trouve en rapport avec des excitants 
physico-chimiques qui puissent déterminer sa con¬ 
traction 49 , mais on ne comprendrait pas que l’élé¬ 
ment nerveux sensitif existât sans l’élément nerveux 
moteur, ni celui-ci sans l’élément musculaire. Dans 
le système musculaire, il y aurait lieu aussi à, distin¬ 
guer physiologiquement plusieurs espèces d’éléments, 
parce que les muscles offrent des caractères fonction¬ 
nels distincts. La fibre musculaire lisse et la fibre mus¬ 
culaire striée, de même que beaucoup d’autressubstan- 
ces contractiles (sarcode, proto-plasma), présentent 
chez les animaux une multitude de différences physio¬ 
logiques* dans la forme de leur contraction et dans 
la nature des agents excitateurs qui peuvent la déter¬ 
miner. C’est ainsi qu’il y a des muscles que la cha¬ 
leur fait contracter, comme le cœur, les intestins, etc., 
et d’autres sur lesquels cet excitant n’a aucune in¬ 
fluence. L’histologie comparée offrirait, sous ce rap¬ 
port, un très-grand intérêt, car ce sont précisément 
ces variétés physiologiques qui constituent, chez les 
divers animaux, les nuances infinies dans les mani¬ 
festations vitales des mêmes éléments anatomiques. 

Comme ôn le voit, les éléments nerveux et mus- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 49 

ciliaires sont non-seulement autonomes et distincts 
en tant qu’éléments histologiques de genres diffé¬ 
rents, mais chacun de ces genres d’éléments contient 
aussi des espèces diverses. Le physiologiste doit les 
séparer, parce qu’elles lui offrent des propriétés phy¬ 
siologiques spéciales qui font que ces éléments se 
comportent différemment vis-à-vis des agents toxi¬ 
ques ou des divers modificateurs que renferment les 
milieux ambiants. 

La physiologie générale ne saurait donc se renfer¬ 
mer dans un cadre purement anatomique. Pour éta¬ 
blir P autonomie physiologique d’un élément, elle 
tient compte de tous les caractères, mais elle les su¬ 
bordonne nécessairement, et elle met toujours au 
premier rang les caractères physiologiques, c’est-à- 
dire les propriétés vitales spécifiques. Dès que le 
physiologiste voit un élément nerveux être impres¬ 
sionnable à un agent spécial, il doit reconnaître en 
lui un élément organique distinct. Gela se comprend, 
car, dès qu’il voudra expliquer les fonctions de cet 
élément, il sera obligé, avant tout, de tenir compte 
des différents excitateurs qui le font entrer en acti¬ 
vité. Les cellules nerveuses visuelles et auditives ne 
sauraient se distinguer anatomiquement par leur 
substance, mais elles n’en sont pas moins des élé¬ 
ments physiologiquement différents, parce que la 
lumière qui affecte la cellule visuelle 49 bis n’excite pas 
la cellule auditive, et que le son qui fait vibrer la 
cellule auditive n’agit pas sur la cellule visuelle. De 
même, les fibres nerveuses motrice et sensitive sont 



50 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

des éléments différents, parce qu’elles ont des pro¬ 
priétés physiologiques distinctes, et que les poisons 
qui sont délétères pour l’une ne le sont pas pour 
l’autre. 

Mais, malgré la ressemblance des formes, malgré 
l’identité apparente de substance 5a , quand on a 
constaté une propriété vitale spéciale, le physiolo¬ 
giste conclut nécessairement à une différence de 
structure. C’est le cas de lui appliquer ici ce mot 
d’un philosophe : « Il ne sait pas, mais il affirme H . » 
En effet, il faut nécessairement qu’il existe des diffé¬ 
rences matérielles ou organiques dans les divers élé¬ 
ments nerveux pour expliquer la diversité de leurs 
propriétés, et ce serait nier la science que d’admettre 
(que des propriétés différentes peuvent se manifester 
dans des éléments matériellement identiques. Un 
savant français, dont les travaux sont empreints à la 
fois d’une rigueur expérimentale et d’une philoso¬ 
phie scientifique qui les rendent de la plus haute 
importance pour ' la physiologie générale, est venu 
nous montrer à quelles nuances délicates de structure 
peuvent se rattacher des différences caractéristiques 
des corps. M. Pasteur 52 a découvert, dans ses belles 
expériences sur les acides tartrîques droit et gauche, 
que deux substances chimiques, de composition en 
tout point identique quant à la nature et à la pro¬ 
portion de leurs éléments constituants, pouvaient 
différer considérablement dans certaines de leurs 
propriétés par le seul fait d’une différence décelée 
par des caractères optiques dans leur arrangement 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE M 

, moléculaire. Pourquoi n’en serait-il pas de même 
! pour nos éléments histologiques, qui, bien qu’iden¬ 
tiques dans leur composition chimique, ne différe¬ 
raient dans leurs propriétés physiologiques que par 
une simple modification d’arrangement moléculaire 
organique? Tout porte à penser qu’il doit en être 
ainsi, et que c’est là un des moyens que la nature 
emploie pour opérer la différenciation, c’est-à-dire 
le perfectionnement des êtres dans les corps orga¬ 
nisés aussi bien que dans les corps bruts 55 . 

En définitive, la tendance de la physiologie géné¬ 
rale doit être d’analyser et de différencier de plus en 
plus les propriétés vitales, en cherchant à détermi¬ 
ner les conditions mêmes de ces différences. Dans 
les sciences naturelles, où l’on ne cherche que les 
lois contemplatives des phénomènes, on se borne à 
étudier les différences organiques pour les confondre 
dans des unités typiques idéales. Mais dans les 
sciences expérimentales, où l’on cherche les lois 
effectives des phénomènes, il faut étudier les diffé¬ 
rences organiques pourîes ramener chacune à ses 
conditions matérielles élémentaires de manifesta¬ 
tion. Yoilà pourquoi j’ai dit, relativement aux pro¬ 
priétés des nerfs, qu’en cherchant à effacer les 
différences pour tout confondre dans des analogies 
et des ressemblances, on nuit aux progrès de la phy¬ 
siologie générale telle que je la comprends. Je ne 
saurais, en effet, ainsi que je le développerai plus 
tard, regarder la physiologie générale comme une 
science destinée à rester dans les régions contempla 



52 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

tives des sciences naturelles, mais bien comme une 
science expérimentale destinée à agir sur les phéno¬ 
mènes des êtres vivants. 

Si nous examinons maintenant les relations phy¬ 
siologiques réciproques des divers éléments muscu¬ 
laires et nerveux, nous verrons que, malgré la multi¬ 
plicité, la complexité et la variété inouïes des méca¬ 
nismes vitaux dans lesquels les propriétés de ces 
éléments entrent en jeu, on peut cependant toujours 
les ramener à une formule générale qui comprend 
quatre termes : 1° un élément nerveux sensitif; 
2° un élément nerveux central; 3° un élément ner¬ 
veux moteur; 4° un élément contractile ou muscu¬ 
laire 54 . 

L’élément nerveux sensitif reçoit les impressions 
ou les excitations venant soit du milieu extérieur, 
soit du milieu intérieur organique; il les transmet à 
l’élément central et agit ainsi comme excitateur di¬ 
rect ou indirect de l’élément moteur. 

Le centre nerveux ou l’élément central est une cel¬ 
lule nerveuse dans laquelle l’action sensitive se trans¬ 
forme en action motrice 54bis . Dans les cas de sensibi¬ 
lité inconsciente, cette transformation a lieu directe¬ 
ment comme si la sensibilité se réfléchissait en motri¬ 
cité. C’est pourquoi on a appelé ces sortes de mouve¬ 
ments involontaires et nécessaires des mouvements 
réflexes. Dans les cas de sensibilité consciente, il 
existe entre la sensation et le phénomène moteur 
volontaire d’autres phénomènes nerveux d’ordre su¬ 
périeur qui ont leurs conditions de manifestation 



DE LA PHYSIOLOGUE GÉNÉRALE 53 

dans des éléments centraux spéciaux. Je ne puis 
point entrer ici dans l’examen de ces phénomènes 
intermédiaires, qui présentent d’ailleurs encore bien 
des obscurités que les progrès de la physiologie ne 
dissiperont que plus tard. Je me bornerai à dire seule¬ 
ment que la physiologie peut prouver que ces ‘phéno¬ 
mènes psychiques intermédiaires ne changent rien 
aux mécanismes nerveux considérés en eux-mêmes. 
Lps centres nerveux élémentaires conscients n’exis¬ 
tent que dans le cerveau ou dans le sens intime; dans 
tontes les autres parties du corps, ces centres nous 
paraissent inconscients. Mais on ne saurait pour cela 
les considérer comme étant tous également simples 
et de même ordre. Chez les animaux inférieurs, il y 
a des mouvements réflexes qui ont une apparence 
de finalité intentionnelle; il paraît même en être 
ainsi après l’ablation du cerveau chez les animaux, 
vertébrés. Chez une grenouille décapitée, par exem¬ 
ple, si l’on pince la peau des côtés du corps ou du 
pourtour de l’anus, on voit les membres postérieurs 
se porter sur la pince et l’écarter avec violence. On 
pourrait donc, avec beaucoup de physiologistes, ad¬ 
mettre qu’il y a dans les cellules élémentaires cen¬ 
trales de la moelle épinière une sorte d’intelligence 
coordinatrice des mouvements. Mais il faut recon¬ 
naître cependant que cette intelligence inconsciente 
est dépourvue de spontanéité et de volonté, c’est-à- 
dire incapable de provoquer ou d’arrêter le mouve¬ 
ment réflexe, qui est toujours un mouvement néces¬ 
saire et fatal. Le plus haut problème de la physiologie 



54 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

générale du système nerveux serait de savoir com¬ 
ment la sensibilité, d’abord confuse et inconsciente, 
peut successivement, par les progrès de l’organisa¬ 
tion, se dégager et passer à l’état conscient, en 
donnant lieu à la spontanéité 55 . 

Y a-t-il chez les animaux vertébrés des centres 
nerveux en dehors du cerveau et de la moelle épi¬ 
nière ? On avait supposé, depuis bien longtemps, 
que les ganglions du grand sympathique devaient 
jouer le rôle de centre nerveux inconscient et indé¬ 
pendant de l’axe céréhro-spinal, mais on n’était pas 
parvenu à en fournir la preuve expérimentale. Je 
pense avoir donné cette démonstration sur le gan¬ 
glion nerveux de la glande 'salivaire sous-maxil¬ 
laire 56 . 

L’élément nerveux moteur est physiologiquement 
subordonné à l’élément sensitif et à l’élément cen¬ 
tral; il ne peut agir que sous leur influence, et il 
constitue ainsi le troisième et dernier anneau de la 
chaîne nerveuse. Jamais dans les éléments moteurs 
les actions ne peuvent se propager dans une direction 
inverse de celle que nous venons d’indiquer. C’est 
pourquoi l’excitation du nerf moteur ne rétrograde 
pas et ne se transmet jamais au centre nerveux, ni à 
l’élément sensitif. L’élément nerveux moteur a pour 
unique fonction d’exciter le muscle et de le déter¬ 
miner à manifester son activité vitale 57 . Or cette 
activité vitale de l’élément musculaire, mise en jeu 
par son nerf, se manifeste le plus ordinairement par 
une contraction ; mais il arrive dans certains cas que 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 53 

■c’est, an contraire, un relâchement, une sorte d’ac¬ 
tion paralysante que produit l’influence nerveuse, 
d’où il résulte quon a admis des nerfs moteurs 
paralyseurs des muscles 58 . 

L’élément musculaire peut être annexé à une foule 
de mécanismes divers, tantôt à un os, tantôt à un 
intestin,, tantôt à une vessie, tantôt à un vaisseau, 
tantôt à un conduit excréteur, tantôt enfin à des ap¬ 
pareils .glandulaires ou autres tout à fait spéciaux à 
certaines espèces d’animaux vertébrés ou inverté¬ 
brés 59 ; d’où il résulte que le système nerveux*mo¬ 
teur peut exercer son influence sur tous les méca¬ 
nismes vitaux, depuis le phénomène physique ou 
chimique le plus élémentaire jusqu’aux phénomènes 
les plus complexes des appareils des sens . Dans ces 
derniers temps, les systèmes nerveux et musculaire, 
ainsi que les organes des sens, ont été l’objet d’expé¬ 
riences si précises qu’elles constituent de'véritables 
études de physiologie physico-mathématique. Les tra¬ 
vaux remarquables de Helmholtz, de Donders, de 
Brücke, de Du Bois-Reymond, etc., en fournissent des 
preuves parmi les étrangers. En France,, beaucoup 
de recherches sont maintenant entreprises dans la 
même voie. Les appareils de locomotion et les or¬ 
ganes nerveux ne sont rien autre chose, en effet, que 
fies appareils fie mécanique et de physique créés par 
l’organisme. Ces mécanismes sont plus complexes 
que ceux des corps bruts, mais ils n’en diffèrent pas 
quant aux lois qui régissent leurs phénomènes; c’est 
pourquoi ils peuvent être soumis aux mêmes théories 



56 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

et étudiés par les mêmes méthodes et avec la même 

exactitude. 

Maintenant, comme question finale du problème, 
nous devons nous demander quel est le but que la 
physiologie générale se propose d’atteindre en pour¬ 
suivant ainsi l’étude des éléments histologiques dans 
leurs propriétés vitales autonomiques et dans leur 
association fonctionnelle. Ge but ne saurait se borner, 
ainsi que nous l’avons déjà dit, à une simple curio¬ 
sité contemplative. La physiologie générale cherche 
à distinguer les éléments histologiques et à déter¬ 
miner leurs conditions physico-chimiques d’activité, 
afin de pouvoir, par leur intermédiaire, régler leur 
manifestation vitale et arriver par suite à modifier 
scientifiquement les mécanismes organiques com¬ 
plexes qui résultent de leur réciprocité d’action. 
Quelle que soit la nature du phénomène de la vie 
auquel on s’adresse, c’est toujours à la connaissance 
des propriétés élémentaires des tissus vivants qu’il 
faut faire remonter l’explication physiologique. La 
vie n’est au fond qu’un mécanisme; elle ne s’entre¬ 
tient dans l’organisme que par l’activité fonction¬ 
nelle bien équilibrée de tous les éléments histologi¬ 
ques. La mort survient par la rupture de l’équilibre 
vital, amenée dans la machine organisée par la ces¬ 
sation d action d’un ou de plusieurs éléments orga¬ 
niques essentiels à la vie de l’ensemble. 

Les effets des poisons nerveux et musculaires nous 
démontrent déjà cette proposition de la manière la 
plus évidente. En nous reportant au mécanisme de la 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 57 

mort par ces agents toxiques, nous voyons qu’il n’y a 
en définitive qu’un seul élément atteint d’abord par le 
poison. Nous pouvons suivre facilement les pertur¬ 
bations vitales qu’il provoque, maîtriser scientifique¬ 
ment les symptômes de l’empoisonnement, et nous 
rendre compte de la manière suivant laquelle il dé¬ 
termine progressivement l’extinction de l’activité vi¬ 
tale dans tous les autres éléments histologiques 60 . 

On comprendra facilement que toutes ces études de 
physiologie générale soient d’une complexité inouïe 
et entourées d’innombrables difficultés, qui ne seront 
peut-être surmontées qu’au prix de longs efforts. 
Mais, au milieu de tous les obstacles qu’il rencontre, 
le savant doit reprendre courage dès qu’il aperçoit, 
dans les résultats de ses recherches, quelques lueurs 
qui lui montrent qu’il marche dans la bonne voie. 

II 

PHÉNOMÈNES DE CIRCULATION ET DE RESPIRATION 

Système vasculaire. — Éléments sanguins et lymphatiques, etc. 

Les éléments organiques ne manifestent leurs pro¬ 
priétés vitales qu à la condition d’être entourés par 
un milieu ambiant qui soit compatible avec l’accom¬ 
plissement des phénomènes physico-chimiques es¬ 
sentiels à la vie. On comprend dès lors que la plupart 
des éléments histologiques, plongés et fixés dans les 
profondeurs du corps vivant, ne puissent se mettre 



58 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

en rapport direct avec le milieu extérieur. C’est 
pourquoi il s’est formé dans tous les organismes un 
véritable milieu intérieur, dans lequel les éléments 

■ anatomiques remplissent leurs fonctions, et parcou¬ 
rent toutes les phases de leur existence, comme dans 
une atmosphère physiologique qui leur est propre. 
L’eau, l’air et les aliments qui existent an dehors 
pénètrent dans l’organisme et y circulent avec le 
sang sons le nom de liquide nourricier. Mais l’élé- 

■ ment organique ne puise pas seulement dans ce li¬ 
quide- ses principes respiratoires et alimentaires; il y 
rejette aussi les résidus excrémentitiels de sa nutri¬ 
tion. C’est donc bien là un véritable milieu liquide 
intérieur dont les éléments anatomiques sont les ha¬ 
bitants naturels. J’ai particulièrement insisté sur 
cette idée du milieu intérieur 61 , et je la crois très-., 
juste au point de vue de la physiologie expérimen¬ 
tale. 

Le milieu intérieur doit être liquide parce que 
l’eau est indispensable aux réactions chimiques, 
ainsi qu’à la manifestation des propriétés de la ma¬ 
tière vivante. Ce n’est que par un artifice de cons¬ 
truction que des organismes animaux et végétaux 
existent dans l’air. Aucun de leurs éléments histolo¬ 
giques ne pourrait y vivre; il y périrait infaillible¬ 
ment ou tomberait à l’état de vie latente par dessic¬ 
cation. Les éléments histologiques sont done tons 
• de véritables organismes élémentaires aquatiques; 
ils conservent chacun leur substance spéciale et 
leurs sucs propres, car ils ne sont point imbibés par 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 59 

les liquides organiques dans lesquels ils nagent ou 
par lesquels ils sont baignés. 

Tout milieu intérieur liquide doit présenter, pour 
entretenir la vitalité des éléments histologiques, des 
conditions convenables de température, ainsi que 
de l’air et des aliments dissous dans l’eau. 

L’air du milieu intérieur chez tous les êtres vi¬ 
vants est composé, comme celui du milieu exté¬ 
rieur, par de l’oxygène, de l’acide carbonique et de 
l’azote; seulement les proportions de ces trois gaz 
peuvent varier à chaque instant, en raison des com¬ 
bustions respiratoires et des autres phénomènes chi¬ 
miques qui o nt lieu dans l’organisme. 

Les aliments que renferme le milieu intra¬ 
organique sont d’abord des sels terreux, puis des 
matières azotées ou albuminoïdes, des matières non 
azotées grasses ou sucrées; et ces diverses substances 
sont d’autant plus variées dans leur composition que 
l’organisme est plus parfait, c’est-à-dire que la di¬ 
versité des éléments anatomiques qui le constituent 
est plus grande. Les matières alimentaires com¬ 
plexes contenues dans le milieu intérieur provien¬ 
nent du dehors, mais elles ne s’y trouvent pas à 
l’état où elles doivent être pour nourrir les éléments 
histologiques; elles sont préalablement élaborées et 
souvent profondément modifiées par les appareils 
■digestifs. C’est pourquoi ces matières nutritives du 
milieu intérieur doivent être réellement considérées 
comme des produits de sécrétions spéciales de l’or¬ 
ganisme vivant. En effet, une fois qu’elles ont été 



60 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ainsi élaborées par l’organisme, elles ne peuvent 
servir qu’à lui, et ne sauraient être transfusées d’un 
animal dans un autre d’espèce différente; car elles 
seraient impropres à faire vivre convenablement les 
éléments anatomiques d’un organisme qui ne les 
aurait point préparées. 

La température du milieu organique intérieur est, 
pour les'végétaux, à peu près la même que celle du 
milieu extérieur cosmique. Parmi les animaux, les 
uns possèdent un milieu intérieur à température 
variable, qui suit les oscillations de la température 
extérieure : ce sont les animaux dits à sang froid; 
les autres sont pourvus d’un milieu intérieur possé¬ 
dant une température en général plus élevée que 
celle du milieu extérieur, mais à peu près fixe et 
indépendante des variations atmosphériques am¬ 
biantes : ce sont les animaux dits à sang chaud. 
Cette seule circonstance de fixité ou de variabilité 
dans la température du milieu intérieur amène, au 
point de vue physiologique, une différence radicale 
entre les êtres vivants. Tous ceux dont le milieu in¬ 
térieur offre une température variable ne possèdent 
point des manifestations vitales identiques et cons¬ 
tantes dans leur activité. Ils sont enchaînés aux vi¬ 
cissitudes climatériques, s’engourdissent pendant 
l’hiver, et se réveillent pendant l’été. Les animaux 
à sang chaud, au contraire, se montrent inaccessi¬ 
bles à ces oscillations de température du milieu ex¬ 
térieur et possèdent une vie libre et indépendante. 
Cette liberté vitale, on le voit, n’est qu’une question 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 61 

de perfectionnement du milieu intérieur qui fait que 
les organismes élevés se trouvent mieux protégés 
contre les variations de température. Chez ces ani¬ 
maux les éléments histologiques sont renfermés dans 
le corps comme en serre chaude; ils ne ressentent 
pas l’influence des frimats extérieurs, mais au fond 
ils n’en sont pas pour cela plus indépendants. S’ils 
fonctionnent constamment et s’ils ne s’engourdis¬ 
sent pas, c’est que la température constante et 
élevée du milieu intérieur entretient incessamment 
les combustions et les conditions physiques et 
chimiques qui sont indispensables à leur activité 
vitale. 

Le milieu intérieur organique peut, comme le 
milieu cosmique extérieur, s’altérer par des circons¬ 
tances normales ou accidentelles. Il s’use et se vicie 
normalement par le fait même de la vie des élé¬ 
ments. C’est pourquoi il doit se réparer et se puri¬ 
fier, c’est pourquoi il faut qu’il respire, c’est-à-dire 
qu’il circule et qu’il soit constamment aéré et agité. 
Cette dernière fonction est confiée à un élément ana¬ 
tomique spécial, qui est libre et circule dans le 
liquide nourricier : c’est le globule rouge, qui cons¬ 
titué l’élément respiratoire spécial du liquide san¬ 
guin. Outre l’altération produite par les résidus de 
la nutrition des éléments histologiques, le milieu in¬ 
térieur peut encore être vicié par la formation ou 
l’introduction accidentelle de matières toxiques. En 
effet, ce n’est qu’à la condition d’arriver dans le sang 
que les poisons produisent sur les éléments leurs ac- 



62 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

lions délétères, el que les substances médicamen¬ 
teuses exercent leur influence salutaire. 

Telle est en abrégé l’idée qu’il faut se faire du sang 
et des divers liquides qui sont mis en circulation 
dans l’organisme vivant. CeS fluides doivent être 
considérés comme constituant un milieu intérieur 
dont la physiologie générale aura à rechercher et à 
déterminer les conditions physico-chimiques dans 
leur rapport avec la vie des éléments histologiques 62 . 

La température des animaux à sang chaud est re¬ 
gardée comme étant fixe. Toutefois, dans les parties 
intérieures les plus chaudes, elle oscille en général 
de 38 à 40 degrés centigrades chez les mammifères, 
de 43 à 45 degrés centigrades chez les oiseaux. Dans 
les parties du corps qui sont refroidies par le contact 
direct de l’atmosphère extérieure, la température du 
liquide sanguin, et particulièrement celle du sang 
des veines superficielles, peut quelquefois s’abaisser 
considérablement. Mais, comme il y a mélange de 
la masse totale du sang dans le cœur et dans le 
poumon, il en résulte que le sang artériel qui est 
distribué aux éléments organiques présente toujours 
à peu près la même température. 

Magendie et moi avons fait des expériences pour 
savoir jusqu’à quel point la chaleur du sang peut 
rester fixe chez les animaux à sang chaud plongés 
dans des atmosphères extérieures très-chaudes ou 
très-froides. Nous avons placé des mammifères et 
des oiseaux dans des étuves sèches dont l’air renou¬ 
velé avait une température de 60 à 80 et jusqu’à 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 6â- 

100 degrés centigrades. D’abord les animaux suppor¬ 
taient assez bien cette chaleur élevée; ils ne parais¬ 
saient pas souffrir dans ce milieu. Puis ils devenaient 
un peu agités et haletants ; et, sans autre symptôme» 
au bout d’un certain temps, qui était variable, ils 
poussaient un cri et mouraient subitement. En exa- 
minant aussitôt la température du rectum, on trou¬ 
vait que l’animal s’était toujours échauffé de 5 de¬ 
grés en plus de sa chaleur normale. D’où il semblait 
résulter que, des que le sang avait acquis la tempé¬ 
rature de 45 degrés chez les mammifères, et de 
50 degrés chez les oiseaux, la vie de certains élé- 
ments histologiques devenait impossible, et la mort 
de l’organisme inévitable. Plus tard, en reprenant 
ces études, je trouvai que, dans ces expériences, la 
vie cesse par arrêt subit du -coeur .et par rigidité 
presque instantanée de tout le système musculaire 63 . 
Quand on ouvre ranimai immédiatement après la 
. mort, le cœur, surpris en fonction en quelque sorte,, 
ne se contracte plus, et l’on trouve le sang rutilant 
dans les cavités gauches et noir dans les cavités 
droites. Cela indique que la circulation a cessé avant 
la respiration ; car, dans les genres de mort, les plus 
nombreux, où la circulation survit au contraire à la 
respiration, on trouve toujours comme conséquence 
le sang noir dans toutes les cavités du cœur. L’en¬ 
seignement que la physiologie générale peut retirer 
de ces expériences, c’est que la température du mi¬ 
lieu intérieur ne saurait dépasser impunément 45 de¬ 
grés chez les mammifères et 50 degrés chez les oi- 



64 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

seaux. Chez l’animal mort à cette température, l a 
matière musculaire est altérée, coagulée et devenue 
acide, ce qui amène nécessairement l’extinction des 
fonctions vitales. Toutefois il est remarquable que la 
mort par rigidité musculaire puisse aussi survenir 
sous l’influence de certains poisons qui cependant ne 
modifient pas la température du sang. Cela porte à 
supposer que la chaleur du sang exerce probable¬ 
ment son action sur les muscles par l’intermédiaire 
des nerfs, et qu’elle amène la mort simplement par 
épuisement nerveux et musculaire. 

Quand on refroidit de petits mammifères (cochons 
d’Inde, lapins) en les entourant de glace, mais en les 
préservant en même temps de son contact humide, 
on constate que la mort survient lorsque la tempé¬ 
rature du rectum est descendue à 18 ou 20 degrés 64 . 
Si alors on retire les animaux du contact avec la 
glace, et qu’on les laisse à une température am¬ 
biante de 15 à 25 degrés, par exemple, ils ne se 
réchauffent plus spontanément et ils ne reviennent 
pas comme le feraient des animaux à sang froid 
engourdis. Ils finissent par périr après un certain 
temps, à moins qu’on ne les réchauffe artificielle¬ 
ment ; dans ce cas seulement on peut les faire reve¬ 
nir à la vie. Mais il ne faudrait pas conclure de l’ex¬ 
périence qui précède que es éléments histologiques 
des animaux à sang chaud perdent leurs propriétés 
vitales à une température de 18 à 20 degrés centi¬ 
grades. Si l’abaissement de la température était 
opéré très-graduellement, on pourrait la porter beau- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 65 

coup plus bas. J’ai constaté moi-même, après beau¬ 
coup d’autres observateurs, sur des marmottes qui 
étaient dans l’engourdissement hibernal, que la tem¬ 
pérature du rectum descendait quelquefois à 4 ou 5 
degrés au-dessus de zéro. Chez des marmottes ainsi 
engourdies j’ai fait la section du grand sympathique 
au cou sans les réveiller et sans produire aucune 
différence de température appréciable du côté de la 
tête correspondant à la section. Mais j’ai été surpris 
de voir que, chez ces animaux, où les humeurs et 
les éléments histologiques étaient plongés dans un 
si profond engourdissement, les phénomènes de 
plasticité organique ne s’accomplissaient pas moins 
avec une grande facilité. Les plaies faites pour dé¬ 
couvrir le sympathique furent, pendant le sommeil 
hibernal, peut-être plus rapidement cicatrisées que 
pendant le réveil de l’animal 65 . 

Le milieu liquide intérieur arrose et baigne les 
éléments histologiques en leur faisant supporter une 
certaine pression, qui, de même que la température, 
est à peu près fixe chez les animaux à sang chaud, 
tandis qu’elle est variable chez les animaux à sang 
froid. On pourrait donc distinguer aussi sous ce rap¬ 
port des animaux à haute pression ou à pression 
constante, et des animaux à basse pression ou à 
pression variable. La pression exercée par le sang 
artériel qui se distribue aux tissus et aux éléments 
est supérieure à la pression atmosphérique. C’est 
une observation qui a pu être faite dès qu’on a blessé 
une artère et qu’on a vu le sang jaillir au loin; mais 



66 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

les premières études expérimentales exactes sur ce 
sujet sont dues à un physiologiste français. M. Poi- 
seuille 66 a le premier adapté un manomètre à l’ar¬ 
tère d’un animal vivant; il a ouvert ainsi la voie à 
une branche de la physiologie expérimentale, Y hémo- 
dynamique, qui s’est depuis rapidement développée 
et a été, à l’étranger, l’objet des beaux travaux de 
Wolkmann, Ludwig, etc. L’hémo-dvnamique a été 
considérablement perfectionnée par l’emploi de pro¬ 
cédés graphiques, dont le principe est également dû 
à deux savants français, MM. Poncelet et Morin, et 
dont l’application à la physiologie de la circulation 
a donné lieu en France à d’importantes recherches 
de la part de MM. Marey et Chauveau 67 . Il faut dis¬ 
tinguer deux éléments dans la pression du sang arté¬ 
riel 68 : 1° Y impulsion, qui vient de la contraction 
cardiaque; 2“ la pression, qui résulte de la tension 
artérielle. L’impulsion cardiaque varie chez les ani¬ 
maux suivant leur taille, c’est-à-dire suivant le vo¬ 
lume du cœur. La pression ne varie que peu, et elle 
équivaut en général, chez les mammifères, à une 
force capable de soulever une colonne mercurielle 
de 150 millimètres environ. L’impulsion cardiaque 
qui détermine le pouls est elle-même d’autant plus 
forte qu’on l’examine plus près du cœur; elle s’éteint 
et disparaît vers la fin du système artériel, et alors la 
pression artérielle reste à peu près seule. On peut 
donc admettre en physiologie générale que, chez 
tous les animaux dont la température est constante, 
c est-à-dire chez les animaux à sang chaud, la près- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 67 

sion que supportent les éléments histologiques est 
aussi à peu près constante. La pression du milieu 
intérieur ou sangin a une influence importante pour 
la vie des éléments histologiques. Elle règle les phé¬ 
nomènes d’échange qui se font entre ces éléments 
et le milieu liquide qui les entoure. Quand on dimi¬ 
nue la pression par une soustraction considérable de 
sang, l’absorption devient plus énergique, c’est-à- 
dire que les fluides interstitiels, ainsi que le liquide 
propre des tissus et des éléments, s’exosmosent et 
passent dans le milieu intérieur en beaucoup plus 
grande proportion, ainsi qu’on peut s’en assurer par 
les modifications de composition qu’éprouve alors le 
fluide sanguin. Quand on augmente la pression en 
restreignant le champ circulatoire par la ligature 
d’un certain nombre d’artères ou autrement, il en 
résulte des troubles d’ordre inverse, et les excré¬ 
tions deviennent alors plus considérables. 

Les variations dans les proportions du sang peu¬ 
vent encore avoir des conséquences directes sur la 
vie des éléments histologiques. Quand la quantité 
du sang est diminuée, c’est comme si le milieu 
liquide intérieur avait été restreint; il se vicie alors 
d’autant plus facilement qu’il offre moins de masse. 
C’est pourquoi, lorsqu’on a enlevé du sang à un ani¬ 
mal, il faut moins de substance toxique pour l’em¬ 
poisonner 69 . Les lois de la viciation du mibeu inté¬ 
rieur sont, en effet, les mêmes que pour le milieu 
extérieur. Si l’on veut rendre l’air toxique, à l’aide 
d’un gaz délétère, par exemple, il faudra naturelle- 



68 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ment dégager une quantité de gaz d’autant plus 
grande qu’il y aura plus d’air à altérer; car un gaz 
vénéneux n’est point mortel par sa quantité absolue, 
mais par la proportion relative qui se trouve répan¬ 
due dans l’air. Il en est absolument de même pour 
les poisons introduits dans l’atmosphère liquide inté¬ 
rieure des éléments. 

Le milieu intérieur, ayant de la tendance à se cor¬ 
rompre et à se vicier, a besoin de se renouveler et 
d’être constamment mis en mouvement. 11 faut, en 
un mot, qu’il soit toujours en circulation. La cha¬ 
leur deviendrait une cause puissante de viciation du 
sang, en favorisant les phénomènes chimiques d’é¬ 
change nutritif; mais comme elle accélère en même 
temps les contractions du cœur, il existe toujours 
un parallélisme établi entre l’intensité de l’altéra¬ 
tion et l’activité de la dépuration du milieu inté¬ 
rieur 70 . 

Le liquide sanguin offre constamment une réac¬ 
tion neutre ou alcaline, mais jamais acide. La com¬ 
position du milieu liquide intérieur règle d’avance 
les réactions chimiques qui s’y accomplissent. J’ai 
entrepris autrefois une série de recherches ayant 
pour objet de déterminer quelle est la nature des 
réactions qui peuvent s’effectuer dans le sang. Les 
expériences m’ont appris que la constitution chi¬ 
mique du sang ne permet pas, en général, les com¬ 
binaisons métalliques par double décomposition, 
mais qu’elle est, au contraire, éminemment favo¬ 
rable au développement des fermentations, ainsi 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 69 

qu’à toutes les actions chimiques que l’on compre¬ 
nait autrefois sous le nom de 'phénomènes cataly¬ 
tiques 71 . Mais, dans tous les cas, pour se manifes¬ 
ter, les phénomènes chimiques du milieu intérieur, 
de môme que les propriétés vitales des tissus, ont be¬ 
soin du contact de l’air, et particulièrement delà pré¬ 
sence de l’oxygène. C’est ici qu’intervient le rôle indis¬ 
pensable et spécial de l’élément respiratoire du sang. 

Les globules rouges sanguins sont des éléments 
histologiques innombrables qui colorent le milieu 
intérieur organique liquide des animaux vertébrés. 
Ce sont des cellules rondes ou ellipsoïdes libres et 
flottantes dans le plasma. Ces éléments respiratoires 
circulent avec le sang et viennent alternativement 
absorber l’oxygène au contact de l’air, à la surface 
des poumons, pour l’emporter ensuite dans la pro¬ 
fondeur du milieu intérieur, au contact des éléments 
histologiques fixes des tissus vivants. Tous ces élé¬ 
ments peuvent ainsi respirer et vivre, semblables 
aux animaux fixés dans la mer qui respirent et vivent 
à la faveur de l’eau aérée qui passe au-devant d’eux. 
Les éléments respiratoires du sang, en portant l’oxy¬ 
gène dans le milieu liquide intérieur, président à 
la respiration, qui est, pour l’animal, la fonction la 
plus immédiatement indispensable de toutes. La 
suspension de la respiration entraîne rapidement la 
mort par asphyxie, et avec une rapidité d’autant 
plus grande que l’organisme est plus parfait, c’est- 
à-dire que les propriétés vitales de ses éléments sont 
plus variées ou plus délicates. 


70 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Toutes les fonctions élémentaires des tissus sont 
finalement manifestées par des propriétés de ma¬ 
tière. La physiologie générale doit donc rattacher la 
fonction respiratoire du globule rouge du sang à la 
propriété chimique innée que possède sa substance 
de se charger d’oxygène, en absorbant ce gaz, soit au 
contact de l’air atmosphérique libre, soit au contact 
de l’air dissous dans l’eau. Mais ce qui importe au 
physiologiste, c’est de connaître exactement les con¬ 
ditions dans lesquelles cette propriété respiratoire 
du globule peut s’exercer. 

Le globule rouge du sang est un élément de per¬ 
fectionnement organique. Les vertébrés seuls le pos¬ 
sèdent dans leur milieu intérieur 72 . La chaleur, qui 
augmente l’activité fonctionnelle de tous les élé¬ 
ments anatomiques, exalte aussi celle des globules 
rouges sanguins. C’est pourquoi ils ont des propriétés 
plus énergiques chez les animaux à sang chaud que 
chez les animaux à sang froid. Comme parties orga¬ 
nisées et vivantes, les globules sanguins naissent, 
vivent et meurent par l’exercice même de leurs 
fonctions naturelles. Mais j’ai montré qu’ils peuvent 
aussi mourir accidentellement, et que, comme les 
autres éléments histologiques, ils ont leurs poisons 
spéciaux. Je vais développer ce point nouveau, parce 
qu’il éclaire la nature du rôle physiologique des glo¬ 
bules sanguins et permet en même temps de dé¬ 
duire des applications utiles à la physiologie expéri¬ 
mentale. 

ün chimiste français, M. Félix Leblanc 7S , avait, 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 71 

en 1842, découvert que, parmi les produits gazeux 
de la combustion du charbon ordinaire, l’oxyde de 
carbone est de beaucoup le plus vénéneux. Il cons¬ 
tata que. ce gaz, à la dose de 4 à 5 pour 100 dans 
l’air, fait périr instantanément des oiseaux. En 1853 
et en 1856, en étudiant le mécanisme de l’empoison¬ 
nement par l’oxyde de carbone, je fus amené à trou¬ 
ver que la respiration de ce gaz détermine très-rapi¬ 
dement la mort, parce qu’il déplace instantanément 
l’oxygène des globules du sang 74 . L’examen attentif 
des propriétés de l’élément sanguin intoxiqué me 
prouva ensuite qu’il s’était produit, entre l’oxyde de 
carbone et la substance du globule, une combinaison 
chimique spéciale, qui, une fois connue, rendait 
parfaitement compte de tous les phénomènes de 
l’empoisonnement. 

L’hémato-globuline, qui constitue la substance du 
globule, est la seule matière élémentaire vivante qui 
contienne du fer; elle est rouge et possède une 
grande affinité pour l’oxvgène. C’est à cette propriété 
que l’élément respiratoire sanguin est redevable de 
sa fonction. L’absorption de l’oxygène par le globule 
rouge s’effectue par une véritable combinaison avec 
l’hémato-globuline. Si c’était une simple dissolution, 
elle devrait augmenter avec l’abaissement de la tem¬ 
pérature; or c’est le contraire qui s’observe, soit 
quand on considère ce qui se passe chez les animaux 
à sang chaud et à sang froid, soit quand on expéri¬ 
mente directement sur les globules sanguins eux- 
mêmes 74 bis . Toutefois cette combinaison entre 



72 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

l’hémato-globuline est peu énergique, et, bien que le 
globule prenne l’oxygène avec avidité, il ne le retient 
que faiblement. Du reste, cette grande instabilité 
caractérise toutes les combinaisons gazeuses du 
sang 75 ; ce qui permet la mobilité des phénomènes 
chimiques, qui est nécessaire dans les manifestations 
vitales. En effet, si un élément histologique vient à 
contracter avec ce qui l’entoure des combinaisons 
trop stables, il tombe en indifférence chimique, et 
la vie, par cela même, cesse aussitôt en lui. C’est 
précisément ce qui arrive dans la combinaison de 
l’oxyde de carbone avec l’hémato-globuline. L’oxyde 
de carbone n’empoisonne et ne tue le globule san¬ 
guin que parce qu’il contracte avec sa substance une 
union trop énergique, qui chasse l’oxygène qu’elle 
contient sans permettre à celui-ci de le déplacer à 
son tour. Les globules sanguins ainsi empoisonnés 
sont véritablement embaumés 75 bis , et ils conser¬ 
vent pendant des semaines entières leur couleur 
rutilante. Le globule qui a été touché par l’oxyde de 
carbone ne renferme plus d’oxygène, mais il est en 
outre incapable d’en reprendre au contact de l’air. 
L’animal qui se trouve empoisonné meurt par suite 
d’une véritable paralysie des éléments respiratoires 
de son sang; ces éléments sont encore dans les vais¬ 
seaux ; mais ils circulent inertes et ont cessé de rem¬ 
plir leur fonction. Les globules du sang sont alors 
seuls atteints, et, autant qu’on peut le constater, 
l’oxyde de carbone n’agit directement sur aucun 
autre élément histologique. Le plasma sanguin lui- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 73 

même paraît inaltéré, de sorte que l’oxyde de car¬ 
bone pourrait servir à distinguer dans le sang les 
phénomènes qui appartiennent aux globules de ceux 
qui dépendent du plasma seul. 

D’après ce qui précède, il nous sera facile de pré¬ 
voir et d’expliquer physiologiquement les symptô¬ 
mes de l’intoxication par l’oxyde de carbone. L’em¬ 
poisonnement se manifeste d’abord avec les symp¬ 
tômes de l’hémorragie pure et simple, c’est-à-dire 
par des paralysies du sentiment et du mouvement, 
comme celles qui surviennent après la soustraction 
du sang par la saignée ou par l’obstruction des vais¬ 
seaux. Si les inspirations du gaz délétère sont sus¬ 
pendues, l'animal pourra revenir, parce que les glo¬ 
bules sanguins du corps entier, ne se rencontrant pas 
à la fois dans le poumon, n’ont pas tous été atteints 
par le poison. Les éléments sanguins restés sains 
pourront continuer de remplir leurs fonctions, soit 
par la continuation spontanée du jeu respiratoire, 
soit à l’aide de la respiration artificielle. Quand l’em¬ 
poisonnement a été complet, c’est-à-dire quand les 
éléments respiratoires du milieu intérieur ont été 
intoxiqués en totalité ou en trop grande quantité par 
l’oxyde de carbone, la mort de l’organisme est irré¬ 
vocable 76 . 

Mais les études sur l’empoisonnement par l’oxyde 
de carbone m’ont encore conduit à une application 
utile aux progrès de la physiologie générale. J’ai 
pensé que cette singulière propriété que possède 
l’oxyde de carbone de dégager l’oxygène du globule 



74 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

sanguin pourrait servir de principe pour un nouveau 
procédé d’analyse des gaz du sang, qui aurait l’a¬ 
vantage d’être rapide et d’éviter les causes d’erreurs 
qui résultent de l’altération incessante du liquide 
sanguin. Mes prévisions ont été réalisées; et ce pro¬ 
cédé, déjà expérimenté par beaucoup de physiolo¬ 
gistes, me paraît devoir obtenir une supériorité 
évidente sur tous les autres, surtout en le combinant 
avec l’emploi du vide 77 . 

Dans la mécanique vitale des organismes élevés, 
il faut considérer que le sang est appelé à jouer vis- 
à-vis des éléments histologiques un double rôle : il 
est à la fois leur liquide nourricier et leur liquide 
excitateur fonctionnel. Pour se faire une idée juste 
de l’action des globules du sang dans ces deux ordres 
de fonctions, il est nécessaire d’avoir une notion 
exacte de leurs diverses propriétés vitales et une 
connaissance précise des conditions physico-chimi¬ 
ques dans lesquelles ces propriétés entrent en acti¬ 
vité. 

On peut étudier les propriétés vitales des globules 
sanguins en dehors du corps vivant avec une plus 
grande facilité que pour les autres éléments histolo¬ 
giques. En effet, les globules sanguins en suspension 
dans le plasma sont les seuls éléments dont la mobi¬ 
lité permette de les retirer de l’organisme sans dila¬ 
cération. On constate, en dehors des vaisseaux, que 
le globule absorbe l’oxygène de l’air, le retient et le 
change plus ou moins rapidement en acide carboni¬ 
que. En effet, si l’on agite du sang dans une éprou- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 75 

velte, on voit les globules prendre la teinte rutilante 
caractéristique du sang artériel; puis, si l’on aban¬ 
donne le sang au repos, on observe que les globules 
qui ne sont plus au contact de l’air deviennent noirs, 
perdent leur oxygène et se chargent d’acide carbo¬ 
nique; alors le sang est devenu veineux. La dispari¬ 
tion de l’oxygène est d’autant plus rapide que la 
température est plus élevée et que l’activité du glo¬ 
bule sanguin est plus grande. Chez les animaux 
hibernants, les globules du sang, comme tous les 
autres éléments histologiques, sont engourdis par 
l’abaissement de la température, et j’ai constaté que, 
dans ces circonstances, le sang est presque aussi 
rutilant dans les artères que dans les veines. Néan¬ 
moins nous avons vu que dans ce cas le travail de 
plasticité et de cicatrisation a conservé son activité; 
ce qui semblerait indiquer que les globules rouges 
sont étrangers à ce phénomène, qui aurait probable¬ 
ment son siège dans le plasma ou dans des liquides 
blastématiques qui en doivent dériver. 

Chez les animaux à sang chaud, le sang commence 
réellement à devenir veineux dans le système arté¬ 
riel dès qu’il est sorti des poumons. En effet, puisque 
le sang artériel se change en sang veineux dans une 
éprouvette, il peut bien éprouver le même phéno¬ 
mène dans une artère, s’il y séjourne assez longtemps. 
C'est pourquoi la quantité d’oxygène doit diminuer 
dans le sang artériel à mesure qu’il s’éloigne du cœur. 
C est en effet ce qu’on peut constater 78 . Néanmoins 
c es i principalement dans le système des vaisseaux 



76 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

capillaires que le sang trouve les conditions de la vé- 
nosité, qui font disparaître son oxygène et apparaître 
de l’acide carbonique 79 . C’est là surtout qu’il prend 
une teinte plus foncée. Cependant il peut arriver, 
ainsi que je l’ai constaté, que le sang ne devienne 
pas veineux en traversant les capillaires, et qu’il 
sorte des veines rutilant et même par jet saccadé 
comme du sang artériel 80 . Cela arrive quand les ca¬ 
pillaires sont élargis, soit par une section des nerfs 
vaso-moteurs du grand sympathique, soit par suite 
d’un état fonctionnel spécial des organes qui produit 
le même résultat. 

Mais si le globule du sang consomme en lui-même 
et change en acide carbonique l’oxygène qu’il vient 
puiser dans le poumon, on cherche comment il peut 
vivifier les autres éléments du corps, et l’on se 
demande s’il agit sur eux à l’aide de l’oxygène qu’il 
porte ou à l’aide de l’acide carbonique ou d’autres 
produits qu’il forme. Ce sont là des questions encore 
entourées de beaucoup d’obscurité, mais il n’en est 
pas moins positif que, dans les animaux élevés, le 
sang artériel, c’est-à-dire celui qui renferme des glo¬ 
bules oxygénés, est seul capable d’entretenir la vie; 
tandis que le sang veineux est inerte et même délé¬ 
tère, particulièrement pour les éléments nerveux et 
musculaires 81 . 

On a admis que l’oxygène nourrit les tissus et que 
l’acide carbonique les excite à fonctionner 82 . J’ai 
lieu de croire jusqu’à présent, d’après des expériences 
particulières, que la propriété nutritive réside dans 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 77 

d’antres parties du plasma et qu’elle est indépendante 
du globule rouge sanguin. En effet, chez les animaux 
invertébrés, le sang, dépourvu de globules rouges, 
ne sert pas moins à la nourriture de leurs tissus. 
Je penserais au contraire que les globules rouges 
chargés d’oxygène sont les excitateurs fonctionnels 
des autres éléments du corps. En effet, l’oxygène, 
porté sur les tissus vivants, les excite à manifester 
leurs propriétés vitales spécifiques, de même qu’il 
excite aussi les propriétés physico-chimiques spé¬ 
ciales des corps minéraux. On peut d’ailleurs consta¬ 
ter cette action excitante de l’oxygène quand on le 
met en contact direct, dans le tissu cellulaire, avec 
des éléments histologiques déterminés 83 . 

Quant à l’acide carbonique, je pense qu’au lieu 
d’être un excitateur fonctionnel des éléments, il joue 
au contraire un rôle inverse, c’est-à-dire qu’il en¬ 
gourdit les. tissus et agit en ralentissant l’état fonc¬ 
tionnel pour favoriser les phénomènes nutritifs. Le 
globule sanguin contribuerait donc à deux fonctions 
à la fois : lorsqu’il est oxygéné, il exciterait les tissus 
par son contact avec eux, et, quand il a transformé 
l’oxygène en acide carbonique, il leur fournirait un 
élément ou une condition pour leur nutrition 84 . 
Quand je dis que l’oxygène excite les tissus nerveux 
et musculaire, j’entends seulement faire comprendre 
qu’il sollicite en eux la production et en quelque 
sorte la sécrétion de leurs propriétés vitales, mais 
non pas qu’il les met en jeu. En effet, les éléments 
musculaires et nerveux entrent en fonction en réa- 



78 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

gissant d’une manière spécifique les uns sur les au¬ 
tres, ou bien sous l’influence d’excitants mécaniques 
qui remplissent le même rôle. 

Lorsqu’on fait circuler dans l’organisme du sang 
noir, c’est-à-dire du sang chargé d’acide carbonique, 
on abolit les propriétés nerveuses et musculaires 85 ; 
mais on n’éteint pas les fonctions nutritives ni la 
production de certains principes immédiats sécré¬ 
tés 86 . 

Quant aux propriétés vivifiantes du sang artériel, 
elles se démontrent par une foule de procédés, mais 
en particulier par la transfusion. Les globules du 
sang sont les seuls éléments histologiques qui, à 
raison de leur mobilité, peuvent être tra/iisfusés 
d’un animal dans un autre 87 . 

La transfusion du sang privé de globules est im¬ 
propre à entretenir la vie dans- les organismes éle¬ 
vés. La transfusion du sang veineux pourrait peut- 
être constituer, dans certaines conditions données, 
une transfusion nutritive ; mais c’est la transfusion 
artérielle qui est la transfusion vivifiante, ainsi que 
cela est connu depuis longtemps. En d’autres termes, 
c’est le sang oxygéné seul qui peut développer les 
propriétés musculaire et nerveuse, qui sont, à leur 
tour, les moyens presque exclusifs de manifestation 
vitale chez les animaux. 

Lorsqu’on opère la transfusion dans des muscles 
et des nerfs dont les propriétés vitales sont éteintes 
ou considérablement amoindries, on ne pourra donc 
réveiller leur vitalité qu’à la condition de leur en- 



79 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
voyer des globules du sang chargés d’oxygène. On 
voit alors peu à peu les propriétés musculaire et ner¬ 
veuse réapparaître et se manifester sous l’influence 
de leurs excitants ordinaires. On peut faire des trans¬ 
fusions totales, c’est-à-dire sur des corps entiers, 
et rappeler à la vie des animaux et même des hom¬ 
mes dans les cas de mort par hémorragie ou dans 
certains cas d’empoisonnement, quand il n’y a pas 
altération définitive d’un élément histologique essen¬ 
tiel. On peut aussi pratiquer des transfusions partiel¬ 
les et injecter le sang oxygéné seulement dans un 
organe, dans un membre ou dans la tête. 

M. Brown-Sequard 88 a fait beaucoup d’expérien¬ 
ces intéressantes sur la transfusion. Il a montré que 
les divers tissus musculaires et nerveux, privés de 
sang depuis un certain temps, pouvaient reprendre 
plus ou moins rapidement leurs propriétés vitales 
sous l’influence de l’injection du sang oxygéné. Il a 
opéré sur les animaux et sur l’homme. 11 a fait voir 
chez des suppliciés que les muscles d’un membre 
séparé du corps, après avoir perdu leur irritabilité 
musculaire, pouvaient la recouvrer. Seulement tous 
les muscles ne reprennent pas simultanément leurs 
propriétés ; il en est de même pour la disparition 
des propriétés vitales. L’irritabilité musculaire dure 
plus longtemps dans certains muscles que dans d’au¬ 
tres, et M. J. Regnauld a constaté que les proprié¬ 
tés électriques ne sont pas de même intensité pour 
tous les muscles d’un membre. Tout cela prouve de 
plus en plus qu’il y a dans les éléments musculaires 



80 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

beaucoup de variétés qui constituent en quelque 
sorte des individualités très-intéressantes à considé¬ 
rer pour le physiologiste. 

M. Brown-Sequard a également montré que les 
propriétés des troncs des nerfs et des centres nerveux 
peuvent réapparaître sous l’influence de l’injection 
du sang artériel. En injectant le sang par la carotide 
dans la tête d’un chien décapité, il a vu revenir la 
propriété vitale des muscles et des nerfs. L’animal 
exécutait des mouvements de la face et des yeux 
qui paraissaient dirigés par la volonté. M. Brown- 
Sequard ne dit pas toutefois si le chien voyait et 
entendait. 

Les expériences de transfusion faites sur la tête, 
et dans lesquelles on voit disparaître et reparaître 
l’expression de l’intelligence, nous frappent toujours 
comme quelque chose de merveilleux et d’incompré¬ 
hensible. Mais ces faits ne nous semblent extraordi¬ 
naires que parce que nous confondons les causes des 
phénomènes avec leurs conditions. Nous croyons à 
tort que la science conduit à admettre que la matière 
engendre les phénomènes que ses propriétés mani¬ 
festent, et cependant nous répugnons instinctive¬ 
ment à croire que la matière puisse avoir la pro¬ 
priété de penser et de sentir. 

Pour le physiologiste qui se fait une juste idée de 
la nature des phénomènes vitaux, le rétablissement 
de la vie et de l’intelligence dans une tête sous l’in¬ 
fluence de la transfusion du sang oxygéné n’a rien 
absolument qui soit anomal ou étonnant; ce serait le 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 81 

contraire seul qui serait surprenant pour lui. En 
effet, le cerveau est un mécanisme conçu et orga¬ 
nisé de façon à manifester les phénomènes intellec¬ 
tuels par l’ensemble d’un certain nombre de condi¬ 
tions. Or, si on enlève une de ces conditions, le 
sang, par exemple, il est bien certain qu’on ne sau¬ 
rait concevoir que le mécanisme puisse continuer de 
fonctionner. Mais si l’on restitue la circulation san¬ 
guine avec les précautions exigées, telles qu’une tem¬ 
pérature et une pression convenables, et avant que 
les éléments cérébraux soient altérés, il n’est pas 
moins nécessaire que le mécanisme cérébral re¬ 
prenne ses fonctions normales. Les mécanismes vi¬ 
taux, en tant que mécanismes, ne diffèrent pas au 
fond des mécanismes non vitaux. Si dans une montre 
on enlevait un rouage, on ne concevrait pas que son 
mécanisme continuât de marcher; mais si l’on resti¬ 
tuait ensuite convenablement la pièce supprimée, 
on ne comprendrait pas non plus que le mécanisme 
ne reprît pas son mouvement. Cependant on ne se 
croirait pas obligé pour cela de conclure que la cause 
de la division du temps en heures, en minutes et en 
secondes, manifestée par la montre, réside dans les 
propriétés du cuivre ou de la matière qui constitue 
ses aiguilles ou les rouages de son mécanisme. De 
même, si l’on voit l’intelligence revenir dans un cer¬ 
veau et dans une physionomie auxquels on rend le 
sang qui leur manquait pour fonctionner, on aurait 
tort d’y voir la preuve que l’intelligence est dans le 
sang ou dans la matière cérébrale. Il ne faudrait 



82 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

donc pas tirer de ces expériences des conclusions 
qu’elles ne comportent pas. Je le répète, la physio¬ 
logie ne doit voir là que des mécanismes vitaux, dis¬ 
loqués et rétablis dans leurs conditions d'action. 
Sous ce rapport, le rétablissement des fonctions d’un 
muscle, d’un nerf ou du cerveau tout entier appar¬ 
tient à un même ordre d’explications. La restitution 
de tous les phénomènes vitaux musculaires et ner¬ 
veux qui se passent dans une tête, de quelque nature 
admirable qu’ils nous paraissent, se rattache ici di¬ 
rectement à l’histoire des propriétés du globule san¬ 
guin. Il y a même plus, car on peut dire que c’est 
l’oxygène seul du globule sanguin qui constitue la 
condition capable d’opérer cette résurrection fonc¬ 
tionnelle, en excitant les propriétés engourdies des 
éléments organiques. Nous savons en effet que les 
globules du sang privés d’oxygène ou chargés d’acide 
carbonique sont impropres à révivifier les facultés 
vitales. Je répéterai enfin que Lavoisier a démontré 
que l’oxygène est le gaz vital ou excitateur des pro¬ 
priétés de la matière organisée des corps vivants, 
comme il est aussi le gaz vital ou excitateur des 
propriétés inorganiques des corps minéraux. Nous 
n’avons donc à constater dans tout cela que les con¬ 
ditions d’un déterminisme nécessaire pour les ma¬ 
nifestations des phénomènes soit vitaux soit miné¬ 
raux, mais non à chercher des explications qui 
aboutiraient à un matérialisme absurde ou vide de 
sens 89 . 

Dans les végétaux comme dans les animaux, on 



83 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
donne le nom de respiration à l’échange gazeux qui 
s’opère entre l’organisme vivant et l’atmosphère am¬ 
biante. Mais la respiration ne saurait être considérée 
comme une fonction localisée dans un organe respi¬ 
ratoire. La physiologie générale nous apprend que 
tous les tissus et tous les éléments respirent parce 
que tous reçoivent du sang artériel oxygéné, et fen¬ 
dent du sang plus ou moins veineux, c’est-à-dire plus 
ou moins désoxygéné selon les phases de leur état 
nutritif et fonctionnel. 

Dans les animaux, le mot respiration est syno¬ 
nyme de combustion 89 bis , c’est-à-dire de transforma¬ 
tion de l’oxygène en acide carbonique et en eau parla 
fixation de ce gaz sur les éléments hydrogénés et car¬ 
bonés du sang ou des tissus. C’est Lavoisier qui a 
donné cette interprétation de la respiration animale; 
toutefois on a mal exprimé sa pensée en admettant 
que le poumon était exclusivement le siège de cette 
combustion. Cette opinion semblait d’accord, il est 
. vrai, avec une expérience mal interprétée, savoir : 
que la chaleur était plus grande dans le sang artériel 
que dans le sang veineux; mais Lavoisier ne s’était 
pas prononcé aussi affirmativement qu’on avait paru 
le croire 90 . Plus tard on reconnut en effet que le 
poumon ne pouvait être le seul théâtre d’une com¬ 
bustion aussi active, et un physiologiste français, 
W. Edwards 91 , montra qu’une grenouille bien purgée 
d’air, respirant dans de l’hydrogène, exhalait de l’a¬ 
cide carbonique; ce qui prouvait bien que ce gaz, 
dans ce cas, ne s’était pas formé par une combustion 



84 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

directe dans le poumon à l’aide de l’oxygène de l’air. 

Le poumon, comme tous les tissus du corps, 
présente sans doute des phénomènes de combustion 
respiratoire qui lui sont propres; mais, en tant 
qu’organe de la respiration, il n’est que l’organe spé- 
•cial de l’absorption et de l’exhalation gazeuse de l’or¬ 
ganisme vivant. C’est par la surface considérable des 
vésicules pulmonaires que le milieu intérieur du 
sang échange ses gaz avec le milieu extérieur, d’a¬ 
près les lois ordinaires de la diffusion gazeuse. S’il 
arrive des difficultés à cet échange gazeux, cela 
amène l’asphyxie, c’est-à-dire l’accumulation de l’a¬ 
cide carbonique dans le milieu intérieur et par suite 
l’engourdissement anesthésique des éléments histo¬ 
logiques 92 . 

La combustion respiratoire a été regardée chez les 
animaux comme la source principale de la chaleur 
que le sang est chargé de répandre et de distribuer 
dans les diverses parties du corps. Si cette idée est 
juste, il doit en résulter que c’est le sang brûlé, 
c’est-à-dire le sang veineux, qui sera le plus chaud. 
C’est ce que l’expérience vient démontrer quand elle 
est instituée de manière à rendre les conditions 
exactement comparables pour le sang artériel et 
pour le sang veineux. On conçoit, en effet, que le 
ralentissement de la circulation dans les veines super¬ 
ficielles puisse amener une déperdition de calorique 
telle que le rapport se trouve alors renversé et que 
le sang veineux se montre plus froid que le sang 
artériel. C’est ce qui a donné lieu pendant longtemps 



DE LA. PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 85 

à des contradictions expérimentales apparentes entre 
les faits et la théorie, qui aujourd’hui sont bien ex¬ 
pliquées. 

D’un côté, on avait admis avec raison que la com¬ 
bustion était la source de la chaleur animale, mais 
on avait regardé à tort, d’autre part, le poumon 
comme l’organe exclusif de cette combustion. D’a¬ 
près cette dernière opinion, il était logique de con¬ 
clure que le sang artériel devait être plus chaud que 
le sang veineux; mais, dès qu’on eut reconnu que la 
combustion respiratoire se passait surtout dans les 
capillaires généraux du corps, le fait du sang artériel 
plus chaud que le sang veineux était paradoxal. 11 
restait sans doute toujours d’accord avec l’observa¬ 
tion empirique, mais il devenait en désaccord avec 
les idées que l’on s’était faites de la combustion res¬ 
piratoire comme cause de la chaleur animale. Il fal¬ 
lait donc expliquer la contradiction en conciliant 
l’observation avec la théorie, ou bien en renversant 
la théorie si elle n’était pas d’accord avec les faits. 
Or j’ai montré que les résultats différents, et en ap¬ 
parence opposés, de l’observation s’interprètent tout 
à fait en faveur de la théorie de Lavoisier, et que les 
faits contradictoires s’expliquent facilement par les 
conditions mêmes des expériences 93 . Dans les pro¬ 
fondeurs de l’organisme, quand il n’y a pas de cause 
de refroidissement, le sang veineux est toujours plus 
chaud que le sang artériel. J’ai trouvé que le sang 
veineux le plus chaud du corps est celui qui sort 
du foie par les veines sus-hépatiques. C’est, en 



86 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

effet, un sang en quelque sorte deux fois veineux. 
Dans les veines superficielles du corps, le sang est, 
au contraire, toujours plus froid que dans les artè¬ 
res ; cela s'explique parle refroidissement que le sang 
veineux éprouve dans ces vaisseaux, où il circule 
généralement avec lenteur. Il entre donc, ainsi qu’on 
le voit, dans le cœur droit du sang veineux des orga¬ 
nes profonds plus chaud que le sang artériel, et du 
sang veineux de la peau et des organes superficiels 
plus froid que le sang artériel. Le mélange qui en ré¬ 
sulte traverse le poumon et peut encore se rafraîchir 
au contact de l’air froid ; ce qui fait que le sang arté¬ 
riel du ventricule gauche est ordinairement d’une 
température un peu inférieure à celle du sang veineux 
dans le ventricule droit 94 . Mais, dans tous les cas, 
les éléments histologiques ne se ressentent pas de 
ces différences, car le sang oxygéné sortant des pou¬ 
mons est nécessairement lancé à toutes les parties 
du corps avec la même température. 

Tous les phénomènes chimiques, dans les orga¬ 
nismes vivants élevés, doivent être rattachés plus 
ou moins directement à la physiologie des globules 
rouges du sang. Ce sont en effet ces globules qui, 
par leur activité, règlent tous les phénomènes de 
respiration et de combution, en ce sens qu’ils absor¬ 
bent l’oxygène dans le milieu extérieur et le portent 
dans le milieu intérieur, qui est le théâtre de toutes 
les mutations chimiques de l’organisme 95 . 

Le globule rouge sanguin est un élément histolo¬ 
gique vivant. Comme tous les autres éléments qui 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 87 

possèdent une spécialisation vitale bien marquée, il 
ne peut exister et remplir ses fonctions que dans cer¬ 
tains milieux plasmatiques 96 . 

Outre les globules rouges, le plasma tient encore 
en suspension un autre corps qui doit être rangé 
parmi les éléments histologiques normaux du sang : 
ce sont les globules blancs ou leucocythes. La vitalité 
de ces corps n’est pas douteuse. C’est un savant fran¬ 
çais, M. le docteur Davaine 97 , qui a le premier attiré 
l’attention des physiologistes sur ce point, et beau¬ 
coup d’autres observateurs après lui ont constaté que 
ces globules sont doués de mouvements amiboïdes 
caractéristiques. 

Nous avons vu que les globules rouges, qui sont 
des éléments sanguins respiratoires de perfectionne¬ 
ment, ne se rencontrent que chez les animaux ver¬ 
tébrés. Les globules blancs existent au contraire 
chez les animaux vertébrés et invertébrés, et ils 
paraissent jouer dans l’organisme un rôle beaucoup 
plus général d’éléments sanguins nutritifs, plastiques 
ou évolutifs. Mes premières observations sur ces corps 
remontent à 1854. Dès cette époque, j’avais été 
amené à considérer la nutrition comme une évolu¬ 
tion continuée, et à regarder les globules blancs 
comme des éléments organiques destinés à repré¬ 
senter chez l’adulte la suite du processus plastique 
embryonnaire. J’ai alors dirigé particulièrement 
mes études sur les conditions de la production des 
globules blancs. J’ai prouvé qu’ils avaient les condi¬ 
tions de leur formation dans les tissus et spéciale- 



88 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ment dans certains organes, tels que l’organe hépa¬ 
tique, et j’ai montré expérimentalement pour la 
première fois que ces éléments pouvaient se déve¬ 
lopper dans un liquide organique sous les yeux de 
l’observateur 98 . Les recherches ultérieures n’ont 
point contredit les premières indications que j’avais 
données sur la nature du rôle des globules blancs ; 
au contraire, d s observations nouvelles sont venues 
les appuyer. De même que le globule rouge consti¬ 
tue l’élément respiratoire du sang, je pense tou¬ 
jours que le globule blanc constitue son élément 
plastique. On sait avec quelle rapidité les globules 
blancs apparaissent dans certains cas de néo-for¬ 
mations normales ou pathologiques; ils intervien¬ 
nent dans les procédés de régénération ou de cica¬ 
trisation des tissus, soit comme élément de la 
lymphe dite plastique , quand il y a réunion par 
première intention, soit comme éléments en quelque 
sorte sacrifiés et éliminés sous forme de globules de 
pus, quand il y a cicatrisation après inflammation 
et suppuration, etc. 

En résumé, s’il faut reconnaître que l’histoire phy¬ 
siologique des globules blancs du sang ou leucocy- 
tbes est encore entourée de grandes obscurités, nous 
n’en devons pas moins regarder ces corps comme 
constituant avec les globules rouges les deux élé¬ 
ments histologiques normaux et constants du sang 99 • 

Les matériaux azotés du plasma sanguin, tels que 
l’albumine et la fibrine, ne sont pas des éléments 
histologiques, mais des principes immédiats. Il 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 89 

faut les considérer comme des produits de sécrétion 
interne, quoiqu’on ignore encore le lien précis de ces 
sécrétions. On sait seulement que du sang défibriné 
se charge de nouveau de fibrine quand on le fait 
circuler pendant un certain temps dans les vaisseaux 
d’un membre, tandis qu’il y a au contraire des 
organes, tels que le rein, le foie, dans lesquels la 
fibrine du sang disparaît 10 °. 

Les éléments histologiques qui composent l’orga¬ 
nisme vivant ne sont pas entassés pêle-mêle et sans 
ordre à côté les uns des autres. Les éléments de 
même nature s’assemblent pour former les tissus, 
comme les tissus de nature différente s’associent 
pour constituer les organes. Le fluide sanguin par¬ 
vient à ces éléments et à ces tissus ainsi groupés, à 
l’aide des vaisseaux artériels. Les artères sont des 
tuyaux composés par des éléments épithéliaux élas¬ 
tiques et contractiles, réunis en proportions diverses, 
suivant qu’on examine l’artère dans les différents 
points de son trajet, en dehors ou au dedans, des 
organes. A mesure que les artères se divisent et s’é¬ 
loignent du cœur, le tissu contractile prédomine sur 
le tissu élastique 101 ; mais/parvenu au contact des 
éléments histologiques, le tube vasculaire, qui prend 
le nom de vaisseau capillaire, se réduit à sa mem¬ 
brane épithéliale interne, dont l’épaisseur varie en 
général entre 0 rani ,001 et 0 mm ,002 l02 . Cette mem¬ 
brane constitue donc une paroi très-ténue, qui, se 
trouvant seule interposée entre le fluide sanguin et 
le parenchyme organique, permet aux échanges nu- 



90 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

tritifs de s’opérer facilement entre les éléments histo¬ 
logiques et le milieu sanguin intérieur. C’est après 
son contact avec les éléments, que le liquide nourri¬ 
cier est emporté par le système des veines et des 
vaisseaux lymphatiques i 03 . 

Un même agent moteur pousse le sang dans les 
capillaires et le distribue à tous les éléments histolo¬ 
giques : c’est le coeur, organe central de la circula¬ 
tion. Son impulsion puissante est secondée par l’é¬ 
lasticité vasculaire, dont la tension devient égale 
dans la périphérie du système artériel. D’où il suit 
que tous les éléments histologiques, quelle que soit 
leur distance du moteur cardiaque central, reçoivent 
le sang avec des conditions de mécanique circula¬ 
toire à peu près semblables. 

Mais si cette identité dans les phénomènes circu¬ 
latoires du milieu intérieur paraît en rapport avec la 
nécessité d’une identité fonctionnelle dans toutes les 
parties du corps, cela ne permet pas de comprendre 
comment la circulation peut varier localement, s’ac¬ 
célérer au moment de la plus grande activité vitale 
et fonctionnelle des éléments, ou bien diminuer lors 
du repos de la fonction. Magendie avait regardé les 
artères comme tout à fait passives dans les phéno¬ 
mènes de la circulation, et ne jouant que le rôle de 
tubes élastiques. M. Poiseuille, d’après les mêmes 
idées, avait été conduit à considérer semblablement 
les vaisseaux capillaires. Dans un mémoire couronné 
par l’Académie des sciences 104 , cet auteur compare, 
en effet, le mouvement du sang dans les vaisseaux 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 91 

capillaires à l’écoulement des liquides dans des tubes 
inertes de très-petits diamètres. Il a trouvé à ce sujet 
des résultats importants, savoir : que la nature seule 
du liquide peut avoir de l’influence sur la vitessè de 
l’écoulement dans ces petits tubes. 

D’autres physiologistes avaient bien admis que les 
artères étaient contractiles et qu’elles pouvaient 
apporter dans la circulation artérielle des modifica¬ 
tions indépendantes du cœur. Mais cette idée, émise 
depuis bien longtemps, n’avait pas pris racine dans 
la science, puisqu’elle n’avait pas empêché l’opinion 
contraire de prédominer; elle n’avait, en effet, en 
sa faveur que des faits vagues ou à peine entrevus. 
J’ai eu le bonheur de faire les premières expériences 
décisives pour résoudre cette question importante 105 . 
J’ai trouvé que la section du nerf grand sympathique 
au cou amène immédiatement une suractivité con¬ 
sidérable dans toute la circulation céphalique et 
faciale, avec dilatation des petites artères et augmen¬ 
tation de la température du côté de la tête où a été 
pratiquée la section des nerfs. J’ai montré ensuite 
que, quand on galvanise le bout supérieur du nerf 
sympathique divisé, les petites artères se contractent, 
la circulation s’arrête, les parties se refroidissent 
momentanément pour redevenir vasculaires et chau¬ 
des dès qu’on cesse la galvanisation des nerfs 106 . 

Ces expériences prouvaient bien clairement qu’en 
agissant sur le système nerveux, on pouvait resserrer 
ou élargir les vaisseaux et modifier la circulation 
capillaire. Elles apprenaient que c’est le grand sym- 



92 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

pathique qui joue le rôle de nerf constricteur des 
petites artères et opère le ralentissement de la cir¬ 
culation capillaire. En effet, en coupant ce nerf on 
paralysait en quelque sorte les petites artères, qui 
se relâchaient considérablement; tandis qu’en exci¬ 
tant l’action nerveuse par le galvanisme, les petites 
artères se resserraient au contraire au point d’effacer 
leur calibre. Mais, en 1858, je montrai, dans une 
autre expérience, qu’il y avait aussi des nerfs dila¬ 
tateurs des artères ou accélérateurs de la circula¬ 
tion capillaire 107 . Je fis voir qu’en excitant le nerf 
de la corde du tympan qui se rend à là glande sous- 
maxillaire, on provoquait dans cet organe une surac¬ 
tivité dans la circulation capillaire et une dilatation 
des petites artères telle que le sang sortait alors par 
la veine de la glande avec toutes les apparences du 
sang artériel, c’est-à-dire avec une couleur rutilante 
et une impulsion saccadée faisant parfois jaillir le 
sang au loin'. En outre, je rattachai pour la première 
fois ce phénomène à une sorte d’interférence ner¬ 
veuse, c’est-à-dire à l’action paralysante de la corde 
du tympan sur le nerf sympathique l0S . 

Toutes les expériences qui précèdent, quoique de 
nature différente, arrivaient à cette même conclu¬ 
sion, nouvelle et importante, savoir : qu’on pouvait, 
à l’aide du système nerveux, modifier profondément 
et localement la circulation capillaire, et atteindre 
par suite la vitalité des éléments histologiques autour 
desquels ces modifications circulatoires se passent. 
En effet, quand on accélérait la circulation capillaire, 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 93 

on voyait la chaleur des parties augmenter/la sen¬ 
sibilité s’exalter et les sécrétions apparaître avec plus 
de force 108 bis . Quand, au contraire, sous l’influence du 
système nerveux, la circulation diminuait ou s’arrê¬ 
tait, la sensibilité s’éteignait et les éléments organi¬ 
ques cessaient de fonctionner 108 ter . D’après tout cela, 
on arrivait à se convaincre que, bien que le cœur fût 
l’organe moteur unique de la circulation générale, le 
système nerveux sympathique, en agissant sur la 
contractilité des petites artères, devenait le régula¬ 
teur de la circulation capillaire. Enfin ces mèmès 
expériences établissaient encore que l’on peut, par 
l’intermédiaire du système nerveux, modifier les 
phénomènes chimiques qui s’accomplissent autour 
des éléments organiques au sein du milieu intérieur 
sanguin. Le sang qui sortait des veines quand on 
déterminait la contraction vasculaire était noir et 
complètement privé d’oxygène, tandis que celui qui 
s’écoulait des mêmes veines quand on opérait l’élar¬ 
gissement vasculaire était rutilant et possédait encore 
la presque totalité de son oxygène. 

En même temps que je poursuivais ces observa¬ 
tions, j’avais appelé l’attention des physiologistes sur; 
d’autres faits, qui démontraient la nécessité d’ad¬ 
mettre des circulations locales fonctionnant paral¬ 
lèlement à la circulation générale. J’avais trouvé, en 
effet, qu’il existe dans certains organes, et particu¬ 
lièrement dans les glandes, deux ordres de commu¬ 
nications entre les artères et les veines, savoir : 
1° des petites artères se résolvant en vrais capillaires; 



94 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

2° d’autres petites artères qui s’inosculent directe¬ 
ment avec les veines. Or ce sont ces dernières arté¬ 
rioles qui, restant éminemment contractiles sous 
l’influence nerveuse, servent à régler la circulation 
locale de l’organe sans troubler la circulation générale 
dans les autres parties. Dans le foie, j’ai constaté des 
anastomoses avec une disposition analogue entre la 
veine porte et les veines sus-hépatiques 109 . Un ana¬ 
tomiste français, M. Sucquet l10 , a montré.que chez 
l’homme il existe des anastomoses semblables entre 
les artères et les veines du système circulatoire péri¬ 
phérique. 

Dans des expériences ultérieures, j’étendis beau¬ 
coup mes recherches relatives à l’influence des nerfs 
sur le système circulatoire. Je fis voir que les nerfs 
vaso-moteurs ont une origine distincte des nerfs 
moteurs ordinaires, et que dans un muscle, par 
exemple, il y a des nerfs moteurs de la fibre muscu¬ 
laire et d’autres fibres nerveuses vaso-motrices ayant 
une origine distincte et étant spécialement motrices 
dés vaisseaux. Enfin, je vis encore qu’à l’aide du 
système nerveux on peut aussi agir sur la circulation 
générale en arrêtant le cœur. En galvanisant le 
pneumogastrique au cou sur un chien, en même 
temps qu’on auscultait son cœur, je trouvai que les 
battements du cœur s’arrêtaient 111 au moment de 
la galvanisation des nerfs. Antérieurement j’avais fait 
l’observation avec Magendie que l’irritation de tous 
les nerfs sensitifs du corps retentit sur le cœur pour 
modifier ses battements, et j’avais prouvé que cet 



95 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
effet se produit par une réaction nerveuse directe 
de la moelle épinière sur le cœur, sans passer par 
l’intermédiaire des pneumogastriques 112 . 

En résumé, bien que les phénomènes de la circu¬ 
lation générale et locale ne soient au fond que des 
phénomènes purement mécaniques, nous compre¬ 
nons maintenant comment le système nerveux peut 
les modifier et leur donner une mobilité et une va¬ 
riabilité qui est en rapport avec la nature même des 
fonctions de la vie. La seule circulation générale telle 
qu’elle était connue depuis Harvey ne donnait point 
d’explication des variations circulatoires si nom¬ 
breuses qui surviennent dans les organes, suivant 
l’état d’activité ou de repos, et suivant l’état normal 
ou pathologique. La découverte des circulations lo¬ 
cales et du rôle des nerfs vaso-moteurs vient nous 
expliquer comment chaque organe, chaque élément 
peut avoir, pour ainsi dire, sa circulation indépen¬ 
dante, sa nutrition spéciale, et, par suite, son fonc¬ 
tionnement distinct de celui de son voisin. 

Les influences des nerfs sur les circulations locales 
et capillaires s’exercent par des actions nerveuses 
réflexes vaso-motrices, qui ont leur point de départ 
tantôt à la surface interne du cœur et des vais¬ 
seaux 11S , tantôt à la surface de la peau et des mem¬ 
branes muqueuses. Les actions réflexes vaso-motrices 
peuvent être mises en activité par des excitants très- 
divers, le froid, le chaud, les excitants mécaniques 
et chimiques, etc. 115 bis ; mais ici, comme pour tous 
les autres phénomèues nerveux, les réactions sont 



96 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE ' 

d’autant plus intenses que les excitations ont été 
appliquées d’une manière plus rapide. Ces actions 
vaso-motrices nous expliquent comment peuvent 
s’exercer à distance, par influence nerveuse, des 
modifications circulatoires nombreuses. C’est ainsi 
que les circulations d’organes profondément situés 
peuvent être modifiées par des excitants portés sur 
certaines parties de la peau, et que des causes 
d’excitation venant de la profondeur des tissus peu¬ 
vent à leur tour réagir sur la circulation capillaire 
superficielle 11S ter . 

La physiologie des circulations locales et des fonc¬ 
tions nerveuses vaso-motrices en est à ses débuts, 
et déjà des travaux en grand nombre ont été publiés 
sur cette question dans tous les pays. Les physiolo¬ 
gistes et les médecins comprennent tous l’impor¬ 
tance immense que ces études sont destinées, à 
exercer sur l’avenir des sciences physiologiques et 
médicales. Depuis longtemps l’existence de ces cir¬ 
culations locales était pressentie et exprimée par des 
hypothèses plus ou moins vagues, mais c’est à notre 
époque qu’il appartient d’avoir découvert et dé¬ 
montré leur mécanisme; et ce sera là sans aucun 
doute un des progrès physiologiques les plus con¬ 
sidérables de notre siècle. Il est juste de recon¬ 
naître que c’est à la physiologie française que revient 
l’honneur d’avoir ouvert la voie en donnant à cet 
ordre de recherches une impulsion expérimentale 
décisive. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


97 


III 


PHÉNOMÈNES D’ABSORPTION, DE SÉCRÉTION ET D’EXCRÉTION 


Systèmes cutané, muqueux, séreux. Éléments épithéliaux, 
glandulaires, etc. 


L’atmosphère intérieure dans laquelle fonction¬ 
nent les éléments histologiques doit, comme l’at¬ 
mosphère extérieure dans laquelle vit l’organisme, se 
maintenir dans une constitution physico-chimique 
à peu près constante. Cet équilibre de composition 
du milieu intérieur, qui est nécessaire à l’entretien 
des phénomènes élémentaires de la vie, ne peut être 
obtenu qu’à la condition d’une rénovation et d’une 
épuration incessantes du fluide sanguin. C’est pour¬ 
quoi il existe à cet effet, autour de l’organisme vi¬ 
vant, un véritable tourbillon ou circulus de la ma¬ 
tière qui établit un échange perpétuel entre le milieu 
cosmique extérieur et le milieu organique intérieur. 

L’absorption, la sécrétion et l’excrétion sont les 
trois fonctions hémo-poïétiques, c’est-à-dire les fonc¬ 
tions à la fois génératrices du milieu intérieur et 
conservatrices de sa composition constante. L’ab¬ 
sorption fait pénétrer les substances réparatrices de 
l’organisme du milieu extérieur dans le milieu inté¬ 
rieur; la sécrétion élabore ces substances et crée à 
leur aide les principes immédiats qui entrent dans 



■98 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

la composition spéciale du milieu organique inté¬ 
rieur- l’excrétion enfin élimine et fait passer du 
milieu intérieur dans le milieu extérieur les ma¬ 
tières inutiles ou nuisibles qui représentent les ré¬ 
sidus dé la nutrition des éléments histologiques. 

L’élément organique spécial qui intervient par ces 
propriétés dans l’accomplissement de l’absorption, 
de la sécrétion et de l’excrétion est toujours le 
même, c’est l’élément épithélial ; il se montre sous 
forme de cellules, tantôt libres ou réunies et étalées 
-en forme de membranes, tantôt groupées et dispo¬ 
sées en forme de glandes. Malgré leur ressemblance 
histologico-anatomique, nous verrons que la physio¬ 
logie générale arrive à distinguer, d’après leurs pro¬ 
priétés vitales, un grand nombre de variétés de cel¬ 
lules épithéliales. L’élément épithélial peut agir 
physiquement , à la manière d’un filtre, ou bien 
chimiquement en créant des principes immédiats 
et des ferments particuliers ; mais dans ces actions 
physiques ou chimiques de la cellule épithéliale, il 
y a une diversité infinie, qui se manifeste par une 
différenciation de plus en plus grande, à mesure que 
les organismes se perfectionnent et que la composi¬ 
tion du milieu liquide intérieur devient plus spé¬ 
ciale, c’est-à-dire plus différente de celle du milieu 
cosmique extérieur. 

L 'absorption s’exerce tantôt sur des gaz, tantôt 
sur des liquides, tantôt sur des corps réduits à un 
état de ténuité et de division extrêmes. 

L’absorption gazeuse peut se faire, à la rigueur. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 99 

chez les animaux, sur toute la surface du corps, mais 
son lieu d’élection est la surface pulmonaire 1U . 

Les cavités séreuses, ainsi que le tissu cellulaire 
sous-cutané, sont très-favorables à l’absorption des 
gaz. La peau constitue une surface respiratoire active 
chez certains animaux, tels que les batraciens ; mais, 
chez les mammifères eux-mêmes, elle peut être 
aussi le siège de phénomènes d’absorption gazeuse. 

L’épithélium, qui revêt les surfaces où s’accomplit 
l’absorption gazeuse, ne paraît remplir qu’un usage 
purement mécanique ; il sert à former une mem¬ 
brane limitante, une sorte d’épiderme permettant 
le passage des gaz, mais n’exerçant sur eux aucune 
action chimique. En effet, on voit qu’en dehors de 
l’animal vivant, au travers de membranes inertes 
ou même en l’absence de toute espèce de membra¬ 
nes et d’épithélium, l’absorption des gaz s’opère 
toujours par le sang de la même manière, c’est-à- 
dire suivant les lois ordinaires des échanges gazeux. 

L’absorption des liquides aqueux s’exeree en géné¬ 
ral avec facilité sur toutes les surfaces où l’absorp¬ 
tion gazeuse peut avoir lieu. La peau chez certains 
animaux fait exception. L’absorption aqueuse y pa¬ 
raît très-faible ou même douteuse ; ce qui tient aux 
propriétés de l’épiderme cutané, qui se trouve im¬ 
prégné de sécrétions huileuses 115 . 

L’absorption des liquides, comme celle des gaz, 
s’accomplit en vertu d’un échange qui se fait entre 
le liquide intra-vasculaire ou milieu intérieur, et le 
milieu extérieur ou extra-vasculaire, de manière à 



100 de la physiologie générale 
constituer toujours un double courant osmotique. 
Les phénomènes d’endosmose ou d’osmose, décou¬ 
verts dans ce siècle par un physiologiste français, 
Dutrochet, ont une très-grande importance pour 
l’explication des mécanismes de l’absorption, de la 
sécrétion ou de l'excrétion. Toutefois, cette décou¬ 
verte féconde est loin d’être épuisée. Elle a été et 
est encore le point de départ d’une foule de travaux 
très-importants pour la physiologie générale, parmi 
lesquels il faut citer les importants travaux deM. Bec¬ 
querel 115 bis et les belles recherches de Graham sur 
la dialyse. 

La condition essentielle pour qu’il y ait diffusion 
ou échange entre deux milieux gazeux ou liquides, 
contigus ou séparés par une membrane, est qu’ils 
soient de constitutions différentes. S’ils étaient de 
composition exactement semblable, il n’y aurait pas 
d’échange, de même que l’échange cesse d’avoir lieu 
dès que les deux milieux sont devenus identiques.. 
Les circonstances qui favorisent le phénomène 
d’échange ainsi que la rapidité des deux courants 
osmotiques peuvent être très-nombreuses et très-va¬ 
riées 116 . Mais ce que nous ne devons pas oublier pour 
l'application des lois de l’osmose aux phénomènes 
physiologiques, c’est que l’absorption exige néces¬ 
sairement un plus fort courant osmotique de dehors 
en dedans, tandis que l’exhalation ou la sécrétion 
supposent un plus fort courant osmotique de dedans 
en dehors. Il y a même plus ; car, dans l’absorption 
étudiée sur l’animal vivant, les choses se passent 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 101 

comme s’il n’y avait qu’un seul courant de dehors 
en dedans. Il semble en effet que l’équivalent endos¬ 
motique considérable du sang, joint à son renouvelle¬ 
ment rapide et incessant, ne permette pas au courant 
de dedans en dehors de s’établir d’une manière 
sensible. Il n’en serait pas de même si les bquides 
étaient en repos des deux côtés de la paroi vascu¬ 
laire; alors on verrait deux courants s’établir bien 
nettement 116 bis . 

Dans l’absorption vasculaire simple, le liquide a 
toujours au moins une couche épithéliale à franchir, 
celle du vaisseau sanguin, qu’il soit capillaire ou non. 
Cette couche d’épithélium ne modifie que peu les 
liquides qui la traversent; elle laisse passer l’eau 
facilement, ainsi que certaines substances salines et 
albuminoïdes 117 . 

Dans -l’absorption à la surface des membranes mu¬ 
queuses, il y a à traverser, outre la couche d’épi¬ 
thélium vasculaire, la couche épithéliale qui revêt 
la membrane et qui peut avoir des propriétés parti¬ 
culières. Alors les absorptions se différencient et 
deviennent plus spécialisées 118 . 

Un fait qu’il est intéressant de noter ici, c’est que, 
pendant la digestion, les ferments solubles que ren¬ 
ferment les sécrétions digestives, telles que la ptva- 
line, la pepsine, la pancréatine, ne paraissent pas 
être absorbés. Il en résulte que ces liquides peuvent 
agir dans le canal intestinal comme en un vase im¬ 
perméable pour y digérer les aliments. Les autres 
matières albuminoïdes ne semblent pas non pins être 



102 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

directement absorbées dans le canal intestinal lt9 - 

L’absorption des substances à l’état d’émulsion ou 
des corps très-finement divisés peut se faire dans 
l’intestin au moyen des vaisseaux chylifères et par 
une disposition particulière de l’épithélium déjà 
signalée par MM. Gruby et Delafond 120 . 

Il règne encore beaucoup d’obscurité et il existe 
beaucoup de lacunes dans l’histoire des absorptions 
digestives, et il est difficile d’expliquer, dans l’état 
actuel de nos connaissances physiologiques, com¬ 
ment l’absorption alimentaire peut s’effectuer. Au¬ 
trefois j’avais pensé que l’injection directe dans le 
sang des substances alimentaires dissoutes par le 
suc gastrique et par les autres liquides digestifs pou¬ 
vait entretenir la nutrition, c’est-à-dire suppléer à 
l’absorption digestive 121 ; mais l’expérience m’a bien¬ 
tôt appris qu’il n’en était rien, de sorte qu’aujour- 
d’hui* je suis loin de croire que la digestion se ré¬ 
duise à l’absorption pure et simple des matières 
alimentaires dissoutes dans les sucs intestinaux 121 . 

Par mes études sur les poisons 123 j’ai été conduit 
à admettre deux phases dans l’absorption toxique : 
une phase d 'absorption externe , une phase à 1 ab¬ 
sorption interne. Pour que l’effet toxique se pro¬ 
duise, il faut d’abord que le poison, absorbé sur une 
surface quelconque, traverse la couche épithéliale 
du vaisseau capillaire; mais, une fois dans le milieu 
intérieur, la substance toxique ne peut agir sur l’élé¬ 
ment qu’en traversant une nouvelle couche épithé¬ 
liale qui le recouvre. En effet, l’élément histologique 



103 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
ne se trouve jamais à nu dans le sang, il est toujours 
situé en dehors du vaisseau capillaire. Il y a donc là 
deux temps à distinguer : l’un qui fait pénétrer la 
substance de l’extérieur dans le sang, l’autre qui fait 
pénétrer la substance- du sang dans l’élément. On 
supprime l’absorption extérieure en injectant direc¬ 
tement une substance toxique dans le sang. Alors ses 
effets se manifestent bien plus promptement, parce 
qu’il n’y a qu’une seule absorption au lieu de deux. 
Mais si l’on porte localement le poison sur l’élément 
sur lequel il doit agir, son effet est encore plus ra¬ 
pide. En injectant sur un animal du curare, par 
exemple, dans le tissu d’un muscle, et d’un autre 
côté une forte dose du même poison dans le sang, 
le nerf moteur du muscle dans le tissu duquel on a 
fait l’injection directe est plus vite empoisonné que 
le nerf homologue auquel le poison doit arriver par 
le sang. Enfin la rapidité de l’absorption peut encore 
varier suivant la nature des substances. L’acide prus- 
sique, mis sur la conjonctive ou sur la langue, pro¬ 
duit un empoisonnement si rapide que des physiolo¬ 
gistes ont admis qu’il allait directement agir sur les 
centres-nerveux sans passer par le torrent de la cir¬ 
culation m . 

Le système nerveux n’exerce pas une influence 
directe sur l’absorption : il n’agit qu’indirectement 
en modifiant les phénomènes de la circulation. La 
paralysie des nerfs vaso-moteurs par exemple aug- 
m ente la rapidité de l’absorption en activant la circu¬ 
lation ainsi que l’exhalation interstitielle de la lymphe. 



104 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Si on fait en même temps la ligature des veines, ces 
effets s’exagèrent et il en résulte une espèce d’œdème 
qui a été très-bien étudiée par M. Ranvier 125 . 

Les sécrétions ont beaucoup de points de contact 
avec les excrétions; c’est pourquoi beaucoup de 
physiologistes ont confondu et confondent encore 
ces deux ordres de phénomènes. Je pense qu’il y a 
lieu de les distinguer nettement au point de vue de la 
physiologie générale, bien que la sécrétion et l’excré¬ 
tion soient pour ainsi dire nécessairement associées 
dans certains mécanismes fonctionnels. Dans le phé¬ 
nomène d’excrétion, l’élément histologique épithé¬ 
lial n'a rien de spécial; il n’engendre rien, il ne fait 
que permettre le passage au dehors à des substances 
qui sont répandues dans le sang. La cellule sécré¬ 
toire, au contraire, attire, crée 125 bis et élabore en 
elle-même le produit de sécrétion, qu’elle verse soit 
au dehors sur les surfaces muqueuses, soit directe¬ 
ment dans la masse du sang 126 . J’ai appelé sécrétions 
externes celles qui s’écoulent en dehors, et sécré¬ 
tions internes celles qui sont versées dans le milieu 
organique intérieur. 

Il existe un très-grand nombre de sécrétions dis¬ 
tinctes par la nature variée de leurs produits. Parmi 
les sécrétions externes il en est qui, se montrant à la 
surface cutanée, sont purement protectrices, par 
exemple, les sécrétions sébacées de la peau et de 
divers venins, etc.; d’autres sécrétions, telles que 
celles qui se déversent dans le canal intestinal, don¬ 
nent naissance à des produits qui agissent chimi- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 105 

queJient ou à la manière de ferments solubles 
(salives, sucs gastrique, pancréatique, etc.); enfin il 
y a d’autres sécrétions externes plus spéciales encore, 
comme les sécrétions génératrices par exemple, dont 
les unes sont nutritives (lait) et dont les autres sont 
caractérisées par des productions organisées d’un 
ordre sui generis (œufs, zoosperme, etc.). Les sé¬ 
crétions internes sont généralement toutes des sé¬ 
crétions nutritives qui préparent des principes 
immédiats destinés aux phénomènes de nutrition 
des éléments histologiques (glycogène, albumine, 
fibrine, etc.) 127 . 

L’organe sécréteur le plus simple est celui qui est 
constitué par des cellules épithéliales sécrétoires éta¬ 
lées à la surface d’une membrane. J’ai montré qu’il 
se forme à la surface de l’amnios, chez certains mam¬ 
mifères, des cellules épithéliales sécrétoires de glyco¬ 
gène 128 . On voit ces cellules apparaître, se déve¬ 
lopper, se réunir sous forme de papilles et accumuler 
dans leur intérieur de la matière amylacée animale. 
Cette matière sécrétée se change ensuite en sucre 
(glycose), après quoi les cellules cessent de fonc¬ 
tionner, perdent leurs noyaux et disparaissent. Ici 
l’organe sécrétoire est donc réduit à son seul élé¬ 
ment essentiel, la cellule. Cette cellule se nourrit à 
la surface d’une membrane, s’y développe et crée 
son produit de sécrétion; puis ce produit, une fois 
sécrété, se transforme en se délayant dans le liquide 
ambiant. Chaque élément meurt après avoir rempli 
sa fonction, et la sécrétion ne continue que parce 



106 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

qu’il naît des éléments sécrétoires nouveaux pour 

remplacer les anciens. 

Il doit se rencontrer beaucoup d’organismes infé¬ 
rieurs dans lesquels les sécrétions se trouvent à cet 
état de simplification. Dans le jabot des pigeons, au 
moment de l’éclosion des petits, il s’improvise en 
quelque sorte une sécrétion épithéliale nutritive 128 bis . 
En suivant l’apparition et le développement de ces 
cellules sécrétoires, on voit s’y former de la caséine, 
de la graisse et tous les éléments du lait, moins le 
sucre de lait. C’est là une sécrétion lactée rudimen¬ 
taire. Ici encore la cellule épithéliale sécrétoire, fixée 
à la membrane muqueuse, s’y nourrit, c’est-à-dire 
y puise sesmatériaux pour créer les produits spéciaux 
de la sécrétion; puis les produits, une fois sécrétés,. 
se ramollissent ou se dissolvent dans les liquides 
ambiants. La cellule meurt et la sécrétion ne s’entre¬ 
tient que par la rénovation dans les couches profondes 
de cellules jeunes qui repoussent et chassent les an¬ 
ciennes, etc. Dans la glande lactée conglomérée, le 
mécanisme sécréteur es tau fond le même; seulement 
les cellules sont groupées à l’extrémité des conduits 
excréteurs et elles sont en rapport avec les vaisseaux, 
de telle manière qu’il y a une excrétion de liquides 
qui viennent .constamment dissoudre les produits 
que la cellule a sécrétés et constituer ainsi la sécré¬ 
tion liquide du lait. Toutefois M. Ranvier a fait sur 
les fonctions de la glande salivaire sous-maxillaire 
des recherches histologiques qui ne permettraient pas 
de généraliser cette théorie à toutes les sécrétions. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 107 

Quoi qu’il eu soit, il faut donc considérer la sécré¬ 
tion complète comme comprenant deux ordres de 
phénomènes élémentaires réunis, savoir : 1° l’excré¬ 
tion d’un produit caractéristique créé par la cellule 
sécrétoire; 2° l’excrétion d’un liquide emprunté au 
sang, qui vient dissoudre et entraîner au dehors le 
produit de sécrétion. Chacun de ces deux ordres de 
phénomènes a ses conditions distinctes et néces¬ 
saires 129 . 

Il y a des sécrétions transitoires, dans lesquelles 
la cellule sécrétoire caduque meurt et se renouvelle ; 
des sécrétions constantes, qui durent toute la vie et 
dans lesquelles l’élément sécrétoire paraît fixe. Oh 
pourrait encore distinguer des sécrétions continues, 
dans lesquelles le phénomène d’excrétion concomi¬ 
tante a lieu en apparence sans interruption, et des 
sécrétions intermittentes, dans lesquelles le phé¬ 
nomène d’excrétion, régi par le système nerveux, 
se fait à des moments déterminés et sous des in¬ 
fluences nerveuses réflexes spéciales. 

L’analyse physiologique rapide des sécrétions in¬ 
testinales, dans laquelle nous allons entrer, nous 
fournira des arguments en faveur des propriétés 
avancées plus haut et des propositions que nous 
avons précédemment indiquées. 

La sécrétion salivaire n’est pas une sécrétion 
identique, comme on l’avait cru. J’ai montré qu’il 
y a des salives de diverses espèces , suivant les 
glandes qui les fournissent 13 °. Le principe caracté¬ 
ristique de certaines salives est la 'ptyaline. La ptya- 



108 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

line n’existe pas toute formée dans le sang; elle est 
sécrétée, c’est-à-dire créée par la cellule salivaire. 
C’est pourquoi, en faisant une infusion du tissu glan¬ 
dulaire, on obtient une salive artificielle, c’est-à- 
dire une dissolution de ptyaline, qui est le principe 
physiologique caractéristique de la salive. La sécré¬ 
tion de la ptyaline et des autres produits salivaires 
spéciaux se fait par un véritable travail de nutrition 
pendant le repos de la glande, et c’est le système 
nerveux qui règle l’excrétion salivaire dans ses rap¬ 
ports avec les phénomènes de mastication et d’insa¬ 
livation 131 . L’écoulement salivaire se fait au mo¬ 
ment où les produits sécrétés dans les cellules sont 
dissous et entraînés par un liquide d’excrétion cons¬ 
tamment alcalin, emprunté au sang. Ce qui prouve 
bien que c’est un liquide d’excrétion emprunté di¬ 
rectement au sang, c’est, ainsi que nous l’avons 
déjà dit précédemment, que l’on retrouve alors dans 
la salive, avec ses produits caractéristiques, les ma¬ 
tériaux des excrétions, tels que l’urée, l’acide: car¬ 
bonique, ou bien des substances absorbées par 
l’intestin ou injectées dans le sang 132 . 

J’ai fait sur les organes salivaires des expériences 
nombreuses qui, non-seulement se rapportent à l’his¬ 
toire particulièré des sécrétions salivaires, mais qui 
peuvent aussi éclairer la théorie des sécrétions en 
général. J’ai vu que, pendant l’absence d’écoulement 
de la salive, la circulation de la glande est peu ac¬ 
tive; le sang sort des veines glandulaires tout à fait 
noir et désoxygéné. Mais, dès que la sécrétion s’é- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 109 

coule, soit naturellement, soit artificiellement par 
l’excitation du nerf sécréteur de la glande, tout 
change d’aspect : la circulation s’accélère au point 
que le sang sort par les veines glandulaires, non-seu¬ 
lement en beaucoup plus grande quantité, mais 
avec des caractères très-differents. Le sang veineux 
offre alors les caractères apparents du sang artériel : 
il est rouge, contient beaucoup d’oxygène, et il offre 
en moins l’eau et les matériaux salins qu’il a cédés 
à la sécrétion sahvaire 133 . J’ai prouvé expérimenta¬ 
lement sur la glande sous-maxillaire que le nerf 
sécréteur est un véritable nerf dilatateur des vais¬ 
seaux. J’ai déterminé que le nerf sécréteur de la 
glande parotide est un rameau de la branche maxil¬ 
laire inférieure de là cinquième paire, qui jouit 
probablement aussi de propriétés vaso-motrices 
spéciales 134 . Enfin, j’ai été amené à considérer les 
nerfs de sécrétions salivaires comme jouant le rôle 
de freins 13S , de manière que l’expulsion de la sécré¬ 
tion serait une sorte de dénutrition. En effet, j’ai vu 
que, quand on coupe la corde du tympan, la glande 
sous-maxillaire sécrète d’une manière continue et 
s’atrophie bientôt parce qu’elle ne peut plus se 
nourrir; mais quand le nerf se régénère, la glande 
se rétablit peu à peu et la sécrétion reprend son type 
intermittent normal. 

Les salives ont des usages qui sont surtout phy¬ 
siques ou mécaniques 136 . Cependant il y a dans la 
sabve mixte de la diastase animale qui peut jouer un 
certain rôle c him ique dans la digestion 137 . 



110 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

La sécrétion du suc gastrique est toujours soumise 
aux mêmes lois. Son produit de sécrétion spécial et 
caractéristique est un ferment digestif, la pepsine 
qui se crée dans les cellules glanduleuses de la mem¬ 
brane muqueuse stomacale; ce qui permet aussi de 
fabriquer à volonté avec cette membrane un suc 
gastrique artificiel. Au moment de la digestion et 
sous l’influence nerveuse, un liquide d’excrétion, 
émané du sang et constamment acide, vient dissoudre 
et entraîner la pepsine dans le suc gastrique. 

Les propriétés digestives du suc gastrique ont été 
très-bien étudiées chez -les animaux, à l’aide d’un 
procédé ingénieux de fistules gastriques imaginé par 
un physiologiste français, M. Blondlot (de Nancy) 138 . 

Après la sécrétion du suc gastrique vient la sécré¬ 
tion de la bile, qui est fournie par le foie. Pour cette 
sécrétion, il y a doute sur la question de savoir si 
elle doit être rangée dans les sécrétions ou dans les 
excrétions 139 . Je montrerai plus loin, à propos des 
sécrétions internes, que le foie est un organe sécré¬ 
teur double, qu’il donne une sécrétion ou une excré¬ 
tion extérieure, la bile, et une sécrétion interne, le 
glycogène. On a discuté pour savoir si c’était le 
sang de la veine porte ou de l’artère hépatique qui 
donnait les éléments de la sécrétion biliaire 14 °. 

La sécrétion pancréatique est bien une véritable 
sécrétion. Son produit caractéristique, la pancréa¬ 
tine, est un ferment digestif des plus importants. Il 
agit sur les matières amylacées, sur les matières gras¬ 
ses et aussi sur les matières azotées. Ce principe se 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE lli 

trouve formé dans les cellules glandulaires qui le sécrè¬ 
tent, d’où il résulte que l’on peut, en faisant infuser le 
tissu du pancréas, en préparer un suc 'pancréatique 
artificiel 141 . Le mécanisme sécrétoire du suc pan¬ 
créatique ressemble beaucoup à celui des glandes sa¬ 
livaires, ainsi que le liquide d’excrétion alcalin qui dis¬ 
sout et entraînele principe pancréatique. L’iode passe 
très-facilement dans le suc pancréatique comme dans 
la salive. Chez les animaux à sang chaud, la sécrétion 
pancréatique est continue; mais chez les animaux à 
sang froid, elle s’arrête pendant l’hibernation. J’ai 
vu qu’alors le tissu de la glande ne renferme plus de 
pancréatine. Il en est sans doute de même pour les 
autres ferments digestifs 141 bis . 

Il existe probablement encore des sécrétions intes¬ 
tinales qui peuvent avoir une influence sur la décom¬ 
position et sur la dissolution des aliments ; mais j e con¬ 
sidère qu’il y a dans l’intestin, outre les sécrétions 
externes dont j’ai parlé précédemment, une autre sé¬ 
crétion, que j’appellerai sécrétion digestive. D’après 
les recherches que j’ai commencées à ce sujet, cette 
sécrétion aurait pour siège les cellules épithéliales de 
la surface intestinale. Les matières alimentaires dis¬ 
soutes, au lieu d’être directement absorbées, forme¬ 
raient une sorte de blastème alimentaire dans lequel 
les cellules épithéliales trouveraient les matériaux 
de leur développement et de leur sécrétion; mais 
ce seraient les matières élaborées et sécrétées par 
ces cellules intestinales qui seraient en réalité déver¬ 
sées dans le sang. Cette sécrétion digestive forme- 



112 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

rait en quelque sorte le passage entre les sécrétions 
externes et les sécrétions internes 141 ter . 

Les sécrétions internes, dont je vais parler 
actuellement, sont beaucoup moins connues que les 
sécrétions externes. Elles ont été plus ou moins va¬ 
guement soupçonnées, mais elles ne sont point en¬ 
core généralement admises. Cependant, selon moi, 
elles ne sauraient être douteuses, et je pense que le 
sang, ou autrement dit le milieu intérieur organi¬ 
que, doit être regardé comme un produit de sécré¬ 
tion des glandes vasculaires internes. Comment 
pourrait-il en être autrement ? Si le sang était le 
résultat direct de l’absorption alimentaire, il devrait 
avoir une constitution différente chez l’herbivore et 
chez le carnivore, et chez l’omnivore il devrait chan¬ 
ger de composition selon le genre de nourriture. 11 
conserve, au contraire, sensiblement la même cons¬ 
titution dans toutes les alimentations et chez les 
différents animaux. En outre, les principes immé¬ 
diats du sang, tels que l’albumine, la fibrine, etc., 
ne se rencontrent point dans le canal intestinal à 
l’état de fibrine et d’albumine. Il faut donc que ces 
substances soient des produits de sécrétions d’orga¬ 
nes ou d’éléments encore indéterminés. De plus, 
quand on enlève la fibrine du sang chez un animal 
vivant, elle se reproduit sans qu’on en donne immé¬ 
diatement à l’animal, ainsi que l’a montré Magendie 
dans des expériences de défibrination. 

Mais, outre les matières albuminoïdes, le sang 
renferme des matières grasses et des matières su- 



113 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

crées. Les matières grasses peuvent certainement se 
former chez les animaux, quoiqu’on ignore encore 
exactement le mécanisme de cette formation 142 . 
On trouve la graisse renfermée dans des cellules adi¬ 
peuses. Mais cette graisse est souvent simplement 
déposée dans une cellule, au centre de laquelle on 
voit un noyau environné de protoplasma. La ques¬ 
tion qui se présente alors est celle de savoir si la 
graisse a été formée dans cette cellule ou si elle y 
a été infiltrée du dehors. Ce qu’il y a de positif, c’est 
que dans l’amaigrissement il y a disparition de la 
graisse, qui sans doute passe dans le sang. On pour¬ 
rait donc admettre que, dans certains cas, la graisse, 
au heu d’être sécrétée, est simplement déposée et 
accumulée dans des cellules qui la gardent en ré¬ 
serve pour les besoins de la nutrition. 

Quant aux matières sucrées et à leurs dérivées, 
qui font également partie de la composition normale 
du sang, j’ai montré qu’elles sont le produit d une 
sécrétion appartenant au foie et restée jusqu’alors 
in connue.. J’ai fait connaître le mécanisme de cette 
nouvelle fonction, à laquelle j’ai donné le nom de 
glycogénie. Ici la physiologie française peut reven¬ 
diquer complètement une découverte qui a ouvert 
une voie neuve et féconde, et qu’on est loin d’avoir 
encore épuisée, malgré le nombre considérable des 
travaux qui depuis 20 ans ont paru sur ce sujet 143 . 
Cette découverte a exercé son influence dans diver¬ 
ses directions ; mais en physiologie générale elle a 
résolu deux questions d’une grande importance. 



114 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

D’abord elle a montré que les animaux, aussi bien 
que les végétaux, ont la faculté de créer des princi¬ 
pes immédiats nécessaires à leur existence. J’ai 
prouvé surabondamment que la matière sucrée qui 
se produit chez les animaux est complètement indé¬ 
pendante d’une alimentation végétale saccharifère. 
On ne saurait donc plus considérer les végétaux 
comme des appareils exclusifs de réduction, et les 
animaux comme des appareils exclusifs de combus¬ 
tion. Il y a chez les uns comme chez les autres les 
deux ordres de phénomènes, mais seulement dans 
une disproportion évidente. Chaque organisme ani¬ 
mal ou végétal doit être considéré en lui-même 
comme un tout achevé et comme se suffisant pour 
élaborer et préparer ses propres matériaux nutritifs; 
ce qui n’empêche pas la loi générale de balancement 
entre les deux règnes des êtres vivants de rester 
vraie 144 . Un autre grand fait physiologique que la 
découverte de la fonction glycogénique a mis en 
évidence, c’est que chez les animaux le sucre se 
forme par un mécanisme tout à fait indentique à 
celui qu’on observe chez les végétaux 145 . J’ai mon¬ 
tré que chez les animaux le sucre ne se produit pas 
directement par le dédoublement d’une substance 
albuminoïde ou grasse, mais* qu’il dérive d’une 
matière amylacée animale qui est sécrétée par la 
cellule glycogénique 146 . J’ai appelé ce produit de 
sécrétion : matière glycogène, principe glyco¬ 
gène, parce que c’est lui qui est l’origine du sucre 
(glycose) dans l’organisme animal. 


115 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Chaque principe immédiat, une fois formé dans les 
êtres vivants, peut engendrer une foule de substances 
nouvelles, qui alors en dérivent comme étant une 
conséquence nécessaire d’une évolution purement 
chimique. La physiologie générale doit chercher à 
rattacher ces changements de matière secondaires 
au phénomène générateur vital ou primitif de la sé¬ 
crétion. Car c’est seulement en agissant sur ce phé¬ 
nomène initial, la création du principe immédiat, 
qu’on pourra arriver à gouverner ces mutations chi¬ 
miques dans l’organisme vivant 147 . 

L’étude du mécanisme de la formation du sucre 
dans le foie permet de distinguer clairement les 
deux espèces de phénomènes dont je viens de par¬ 
ler, savoir : 1° le phénomène vital , qui est la sécré¬ 
tion, c’est-à-dire la création de la matière amylacée 
dans la cellule glycogénique hépatique; 2° le phéno¬ 
mène chimique, qui est la destruction du principe 
immédiat formé, par ses transformations successives, 
en dextrine, glycose, acide lactique, aeide carboni¬ 
que, etc. Pendant la vie, les deux ordres de phéno¬ 
mènes se produisent, parce que les conditions vitales 
de la sécrétion du glycogène existent en même 
temps que les propriétés physico-ehimiques du sang 
favorisent éminemment sa destruction, c’est-à-dire 
les formations de tous ses dérivés. Quand la vie vient 
à cesser, la formation vitale du glycogène s’arrête, 
mais sa décomposition en produits secondaires con¬ 
tinue, si les conditions physico-chimiques restent 
convenables. Je citerai ici une des principales expé- 



1;6 de LA PHYS10I OGJLE GENERALE 

riences à l'aide desquelles j’ai mis ces faits en lu¬ 
mière. On sacrifie un animal mammifère bien por¬ 
tant (cbien ou lapin), et, après s’être assuré que son 
tissu hépatique contient du sucre en plus ou moins 
forte proportion, on lave le foie intérieurement en 
faisant pénétrer un courant énergique et continu 
d’eau froide par le tronc de la veine porte. L’eau de 
lavage qui sort par les veines sus-hépatiqueS contient 
d’abord du sang et du sucre; mais, par la continuité 
du lavage, cette eau devient à peu près exsangue et 
ne renferme plus de matière sucrée. Le tissu du 
foie lui-même, examiné en ce moment, n’en contient 
pas. Mais si l’on cesse le lavage et si l’on abandonne 
le foie humide à une douce température, on cons¬ 
tate bientôt que son tissu s’est chargé d’une grande 
quantité de sucre. Par un second lavage semblable 
au premier, on peut encore faire disparaître le sucre 
et le voir réapparaître plusieurs fois de suite. Cette 
expérience démontre bien nettement que le sucre 
peut se produire dans le foie sans l’intervention des 
conditions vitales. Dans le foie lavé il se développe 
sous l’influence de conditions purement chimiques. 
Le tissu hépatique contient de l’amidon animal (gly¬ 
cogène) qui, formé pendant la vie, continue après 
la mort à se transformer en dextrine et en glycose, 
sous l’influence de l’humidité, de la température 
et de l’action des matières diastasiques environ¬ 
nantes. Si l’on détruit par la cuisson la diastase 
hépatique, la transformation du glycogène s’ar¬ 
rête. De même, quand on abaisse la température en 



Dli LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 117 

faisant congeler le tissu du foie, la formation du 
sucre cesse momentanément pour reprendre ensuite 
quand on rétablit une chaleur convenable 148 . La 
formation sucrée ne disparait finalement qu’après 
l’épuisement total de la matière glycogène que con¬ 
tenait le foie au moment de la mort de l’animal. En 
résumé, la matière glycogène, une fois formée ou 
sécrétée, peut subir dans l’organisme vivant des 
transformations qui sont des phénomènes purement 
chimiques et auxquels l’influence vitale n’a plus rien 
à voir. C’est ce qui explique pourquoi ces phénomè¬ 
nes, qui sont d’ailleurs compatibles avec la vie, 
peuvent continuer seuls après la mort. Pour les con¬ 
ditions de la formation ou de la création de la ma¬ 
tière glycogène, il n’en est plus de même; elles ne 
peuvent se trouver réalisées que sur un individu 
vivant et bien portant : c’est pour cela que nous les 
appelons vitales. 

Tout ce que nous avons dit de la glycogénie ani¬ 
male s’applique exactement à la glycogénie végétale. 
Chez les végétaux, comme chez les animaux, il y a 
sécrétion vitale d’une matière amylacée, puis trans¬ 
formation chimique de cette substance en produits 
secondaires qui sont de même nature que ceux qu’on 
rencontre chez les animaux. Cet exemple est donc 
de nature à montrer que la physiologie végétale et 
la physiologie animale ne sauraient être deux scien¬ 
ces différentes; car il prouve que les phénomènes 
fondamentaux de la nutrition restent les mêmes dans 
tous les êtres vivants. 



*18 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE- 

Chez les animaux, la sécrétion glycogénique est une 
sécrétion interne, parce qu’elle se déverse directe¬ 
ment dans le sang. J’ai considéré le foie, tel qu’il se 
présente chez les animaux vertébrés élevés, comme 
un organe sécréteur double. Il semble réunir, en 
effet, deux éléments sécrétoires distincts, et il re¬ 
présente deux sécrétions : l’une externe, qui coule 
dans l’intestin, la sécrétion biliaire; l’autre interne, 
qui se verse dans le sang, la sécrétion glycogénique. 
Plusieurs histologistes, Henle, à l’étranger, et, en 
France, M. Ch. Robin et M. Morel (de Strasbourg) 
ont confirmé par l’anatomie cette duplicité organi¬ 
que, que j’avais annoncée d’après la physiologie. 
J’ai d’ailleurs moi-même trouvé, dans des recherches 
d’anatomie comparée encore inédites, des arguments 
propres à étabür la séparation physiologique très- 
nette entre la fonction biliaire et la fonction glycogé¬ 
nique du foie. 

L’élément histologique de la sécrétion glycogéni¬ 
que du foie est la cellule hépatique; elle est placée 
dans le réseau capillaire du lobule hépatique qui est 
intermédiaire à la terminaison de la veine porte et à 
l’origine de la veine sus-hépatique. Plongée ainsi di¬ 
rectement au milieu du sang, cette cellule lui em¬ 
prunte les matériaux pour la sécrétion de la matière 
glycogène. Toutefois le sang veineux abdominal n’est 
pas spécial à la formation du principe glycogène; 
car M. Qré (de Bordeaux) (voyez note 140) a montré 
qu’ après l’oblitération de la veine porte chez des 
mammifères, la fonction glycogénique n’est nulle? 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 119 

ment interrompue. Dans l’état ordinaire le sucre 
n’imprègne pas le tissu hépatique. A mesure que 
la matière glycogène est formée, elle se trouve dis¬ 
soute, soit à l’état de glycose, soit à l’état de dextrine 
ou d’amidon soluble, et entraînée dans le sang par 
les veines sus-hépatiques. 

Dans le foie chez l’animal vivant, la fonction de la 
cellule glycogénique peut être influencée par le sys¬ 
tème nerveux, par l’intermédiaire des actions vaso¬ 
motrices. Toutefois la cellule glycogénique peut 
exister dans d’autres conditions et se montrer à la 
surface des membranes sous forme de simple cellule 
épithéliale, sans qu’au fond ses fonctions soient chan¬ 
gées pour cela 350 ; car la matière glycogène conserve 
toujours la même spécialité physiologique. 

Le foie glycogénique forme une grosse glande san¬ 
guine, c’est-à-dire une glande qui n’a pas de conduit 
excréteur extérieur. Il donne naissance aux produits 
sucrés du sang 151 , peut-être aussi à d’autres produits 
albuminoïdes. Mais il existe beaucoup d’autres glan¬ 
des sanguines, telles que la rate, le corps thyroïde, les 
capsules surrénales, les glandes lymphatiques, dont 
les fonctions sont encore aujourd’hui indéterminées. 
Cependant on regarde généralement ces organes 
comme concourant à la régénération du plasma du 
sang, ainsi qu’à la formation des globules blancs et 
des globules rouges qui nagent dans ce liquide. D’ou 
il résulte finalement qu’il faut considérer le sang 
eomme un véritable milieu organique intérieur sé¬ 
crété, c’est-à-dire créé par l’organisme lui-même. 



120 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Mais si le fluide sanguin est constamment renou¬ 
velé par les formations organiques, il est aussi cons¬ 
tamment altéré par la nutrition des éléments. C’est 
pourquoi il faut qu’à mesure qu’il se régénère, il soit 
incessamment purifié par des émonctoires que lui 
fournissent les appareils excréteurs. 

V excrétion est le phénomène inverse à celui de 
l’absorption. Il y a des excrétions liquides et gazeu¬ 
ses. L’élément histologique qui intervient dans l’ac¬ 
complissement des phénomènes excréteurs est tou¬ 
jours l’élément épithélial; c’est là qu’il joue plus 
spécialement le rôle d’une sorte de filtre laissant 
passer certaines substances et en retenant d’autres. 
L’organe excréteur expulse des produits qu’il n’a 
point créés lui-même, il les sépare du sang, c’est-à- 
dire du milieu intra-organique, pour les rejeter au 
dehors, dans le milieu extérieur. Les principaux 
produits d’excrétions sont des résidus de com¬ 
bustion ou de fermentation organique, tels que 
l’acide carbonique, l’urée, l’acide urique, la créa- 
tine, la créatinine, etc. Mais il peut y avoir une foule 
d’autres substances accidentellement introduites 
dans l’organisme, qui en sont ensuite éliminées à 
titre en quelque sorte de corps étrangers. Les subs¬ 
tances nutritives albuminoïdes grasses et sucrées 
du sang ne sont pas éliminées normalement 152 . 

L’acide carbonique et les autres substances ga¬ 
zeuses et volatiles s’échappent particulièrement par 
la surface pulmonaire; cependant elles peuvent être 
expulsées par d’autres surfaces, telles que celle de 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 121 

la peau et celle des membranes muqueuses intesti¬ 
nales. Les gaz peuvent encore être éliminés en très- 
grande quantité à Tétât de dissolution dans les liqui¬ 
des d’excrétion et de sécrétion; c’est ainsi que tous 
les liquides organiques alcalins renferment beaucoup 
d’acide carbonique en dissolution ou en combinaison. 

Les substances gazeuses ou volatiles accidentelle¬ 
ment introduites dans le sang par voie d’absorption 
ou par injection directe dans les veines sont généra¬ 
lement expulsées par le poumon 153 . C’est ce qui ex¬ 
plique comment certaines substances toxiques sont 
mortelles quand elles sont absorbées par le poumon, 
tandis qu’elles ne le sont pas quand elles sont absor¬ 
bées par une autre surface. J’ai donné une démons¬ 
tration de cette proposition à propos de l’hydrogène 
sulfuré 154 . Quand il est respiré, ce gaz empoisonne 
l’homme et les animaux, parce qu’alors, étant ab¬ 
sorbé par la surface pulmonaire, il est emporté dans 
le sang artériel, où il agit d’une manière délétère sur 
les éléments histologiques. Quand l’hydrogène sul¬ 
furé est au contraire absorbé dans l'intestin ou dans 
le tissu cellulaire sous-cutané, il ne détermine aucun 
effet toxique, parce qu’étant éliminé en traversant le 
poumon il ne pénètre pas dans le sang artériel et ne 
parvient pas au contact des éléments histologiques. 
Voici l’expérience bien simple et bien nette à l’aide 
de laquelle on peut rendre d’une évidence saisis¬ 
sante l’élimination de l’hydrogène sulfuré par le 
poumon. On place devant le nez d’un chien un mor¬ 
ceau de papier buvard imbibé d’acétate de plomb. 


422 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Dans l’état normal l’air expiré par les narines de 
l’animal n’y détermine aucun changement de cou¬ 
leur; mais si l’on injecte de l’hydrogène sulfuré dans 
le rectum, dans le tissu cellulaire sous-cutané ou 
dans la veine jugulaire, on voit le papier devenir 
noir par le sulfure de plomb qui se forme au con¬ 
tact de l’air expiré dès que l’hydrogène sulfuré com¬ 
mence à s’éliminer. On peut donc ainsi se servir de 
ce moyen pour mesurer facilement la rapidité de 
l’absorption et de la circulation de cette substance 
dans le sang. 

Les excrétions varient jusqu’à un certain point 
dans leur composition suivant l’état de l’organisme. 
Gela doit être, puisque les résidus du milieu inté¬ 
rieur augmentent ou diminuent suivant l’état de 
nutrition plus ou moins actif des éléments orga¬ 
niques, etc. J’ai fait remarquer à ce sujet que les 
liquides excrétés ont, en général, des réactions va¬ 
riables et mobiles, tandis que les liquides sécrétés 
ont des réactions fixes 155 . L’urine, qui est la princi¬ 
pale excrétion liquide, est tantôt alcaline, tantôt 
acide, selon la nature des résidus alimentaires de 
l’organisme, mais non d’après les espèces animales, 
comme on l’avait cru. J’ai montré qu’à jeun l’urine 
est acide chez tous les animaux, parce qu’alors ils 
sont tous réduits à une alimentation identique; ils 
vivent tous comme des carnivores, c’est-à-dire aux 
dépens de leur propre sang. 

L’urine est une excrétion qui a été considérée 
pendant longtemps comme une sécrétion. On pen- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 123 

sait que l’urée était sécrétée, c’est-à-dire formée par 
le rein. MM. Prévost et Dumas ont les premiers dé¬ 
truit cette opinion erronée, en prouvant qu’après 
l’extirpation des reins l’urée s’accumule dans le 
sang. Plus tard, j’ai fait voir que toute l’urée ne 
s’accumule pas dans le sang, mais qu’il s’en élimine 
une grande partie par les sécrétions intestinales 156 . 
Enfin on a démontré aujourd’hui que, même à l’état 
normal, le rein n’est que le principal organe élimina¬ 
teur de Purée. Ce principe peut se rencontrer dans 
toutes les sécrétions et excrétions 157 ; ce qui établit 
bien que l’urée ne saurait être considérée comme le 
produit d’aucune sécrétion spéciale. C’est un résidu 
de la combustion qui a lieu dans l’intimité des tissus, 
et, à ce titre, l’urée se trouve répandue dans toute la 
masse du sang, mais plus spécialement pourtant dans 
le système lymphatique, comme l’a montré M.Wurtz. 

Les anciens physiologistes admettaient une sorte 
de vicariat entre les organes sécréteurs, et ils disaient 
que les sécrétions pouvaient se suppléer les unes les 
autres. Ceci n’est exact que pour les excrétions, mais 
non pour les sécrétions. En effet, le produit de sé¬ 
crétion est caractéristique pour un organe déterminé. 
La ptyaline caractérise la glande salivaire; la pepsine 
distingue les glandes stomacales; la pancréatine est 
spéciale à la glande pancréatique; aucune autre glande 
ne peut élaborer ces produits spéciaux dans sa sé¬ 
crétion. Il en est tout autrement de l’excrétion uri¬ 
naire. Dans les animaux invertébrés, on voit l’organe 
urinaire disparaître et être confondu avec l’organe 



124 D E LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

biliaire. Dans les animaux supérieurs, l’urée ne sau 
rait caractériser le rein d’une manière absolue, et 
on voit la fonction urinaire véritablement suppléée 
par les sécrétions cutanées et intestinales. Mais il ne 
saurait y avoir un remplacement complet; car il 
résulte de l’élimination d’une trop grande quantité 
d’urée dans le canal intestinal des décompositions 
avec produits ammoniacaux. Ce sont ces réactions 
secondaires qui avec d’autres phénomènes doivent 
causer la mort d’un animal néphrotomisé et pro¬ 
duire chez l’homme atteint de maladies rénales des 
accidents qu’a bien signalés M. Rayer 158 . La sueur 
contient également beaucoup d’urée, mais elle ren¬ 
ferme en outre un acide spécial qui a été découvert 
par M. Favre. 

Ainsi que nous l’avons déjà dit, il y a beaucoup de 
points de contact entre les sécrétions et les excré¬ 
tions. En réalité, toutes les 'glandes qui versent des 
liquides au dehors sont, à des degrés divers, des orga¬ 
nes excréteurs ou d’épuration du milieu intérieur, 
puisqu’ils peuvent entraîner de l’eau et des résidus 
de combustions organiques; seulement l’organe sé¬ 
créteur ajoute au liquide exhalé du sang un principe 
qui lui appartient, tandis que l’organe purement ex¬ 
créteur najoute rien; c’est un simple filtre. C/est 
même là toute la différence ; car, à part cette création 
d un produit spécial dans la cellule de l’organe sécré¬ 
teur, la sécrétion et l’excrétion se font par le même 
mécanisme. J’ai constaté, en effet, que dans le rein 
comme dans les glandes salivaires la circulation s’ac- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 125 

célère et le sang veineux devient rouge au moment de 
l’expulsion des liquides urinaires et salivaires 159 . 

Les substances solubles introduites accidentelle¬ 
ment dans le sang s’éliminent en suivant la même 
loi que les substances qui le vicient normalement. ' 
Elles n’ont pas en général de voies absolues et spé¬ 
ciales d’élimination, elles peuvent sortir du sang 
non-seulement par l’excrétion urinaire, mais aussi 
par les autres organes d’excrétion et de sécrétion. 
Toutefois, comme pour les produits normaux d’ex¬ 
crétion, les diverses glandes éliminent les matières 
introduites dans le sang avec des degrés de sensibi¬ 
lité bien différents 16 °. 

L’absorption, la sécrétion et l’excrétion sont trois 
genres de phénomènes qui sont unis par des relations 
étroites. Ils sont tous trois annexés, en quelque 
sorte,, au système circulatoire, pour la rénovation et 
la conservation du milieu organique intérieur. Il doit 
exister une équilibration nécessaire entre toutes les 
mutations chimiques qui s’accomplissent dans le 
milieu intra-organique et l’activité vitale variable 
des divers appareils sécréteurs et excréteurs. C’est le 
système nerveux qui, ici comme dans toutes les au¬ 
tres fonctions, est chargé de présider à cette har¬ 
monie fonctionnelle générale. 

Le système nerveux peut-il déterminer, par son 
influence, des sécrétions ou des excrétions gazeuses? 
Cela est possible, mais non encore démontré. J’ai vu 
qu’en agissant sur la moelle épinière, il se développe 
souvent dans l’intestin de grandes quantités de gaz. 



126 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

M. A. Moreau a observé le fait intéressant, mais 
encore inexpliqué, que, par l’intermédiaire des nerfs 
de la vessie natatoire des poissons, on modifie la 
composition des gaz qu’elle renferme en y faisant 
apparaître dans certaines conditions l’oxygène en 
très-forte proportion. 

Pendant longtemps on n’avait pas admis, ou du 
moins op n’avait pas prouvé que l’on pût agir sur les 
phénomènes chimiques de l’organisme vivant à l’aide 
du système nerveux. Aujourd’hui cette influence 
n’est plus contestée, et des travaux récents de la 
physiologie française l’ont mise hors de doute par 
plusieurs expériences décisives. Je suis arrivé, en 
blessant un point déterminé de la moelle allongée, 
à exagérer la formation glycosique dans le sang au 
point de faire apparaître le sucre dans l’urine et de 
rendre un animal diabétique artificiellement 161 . 
J’ai montré qu’on peut, en agissant sur les nerfs 
d’une glande ou d’un muscle, modifier d’une ma¬ 
nière tout à fait locale la composition du sang vei¬ 
neux de ces organes. On fait à volonté varier la 
couleur du sang, disparaître sa fibrine, augmenter 
ou diminuer la proportion de l’acide carbonique qui 
s’y forme, etc. En coupant certains rameaux du nerf 
sympathique, on peut rendre la peau ruisselante de 
sueur pendant le repos le plus complet et augmenter 
la température des parties de façon à décupler leur 
résistance au refroidissement extérieur 162 . Enfin 
il est possible, en agissant sur le système nerveux, 
d’amener des désorganisations locales qui engendrent 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 127 

<lans certains cas des substances septiques capables 
de vicier le sang et de produire des symptômes 

toxiques mortels 163 . 

Mais l’influence du système nerveux sur les phé¬ 
nomènes chimiques de l’organisme ne constitue pas 
seulement un résultat pathologique ou un trouble 
artificiellement obtenu par l’expérimentation phy¬ 
siologique. C’est une influence qui se manifeste dans 
l'exercice normal et régulier des fonctions. La vue 
seule des aliments ou leur présence dans la bouche 
provoque la sécrétion salivaire; dans le premier cas, 
une influence cérébrale retentit sur le nerf sécréteur, 
et, dans le second, un corps sapide vient impressionner 
le nerf de la langue. L’action réflexe de ce nerf sen¬ 
sitif, en provoquant la sécrétion, détermine constam¬ 
ment dans les cellules glandulaires et dans la circula¬ 
tion les modifications physico-chimiques nécessaires à 
l’accomphssement du phénomène de sécrétion 163 bü v 
Quand une influence morale vient retentir sur une 
fonction, c’est parce qu’au moyen d’une impression 
réfléchie sur les nerfs de l’organe, il s’est opéré des 
changements physico-chimiques qui ont fait réagir 
les éléments histologiques. L’action normale du sys¬ 
tème nerveux sur les phénomènes chimiques qui 
s’accomplissent dans le milieu intérieur est donc 
bien positive, et si le plus souvent on ne peut con¬ 
cevoir cette influence que comme une action in¬ 
directe, s’exerçant par l’intermédiaire des nerfs 
vaso-moteurs, sas effets n’en sont pas moins réels 
pour cela. Lorsqu’on augmente ou que l’on di- 



128 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

minue, par une excitation nerveuse, la quantité 
de l’acide carbonique dans le sang veineux d’une 
glande ou d’un muscle, il est très-évident que le 
nerf ne modifie pas directement le globule du sang 
avec lequel il ne saurait se mettre immédiatement 
en rapport, mais le nerf est là un simple régulateur 
des phénomènes; il agit sur les vaisseaux de l’or¬ 
gane, les resserre ou les dilate, active,ou ralentit le 
cours du sang, restreint ou prolonge la durée des 
contacts entre le sang et les éléments histologiques 
du tissu, et augmente ou diminue par cela l’énergie 
des échanges et des mutations physico-chimiques. 
La modification chimique apportée au sang n’est 
donc finalement que la résultante de toutes les con¬ 
ditions précédentes réunies. 

La physiologie générale, en nous faisant pénétrer 
par l’analyse expérimentale jusqu’aux conditions élé¬ 
mentaires organiques, nous montre que, dans les ac¬ 
tions en apparence les plus complexes, même dans les 
influences psychiques qui agissent sur l’organisme, il 
faut toujours en arriver à donner l’explication de la 
manifestation vitale extérieure par l’activité de cer¬ 
tains éléments histologiques spéciaux qui réagissent 
sous 1 influence de conditions physico-chimiques bien 
déterminées. Il est facile, sans doute, de modifier les 
propriétés du milieu intra-organique en y introdui¬ 
sant par voie d’absorption des substances actives 
venues du dehors; mais nous venons de voir que 
l’on peut arriver aussi à ce résultat par l’influence 
du système nerveux seul. S’il est facile de produire la 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 129 

mort par intoxication en faisant pénétrer un poison 
dans le sang, j’ai montré que l’on peut tuer éga¬ 
lement un animal, en faisant naître un poison dans 
son sang par influence du système nerveux 163 ter . 

A mesure que la physiologie générale avancera, elle 
nous éclairera sur la nature de ces influences ner¬ 
veuses et précisera les phénomènes chimiques dont 
nous commençons à peine à entrevoir les méca¬ 
nismes. En nous apprenant à manier ces organes 
nerveux qui servent de régulateurs aux fonctions, 
elle nous donnera des moyens d’action sur les ma¬ 
nifestations vitales les plus élevées des êtres vivants. 

Alors seulement l’influence réciproque, reconnue 
dans tous les temps, mais restée mystérieuse, du 
moral sur le physique et du physique sur le moral, 
sera dévoilée, c’est-à-dire qu elle pourra être expli¬ 
quée scientifiquement. 

IV 

PHÉNOMÈNES DE NUTRITION, DE GÉNÉRATION ET D’ÉVOLUTION 
Éléments de cellules, ovule, germe, etc. 

Les êtres vivants ont pour caractère essentiel d’ê¬ 
tre périssables ou mortels. Ils doivent se renouveler 
et se succéder ; car ils ne sont que des représentants 
passagers de la vie, qui est éternelle. L’évolution 
d’un être nouveau ainsi que sa nutrition sont de 
véritables créations organiques qui s’accomplissent 

9 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


130 

sous nos yeux. L’organisme, une fois développé, 
constitue une machine vivante, qui, en même temps 
qu’elle se détruit et s’use sans cesse par l’exercice 
de ses fonctions, se répare et se maintient, au 
moyen des phénomènes de nutrition, pendant un 
-temps variable, mais dans des limites que la nature 
lui a tracées d’avance. Les diverses périodes de 
l’existence d’un individu se caractérisent par des 
manifestations vitales qui leur sont propres, mais 
qui ne sauraient être séparées physiologiquement, 
au point de vue des phénomènes d’évolution et de 
nutrition : la force vitale ne change pas suivant les 
âges, et les procédés qui nourrissent l’être qui se déve¬ 
loppe dans l’œuf sont les mêmes que ceux qui nour¬ 
rissent et maintiennent son corps à l’état adulte. J’ai 
dès longtemps résumé mon opinion à ce sujet dans 
i cette formule : la nutrition ri est que la génêra- 
I lion continuée . 

La faculté de nutrition appartient à toutes les 
parties vivantes sans exception : vivre et se nourrir 
sont deux expressions synonymes. La nutrition 
exige deux ordres de conditions distinctes ; il faut 
d’abord un milieu préparé convenablement, et de 
telle manière qu’il renferme toutes les matières 
alimentaires et toutes les conditions indispensables 
à la réparation ou à la régénération des éléments 
histologiques, nous avons vu que ce milieu inté¬ 
rieur est formé par l’organisme lui-même ; mais il 
faut de plus que l’élément organique possède la 
viabilité, c’est-à-dire l’aptitude à se nourrir, qui 



UE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 131 

n’est autre chose que l’aptitude à la reproduction. 
Nous montrerons plus loin que les phénomènes de 
nutrition se confondent, en effet, avec les phénomè¬ 
nes de génération ; d’où il résulte qu’on ne saurait 
regarder la nutrition comme une simple assimila¬ 
tion alimentaire chimique et directe, mais au con¬ 
traire comme une création continuée de la matière 
organisée au moyen des procédés histogéniques 
propres à l’être vivant. 

Les chimistes ont établi avec soin le bilan de la 
nutrition chez les êtres vivants. Ils ont évalué la 
quantité des différents matériaux nutritifs qui sont 
nécessaires à l’entretien de l’organisme, et ils ont 
posé l’équation générale des fonctions nutritives. En 
France, MM. Dumas et Boussingault ont tracé la 
statique chimique des êtres vivants, avec une clarté 
admirable et une simplicité grandiose. En Allema¬ 
gne, Liebig a été le promoteur de cette direction 
physico-chimique de la physiologie moderne. 

La première conséquence qu’on a déduite de ces 
études générales, c’est que les organismes vivants 
sont incapables de rien produire ni de rien créer 
dans leurs phénomènes de nutrition et de dévelop¬ 
pement, l’analyse démontrant que tous les éléments 
chimiques qu’ils contiennent, qu’ils rejettent ou 
qu’ils s’assimilent sont empruntés poids pour poids 
aux substances alimentaires. En un mot, on a admis 
que, dans le circulus ou dans l’échange perpétuel 
de matière qui se fait dans la nature entre le règne 
minéral et le règne organique, rien ne se crée , rien 



132 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ne se perd. C’est là une proposition inébranlable, 
qui est d’une vérité absolue au point de vue chimi¬ 
que; mais elle ne saurait avoir le même sens physio¬ 
logique. La nutrition et le développement ne sont 
rien autre chose, ainsi que nous l’avons dit, qu’une 
création organique, et, sous ce rapport, tout se 
crée dans l’organisme vivant et rien ne lui vient du 
dehors tout formé. Les éléments ou les corps sim¬ 
ples chimiques qui entrent dans la constitution de 
la matière vivante ne sont certainement pas créés 
par la force vitale ; mais la matière vivante elle- 
même, les éléments histologiques sont bien réel¬ 
lement créés. Ils ne sauraient être transfusés par 
l’alimentation d’un être vivant dans l’autre, et, à 
plus forte raison, du règne minéral, où ils n’existent 
pas, dans le règne organique, dont ils constituent 
le caractère essentiel. Ces éléments organiques nais¬ 
sent, se développent par des procédés morphologi¬ 
ques spéciaux, se nourrissent et meurent dans l’or¬ 
ganisme auquel ils ont appartenu. Tout cela montre 
clairement la différence qu’il faut faire entre l’élé¬ 
ment chimique et l’élément physiologique. Les 
chimistes ont raison d’admettre que l’élément chi¬ 
mique est impérissable et immuable dans la nature ; 
mais le physiologiste n’en doit pas moins reconnaî¬ 
tre, de son côté, que l’élément histologique de 
même que les organismes vivants sont éminemment 
destructibles et périssables. 

Une autre conséquence générale des études chi¬ 
miques de la nutrition a été de faire considérer cette 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 133 

grande fonction, commune aux animaux et aux 
végétaux, comme présentant dans les deux règnes 
de notables différences et même une opposition véri¬ 
table. Dans cette théorie chimique les végétaux sont 
regardés comme des appareils réducteurs qui engen¬ 
drent les principes immédiats organiques avec les 
éléments chimiques empruntés au monde minéral ; 
tandis que les animaux, simples appareils de com¬ 
bustion, brûlent et détruisent ces principes immé¬ 
diats, qu’ils sont incapables de former. Les produits 
de la combustion animale sont ensuite rejetés dans 
l’air pour être repris par les végétaux; et ainsi s’éta¬ 
blit entre les deux règnes le circulus sans fin qui 
entretient la vie de chacun d’eux. Ces vues géné¬ 
rales, que'la chimie de nos jours a précisées, sont 
d’une grande vérité, quand on envisage les'phéno¬ 
mènes de la vie et de la nutrition dans leurs rapports 
naturels réciproques et dans l’ensemble des êtres. 
Mais la physiologie générale ne doit pas établir pour 
cela de différence entre la vie et la nutrition d’un 
élément histologique végétal et celle d’un élément 
histologique animal. La nutrition n’est directe ni 
dans l’organisme végétal, ni dais l’organisme animal; 
tous deux préparent le milieu intérieur dans lequel 
leurs éléments histologiques constituants doivent 
trouver leurs conditions d’existence. Chez le végétal 
comme chez l’animal il y a dans les tissus et dans 
les vaisseaux un réservoir d’air et de sucs nutritifs 
accumulés d’avance. Lorsqu’un bourgeon pousse, 
c est aux dépens de ces substances préalablement 



134 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

emmagasinées et élaborées qu’il se nourrit; l’élément 
végétal brûle ces matériaux alimentaires en donnant 
de l’acide carbonique pour résidu, absolument comme 
le ferait un élément animal 164 . Nous avons vu que 
l’organisme animal peut, comme l’organisme végétal, 
créer dans son milieu intérieur des principes immé¬ 
diats nécessaires à la nutrition de ses éléments : 
albumine, fibrine, sucre, etc. Les phénomènes 
nutritifs de combustion et de réduction existent 
également dans les êtres vivants des deux rè¬ 
gnes; mais il est incontestable qu’ils s’y montrent 
avec une intensité bien différente. La puissance ré- 
duetive est à son minimum chez les animaux, car 
les transformations qu’ils peuvent opérer n’ont lieu 
qu’à l’aide de matières déjà très-élaboréés. Chez les 
végétaux, au contraire, la puissance réductive est à 
son maximum, car les plantes peuvent agir sur des 
éléments minéraux eux-mêmes et fixer l’azote et le 
carbone de l’air. Les animaux ne prennent à l’air 
que leur excitant vital ou respiratoire, l’oxygène, 
tandis que, pour les végétaux, l’atmosphère est le 
principal milieu où ils puisent les éléments qu’ils 
convertissent en principes immédiats complexes. 
Les éléments épithéliaux de sécrétion, ou de réduc¬ 
tion, chez les végétaux, sont d’une puissance bien 
plus grande que chez les animaux. La cellule de ma¬ 
tière verte, qui entre comme un élément constituant 
actif dans le tissu de la feuille, est un des instruments 
les plus énergiques de réduction végétale. La cellule 
de matière verte ne saurait donc être comparable au 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 135 

globule sanguin, et le mot respiration est employé, 
chez le végétal et chez l’animal, pour désigner des 
phénomènes essentiellement distincts 1€â . Le globule 
du sang et la cellule de matière verte agissent, il est 
vrai, l’un et l’autre sur l’air qui entoure l’être vivant, 
animal ou végétal, mais en vertu de propriétés bien 
différentes et d’une manière en quelque sorte in¬ 
verse. Chez les végétaux, les phénomènes de combusr 
tion sont plus faibles et n’èxistent que dans la mesure 
où ils sont nécessaires. Les phénomènes de réduction, 
au contraire, à raison de leur intensité, deviennent les 
caractères dominants de la manifestation de la vie vé¬ 
gétale, tandis que c’est le contraire pour les animaux. 

Les végétaux produisent en excès des principes 
immédiats qui n’en sont pas moins physiologique¬ 
ment créés pour eux, bien qu’ils soient finalement 
consommés par les animaux. Le sucre que fait la 
betterave est là pour accomplir sa floraison; l’amidon 
qui s’accumule dans les. graines ou dans certains 
tubercules est destiné à nourrir l’embryon végétal 
ou des bourgeons lors de leur développement; etc. 
Il ne faudrait donc pas voir dans les rapports géné¬ 
raux des êtres vivants des finalités physiologiques 
individuelles. Car, s’il est dans l’ordre de l’équilibre 
général de la vie à la surface de la terre que l’animal 
carnassier dévore le ruminant, on ne peut pas dire 
physiologiquement que celui-ci soit fait et organisé 
pour lui servir de pâture. 

La disproportion des phénomènes de réduction et 
ffe combustion dans les animaux et dans les végé- 



136 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

taux a donc pour conséquence que ces êtres vivants 
altèrent l’air d’une manière inverse. Pour opérer 
leurs synthèses variées et leurs réductions si nom¬ 
breuses et si complexes, les végétaux pourvus de 
matière verte attirent l’azote, ainsi que le carbone de 
l’air, et dégagent de l’oxygène dans l’atmosphère. 
Les animaux, pour opérer les combustions ou les 
fermentations qui dominent chez eux, et particuliè¬ 
rement dans les systèmes musculaires, sont pourvus 
de globules sanguins, qui attirent l’oxygène de l’air 
et lui restituent l'acide carbonique 166 . 

Mais si, au lieu de regarder l’atmosphère extérieure 
cosmique, que l’animal corrompt par l’acide carbo¬ 
nique qu’il y jette et que le végétal purifie par les 
éléments qu’il lui prend, nous considérons le milieu 
intérieur ou intra-organique de l’être vivant, nous 
verrons que le végétal et l’animal vicient leur atmos¬ 
phère intérieure de la même manière. Les gaz de 
l’atmosphère végétale intérieure sont l’oxygène, 
l’azote et l’acide carbonique, comme ceux de l’at¬ 
mosphère animale. Quand les phénomènes de nutri¬ 
tion et de bourgeonnement se produisent au prin¬ 
temps, l’acide carbonique augmente et l’oxygèiie 
disparaît dans cette atmosphère intérieure du végé¬ 
tal, tandis que, pendant l’hiver, elle est très-pauvre 
en acide carbonique. C’est ce qui arrive aussi chez 
les animaux à sang froid engourdis par l’hiver, parce 
que le système musculaire et le globule sanguin, qui 
sont les principaux éléments de combustion, étant 
en repos et engourdis, le sang prend moins d’oxy- 



137 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
gène et renferme très-peu d’acide carbonique. On 
voit donc par ce qui précède que, si les manifesta¬ 
tions de la Yie végétale et de la vie animale se mon¬ 
trent différentes dans 1 q milieu extérieur, il arrive 
cependant que, dans le milieu intérieur organique , 
où s’accomplissent les phénomènes de nutrition de 
l’élément végétal et de l’élément animal, ces phéno¬ 
mènes de nutrition sont au fond les mêmes. 

La chimie moderne a encore voulu établir la théo¬ 
rie générale de la nutrition animale, non plus par la 
statique comparée des animaux et des végétaux, 
mais par la statique de l’organisme animal lui-même.. 
Elle a pour cela comparé les matériaux qui entrent 
dans le corps d’un animal avec ceux qui en sortent; 
et, d’après la considération des produits de combus¬ 
tion, elle a calculé l’équation générale qui devait lui 
apprendre la nature des mutations chimico-nutri¬ 
tives accomplies dans l’organisme, ainsi que la quan¬ 
tité de chaleur et de mouvement qu’elles avaient pu 
engendrer, etc. Il est certain que, dans les corps 
vivants comme dans les corps bruts, tous les phéno¬ 
mènes dé chaleur et de mouvement doivent corres¬ 
pondre d’une manière équivalente à des phénomènes 
chimiques de combustion ou de fermentation. Mais 
l’équation nutritive, ainsi envisagée dans son en¬ 
semble et appliquée à l’organisme en masse, offre 
une complexité telle, qu’on doit renoncer à l’obtenir 
dans son exactitude absolue, au moins pour le mo¬ 
ment, sinon pour toujours. MM. Régnault et Reiset, 
dans leur beau travail sur la respiration, ont traité 




138 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

cette question, et sont arrivés à la conclusion que je 
viens d’exprimer. Ils ont fait voir que, s’il y a eu 
parfois correspondance exacte entre les termes du 
calcul appliqué à l’équation respiratoire et calorifique 
animale par exemple, c’a été le fait d’une coïnci¬ 
dence purement accidentelle. 

Quand on .considère le problème au point de vue 
physiologique, on voit qu’il ne peut en être autre¬ 
ment. En effet, la nutrition n’est point directe, 
comme on avait pu le croire, c’est-à-dire que les 
aliments digérés et absorbés ne vont pas immédia¬ 
tement se fixer sur les tissus ou au sein des organes. 
J’ai déjà dit qu’il n’est pas possible de nourrir un 
animal en injectant directement dans ses veines des 
produits alimentaires dissous ou même modifiés 
par les sucs intestinaux. L’intermédiaire physiolo¬ 
gique indispensable pour la nutrition est la forma¬ 
tion du sang, qui représente le milieu intérieur aux 
dépens duquel se nourrissent et vivent les éléments 
histologiques. Les aliments dissous parles sucs diges¬ 
tifs ne sauraient entrer d’emblée dans la constitution 
du sang, car ce liquide se forme par génération 
organique : il constitue un véritable produit dè sé¬ 
crétion, un réservoir préparé par l’organisme, dont 
la composition ne varie pas avec l’alimentation, et 
dans lequel il doit par conséquent se produire des 
principes immédiats que les aliments ne recèlent 
pas tout formés. De plus, il s’accumule dans le sang 
des matières qui ne serviront à la nutrition que pins 
tard, et qui ne sont conséquemment représentées 



' DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 139 

dans les produits d’élimination que longtemps après 
avoir été introduites dans l’organisme. De là il ré¬ 
sulte que les matériaux alimentaires et les produits 
excrétés qui entrent et sortent simultanément de 
l’organisme vivant ne sauraient se correspondre et 
former les deux termes d’une équation nécessaire. 
L’alimentation est intermittente, mais la nutrition 
est continue; pendant le temps où l’être vivant ne 
reçoit pas d’aliments, il ne s’en nourrit pas moins 
aux dépens de son réservoir sanguin, et il ne meurt 
d’abstinence que lorsqu’il l’a épuisé. Quand l’alimen¬ 
tation est insuffisante ou quand on donne un seul 
aliment, comme l’a fait Magendie, le sang ne peut se 
régénérer complètement et une mort par inanition à 
plus longue portée en est également la conséquence. 
C’est ce qui a été bien établi dans l’excellent travail 
de Chossat sur l’inanition. 

En résumé, l’étude des phénomènes de nutrition 
considérés dans l’organisme en masse ne peut don¬ 
ner que des approximations, c’est-à-dire des résultats 
statistiques. Ces résultats ont une valeur empirique 
incontestable. La statistique, comme son nom l’in¬ 
dique, ne nous donne que Y état des choses; elle 
nous instruit sur la quantité de nourriture qu’il faut 
à un être vivant, mais elle ne saurait nous apprendre 
la raison des choses, c’est-à-dire la science qui 
explique les phénomènes de nutrition dans leur 
intimité 167 . Pour connaître cette raison du phéno¬ 
mène nutritif, il faut descendre dans le sang, c’est- 
a-dire dans le milieu intérieur; car c’est entre les 



440 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

éléments de ce milieu intra-organique et les élé¬ 
ments histologiques que tous les phénomènes vitaux 
et le travail nutritif réel se passent. En un mot, la 
physiologie générale veut arriver à faire la statique 
chimique élémentaire, afin de connaître les rapports 
de nutrition qui existent entre les différents éléments 
histologiques de l’organisme total. 

Le milieu sanguin préparé par l’organisme 168 doit 
posséder certaines qualités et remplir certaines con¬ 
ditions nécessaires à la nutrition des éléments. Nous 
avons déjà dit qu’il doit contenir de l’eau, de l’air et 
des matériaux nutritifs. Mais, indépendamment des 
substances plastiques qui entrent dans la régénéra¬ 
tion intégrante des éléments, il y a d’autres prin¬ 
cipes qui n’en sont pas moins indispensables, bien 
qu’ils ne jouent en apparence dans la nutrition que 
le rôle d 'excitants nutritifs. La matière sucrée, 
par exemple, semble être un excitant nutritif impor¬ 
tant pour les éléments histologiques animaux et vé¬ 
gétaux 169 . L’oxygène est aussi un. excitant nutritif 
nécessaire à l’accomplissement des fonctions du dé¬ 
veloppement; il ne paraît cependant pas être tou¬ 
jours un excitant nutritif direct, car le développe¬ 
ment de certains éléments de tissus peut parfois 
avoir lieu sans oxygène, et certains phénomènes de 
bourgeonnement organique paraissent continuer au 
sein de l’acide carbonique 170 . Le fœtus d’oiseau 
respire sans doute, mais iJ est plus difficile de dire 
comment le fœtus de mammifère respire, c’est-à-dire 
comment il reçoit directement de l’oxygène dans 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 141 

son sang 170 bis - Néanmoins il est positif que l’oxygène 
est indispensable pour provoquer les fermentations 
et entretenir les combustions organiques, qui elles- 
mêmes sont nécessaires aux phénomènes de déve¬ 
loppement. Pour que la nutrition et la régénération 
s’accomplissent, les liquides organiques doivent être 
dans un mouvement incessant de mutations et de 
décompositions chimiques. Sous ce rapport, il est à 
remarquer que les fonctions du développement et 
de la nutrition, qui sont une création d’éléments, 
ne peuvent se manifester, comme tous les autres 
phénomènes vitaux, que parallèlement à la destruc¬ 
tion organique elle-même; ce qui a fait dire que la 
mort engendre la rie 171 . 

La nutrition paraît, au premier abord, impossible 
à localiser, puisqu’elle est un attribut commun à tous 
les éléments histologiques sans exception. Cepen¬ 
dant il est permis de la rattacher à la propriété spé¬ 
ciale d'une partie organique élémentaire, qui lui 
sert en quelque sorte de centre ou d’élément direc¬ 
teur : c’est 1 enoyau de la celluleorganiqueprimitive. 
L’histogenèse, dont de Mirbel a été en France un 
des premiers représentants, et qui a été fondée en Al¬ 
lemagne par les travaux de Schleiden, Schwann, etc., 
apprend que tous les éléments histologiques vé¬ 
gétaux ou animaux dérivent d’une même forme 
organique primitive, qui est la cellule. On distingue 
dans la cellule son enveloppe, son contenu, plus un 
noyau qui renferme lui-même un nucléole. Le con¬ 
tenu de la cellule peut subir des transformations ou 



142 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

plutôt des métamorphoses diverses suivant que l’élé¬ 
ment est destiné à atteindre une évolution histolo¬ 
gique définitive, ou bien seulement à parcourir une 
évolution chimico-nutritive transitoire. Mais dans 
tous les cas le noyau paraît être le centre des actions 
nutritives et organiques qui s’accomplissent dans la 
cellule. Il est probable que dans la sécrétion, que l’on 
doit rapprocher aussi des phénomènes de nutrition ou 
de création organique, le noyau de la cellule joue un 
rôle très-important. J’ai observé, en étudiant l’évo¬ 
lution des cellules glycogéniques sur l’amnios des 
fœtus de ruminants, que la matière glycogène se 
forme et s’accumule dans la cellule tant que le 
hoyau persiste; puis, à un certain moment, le noyau 
disparaît, et dès lors la cellule cesse de fonctionne r 
et se désorganise, en laissant à sa place des cristaux 
d’oxalate de chaux. Quand la cellule est permanente, 
le noyau est lui-même permanent et maintient la 
nutrition de la cellule ; quand la cellule est caduque, 
le noyau de la cellule est également transitoire. Lors¬ 
qu’il y a une rénovation de cellules, c’est toujours 
avec prolifération de noyau qu’elle a lieu. C’est ainsi 
que, sous l’épithélium de certaines membranes 
muqueuses, on voit, dans la couche la plus pro¬ 
fonde, des noyaux qui seront les générateurs des cel¬ 
lules nouvelles. 

Quand l’élément histologique a revêtu la forme 
de fibre, comme cela se voit dans la fibre muscu¬ 
laire, par exemple, le noyau de cellule persiste en 
dedans de la paroi du tube musculaire et maintient 



143 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
la nutrition de la fibre. Il se forme autour de ce 
noyau un protoplasma qui régénère la substance 
musculaire contractile comme par une sorte de créa¬ 
tion ou de sécrétion de matière organisée. Nous 
avons vu ailleurs que la fibre nerveuse s’altère, dé¬ 
génère dès qu’elle est séparée de la cellule qui est 
son centre de nutrition. 

En résumé, on pourrait donc dire que chaque élé¬ 
ment histologique possède en lui un centre morpho¬ 
logique et nutritif qui le maintient dans sa forme et 
dans sa constitution organique. Une fois ce centre 
détruit ou altéré, la dégénérescence ! et la mort de 
l’élément en sont la conséquence. M. Ch. Robin 172 est 
arrivé aux mêmes conclusions par ses études sur 
l’histogenèse; il admet que, dans les transforma¬ 
tions histogéniques que subissent les cellules dans 
leur évolution, le noyau persiste toujours et reste 
comme un centre de genèse permanent. 

De ce qui précède il résulte évidemment que, dans 
les phénomènes de nutrition et de développement, 
il n’y aura pas à considérer seulement les conditions 
du milieu nutritif, il faut aussi voir les conditions 
organiques ou vitales de l’élément; ce qui veut dire, 
en d’autres termes, que la bonne nourriture ne suffit 
pas, mais qu’il est besoin aussi d’une aptitude spé¬ 
ciale à la nutrition et au développement, qui réside 
dans le tissuetdans l’élément lui-même. Cen’estdonc 
qu’autant que le centre morphologique se conservera 
intact que la nutrition et la rédintégration, c’est-à- 
dire la régénération de l’élément, peuvent se faire. 



144 DE LA PHYSIOLOGIE GENERALE 

Dans les organismes élevés, la rédintégration pa¬ 
raît bornée, et elle semble se limiter à l’élément. 
Mais chez certains animaux la reproduction orga¬ 
nique s’étend aux organes et même à des parties du 
corps très complexes. Parmi les vertébrés, la repro¬ 
duction du cerveau a été vue chez le pigeon 172 bis ; celle 
des membres a été observée chez la salamandre et 
chez l’axolotl. Il a été démontré que pour les mem¬ 
bres antérieurs cette rédintégration a son centre 
morphologique à la base du membre, dans l’omo¬ 
plate; car si on enlève l’épaule, le membre ne se 
reproduit plus 173 . Chez les animaux cellulaires et 
très-bas placés dans l’échelle de l’organisation, on 
peut voir que le centre morphologique du corps en¬ 
tier existe en quelque sorte dans toutes les cellules 
de l’animal. C’est ainsi que chaque fragment d’un 
polype hydraire ou d’une planaire rédintègre un 
animal entier, avec ses organes et sa forme com¬ 
plète. Chaque cellule du corps constitue donc, pour 
ainsi dire, un œuf ou un bourgeon qui est capable 
de développer l’organisme total. Enfin il est remar¬ 
quable de voir certains organes d’animaux supérieurs 
se comporter de même. C’est ainsi que, quand on 
enlève sur un jeune mammifère la presque totalité 
de la. rate, le morceau qui reste peut rédintégrer 
une rate entière 17âbis . Mais comme tous les organes 
des mammifères ne jouissent pas de ce même privi¬ 
lège, cela semblerait indiquer que la rate est une 
sorte d’organe qui a conservé dans son tissu des pro¬ 
priétés embryonnaires ou les attributs d'une organi- 



DE LA PHYSIOLOGIE GENERALE 145 

sation inférieure. Chez les végétaux, les centres 
morphologiques qui existent dans les bourgeons peu¬ 
vent aussi, par bouture ou par greffe, reproduire le 
végétal en entier; etc. 

En un mot, on voit qu’il existe chez les êtres vi¬ 
vants des centres morphologiques et nutritifs, qui 
sont d’autant plus énergiques et en même temps 
plus diffus qu’on les examine chez des êtres plus 
inférieurs. Dans les organismes supérieurs, ces cen¬ 
tres morphologiques sont restreints et limités dans 
des éléments spéciaux. La cellule ovarique seule 
constitue le centre morphologique de tout l’orga¬ 
nisme, et le centre nutritif de chaque élément se lo¬ 
calise à son tour dans le noyau de sa cellule. 

Le rôle nutritif du noyau de la cellule est d’ail¬ 
leurs un véritable rôle d’organe générateur. Un 
jeune et savant naturaliste français, M. Balbiani t74 , a 
publié, il y a quelques années, des travaux très-im¬ 
portants, qui ont résolu la question difficile de la 
génération sexuelle des infusoires, et qui ont mis en 
pleine lumière, ainsi que nous le verrons, l’analogie 
du noyau de cellule avec un corps générateur. Les in¬ 
fusoires, tels que les kolpodes, et les paramécies, par 
exemple, ont été comparés à des organismes simples 
représentant en quelque sorte une seule cellule. 
Or il existe dans ces infusoires un corps qui est tout 
à fait analogue, par son rôle et par sa forme, à un 
noyau de cellule. Le développement par scission 
chez les infusoires se fait par un fractionnement au¬ 
quel prend part le noyau central de leurs corps, 

10 



146 ' DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

absolument comme cela se voit pour le noyau des 
cellules blastodermiques ou autres, quand celles-ci 
prolifèrent et se multiplient. Un développement par 
fractionnement et par reviviscence s’observe chez 
les paramécies quand l’infusoire s’enkyste par dessic¬ 
cation. MM. Goste et Gerbe 175 ont fait voir qu’il 
existe aussi un enkystement spontané chez les kol- 
podes, une sorte d’enkystement sexuel, en ce sens 
qu’il y a d’abord accouplement de deux individus 
qu’on peut supposer de sexes différents. Puis ces 
deux êtres s’entourent d’un kyste et disparaissent 
dans une masse commune. C’est par le fractionne¬ 
ment de leurs substances confondues que sont en¬ 
suite formés les petits. Ainsi, de même que chaque 
fragment de cellule donne naissance à une cellule 
nouvelle, nous voyons chaque fragment de kolpode 
ou de paramécie constituer par reviviscence un in¬ 
fusoire nouveau. Mais chez les paramécies il n’y a pas 
seulement reproduction par scission, il y a encore 
accouplement et reproduction par un véritable mode 
de génération sexuelle, qu’a découvert M. Balbiani. 
Ce qu’il y a de remarquable et d’important à consi¬ 
dérer ici, c’est que, pendant l’accouplement des pa¬ 
ramécies, on voit dans chaque infusoire le noyau 
central du corps se transformer en ovaire, et le nu¬ 
cléole en testicule. Des œufs et des spermatozoïdes, 
qui sont les produits caractéristiques de ces organes, 
apparaissent; une double fécondation s’opère et il 
en résulte des embryons qui se développent dans 
le corps de l’infusoire mère et s’échappent plus tard 



U1 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
au dehors. Ges études sont donc très-intéressantes 
en elles-mêmes et d’une importance capitale pour 
la physiologie générale, en ce qu’elles montrent un 
rapport direct entre des organismes élémentaires - 
distincts et bien définis, tels que des infusoires et 
des éléments histologiques d’un organisme complexe, 
qui ne sont aussi eux-mêmes que des organismes 
élémentaires. Ges faits justifient la dénomination 
d 'organisme élémentaire 175 bis qu’on a donnée aux 
éléments histologiques, etmotiventle rapprochement 
sur lequel j’ai si souvent insisté entre les phéno¬ 
mènes de nutrition et les phénomènes de génération, 
qui nous restent à examiner. 

La génération, qui préside à la création organique 
des êtres vivants, a été regardée, à juste titre, 
comme la fonction la plus mystérieuse de la physio¬ 
logie. On avait observé de tout temps qu’il y a une 
filiation entre les êtres vivants, et que, pour le plus 
grand nombre, ils procèdent visiblement de parents. 
Cependant pour certains cas cette filiation n’était pas 
apparente, et alors on a admis des générations spon¬ 
tanées, c’est-à-dire des générations sans parents. Cette 
question, très-ancienne, a été reprise dans ces derniers 
temps et soumise à de nouvelles études. En France, 
les générations spontanées ont été repoussées par dif¬ 
férents savants, mais surtout par M. Pasteur. Elles 
ont été au contraire admises par divers naturalistes, 
et particulièrement par M. Pouchet 176 , qui a soutenu 
à leur sujet l’hypothèse de l’ovulation spontanée. 

M. Pouchet a voulu établir qu’il n’y a pas génération /0‘ 


u& DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

spontanée de l’être adulte, mais génération de son 
œuf ou de son germe. Cette vue me paraît tout à 
fait inadmissible même comme hypothèse. Je con¬ 
sidère en effet que l’œuf représente une sorte de for¬ 
mule organique qui résume les conditions évolutives 
d’un être déterminé par cela même qu’il en procède. 
L’œuf n’est œuf que parce qu’il possède une virtualité 
qui lui a été donnée par une ou plusieurs évolutions 
antérieures dont il garde en quelque sorte l’empreinte 
ou le souvenir. C’est cette direction originelle, qui 
n’est qu’un atavisme plus ou moins prononcé, que je 
regarde comme ne pouvant jamais se manifester 
spontanément et d’emblée. Il faut nécessairement 
une influence héréditaire. Je ne concevrais pas 
qu’une cellule formée spontanément et sans parents 
pût avoir une évolution, puisqu’elle n’aurait pas eu 
un état antérieur. Quoi qu’il en soit de l’hypothèse, 
les expériences sur lesquelles étaient fondées les 
preuves des générations spontanées étaient, pour la 
plupart, fautives. M. Pasteur a eu le mérite d’éclairer 
le problème des générations spontanées, en rédui¬ 
sant les expériences à leur juste valeur et en intro¬ 
duisant dans ce sujet une précision scientifique plus 
grande. Il a fait voir que l’air est le véhicule d’une 
foule de germes d’êtres vivants, et il a montré qu’il 
faut avant tout ramener les arguments à des expé¬ 
riences précises et bien instituées. 

Pour exprimer ma pensée au sujet de la généra¬ 
tion spontanée, je n’ai qu’à répéter ici ce que j’ai 
déjà dit dans un rapport que j’ai eu à faire sur cette 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 149 

question 177 , savoir, qu’à mesure que nos moyens 
d’investigation se perfectionneront, on trouvera que 
les cas de générations qu’on regardait comme spon¬ 
tanées rentrent dans les cas de génération physiolo¬ 
gique ordinaire. C’est ce qu’ont d’ailleurs démontré 
récemment les travaux de M. Balbiani et ceux de 
MM. Coste et Gerbe sur la génération des infusoires. 

Dans sa forme la plus simple la génération se con¬ 
fond véritablement, ainsi que nous l’avons vu, avec 
la nutrition. Il existe alors une fécondation ou une 
puissance génératrice qui est à la fois nutritive et 
évolutive. Nous savons que chez les hydres et les 
planaires, toutes les cellules nutritives peuvent, en 
quelque sorte, devenir des œufs ou des bourgeons. 
Nous voyons aussi que des bourgeons, des germes 
animaux ou végétaux sont simplement des parties du 
corps détachées spontanément pour engendrer des 
êtres nouveaux. Dans ces cas il y a développement et 
nutrition simultanés; il n’y a pas encore de sexualité, 
ou plutôt, d’après M. Balbiani, il y aurait un herma¬ 
phrodisme élémentaire primordial 177 bi9 . Mais plus 
tard la sexualité apparaît et son influence s’exerce 
par une fonction spéciale qu’on appelle la féconda¬ 
tion. La fécondation n’est, en réalité, elle-même 
qu’une impulsion nutritive qui vient déterminer, à 
un moment donné, la nutrition évolutive. C’est donc 
un perfectionnement, puisque la nutrition évolutive 
de l’être nouveau se trouve désormais distincte et 
rattachée à une condition physiologique spéciale 178 . 

La fécondation transmet originellement à tout 



150 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

l’organisme une impulsion nutritive, qui trace d’a¬ 
vance la durée de la vie, en ce sens qu’elle donne 
en même temps que l’empreinte du type, une puis¬ 
sance nutritive qui conserve l’organisme pour un 
temps déterminé, c’est-à-dire pour un certain 
nombre de renouvellements 179 . 

Quand un animal est malade, la nutrition et la 
génération s’arrêtent, pour se rétablir quand les con¬ 
ditions de la santé reparaissent. 

Les formes de la génération par parents sont 
extrêmement variées et entraînent des fonctions 
sexuelles plus ou moins complexes dans leur méca¬ 
nisme, que l’on peut cependant ramener toutes à 
un même type. Depuis longtemps il a été dit que 
tous les êtres vivants procèdent d’un œuf. Toutefois 
la connaissance de la vraie constitution de l’œuf est 
une conquête de la science moderne. C’est de nos 
jours que la physiologie est arrivée, par une analyse 
exacte des phénomènes générateurs, à les réduire à 
leurs conditions élémentaires. En France, les travaux 
de MM. Prévost et Dumas sur la génération ont mar¬ 
qué le début des progrès rapides qui ont amené dans 
cette partie du domaine de la physiologie une révo¬ 
lution complète. A l’étranger, il faut citer en tête 
des promoteurs de cette science nouvelle les grands 
noms de Baër, Purkinje, Bischoff, etc. 

Aujourd’hui la physiologie générale en est arrivée 
à déterminer l’élément histologique spécial de la 
fonction génératrice : cet élément est Yœuf ou le 
germe. L 'œuf primitif ou ovule est identique chez 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 151 

tous les animaux; il se présente sous la forme d’une 
simple cellule, et c’est de cette cellule unique que 
va sortir un organisme total, quelle que soit sa 
complication. Toutefois on pourrait dire que, Hans 
les êtres élevés, il y a deux éléments générateurs : 
l’élément femelle (germe) et l’élément mâle (zoos- 
sperme). L’élément histologique mâle ou femelle est 
identique et consiste en une cellule. Les caractères 
du germe ne sont point encore bien déterminés. 
Quant au zoosperme, il est variable dans ses appa¬ 
rences, et dans beaucoup d’animaux il n’est pas 
encore connu dans sa forme précise, ce qui a parfois 
fait croire à des générations non sexuelles, comme 
M. Balbiani l’a montré pour les pucerons 179 bis . Il 
faut le concours des deux éléments sexuels germe 
et zoosperme pour donner naissance à l’organisme 
nouveau. L’ovaire et le testicule constituent deux or¬ 
ganes glandulaires qui produisent des éléments géné¬ 
rateurs, de sorte que l’œuf et le zoosperme doivent être 
considérés comme deux produits de sécrétion. C’est 
bien dans ce cas qu’on peut dire que la sécrétion est 
une création organique ; au lieu de former dans son 
intérieur un principe immédiat, comme le font les 
cellules à sécrétions chimiques, la cellule ovarique 
élabore et accumule en elle les matériaux du germe, 
et la cellule spermatique forme dans son intérieur 
les animalcules spermatiques. C’est à ces deux cel¬ 
lules sécrétoires primitives ovarique et spermatique 
que M.Robin l80 adonnélesnoms d 'œuf mâle etâ^œuf 
femelle. Il vaudrait peut-être mieux dire cellule 



152 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

mâle ou spermatique, cellule femelle ou ovarique 
puisque ce sont en réalité deux cellules épithéliales, 
qui sécrètent, l’une le produit organique mâle, l’autre 
le produit organique femelle 181 . 

La cellule ovarique se rencontre chez le fœtus ; 
elle existe, par conséquent, bien longtemps avant 
d’être mûre. Quand elle est arrivée à maturité, cette 
cellule ovarique est constituée, comme une cellule 
ordinaire : 1° d’une enveloppe (membrane vitelline), 
2° d’un contenu (vitellus), 3° d’un noyau (vésicule 
germinative), 4° d’un nucléole (tache germina¬ 
tive). M. Balbiani a découvert dans l’ovule un corps 
particulier ou une vésicule spéciale qui mériterait 
le nom de vésicule germinative proprement dite ; 
car elle est destinée à former la matière plastique 
qui servira au développement du nouvel être. Cette 
vésicule serait commune à l’œuf animal et à 
l’œuf végétal. On peut donc dire qu’il y a dans la 
cellule ovarique animale deux noyaux présidant à 
deux ordres de nutrition distincts. Le noyau repré¬ 
senté par la vésicule germinative ancienne ou vési¬ 
cule de Purkinje sert à la nutrition et au développe¬ 
ment de l’élément ovarique lui-même; le noyau 
découvert parM. Balbiani prépare le germe, c’est-à- 
dire les matériaux plastiques, nutritifs et évolutifs 
de l’embryon. Aussi, à la maturité de l’œuf, 
c’est-à-dire après son complet développement, la 
vésicule de Purkinje disparaît-elle, tandis que 
l’autre émanant directement de l’organisme maternel 
persiste dans l’évolution du nouvel être de façon 



DE LÀ PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 153 

à le rattacher organiquement à son ancêtre 182 . 

Une fois fécondée, la cellule ovarique se nourrit 
et se développe soit par bourgeonnement, soit par 
segmentation; elle se comporte comme toutes les 
cellules, et, obéissant à la loi commune à tous 
les autres éléments histologiques, elle ne peut 
se développer qu’en se nourrissant. Or la nu¬ 
trition, pour l’ovule comme pour les autres élé¬ 
ments, n’est jamais directe. Il lui faut un milieu 
alimentaire complexe préparé d’avance pour fournir 
tous les matériaux nécessaires à la formation de 
l’organisme vivant qui doit résulter de son évolution. 
Quand l’œuf se développe dans le corps maternel, il 
trouve dans l’utérus ses conditions de nutrition; 
quand il doit se développer au dehors, il emporte 
avec lui son milieu alimentaire, comme cela a lieu 
pour les œufs complexes d’oiseaux, de poissons, etc. 

Les conditions de vitalité ou de développement de 
l’ovule sont donc celles de tous les éléments histolo¬ 
giques, savoir : un milieu et certaines conditions 
physico-chimiques convenables de chaleur, d’hu¬ 
midité, etc. 182 bîs . La résistance vitale de l’œuf, 
comme celle des autres éléments histologiques, est 
bien plus grande chez les animaux à sang froid que 
chez les animaux à sang chaud. Aussi, dans les ani¬ 
maux à sang froid comme dans les végétaux, on 
peut opérer des fécondations artificielles en dehors 
de l’organisme. Les influences des substances toxi¬ 
ques sur l’élément ovarique ou spermatique sont 
encore assez peu connues. Les œufs des animaux 



154 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

invertébrés, tels que ceux des certains helminthes, 
ont une vitalité si puissante qu’ils résistent à l’ac¬ 
tion prolongée de certains agents délétères 183 . Les 
œufs de ces mêmes animaux peuvent aussi tomber 
à l’état de vie latente et résister pendant très-long¬ 
temps aux conditions ambiantes de destruction, ce 
qui explique les circonstances particulères de propa¬ 
gation chez ces êtres, etc. 

Chez les mammifères, l’œuf est plus délicat, et 
a besoin d’être protégé dans son évolution. Le dé¬ 
veloppement est intérieur, et le fœtus accomplit 
dans le corps maternel toutes ses métamorphoses 
avant d’arriver à l’état de viabilité extérieure. Chez 
certains animaux, tels que les marsupiaux, le déve¬ 
loppement est à moitié intérieur et à moitié exté¬ 
rieur; il y a un avortement normal pour ainsi dire. 
Chez d’autres animaux, le développement se fait en 
dehors et par de véritables métamorphoses exté¬ 
rieures. Ainsi, chez les insectes, il naît d’abord de 
l’œuf une larve qui accomplit successivement à l’ex¬ 
térieur ses divers changements organiques. Mais ce 
qu'il y a de remarquable et ce qui montre bien tou¬ 
jours les rapports étroits qui existent entre la géné¬ 
ration et le nutrition, c’est qu’il est souvent besoin 
d’une nutrition spéciale pour amener ces métamor¬ 
phoses évolutives. C’est pourquoi l’animal à l’état de 
larve est souvent obligé de changer de milieu et de 
transmigrer : la larve de la trichine, celle de l’anguil- 
lule du blé niellé, etc., sont dans ce cas. 

Le mode de nutrition de l’œuf pourrait aussi 



DF; LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 155 

exercer beaucoup d’autres influences remarquables 
sur l’embryon, et en particulier sur sa sexualité, 
ainsi que cela a été dit pour les abeilles 184 . 

Certaines larves animales sont comme les graines 
(qui ne sont elles-mêmes qu’un embryon ou une 
sorte de larve végétale); elles montrent des pro¬ 
priétés de reviviscence que ne possèdent pas plus 
tard les êtres métamorphosés, ce qui prouve que les 
tissus peuvent présenter des propriétés physiolo¬ 
giques différentes, suivant les diverses périodes de 
leur développement 184 bis . 

Pour rester fidèle aux idées de la physiologie gé¬ 
nérale, nous devons maintenant chercher à déduire 
les phénomènes de la génération des propriétés de 
l’élément histologique essentiel à cette fonction. Or 
cet élément, qui est l’œuf, est sans contredit l’élé¬ 
ment le plus merveilleux de tous, car nous le voyons 
produire un organisme entier. On ne s’étonne plus 
des phénomènes qu’on a sans cesse sous les yeux. 
Mais, comme dit Montaigne, « c’est plus tost accou¬ 
tumance que science qui nous en oste l’étrangeté. » 
Qu’v a-t-il de plus extraordinaire que cette création 
organique, à laquelle nous assistons, et comment 
pouvons-nous la rattacher aux propriétés de la ma¬ 
tière qui constitue l’œuf? C’est là que nous sentons 
l’insuffisance de la physiologie purement anatomi¬ 
que, de cette physiologie que Haller avait définie 
l’anatomie animée, anatomia animata. Quand la 
physiologie générale veut se rendre compte de la force 
musculaire, elle comprend qu’une substance con- 



156 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

tractile puisse intervenir directement en vertu des 
propriétés inhérentes à sa constitution physique ou 
chimique. Mais quand il s’agit d’une évolution orga¬ 
nique qui est dans le futur, nous ne comprenons plus 
cette propriété de la matière à longue portée. L’œuf 
est un devenir; or comment concevoir qu’une ma¬ 
tière ait pour propriété de renfermer des propriétés et 
des jeux de mécanismes qui n’existent point encore? 

Les phénomènes de cet ordre me semblent bien 
de nature à démontrer une idée que j’ai déjà souvent 
indiquée, et sur laquelle je reviendrai encore plus 
loin, savoir, que la matière n’engendre pas les phé¬ 
nomènes qu’elle manifeste. Elle ne fait absolument 
que donner aux phénomènes leurs conditions de 
manifestation. C’est pourquoi ces conditions doivent 
être soumises à un déterminisme absolu et rigou¬ 
reux qui constitue le principe fondamental de toutes' 
les sciences expérimentales 185 . 

L’oeuf est un centre puissant d’action nutritive, et 
c’est à ce titre qu’il fournit les conditions pour la 
réalisation d’une idée créatrice qui se transmet par 
hérédité ou par tradition organique. L’œuf en prési¬ 
dant à la création de l’organisme opère le renouvel¬ 
lement des êtres et devient la condition primordiale 
de tous les phénomènes ultérieurs de la vie 185 bls . 

Dans les phénomènes de rénovation organique, 
pas plus que dans les autres, le physiologiste ne sau¬ 
rait se hornèr à contempler la nature vivante; il 
doit rechercher les lois de la nutrition et de l’évo¬ 
lution, afin d’arriver à modifier et à régler les phé- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 157 

nomènes de ces fonctions. Or ce sera encore par 
l’intermédiaire des influences physico-chimiques 
ambiantes, que l’on pourra agir sur ces phénomè¬ 
nes évolutifs spéciaux à l’organisme vivant 186 . 

Dans l’état actuel des choses, nous voyons que 
l’hérédité ou la tradition organique paraît fixer les 
espèces, c’est-à-dire qu’elle semble donner aux orga¬ 
nismes vivants un type de construction fixe et déter¬ 
miné d’avance. Cependant il y a beaucoup de varié¬ 
tés dans ces types qui viennent chaque jour se 
produire sous nos yeux par l’influence de diverses 
conditions physico-chimiques ambiantes que nous 
pouvons étudier. L’observation nous apprend en ef¬ 
fet que, par les actions cosmiques et particulière¬ 
ment par les modificateurs de la nutrition, on agit 
sur les organismes de diverses façons, et l’on crée 
des variétés individuelles qui possèdent des proprié¬ 
tés spéciales et constituent en quelque sorte des 
êtres nouveaux. On peut aussi profiter des croise¬ 
ments, utiliser certaines dispositions héréditaires ou 
natives pour modifier par sélection la nature des 
êtres vivants et fixer des variétés animales, ou même 
créer de nouvelles espèces végétales. On peut enfin 
favoriser les conditions de développement des 
êtres et ensemencer dans les eaux des œufs d’ani¬ 
maux comme on ensemence dans le sol des graines 
de végétaux, etc. Mais jusqu’à présent tout cela n’est 
que de l’empirisme. Il faut que la science physiolo- 
gique y pénètre, trouve les lois et donne les condi¬ 
tions de fixité et de variabilité des espèces. Ce n’est 



158 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

qu’ai ors qu’on pourra à volonté modifier réellement 
la nutrition et régler la production et l’évolution des 
êtres vivants. 

Peut-on opérer des changements dans les organis¬ 
mes en agissant directement sur les œufs ? Sans 
doute on doit croire qu’il serait possible de changer 
la direction des phénomènes évolutifs dans certaines 
lim ites., sans briser la tradition organique, en modi¬ 
fiant les organismes pendant la sécrétion ovarique ; 
ou bien en faisant développer les œufs dans certains 
milieux, et en agissant sur eux au moyen de fécon¬ 
dations artificielles dans des conditions nouvelles. 
Rien ne s’oppose en effet à ce que les modificateurs, 
agissant sur l’organisme vivant dans certaines circon¬ 
stances, ne puissent provoquer des changements ca¬ 
pables de constituer des espèces nouvelles. Car nous 
devons concevoir les espèces comme résultant elles- 
mêmes d’une persistance indéfinie dans leurs condi¬ 
tions d’existence et de nutrition, par suite d’une di¬ 
rection organique antérieure évolutive, qui leur a 
été communiquée par leurs ancêtres. 

M. Dareste 187 , reprenant les expériences de Geof¬ 
froy Saint-Hilaire, a expérimenté sur les œufs de 
poule en les vernissant, et il a déterminé diverses 
anomalies ou monstruosités. Mais ces monstruosi¬ 
tés ne semblent point constituer toujours des modifi¬ 
cations dans la direction de l’évolution du type ; ce 
sont souvent des maladies de l’embryon ou du fœtus 
qui sont généralement-incompatibles avec la viabi¬ 
lité, et qui ne sauraient, par conséquent, avoir aucun 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 159 

rapport avec les questions qui nous occupent. Jus¬ 
qu’à présent on n’a pas le moyen de changer la di¬ 
rection évolutive des œufs d’une manière scientifi¬ 
que, mais cependant il est bien certain, ainsi que 
nous l’avons déjà dit, qu’il doit y avoir des condi¬ 
tions qui agissent ainsi ; car comment comprendre 
sans cela les monstruosités, les anomalies et les va-, 
riétés natives qui peuvent se transmettre ensuite par 
hérédité ? 

Les anomalies natives, qu’on avait regardées comme 
ne pouvant être fixées qu’à la suite d’un temps 
très-long, pourraient même apparaître tout à coup 
et se transmettre immédiatement, par génération 
héréditaire, d’une manière indéfinie, et constituer 
de vraies espèces. C’est ce qui résulterait de faits 
intéressants, rapportés tout récemment par M. Nau- 
din^s. Les anomalies de naissance qui se produisent 
sont nécessairement liées à des modifications de 
nutrition embryonnaire que le physiologiste doit 
chercher à déterminer, parce que, dès qu’il les con¬ 
naîtra, il pourra s’en servir pour modifier la direc¬ 
tion des phénomènes de développement de l’être 
nouveau 189 . 

Mais l’individu vivant est encore capable d’acqué¬ 
rir pendant sa vie, sous l’influence de conditions cos¬ 
miques et de modificateurs divers, des aptitudes va¬ 
riées normales ou morbides, qui peuvent ensuite se 
transmettre par la tradition organique, c’est-à-dire 
par l’hérédité l9 °. C’est donc d’abord sur ces cas, 
qui sont les plus faciles à observer, que le physio- 



160 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

logiste expérimentateur devra porter son attention 
et diriger ses études, afin de déterminer le méca¬ 
nisme physiologique à l’aide duquel les modifications 
nutritives imprimées aux parents arrivent à se pro¬ 
pager aux descendants sous certaines formes déter¬ 
minées. 

En résumé, il faut bien savoir que, quelle que soit 
la nature de nos influences modificatrices, et que 
nous agissions sur l'œuf, l’embryon ou l’individu 
adulte, ce sera toujours aux phénomènes nutritifs 
qu’il faudra nous adresser. On produit empirique¬ 
ment par la nutrition ou par la culture des modifica¬ 
tions considérables et bien connues dans les orga¬ 
nismes végétaux. Nous avons déjà dit que l’on crée 
ainsi des variétés dans l’espèce et même des espèces 
nouvelles. Chez les animaux il en est de même, et 
on a admis, par exemple, que la production de la 
sexualité et beaucoup d’autres modifications orga¬ 
niques importantes se réduisent à des questions d’a¬ 
limentation ou de nutrition embryonnaire. Mais, 
je le répète, nous n’aurons l’explication scientifique 
des phénomènes que lorsque nous pourrons déter¬ 
miner, dans le milieu organique intérieur, les con¬ 
ditions générales de nutrition de tous les éléments 
histologiques, ainsi que la spécialité des excitants 
nutritifs particuliers à chacun d’eux. Les éléments 
histologiques ne suivent exactement la tradition 
organique des êtres dont ils procèdent qu’autant 
qu’ils se trouvent placés dans des conditions con¬ 
venables de nutrition 191 . 



161 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
Une simple cellule animale ou végétale, qui dans 
certaines circonstances peut rester indifférente, prend 
un développement nouveau si l’on vient à changer 
ses conditions nutritives. En modifiant les milieux 
intérieurs nutritifs et évolutifs, et en prenant la ma¬ 
tière organisée en quelque sorte à l’état naissant, on 
peut espérer changer sa direction évolutive, et par 
conséquent son expression organique finale 192 . Je 
pense en un mot que nous pourrons produire scien¬ 
tifiquement de nouvelles espèces organisées, de 
même que nous créons de nouvelles espèces miné¬ 
rales, c’est-à-dire que nous ferons apparaître des for¬ 
mes organisées qui existent virtuellement dans les 
lois organogéniques, mais que la nature n’a point 
encore réalisées. 

Les théories géologiques nous enseignent que les 
corps bruts ont précédé les corps vivants, et nous 
savons que chimiquement la matière organisée 
n’est constituée que par de la matière minérale. 
Toutefois, dans l’état actuel de nos connaissances, 
nous ne pouvons pas plus créer la matière vivante 
que nous ne pouvons créer la matière brute. 
Nous ne comprendrions même pas aujourd’hui, ainsi 
que je l’ai dit ailleurs, la création d’emblée et spon¬ 
tanée d’un œuf ou d’un élément organisé, qui aurait 
une évolution ou une hérédité sans ancêtres 193 . La 
formation directe d’un être vivant au moyen de la 
matière inorganique, si elle pouvait être réalisée, 
constituerait la vraie génération spontanée 194 ; mais 
elle supposerait la connaissance du principe ou de la 

11 



l62 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

cause première de révolution vitale. Sans doute on 
ne doit jamais poser de limites à la science humaine; 
seulement nous pouvons dire que, pour le moment, 
la recherche de semblables problèmes est contraire 
à la méthode et aux procédés de la science expéri¬ 
mentale. Au lieu de faire sur l’origine des choses des 
hypothèses irréalisables, sur lesquelles on ne peut 
discuter ou expérimenter que d’une manière stérile 
et aveugle, l’expérimentateur procède autrement. 
Il part des phénomènes qui sont le plus immédiate¬ 
ment autour de lui et qui sont accessibles à son ob¬ 
servation et à son expérimentation ; puis il remonte 
successivement de faits en faits aussi haut qu’il peut 
à la source des phénomènes. Il n’y a donc pas à vou¬ 
loir comprendre du premier coup la création des 
corps vivants pas plus que la création des corps bruts. 
Il n’y a qu’une chose à faire, c’est de suivre, en phy¬ 
siologie, la même marche que dans les autres scien¬ 
ces expérimentales, en respectant le voile qui nous 
couvre l’origine des choses. Ce voile, qui s’éloigne tou¬ 
jours, sera-t-il jamais déchiré? Gela ne semble pas pro¬ 
bable. Qu’importe d’ailleurs au savant? Sa tâche est 
bien suffisante; car en étudiant les phénomènes qui 
l’entourent, il avance sans cesse et il n’en conquiert 
pas moins la nature pied à pied au profit de l’huma¬ 
nité. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


163 


V 

PHÉNOMÈNES D’ORGANISATION ET DE CONNEXIONS ORGANIQUES 


Systèmes cellulaire, fibreux, cartilagineux, osseux, etc. - Éléments 
cellulaire, connectif, plasmatique, etc. 

A.u point de vue de T organisation, on pourrait 
séparer les produits organisés ou les éléments histo¬ 
logiques constitutifs des diverses parties du corps 
vivant en deux groupes : les uns étant essentiel¬ 
lement actifs dans les manifestations vitales; les 
autres ayant, au contraire, à remplir des rôles 
passifs dans la construction organique et dans 
le jeu des divers mécanismes vitaux. Les éléments 
histologiques actifs, tels que les éléments muscu¬ 
laires, nerveux, glandulaires, etc., ne sauraient fonc¬ 
tionner isolément et sans l'intervention de certaines 
connexions organiques nécessaires. Ces éléments, 
pour constituer les organes ou les appareils lo¬ 
comoteurs et sécréteurs, ont besoin d’être reliés 
par une sorte de gangue commune, le tissu cel¬ 
lulaire, et d’être combinés avec des tissus passifs, 
tels que les tissus fibreux, élastiques, cartilagineux, 
osseux, etc. D’où il résulte que l’expression fonc¬ 
tionnelle d’un organe ou d’un appareil quelconque 
sera toujours la résultante de l'arrangement des 
propriétés manifestées par des éléments actifs et 
passifs réunis et associés 194 bis . 

Le tissu cellulaire y tel que le comprenait Bicbat, 



464 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

est UI1 tissu généralement répandu entre toutes les 
parties élémentaires du corps, servant à la fois de 
tissu connectif qui les réunit, et de substance inter¬ 
médiaire qui les sépare. Outre son rôle protecteur 
ce tissu sert de réservoir à des liquides interstitiels 
et à de la graisse 195 ; il comble les vides interorga¬ 
niques et concourt ainsi à la beauté des formes du 
corps. Le tissu cellulaire serait donc, pour ainsi dire, 
un système neutre; il deviendrait un auxiliaire fonc¬ 
tionnel pour tous les autres tissus, et il est parcouru 
par les vaisseaux et les nerfs qui établissent les rela¬ 
tions vitales et organiques entre toutes les parties 
du corps. Très-extensible sous la peau dans certains 
points, le tissu cellulaire permet le glissement des 
organes et engendre les bourses muqueuses 195 bis et 
les membranes séreuses ; plus resserré en d’autres 
endroits, il maintient les parties et les protège contre 
des déplacements nuisibles. Ce tissu se laisse facile¬ 
ment pénétrer, distendre et infiltrer par de l’air ou 
par de l’eau. Les bouchers utilisent le premier moyen 
pour enlever la peau des animaux; les anatomistes 
ont fait usage du second pour séparer les éléments 
anatomiques par des procédés hydrotomiques. 

Le tissu cellulaire ou muqueux avait déjà été con¬ 
sidéré par les anciens anatomistes comme un tissu 
primitif pouvant donner naissance à tous les autres. 
Nous verrons plus loin que l’histologie moderne a 
confirmé ces vues en montrant que le système cel¬ 
lulaire est un véritable vestige de tissu plastique 
embryonnaire, persistant chez l’adulte et étant le 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 165 

siège des principales néoformations organiques. Le 
tissu cellulaire pénètre dans tous les organes du corps 
et forme un véritable milieu lacunaire dans lequel 
vivent, s'organisent et se désorganisent tous les élé¬ 
ments histologiques; il est imprégné de lymphe ou 
de plasma sanguin et est en communication directe 
avec les organes de circulation lymphatique. 

Le tissu fibreux est anatomiquement constitué, 
comme le tissu cellulaire, par des fibrilles, mais 
plus résistantes et plus serrées. Le tissu fibreux 
entre dans la contexture de presque tous les organes 
du corps; c’est lui qui forme la charpente résistante 
de la peau et du canal intestinal, des divers réser¬ 
voirs ou vessies, des conduits excréteurs, des artè¬ 
res et des veines, etc.; il unit les muscles avec les 
os, soutient l’élément musculaire et relie entre elles 
les différentes parties du squelette par le moyen des 
tendons, des aponévroses, du périoste, des capsules 
articulaires, des ligaments, etc. Le tissu fibreux rem¬ 
plit des usages importants, grâce à deux propriétés 
essentielles qu’il possède, la résistance s t Yélasti- 
cilé. Ces deux propriétés n’existent pas au même 
degré dans toutes les variétés de tissu fibreux, et, 
quoiqu’elles aient été reconnues depuis longtemps 
par les anatomistes, elles n’ont encore été, au point 
de vue de la physiologie générale, que l’objet de 
peu de recherches. En France, M. Werthein 196 a 
publié, sur 1 élasticité et la cohésion des tissus des 
diverses parties du corps, des études intéressantes, 
mais encore bien incomplètes. 


{66 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

L’élasticité du tissu fibreux 196 bis , comme celle du 
caoutchouc, est une force lente et constante ; elle 
protège les organes et les éléments organiques en 
s’opposant naturellement à l’action brusque ët ra¬ 
pide de toutes les forces vives, de quelque source, 
extérieure ou intérieure qu’elles proviennent. Dans 
l’organisme vivant, l’élasticité fibreuse est une pro - 
priété passive qui a pour rôle principal de faire équi¬ 
libre à la contractilité musculaire, qui est une pro¬ 
priété active et instantanée. Tantôt le tissu fibreux, 
faisant antagonisme à des groupes de muscles, as¬ 
souplit les divers mouvements du squelette, comme 
cela s’observe pour les ligaments jaunes des verté¬ 
brés et pour le ligament cervical postérieur; tantôt 
le tissu élastique amortit et absorbe en quelque 
sorte le choc de la contraction d’un seul organe 
musculaire. Dans les grosses artères, la tunique 
moyenne, qui est formée en grande partie par du 
tissu fibreux jaune élastique, est destinée a amortir, 
à absorber l’impulsion cardiaque résultant de la 
contraction brusque des ventricules. Cette force vive 
musculaire, au lieu de se transformer, par les résis¬ 
tances contre des parois vasculaires inextensibles, 
en chaleur ou autrement, et de se perdre ainsi pour 
l’impulsion du sang, vient au contraire s’emmaga¬ 
siner en quelque sorte dans l’artère, qui la restitue 
sous forme d’élasticité, en donnant au cours du sang 
de l’uniformité et de la continuité. Le rôle de l’élas¬ 
ticité artérielle, déjà indiqué et bien compris par 
Magendie et M. Poiseuille, a été, dans ces derniers 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 167 

temps, l’objet de recherches nouvelles de la part de 
M. Marey 197 . Dans les petites artères, l’élasticité fait 
encore-antagonisme à la contractilité dont sont plus 
spécialement doués les vaisseaux de cet ordre. Lors¬ 
que les fibres des muscles circulaires de l’artère se 
contractent, elles la rétrécissent et compriment sa 
tunique élastique ; quand elles se relâchent, l’élasti¬ 
cité artérielle restitue au vaisseau son calibre nor¬ 
mal, etc. 

Enfin nous voyons le tissu élastique conserver en¬ 
core le meme caractère fonctionnel ou physiologi¬ 
que quand, au lieu d’être annexé à des appareils ou 
à des organes musculaires complexes, il se trouve 
combiné à l’élément musculaire lui-même. En effet, 
il faut reconnaître dans l’élément musculaire deux 
propriétés distinctes : l’une, active, est la contracti¬ 
lité, qui réside dans la substance musculaire ; l’autre, 
passive, est l’élasticité, qui réside dans la matière qui 
constitue la paroi du tube musculaire (sarcolemme). Il 
faut nécessairement tenir compte de ces deux ordres 
de propriétés pour établir la théorie de la contraction 
musculaire 198 . Quand la substance contractile intra- 
tubulaire vient à se resserrer suivant sa longueur ou 
à se contracter subitement, elle tend à raccourcir le 
tube élastique du muscle et à rapprocher les parties 
auxquelles il est inséré ; mais ces parties offrent 
toujours une certaine résistance d’inertie, qui, ne 
pouvant être immédiatement vaincue, met en jeu 
1 élasticité du tube musculaire. Dès que la résistance 
ost entraînée, la force vive perdue dans la fraction 



168 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

de seconde qui précède la contraction est restituée 
sous forme d’élasticité, qui s’ajoute pour concourir 
au mouvement total de raccourcissement. L'élasti¬ 
cité de l’élément ou du tissu fmreux, pour être une 
propriété passive, n’en est pas moins une propriété 
de tissu appartenant à la matière organisée. Cette 
propriété pourrait donc aussi être appelée vitale ; 
car elle s’altère assez rapidement dès que la vie a 
cessé et que la matière ne se nourrit plus. M. Wer- 
thein avait déjà observé que la cohésion et le coeffi¬ 
cient d’élasticité des muscles diminuent après la 
mort. J’ai vu de mon côté que l’élasticité muscu¬ 
laire se comporte comme toutes les propriétés vi¬ 
tales, c’est-à-dire qu’elle s’amoindrit ou s’engourdit 
sous l’influence du froid, se réveille, augmente et s’é¬ 
puise plus vite sous l’influence de la chaleur. 

Le tissu fibreux, en se combinant avec le tissu 
cartilagineux, élastique, diarthrodial et synovial, 
compose des tissus passifs mixtes, qui remplissent 
des rôles importants pour la formation des articu¬ 
lations destinées à unir entre elles les différentes 
parties du squelette. 

Le tissu cartilagineux proprement dit constitue 
le squelette, définitivement chez les animaux carti¬ 
lagineux, et transitoirement chez ceux dont le sque¬ 
lette arrive à l’état osseux. Les propriétés des tissus 
cartilagineux et osseux sont la résistance et l’élasti¬ 
cité ; ce sont les tissus passifs destinés à former la 
charpente de la machine vivante et à servir d’inser¬ 
tion et de soutien à tous les organes actifs des 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 169 

manifestations vitales. Il est des animaux, tels que 
les arthropodes ou articulés, chez lesquels le sque¬ 
lette est extérieur et renferme les parties molles du 
corps, au lieu que ce soient celles-ci qui entourent 
les os. 

Le squelette extérieur des arthropodes, quoique 
doué de solidité et d’élasticité, n’est pas de même 
nature que le squelette intérieur des vertébrés ; il 
est formé d’une substance analogue au ligneux, la 
chitine. C’est ainsi qu’on peut suivre le passage 
entre le squelette osseux des animaux et le squelette 
ligneux des végétaux. Bien que les systèmes osseux, 
chitineux et ligneux soient formés d’éléments histo¬ 
logiques passifs, ils constituent cependant des tissus 
vivants, en ce sens qu’ils sont le siège de phéno¬ 
mènes de nutrition et de rénovation organique 199 . 
Aussi, diverses conditions physiologiques., normales 
ou morbides, peuvent-elles amener de profondes 
modifications dans les propriétés de ces tissus. 
Toutefois, si tous les tissus passifs doivent être 
ramenés à des éléments histologiques vivants, il 
faut cependant, à raison de la grande quantité de 
substances terreuses qui entrent dans la constitution 
de quelques-uns d’entre eux, les regarder* comme 
participant à la nature minérale. C’est pourquoi 
nous voyons les organes formés par certains de ces 
tissus, tels que les os, le ligneux, etc., résister aux 
causes de destruction et devenir les témoins fossiles 
d’organismes vivants qui souvent ont disparu depuis 
des siècles. 



470 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
Si maintenant, envisageant notre sujet au point 
de vue plus spécial de la physiologie générale, nous 
voulons remonter aux éléments organiques consti¬ 
tutifs des divers tissus que nous avons précédem¬ 
ment cités, nous verrons que tous ces tissus passifs 
de l’économie forment bien réellement une famille. 
Les cellules qu’ils renferment constituent des masses 
microscopiques limitées, mais sans parois propres, 
molles, et renfermant toujours un ou plusieurs 
noyaux. Ces diverses cellules ne manifestent point 
leur activité dans le jeu des propriétés physiques 
des tissus auxquels elles appartiennent, mais elles 
interviennent directement dans leurs phénomènes 
de nutrition. L’école allemande a réuni tous les 
tissus passifs, cellulaires, cartilagineux, fibreux, 
osseux, sous la dénomination de tissu, de substance 
. conjonctive; elle considère tous ces tissus comme 
formés d’une substance fondamentale homogène 
sans fibre et contenant des cellules étoilées com¬ 
muniquant entre elles par des prolongements cana- 
liculés, anastomosés sous la forme d’un immense 
réseau destiné à charrier les éléments de la nutrition 
des tissus et les produits de leurs désagrégation. 
Cette conception n’est pas justifiée par les recher¬ 
ches récentes d’histologie, et c’est aux travaux d’un 
histologiste français, M. Ranvier, que la science sera 
redevable de ces importants progrès. M. Ranvier a 
montré que pour le tissu cellulaire il faut s’atta¬ 
cher à l’idée fondamentale de Bichat et que ce tissu 
n’est en réalité qu’une vaste cavité séreuse cloisonnée 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 171 

à l’infini par des faisceaux de tissu conjonctif qui sont 
recouverts par des cellules plates semblables à celles 
qui revêtent la surface des membranes séreuses 199 bis . 

Cette cellule de tissu cellulaire est en état de 
régénération ou de prolifération incessante; elle 
offre ainsi de l’analogie et même de nombreuses res¬ 
semblances avec une cellule embryonnaire; comme 
elle, elle ne possède pas de paroi réelle. 

Les éléments histologiques du tissu fibreux ne 
diffèrent pas essentiellement de ceux du tissu cel¬ 
lulaire ; ce sont des cellules et des fibres. Les fibres 
sont groupées en faisceaux parallèles de même direc¬ 
tion, et entre ces faisceaux sont des espaces canali- 
culaires dont les parois sont tapissées par des cellules 
plates enroulées sur elles-mêmes. 

Dans le tissu cartilagineux, nous n’avons plus 
qu’une cellule qui forme ou sécrète autour d’elle une 
coque transparente qui bientôt se soude avec la 
substance fondamentale du cartilage. Dans le tissu 
osseux, il en est de même. Les cellules osseuses sont 
aussi dans des cavités; mais au lieu d’être isolées, 
elles communiquent entre elles par des prolonge¬ 
ments canaliculés. En dehors de cette paroi et dans 
les espaces intercellulaires est sécrétée la substance 
fondamentale calcifiée qui constitue la substance 
osseuse proprement dite. Les cellules cartilagineuses 
et osseuses sont en voie de reproduction constante. 
C’est au-dessous du périoste et dans le canal médul¬ 
laire qu’on observe spécialement le travail de régé¬ 
nération osseuse. Le tissu osseux n’est point, comme 



172 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

on le croyait autrefois, du tissu cartilagineux qui 
s’incrusterait peu à peu de sels calcaires. Une mo¬ 
lécule du tissu osseux est, dès son apparition, aussi 
riclie en sels calcaires que plus tard 200 . La pro¬ 
duction du tissu cartilagineux ne saurait donc être 
regardée comme une phase de la formation du tissu 
osseux ; ce sont deux évolutions indépendantes et 
distinctes 201 . 

En résumé, les tissus passifs de l’organisme peu¬ 
vent être regardés comme de véritables produits 
extra-cellulaires ou interstitiels, servant en quelque 
sorte de ciment ou de mortier pour relier les élé¬ 
ments de tissus. Tantôt ces produits sécrétés sont 
constitués par une substance fibrillaire souple, 
résistante ou élastique, ainsi que cela s’observe 
dans les tissus cellulaires, fibreux, élastiques et 
cartilagineux; tantôt les parois de cellules secon¬ 
daires, animales ou végétales, qui constituent le 
tissu passif, s’incrustent de sels terreux, comme on 
le voit pour les tissus osseux, ligneux, chitineux. 

Dans la plupart des animaux, tous les tissus pas¬ 
sifs sont constitués par une substance fondamentale, 
qui, sous l’influence de l’ébullition ou de T action 
des acides, se réduit en gélatine. J’ai montré que 
l’action digestive du suc gastrique attaque spéciale¬ 
ment cette substance colloïde, tandis que le suc 
pancréatique agit plus particulièrement sur le pa¬ 
renchyme organique, c’est-à-dire sur l’élément his¬ 
tologique lui-même. Il résulte de là qu’on peut 
utiliser l’action de ces liquides digestifs pour des 


173 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
recherches d’histologie. Dans les végétaux et dans 
certains animaux, tels que les insectes et les crus¬ 
tacés, la susbtance fondamentale des tissus passifs, 
tels que Ja chitine ou le ligneux, se transforme en 
sucre (glÿcose) par l’action de l’ébullition ou par 
celle des acides 202 . Quant aux sels terreux qui 
incrustent les tissus passifs, ils sont de natures diffé¬ 
rentes, suivant les tissus, et ils pourraient même, 
dans certaines circonstances, êtres substitués les 
uns aux autres. On a rapporté des cas dans lesquels 
on a pu substituer la magnésie ou la silice à la 
chaux, dans la coque de l’œuf d’oiseau ou dans les 
coquilles des mollusques; ces produits rentrent aussi 
dans la classe des tissus passifs organiques. 

Bien que la sécrétion dés tissus passifs puisse se 
distinguer par beaucoup de caractères de la forma¬ 
tion des tissus actifs, on voit, quand on examine 
l’essence du phénomène, que l’évolution organique 
n’en diffère réellement pas. On pourrait, à ce propos, 
regarder tous les tissus et tous les liquides de l’éco¬ 
nomie comme les produits de sécrétion de cellules 
vitales en voie de régénération constante; seule¬ 
ment ces produits de sécrétion histologique auraient 
des destinations variées. Tantôt le produit de sécré¬ 
tion, demi-fluide, reste intra-cellulaire, comme cela 
a lieu pour les matières nerveuses et musculaires. 
Ces substances accomplissent leur rôle actif et vital 
dans la cellule même qui les a formées, qu’elle soit 
restée sous forme de cellule ou qu’elle se soit trans¬ 
formée en fibre. Tantôt le produit de sécrétion se 



174 I)E LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

liquéfie, devient extra-cellulaire et va remplir ces 
usages physico-chimiques sous forme de liquide 
expulsé, soit au dehors, ainsi que cela se voit dans les 
sécrétions externes , soit au dedans, comme cela 
arrive dans les sécrétions internes. Tantôt, enfin, le 
produit de sécrétion est une formation solide in¬ 
tercellulaire et qui remplit, eodem loco , les usages 
physico-mécaniques passifs qui lui sont dévolus; tel 
est le cas de tous les tissus passifs que nous avons 
précédemment énumérés. 

Parmi les points les plus intéressants de l’histoire 
évolutive des tissus passifs, nous devons citer la 
propriété commune qu’ils possèdent de pouvoir être 
greffés et la facilité avec laquelle ils se régénèrent et 
se transforment en quelque sorte les uns dans les 
autres. La greffe animale, malgré les analogies qu’on 
a voulu lui trouver avec la greffe végétale, en diffère 
cependant par plusieurs côtés essentiels. Dans la 
greffe animale, on se borne en général à greffer un 
tissu ou un élément de tissu; tandis que, dans la 
greffe végétale, on greffe toujours un élément spé¬ 
cifique de l’individu, œuf ou bourgeon. Il résulte de 
là que, dans la greffe animale, on ne peut espérer 
avoir que la continuation de la vie d’un tissu déter¬ 
miné; tandis que, dans la greffe végétale, on ob¬ 
tient réellement le développement d’un individu 
nouveau sur un autre. Tous les tissus ne paraissent 
pas susceptibles de se développer et de vivre après 
leur transplantation d’un animal sur l’autre. Je 
rappellerai à ce sujet une expérience faite par 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 175 

il Bert 203 , qui consiste à greffer, sons la peau, des 
parties de structure complexe, renfermant muscles, 
nerfs, tendons, etc* Après avoir retranché la queue 
à un jeune rat, M. Bert la dépouille de sa peau et la 
place dans le tissu cellulaire sous-cutané du même 
animal. La queue ainsi greffée contracte des con¬ 
nexions vasculaires et continue à se développer dans 
certains de ses tissus, tandis que, dans d’antres, 
elle dégénère et meurt, en subissant, comme on le 
dit, des métamorphoses régressives. Or l’observation 
apprend que les tissus qui meurent sont les tissus 
actifs, nerfs et muscles, tandis que les tissus qui se 
greffent et se développent sont les tissus passifs, os, . 
cartilages, tendons, etc. Ces résultats d’expériences 
concordent d’ailleurs avec ceux obtenus par d’autres 
expérimentateurs. M. Ollier a montré, par des expé¬ 
riences qui ont eu beaucoup de retentissement, que 
le périoste, transplanté dans le tissu cellulaire sous- 
cutané, peut s’y greffer et y continuer son évolution 
osseuse 203 bis . Mais dans tous ces cas de greffe animale 
bien positifs, les choses ne se passent pas comme 
dans la greffe végétale. Le développement de la 
partie animale greffée n’est pas indéfini, parce que 
sans doute elle n’a pas conservé ses rapports avec 
son centre morphologique et qu’elle a perdu sa con¬ 
nexité évolutive avec les autres éléments de l’organe 
auquel elle appartenait. En un mot, le lambeau du 
périoste d’un fémur, greffé sous la peau, n’y donne 
pas naissance à un fémur, comme on voit un bour¬ 
geon végétal donner naissance à un arbre. L’élément 



176 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

osseux du périoste ou l’élément de tout autre tissu 
passif continue son développement élémentaire- 
mais bientôt il meurt ou plutôt il perd la spécialité 
histologique qu’il avait ailleurs, et subit une méta- 
morphose organique en vertu de laquelle il se 
transforme en tissu de la région dans laquelle il a 
été greffé. 

Mais il importe de remarquer que cette propriété 
de changer en quelque sorte de direction évolutive 
est un privilège des tissus passifs, et ne se rencontre 
pas dans les tissus actifs. En effet, nous avons vu que 
les tissus actifs nerveux et musculaires, qui sont les 
tissus les plus élevés dans l’échelle histologique, ne 
semblent s’être perfectionnés qu’aux dépens de leur 
vitalité, puisqu’ils ne peuvent plus se greffer, et 
qu’une fois déplacés, ils meurent par une véritable 
décomposition organique 204 . Sous ce rapport, les 
tissus passifs représentent des tissus inférieurs, 
doués d’une vitalité plus énergique et capables de se 
régénérer diversement, parce qu’ils ne sont point 
encore montés au sommet de l’organisation. Il sem¬ 
ble, en effet, qu’il y ait dans l’évolution histologi¬ 
que une sorte de perfectionnement ascensionnel, 
que les éléments organiques ont la puissance de 
monter, mais qu’ils n’ont plus le pouvoir de redes¬ 
cendre. 

D’après tout ce que nous avons dit jusqu’à pré¬ 
sent, il y aurait donc lieu de conclure que les choses 
se passent comme si tous les éléments passifs déri¬ 
vaient d’un même élément, la cellule embryoplas- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 177 

matique, dont les produits se modifieraient suivant 
le siège de leur développement. En effet, les tissus 
fibreux, cartilagineux, osseux, se forment du tissu 
cellulaire et peuvent retourner à cet état, selon l’en¬ 
droit où ils se trouvent transplantés. Cette influence 
du lieu sur la spécificité du développement histolo¬ 
gique est difficile à expliquer, mais elle ne saurait 
être révoquée en doute, soit qu’on l’examine dans 
les expériences de greffe animale, soit qu’on la cons¬ 
tate dans les diverses phases évolutives de l’histoge¬ 
nèse embryonnaire 205 . 

Quand on considère l’évolution complète d’un être 
vivant, on voit clairement que son organisation est la 
conséquence d’une loi organogénique qui préexiste 
d’après une idée préconçue et qui se transmet par 
atavisme ou tradition organique d’un être à l’autre. 
On pourrait trouver, dans l’étude expérimentale des 
phénomènes d’histogenèse et d'organisation, la justi¬ 
fication des paroles de Goethe, qui compare la nature 
à un grand artiste. C’est qu’en effet la nature et l’ar¬ 
tiste semblent procéder de même dans la manifes¬ 
tation de l’idée créatrice de leur oeuvre. Nous voyons 
dans 1’évolution apparaître une simple ébauche 
de l’être, avant toute organisation. Les contours 
du corps et des organes sont d’abord simple¬ 
ment arrêtés, en commençant par les échafau¬ 
dages organiques provisoires qui serviront d’appa¬ 
reils fonctionnels temporaires au foetus. Aucun tissu 
n’est alors distinct; toute la masse n’est cons¬ 
tituée que par des cellules plasmatiques ou em- 



178 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

bryonnaires. Mais dans ce canevas vital est tracé le 
dessin idéal d’une organisation encore invisible pour 
nous, qui a assigné d’avance à chaque partie et à 
chaque élément sa place, sa structure et ses proprié¬ 
tés. Là où doivent être des vaisseaux sanguins, des 
nerfs, des muscles et des os, etc., les cellules em¬ 
bryonnaires . se changent en globules du sang, en 
tissus artériels, veineux, musculaires, nerveux et 
osseux. L’organisation ne se réalise point d’emblée; 
d’abord vague et seulement indiquée, elle ne se per¬ 
fectionne que par différenciation élémentaire, c’est-à- 
dire par un fini dans le détail de plus en plus achevé. 
Mais cette puissance organisatrice n’existe pas. seule¬ 
ment au début de la vie dans l’œuf, l’embryon ou le 
fœtus : elle poursuit son œuvre chez l’adulte, en pré¬ 
sidant aux manifestations des phénomènes vitaux. 
Car c’est elle qui entretient par la nutrition et re¬ 
nouvelle d’une manière incessante les propriétés 
des éléments actifs et passifs de la machine vivante. 
L’organisation n’est donc rien autre chose que cette 
puissance génératrice continuée et s’affaiblissant 
de plus en plus. C’est pourquoi nous comprendrons 
sous la dénomination de phénomènes organotro- 
phiques tous les phénomènes d’organisation, de 
nutrition ou de création organique chez l’emhryon, 
le fœtus et l’adulte, parce qu’ils sont toujours soumis 
à une seule et même loi. 

L’élément plasmatique paraît ainsi destiné à opé¬ 
rer constamment le rajeunissement et la réorgani¬ 
sation des tissus et des organes d’après des lois orga- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 179 

notrophiques dont la physiologie a le sentiment cer¬ 
tain, mais qu’elle n’a point encore déterminées 20&. 

La vie ne s’éteint et la mort naturelle n’arrive que 
parce que la production de l’élément plasmatique 
s’arrête, et parce qu’alors les tissus passifs s’imprè¬ 
gnent et s’incrustent de matières minérales ou au¬ 
tres qui gênent leurs fonctions et amoindrissent de 
plus en plus la nutrition ou la formation génésique 
des éléments histologiques actifs. 

La puissance régénératrice des éléments plasma¬ 
tiques est sans doute limitée, mais son activité peut 
diminuer ou augmenter sous l’influence de certaines 
conditions nutritives du milieu intérieur. Rien ne 
prouve d’ailleurs qu’on ne puisse pas étendre dans 
une certaine mesure les limites de ce pouvoir orga- 
notrophique et lui communiquer même une nou¬ 
velle impulsion. Si, comme le dit Bacon, un des of¬ 
fices de la médecine est de prolonger la vie hu¬ 
maine, elle ne pourra y parvenir scientifiquement 
qu’en se fondant sur la physiologie, et la physiologie 
elle-même ne pourra lui fournir les moyens d’at¬ 
teindre ce but que lorsqu’elle possédera la connais¬ 
sance expérimentale des lois organotrophiques du 
corps vivant et qu’elle aura déterminé les conditions 
physico-chimiques de leur manifestation 206 bis . 

Les lois morphologiques président donc non-seu¬ 
lement à la construction du type extérieur de l’être 
vivant, mais elles régissent encore toutes les parti¬ 
cularités de son organisation intérieure. Ces lois 
n’ont été jusqu’ici envisagées par le naturaliste et 



180 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

par l’anatomiste qu’au point de vue contemplatif de 
révolution et de la classification des êtres vivants 
dans un ordre qui exprimerait lui-même les divers 
degrés d’une échelle organique. Mais, je ne cesserai 
de le répéter, le physiologiste est à un point de vue 
essentiellement différent : il ne contemple pas seule¬ 
ment les phénomènes de la nature vivante, il veut 
agir sur eux ; il ne cherche pas seulement l’expres¬ 
sion de la loi organogénique évolutive, il veut déter¬ 
miner les conditions physico-chimiques de sa mani¬ 
festation. 

Les physiologistes n’ont pas même encore entre¬ 
pris d’une manière sérieuse la recherche expérimen¬ 
tale et scientifique des phénomènes et des conditions 
organotrophiques. Ils ont négligé cette investigation, 
sans doute parce qu’elle est entourée de difficul¬ 
tés considérables, et probablement aussi parce qu’ils 
n’en ont pas compris toute l’importance. C’est pour¬ 
tant dans cette étude, selon moi, que doivent rési¬ 
der les caractères spéciaux de la physiologie, consi¬ 
dérée comme science propre et autonome. On aura 
beau analyser les phénomènes vitaux et en scruter 
les manifestations mécaniques et physico-chimiques 
avec le plus grand soin ; on aura beau leur appliquer 
les procédés chimiques les plus délicats, apporter 
dans leur observation l’exactitude la plus grande et 
l’emploi des méthodes graphiques et mathématiques 
les plus précises, on n’aboutira finalement qu’à faire 
rentrer les phénomènes des Organismes vivants dans 
les lois de la physique et de la chimie générales, ce 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 181 

qui est juste; mais on ne trouvera jamais ainsi les 
lois propres de la physiologie. Les lois spéciales à la 
physiologie sont les lois mêmes de l’organisation, et 
elles embrassent la connaissance exacte des condi¬ 
tions sous l’influence desquelles l’évolution vitale 
s’accomplit et la matière organisée se crée et se 
nourrit. 

J’insisterai sur la nécessité de diriger l’investigation 
physiologique expérimentale sur les phénomènes orga- 
notrophiques des êtres vivants, parce qu’on a peut-être 
aujourd’hui de la tendance à exagérer l’importance 
de l’étude des phénomènes vitaux d’ordre mécanique 
e.t physico-chimiques 207 . Personne ne m’accusera 
certainement de blâmer la direction physico-chimique 
des études physiologiques; mais je crois utile de dire 
que tout n’est pas là, d’autant plus qu’on peut se 
faire facilement illusion à ce sujet. En effet, s’il est 
très-important, comme nous l’avons montré ailleurs, 
de suivre en physiologie la même méthode expéri¬ 
mentale que dans les sciences physiques ou chimi¬ 
ques; cependant le résultat de l’investigation ne 
saurait être le même dans les deux cas. Il est indis¬ 
pensable pour les corps bruts de scruter aussi loin 
que. possible leurs propriétés élémentaires et d’en 
déterminer les expressions quantitatives, parce 
que, quand nous voudrons les incorporer dans des 
combinaisons ou des constructions de machines 
inertes, nous pourrons en calculer d’avance le rôle 
et les effets. Mais pour les corps organisés, nous ne 



182 DE LA. PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

devons avoir d’autre but que d’expliquer leurs fonc¬ 
tions par la détermination qualitative de leurs pro¬ 
priétés, car nous ne pouvons pas créer la matière 
organisée et fabriquer directement des organismes 
vivants comme nous fabriquons des machines inertes. 
Il ne nous est donné de modifier l’organisation des 
êtres vivants qu’indirectement et par l’intermédiaire 
de la force organotrophique qui lui est propre. C’est 
donc sur elle que nous devons diriger nos recherches 
pour apprendre à connaître ses lois et à déterminer 
ses conditions d’activité, ce qui veut dire, en d’au¬ 
tres termes, que le problème de la physiologie ne 
consiste pas à rechercher dans les êtres vivants les 
lois physico-chimiques qui leur sont communes avec 
les corps bruts, mais à s’efforcer de trouver, au con- 
f traire, les lois organotrophiques ou vitales qui les 
caractérisent 208 . 

En résumé, ce qui importe au physiologiste, c’est 
de pouvoir expérimentalement diriger les phéno¬ 
mènes évolutifs de façon à modifier la nutrition de 
la matière organisée, afin d’arriver par là à changer 
plus ou moins la durée, l’intensité ou même la nature 
de ses propriétés vitales. 

Nous avons déjà vu ailleurs que, dans l’état actuel 
de nos connaissances , l’action modificatrice de 
l’homme sur l’organisation des êtres vivants est 
très-bornée et n’est encore que l’œuvre d’un grossier 
empirisme. Mais ici comme partout, c’est l’obser¬ 
vation empirique qui doit nous tracer la route 
scientifique. Nous pouvons conclure que la science 



183 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
parviendra certainement plus tard à éclairer les 
obscurités qui couvrent maintenant ces questions ; 
pour aujourd’hui je ne puis que me borner à indi¬ 
quer la direction dans laquelle il me semble que 
la physiologie doit porter ses efforts pour atteindre 
son but. Quand on marche dans une voie encore 
ténébreuse; c’est déjà quelque chose que de savoir 
de quel côté diriger ses pas. 



CONCLUSION 


MARCHE DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE, SON BUT, SES MOYENS 
DE DÉVELOPPEMENT EN FRANCE 

L’empirisme peut servir à accumuler les faits, 
mais il ne saurait jamais édifier la science. L’expéri¬ 
mentateur qui ne sait point ce qu’il cherche ne com¬ 
prend pas ce qu’il trouve 209 . La physiologie générale 
ne se constituera définitivement que lorsque sa di¬ 
rection sera déterminée d’une manière rationnelle 
par une conception claire du problème qu’elle se pro¬ 
pose de résoudre. C’est pourquoi, après avoir examiné 
l’évolution des faits et résumé les découvertes et les 
travaux de la physiologie française pendant ce der¬ 
nier quart de siècle, il importe d’indiquer aussi la 
marche de la science en signalant la tendance des 
idées et des théories dans l’investigation physiologi¬ 
que expérimentale. 

La place de la physiologie générale parmi les scien¬ 
ces biologiques, son point de vue, son problème et 
son but, telles sont les questions dont il faut deman¬ 
der la réponse aux progrès de la physiologie mo¬ 
derne. La science actuelle doit nous donner des clar- 


186 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

tés qui conduiront les investigateurs futurs dans la 
meilleure voie, en perfectionnant et en augmentant 
les moyens de culture et de développement scienti¬ 
fiques. Faire comprendre les nécessités de l’avenir 
par les difficultés du passé me semble être le rôle 
d'une revue rétrospective, surtout quand il s’agit 
d'une science nouvelle; dans aucune branche des 
connaissances humaines, l’histoire ne doit être un 
objet de curiosité stérile ; elle est partout un point 
d’appui pour marcher en avant et réaliser de nou¬ 
veaux progrès. 

Comme tous les êtres, les sciences ont leur évolu¬ 
tion naturelle. D’abord réunies et indistinctes dans 
un même faisceau, elles s’éloignent peu à peu et leurs 
problèmes se distinguent à mesure que nos connais¬ 
sances s’accroissent et se différencient. Aujourd’hui 
que la physiologie s’isole du tronc des sciences biolo¬ 
giques pour devenir indépendante, il faut, en la défi¬ 
nissant, la séparer nettement des diverses sciences 
avec lesquelles elle a pu jusqu’alors être plus ou 
moins confondue. 

Nous établirons tout d’abord que la physiologie 
n’est point une science naturelle, mais bien une 
science expérimentale 210 . Les sciences naturelles 
et les sciences expérimentales étudient les mêmes 
objets (corps bruts ou corps vivants) ; mais ces scien¬ 
ces se distinguent néanmoins radicalement, parce 
que leur point de vue et leur problème sont essen¬ 
tiellement différents. Toutes les sciences naturelles 
sont des sciences d’observation, c’est-à-dire des 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE # 187 
sciences contemplatives de la nature, qui ne peu¬ 
vent aboutir qu’à la prévision. Toutes les sciences 
expérimentales sont des sciences explicatives, qui 
vont plus loin que les sciences d’observation qui leur 
servent de base, et arrivent à être des sciences d’ac¬ 
tion, c’est-à-dire des sciences conquérantes de la 
nature. Cette distinction fondamentale ressort de la 
définition même de Y observation et de Y expérimen¬ 
tation. L’observateur considère les phénomènes dans 
les conditions où la nature les lui offre ; l’expérimen¬ 
tateur les fait apparaître dans des conditions dont il 
est le maître. 

La physique et la chimie ont conquis la nature 
minérale, et chaque jour nous voyons cette brillante 
conquête s’étendre davantage. La physiologie doit 
conquérir la nature vivante; c’est là son rôle, ce sera 
là sa puissance. 

Le point de vue de la physiologie générale est im¬ 
portant à bien établir, si nous voulons tracer claire¬ 
ment sa marche scientifique et caractériser le but 
spécial qu’elle poursuit. Mais il nous faudrait encore, 
pour clore l’ère des controverses stériles, mettre 
notre opinion d’accord à la fois avec l’observation 
des faits et avec ce qu’il y a pu avoir de fondé dans 
les théories exclusives des animistes ou des vitalistes, 
des physico-chimistes ou des mécaniciens. 

Les corps vivants sont des composés instables qui 
se désorganisent sans cesse sous les influences cos¬ 
miques qui les entourent ; ils ne vivent qu’à cette 
condition, et la mort arrive par l’usure et la destruc- 



188 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

tion de la substance organisée. Pour que la vie con¬ 
tinue, il faut donc que la matière vivante qui forme 
les éléments histologiques se renouvelle constam¬ 
ment à mesure qu’elle se décompose. De sorte que 
l’on peut regarder la cause de la vie comme résidant 
véritablement dans la puissance d’organisation qui 
crée la machine vivante et répare ses pertes inces¬ 
santes. 

Les anciens physiologistes, animistes et vitalistes, 
avaient bien aperçu cette double face que présen¬ 
tent les phénomènes des êtres vivants 211 ; c’est pour¬ 
quoi ils admettaient que le principe intérieur de la 
vie (âme ou force vitale), qui était le principe créa¬ 
teur ou régénérateur, se trouvait toujours en lutte 
avec les forces physico-chimiques extérieures, qui 
constituaient les agents destructeurs de l’organisme. 
Biehat a résumé ces idées d’antagonisme vital dans 
sa définition de la vie : « La vie est l’ensemble des 
fonctions qui résistent à la mort. » 

Mais si les influences physico-chimiques extérieu¬ 
res sont les causes de mort ou de désorganisation 
de la matière vivante, cela ne veut pas dire, comme 
l’ont craies vitalistes, qu’il y ait incompatibilité en¬ 
tre les phénomènes de la vie et les phénomènes phy¬ 
sico-chimiques ; il y a au contraire harmonie parfaite 
et nécessaire, car les causes qui détruisent la matière 
organisée sont celles qui la font vivre, c’est-à-dire 
manifester ses propriétés. Cela ne prouve pas davan¬ 
tage qu’il y ait combat ou lutte entre deux principes 
opposés, l’un de vie, qui résiste, l’autre de mort, qui 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 189 

attaque et finit toujours par être victorieux. En un 
mot, il n’y a pas dans les corps vivants deux ordres 
de forces séparées et opposées par la nature de leurs 
phénomènes : les unes qui créent la matière organi¬ 
sée avec ses propriétés caractéristiques, les autres 
qui la détruisent en la faisant servir aux manifesta¬ 
tions vitales. Il n’v a que des éléments histologiques 
qui fonctionnent évolutivement et tous suivant une 
même loi. En effet/les éléments ovariques et plasma¬ 
tiques, qui créent les mécanismes vitaux, vivent 
comme les éléments musculaires et nerveux, qui les 
mettent enjeu. Les uns et les autres s’usent ou meu¬ 
rent en accomplissant leurs fonctions, qui donnent 
elles-mêmes les conditions d’une rénovation organi¬ 
que incessante. 

De même, dans la physiologie d’une machine 
brute, les ouvriers se fatiguent et dépensent sembla¬ 
blement leurs forces, soit qu’ils travaillent à cons¬ 
truire et à réparer les rouages de cette machine, 
soit qu’ils travaillent à les faire fonctionner et à les 
user. 

La matière vivante des éléments organiques n’a par 
elle-même aucune spontanéité; elle ne réagit, comme 
la matière brute, que sous l’influence d’agents 
ou d’excitants qui lui sont extérieurs. Les excitants 
généraux, air, chaleur, lumière, électricité, etc., 
qui provoquent les manifestations des phénomè¬ 
nes physico-chimiques de la matière brute, éveillent 
aussi d’une manière parallèle l'activité des phénomè¬ 
nes propres à la matière vivante. D’ou il résulte que 



190 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

la physiologie doit, pour connaître la matière organi¬ 
sée, étudier les conditions physico-chimiques de son 

activité. J’ai beaucoup insisté sur ce point pour prou¬ 
ver que le physiologiste ne peut jamais agir sur les 
phénomènes vitaux: que par l’intermédiaire de condi¬ 
tions physico-chimiques déterminées. 

Nous savons d’après des considérations qui ont été 
développées précédemment que l’organisme vivant 
se construit et se développe suivant des lois organi¬ 
ques et organotrophiques qui lui sont propres ; 
mais la question importante qu’il faut décider actuel¬ 
lement est celle de savoir si, une fois la machine vi¬ 
vante constituée, ses manifestations vitales, qui déri¬ 
vent des propriétés de la matière organisée, ont des 
lois spéciales, ou si elles rentrent dans les mêmes 
lois que les manifestations des propriétés de la ma¬ 
tière brute. 

L’erreur des vitalismes a été de croire que les phé¬ 
nomènes des êtres vivants n’étaient point sembla¬ 
bles et même étaient opposés, par leur nature et par 
les lois qui les régissent, à ceux qui se passent dans 
les corps bruts. Les physiologistes physico-chimistes 
ou mécaniciens ont soutenu, au contraire, et ils ont, 
sous ce rapport, parfaitement raison, que les mani¬ 
festations des organismes vivants n’ont rien de spé¬ 
cial dans leur nature, et qu’elles rentrent toutes dans 
les lois de la physico-chimie générale 212 . 

Lavoisier avait déjà établi par des faits très-positifs 
que des phénomènes chimiques semblables se pas¬ 
sent dans les corps vivants et dans les corps miné- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 191 

raux ; mais depuis on a considérablement multiplié 
ces exemples, et chaque jour on en découvre de nou¬ 
veaux. On a prouvé aujourd’hui que des formations 
chimico-organiques (celles de principes immédiats) 
qu’on aurait pu croire propres aux êtres doués de la 
vie sont susceptibles d’être reproduites au dehors 
d’eux dans les corps bruts ou inanimés. Il paraît 
même évident que les progrès de la chimie organi¬ 
que devront amener à imiter artificiellement tous les 
produits des organismes vivants. D’où il faut con¬ 
clure qu’il n’y a qu’une mécanique, qu’une physi¬ 
que, qu’une chimie, qui comprennent dans leurs lois 
tous les phénomènes qui s’accomplissent autour de 
nous, soit dans les machines vivantes, soit dans les 
machines brutes. Sous le rapport physico-mécani¬ 
que, la vie n’est qu’une modalité des phénomènes 
généraux de la nature; elle n’engendre rien, elle em¬ 
prunte ses forces au monde extérieur et ne fait qu’en 
varier les manifestations de mille et mille manières. 
Ainsi serait justifiée cette idée ancienne que l’orga¬ 
nisme est un microcosme (petit monde) qui reflète 
en lui le macrocosme (le grand monde, l’univers). 

Mais il faut distinguer ici un point important. Car 
si les forces que l’être vivant met en jeu dans ses 
manifestations vitales ne lui appartiennent pas, et 
rentrent toutes dans les lois de la physico-chimie gé¬ 
nérale, les instruments et les procédés à l’aide des¬ 
quels il les fait apparaître lui sont certainement 
spéciaux 212 bis . En effet, l’organisme manifeste ses 
phénomènes physico'-chimiques ou mécaniques à 



192 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

l’aide des éléments histologiques cellulaires, épithé¬ 
liaux, musculaires, nerveux, etc. 11 emploie donc 
des procédés, c’est-à-dire des outils organiques, qui 
n’appartiennent qu’à lui. C’est pourquoi le chimiste 
qui peut refaire, dans son laboratoire, les produits de 
la nature vivante, ne saurait jamais imiter ses pro¬ 
cédés, parce qu’il ne peut pas créer les instruments 
organiques élémentaires qui les exécutent. Cela re¬ 
vient à dire que tous les appareils des êtres organisés 
ont une morphologie qui leur est propre. 

Je conclurai ainsi : bien que les phénomènes or¬ 
ganiques manifestés par les éléments histologiques 
soient tous soumis aux lois de la physico-chimie gé¬ 
nérale, ils s’accomplissent cependant toujours à l’aide 
de procédés vitaux qui sont spéciaux à la matière 
organisée, et diffèrent constamment sous ce rapport 
des procédés minéraux qui produisent les mêmes 
phénomènes dans les corps bruts. Je considère cette 
dernière proposition physiologique comme fonda¬ 
mentale 213 . L’erreur des physico-chimistes a été de 
ne pas faire cette distinction, et de croire qu’il fallait 
ramener les phénomènes des êtres vivants, non-seu¬ 
lement aux mêmes lois, mais encore aux mêmes 
procédés et aux mêmes formes que ceux qui appar¬ 
tiennent aux corps bruts. 

Il est clair maintenant que l’objet principal du 
physiologiste devra être d’étudier les procédés orga¬ 
niques qui sont inhérents à la matière vivante 214 • 
Or c’est la connaissance de la structure et des pro¬ 
priétés spéciales des appareils vitaux qui lui permet- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 193 

tra d’en comprendre les mécanismes, puisque nous 
savons qu’au fond tout se réduit à des propriétés 
physiologiques d’éléments histologiques. 

La physiologie générale est ainsi réduite à être la 
science des éléments histologiques ou des radicaux 
de la vie 214 bls ; ce qui veut dire, en d’autres termes, 
qu’elle constitue une science expérimentale qui étu¬ 
die les propriétés de la matière organisée et explique 
les procédés ou les mécanismes des phénomènes vi¬ 
taux, comme la physique et la chimie sont les scien¬ 
ces expérimentales qui étudient les propriétés de la 
matière brute et expliquent les procédés ou les méca¬ 
nismes des phénomènes minéraux 215 . 

D’après ce qui précède, le point de vue particu¬ 
lier de la physiologie sera maintenant facile à déga¬ 
ger. La science physiologique ne doit en effet cher¬ 
cher ses bases spéciales ni dans l’hypothèse des 
vitalistes 216 , ni dans les vues exclusives des physico¬ 
mécaniciens 217 , mais seulement dans la structure 
organique des êtres vivants. Ainsi que nous l’avons 
dit plus haut, c’est la connaissance seule des pro¬ 
priétés de la matière organisée, de la texture des 
organes et des appareils qui peut nous faire com¬ 
prendre les mécanismes spéciaux aux fonctions des 
êtres vivants; comme la connaissance seule des pro¬ 
priétés de la matière inorganique nous rend compte 
des phénomènes propres aux corps bruts. 

Mais l’anatomisme ou l’organicisme, pris dans ce 
sens restreint, serait tout à fait insuffisant à nous 
donner l’idée des phénomènes d "organisation qui 

13 



m DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

sont propres aux êtres vivants. Nous ne devons pas 
oublier en effet que la des truc tibilité des propriétés 
de la matière organisée, nécessitant son renouvelle¬ 
ment incessant, il en résulte qu’il doit exister dans 
l’être organisé un mouvement organogénique ou or- 
ganotrophique constant qui exprime lui-même la loi 
physiologique par excellence 2lS , c’est-à-dire la filiation 
et la succession évolutive des phénomènes vitaux. 

En un mot c’est par les phénomènes de rénovation 
organique que les êtres vivants se distinguent essen¬ 
tiellement des corps bruts. C’est pourquoi on a admis 
que ces phénomènes s’accomplissent sous l’influence 
d’une force spéciale aux êtres vivants, qu’on a appe¬ 
lée force vitale. Nous devons à ce sujet donner 
quelques mots d’explication. 

Sans doute on pourrait reconnaître dans les êtres 
vivants une faculté organogénique qu’on pourrait 
appeler la vie , en même temps qu’on observe en 
eux une dissolution ou une destruction qu’on pour¬ 
rait appeler la mort 219 . Si nous donnions le nom 
de force vitale à la puissance d’organisation et de 
nutrition des corps vivants, ce serait seulement pour 
indiquer, par cette expression, qu’il existe chez eux 
des phénomènes d’organisation qui ne se rencontrent 
pas dans les corps bruts; mais il ne faudrait pas, 
comme les vitalistes, croire qu’il s’agisse là d’une 
force dont l’essence merveilleuse et extraordinaire 
doive nous empêcher à jamais de saisir la nature des 
phénomènes de la vie. Car il n’y a en réalité pas plus 
de force vitale dans les êtres vivants qu’il n’y a de 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 195 

force minérale dans les corps bruts. Le mot force 
dans les sciences expérimentales n’est qu’une abs¬ 
traction ou une forma de langage. On ne saisit pas 
les forces, on n’agit pas sur elles; il n’y a que des 
phénomènes que l’on puisse observer et que des 
conditions de phénomènes que l’on puisse atteindre. 

IL faut donc être bien fixé d’avance sur la valeur 
purement idéale qu’il convient de donner aux mots 
force vitale, et rester convaincu qu’on doit seule¬ 
ment s’appliquer à étudier les phénomènes vitaux et 
à déterminer leurs conditions physico-chimiques 
d’existence et de développement. Mais encore con¬ 
viendrait-il de substituer aux mots force vitale, qui 
ont un sens vague, les mots phénomènes organo- 
trophiques ou nutritifs, qui ont un sens plus précis 
et désignent spécialement les phénomènes d’organi¬ 
sation, d’où dérivent toutes les manifestations vita¬ 
les. Je veux dire, en définitive, qu’il ne faut jamais, 
en physiologie pas plus que dans les sciences de* 
corps bruts, se payer avec des mots et chercher 
l’explication des choses dans les attributs hypo¬ 
thétiques de propriétés imaginaires ou d’une force 
occulte quelconque. 

Les phénomènes d’organogenèse ou de création 
organique appartiennent en propre, il esfc vrai, aux 
êtres vivants ; mais pour cela ils n’en sont ni plus ni 
moins mystérieux, et nous savons que ces phénomè¬ 
nes sont eux-mêmes saisissables comme tous les au¬ 
tres. Ils résident dans des éléments histologiques ca¬ 
ractérisés; ils ont leurs conditions physico-chimiques 



j 96 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

d’existence bien déterminées. Seulement nous devons 
faire comprendre ici que ce sont ces phénomènes or- 
ganogéniques etorganotrophiquesqu’il importe avant 
tout de connaître, parce qu’ils constituent le vrai 
principe de la vie. Ils deviennent les générateurs de 
tous les autres phénomènes organiques, et c’est de 
leur étude seule que nous pourrons déduire la con¬ 
naissance des lois vitales proprement dites. 

Quand le physiologiste connaîtra les conditions 
physico-chimiques sous l’influence desquelles s’ac¬ 
complit la loi vitale de création de la matière orga¬ 
nisée, il aura résolu le problème spécial de la phy¬ 
siologie, parce qu’il pourra prévoir, expliquer et 
influencer les phénomènes vitaux, qui ne sont eüx- 
mêmes qu’un épanouissement ou un corollaire de 
cette loi organotrophique. La physiologie aura éga ■ 
lement atteint son but, qui est de conquérir la na¬ 
ture vivante. Car nous avons vu que c’est unique¬ 
ment par les phénomènes organotrophiques ou nu¬ 
tritifs que nous pouvons atteindre l’organisation et 
la modifier 220 . 

En résumé, la physiologie doit arriver à expliquer 
et à régler les-phénomènes de la vie, en se fondant 
sur la connaissance des propriétés des éléments his¬ 
tologiques; mais, à raison de la nature périssable 
des êtres vivants, elle doit rattacher les modifications 
et Les manifestations de ces propriétés à la loi évolu¬ 
tive organotrophique ou créatrice de la matière or¬ 
ganisée. 

On voit donc que la physiologie a un problème 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 197 

qui lui est spécial, et qui n’appartient conséquem¬ 
ment à aucune autre science 221 . 

Maintenant, si la physiologie expérimentale se 
distingue des autres sciences par son point de vue et 
par son but, comme nous croyons l’avoir surabon¬ 
damment démontré, elle doit constituer une science 
autonome et indépendante 222 , et nous sommes en 
droit de réclamer pour elle des moyens propres de 
culture et de développement scientifiques. Par son 
importance, la physiologie mérite encore qu’on lui 
accorde intérêt et protection, car elle est certaine¬ 
ment appelée à devenir la science la plus utile à 
l’humanité, en servant de base scientifique à l’agri¬ 
culture, à l’hygiène et à la médecine, etc. 223 . 

La science physiologique est nécessairement une 
science très-difficile et qui exige des moyens d’étude 
très-complexes. Elle se sert non-seulement d’instru¬ 
ments semblables ou analogues à ceux du physicien 
et du chimiste, mais elle a encore besoin d’appareils 
de dissection et de vivisection, ainsi que de labora¬ 
toires appropriés aux recherches sur les êtres vi¬ 
vants. La France a eu la gloire de donner le jour aux 
hommes qui ont le plus puissamment contribué à 
fonder la physiologie moderne et à la lancer dans la 
carrière brillante qu’elle parcourt aujourd’hui. Ce 
n’est pourtant pas chez nous que l’enseignement 
et la culture de la physiologie ont pris leur plus 
grand développement; les meilleures conditions de 
ses progrès se sont rencontrées ailleurs. Il existe à 
1 étranger, et depuis longtemps, de nombreux labo- 



198 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ratoires spéciaux de physiologie, bien dotés et pour¬ 
vus de tous les moyens d’étude qui leur sont néces¬ 
saires 224 . Les travaux s’y multiplient, et l’évolution 
scientifique y marche d’un pas rapide et sûr. Les 
idées ne suffisent pas, en effet, dans les sciences 
expérimentales, il leur faut encore, pour qu’elles 
avancent, des moyens de travail et de nombreux 
travailleurs. La culture physiologique a marché très- 
lentement chez nous, et ce n’est que depuis que les 
étrangers nous ont donné l’exemple qu’on com¬ 
mence à comprendre la nécessité de favoriser les 
études physiologiques. Mais, fine faut pas s y trom¬ 
per, cette lenteur du developpement.de la physio¬ 
logie en France a tenu à des obstacles accidentels; 
car nous avions pris l’initiative dans le mouvement 
scientifique de la physiologie moderne. 

Le développement de la physiologie peut rencon¬ 
trer deux genres d’obstacles, les uns scientifiques, 
les autres matériels. La science physiologique, à 
raison de sa complexité, a apparu longtemps comme 
un composé de faits et de notions empruntés aux na¬ 
turalistes, aux anatomistes, aux physiciens et aux 
chimistes : c’est pourquoi on a pu croire que la phy¬ 
siologie n’avait pas d’existence scientifique propre, 
et qu’elle était à la fois une dépendance de l’anato¬ 
mie humaine et comparée, et une branche de la 
physique et de la chimie générales 225 . D’après ces 
idées, qui ont régné et qui existent encore dans 
beaucoup d’esprits chez nous, on a démembré l’en¬ 
seignement de la physiologie et l’on a nié son exis- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 199 

lence comme science indépendante. Aussi son nom 
n’est-il inscrit sur aucune des sections de l'Académie 
des sciences, et- son enseignement a-t-il été amoin¬ 
dri et regardé comme une sorte de superfétation. 
Nous avons en effet de savants naturalistes qui sont 
convaincus que la physiologie n’est point une science 
distincte et qui pensent encore que les chaires de 
physiologie générale, descriptive et comparée ne sont, 
dans l’enseignement de la biologie, que des accidents 
ou des exceptions destinés à disparaître. Cependant 
il est évident qu’aujourd’huile temps est venu où il 
faudra considérer en France, ainsi que cela se fait 
ailleurs, la physiologie comme une science distincte, 
ayant son problème particulier, et devant avoir des 
moyens d’étude et d’enseignement particuliers. 

Les naturalistes ne doivent pas considérer la phy¬ 
siologie comme faisant partie de leur domaine 226 ; 
ils ne sauraient la regarder comme constituant un 
démembrement ou une dépendance de la zoologie et 
de la phytologie, sous prétexte que la zoologie em¬ 
brasse toute l’histoire des animaux, et que la phyto¬ 
logie ou botanique comprend toute l’histoire des vé¬ 
gétaux. Car, sous ce rapport, on pourrait dire, avec 
autant de raison, que la chimie est un démembre¬ 
ment de la minéralogie, parce que la minéralogie 
comprend toute l’histoire des minéraux. 

Les sciences ne se constituent point seulement 
suivant les circonscriptions plus ou moins naturelles 
des objets que l’on étudie, mais aussi selon les idées 
qui président à leur étude. Quand les sciences ne se 



200 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

séparent pas par leur objet, elles se distinguent par 
leur point de vue ou par leur problème 227 . 

Toutes les études que l’on fait sur les êtres vivants 
ont finalement pour but la connaissance des phéno¬ 
mènes vitaux. Les sciences naturelles biologiques 
servent de base à la physiologie, mais la physiolo¬ 
gie est la science biologique la plus élevée, parce 
qu’elle est plus près du but.. C’est elle qui marche en 
avant, à la recherche du grand problème que 
l'homme poursuit : l’explication des phénomènes de 
la vie. Par sa position même, la physiologie, la der¬ 
nière venue, est la science la plus jeune et la plus 
difficile, qui réclame le plus de soins et demande le 
plus d’encouragements. C’est donc pour elle qu’il 
faut créer et multiplier les moyens d’enseignement 
et de développement; tandis que les sciences natu¬ 
relles biologiques, constituées, n’en ont plus besoin 
au même degré. J’espère qu’on ne se méprendra pas 
sur ma pensée : je ne veux point dire que les sciences 
naturelles biologiques ne doivent pas être protégées; 
il faut, au contraire, qu’elles le soient toujours; car 
les sciences, quoique constituées, ne sont jamais 
finies. Tous les progrès que la zoologie et la bota¬ 
nique pourront encore faire, en étudiant la structure 
anatomique des êtres vivants et en découvrant d’au¬ 
tres formes de mécanismes vitaux dans des êtres 
d’espèces nouvelles, profiteront toujours directe¬ 
ment à la physiologie. Ce que je veux défendre ici, 
ce sont donc seulement les intérêts scientifiques de 
la physiologie naissante. En biologie, cette science 



de la physiologie GÉNÉRALE 201 

expérimentale a les mêmes droits à l’indépendance 
scientifique que la physique et la chimie dans l’ordre 
des sciences des corps bruts. Il importe donc de 
faire valoir ses droits, afin qu’elle ne soit pas oppri¬ 
mée ni involontairement méconnue. 

Les sciences biologiques naturelles, les aînées né¬ 
cessaires des sciences expérimentales, représentent 
un problème qui ne suffit pas à l’humanité et qui ne 
saurait être le terme ultime de la science des corps 
vivants. La contemplation des lois naturelles et l’ad¬ 
miration des manifestations vitales qui l’entourent 
ne sauraient suffire à l’homme; il sent que sa mis¬ 
sion est l’action et la domination; il veut expliquer 
les phénomènes de la vie, agir sur eux et les sou¬ 
mettre à sa volonté. Les sciences naturelles ne lui 
fournissent pour cela que des données vagues ou 
purement empiriques; les sciences expérimentales 
seules peuvent le conduire à une puissance réelle, 
c’est-à-dire à une action vraiment scientifique. 

C’est là toute l’idée moderne dans les sciences : 
conquérir la nature, lui arracher ses secrets, s’en 
servir au profit de l’humanité 228 . La physique et la 
chimie ont assuré à l’homme sa domination sur la 
nature brute. La physiologie la lui donnera sur la 
nature vivante. Aujourd’hui la biologie expérimen¬ 
tale marche partout très-activement dans cette 
voie 229 ; il est de l’honneur de la France de ne pas 
rester en arrière dans un semblable mouvement. 

Les obstacles matériels que la physiologie expéri¬ 
mentale a rencontrés en France sont une consé- 



202 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

quence nécessaire de la faible importance scientiiî 
que qu’on lui avait accordée. Il était tout naturel de 
négliger une science que l’on méconnaissait ou que 
l’on contestait 23 °, et de ne lui donner que la pl us 
petite place dans l’enseignement. Aussi la carrière 
de la physiologie expérimentale, déshéritée, n’était 
point suivie, ou bien ceux qui l’avaient embrassée 
bientôt découragés par toutes sortes de difficultés, la 
désertaient. On pourrait fournir des preuves nom¬ 
breuses à l’appui de ce que j’avance. Il me suffira 
d’en citer un grand exemple. Il y a quarante ans en¬ 
viron, un jeune physiologiste arrivait à Paris. Malgré 
sa grande jeunesse, il était déjà connu par des décou¬ 
vertes et des recherches de physiologie expérimen¬ 
tale du premier ordre. Tout lui présageait le plus 
brillant avenir dans cette direction nouvelle de la 
physiologie expérimentale, telle que l’avaient conçue 
Lavoisier et Laplace. Mais en considérant l’état de 
l’enseignement de la physiologie relativement à 
celui des autres sciences, et en voyant la carrière 
ingrate et sans issue dans laquelle il allait s’en¬ 
gager, M. Dumas se fit chimiste. Tel fut le'seul 
motif de sa détermination. M. Dumas me l’a raconté 
lui-même souvent, quand, causant ensemble de la 
science physiologique, qu’il avait illustrée de si bonne 
heure et qu’il a toujours beaucoup aimée, je lui de¬ 
mandais pourquoi il lui avait préféré la chimie. 

Les sciences expérimentales ne peuvent se déve¬ 
lopper dans un pays que proportionnellement aux 
encouragements qu’on leur donne et aux moyens de 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 203 

travail qu’elles possèdent. Chez nous, les sciences 
naturelles, géologie, zoologie, botanique, etc., ont 
leurs musées et leurs collections. Ce sont les moyens 
d’étude et de démonstration qui leur sont néces¬ 
saires 231 . Les sciences expérimentales des corps 
bruts, la physique et la chimie, ont depuis long¬ 
temps leurs cabinets et leurs laboratoires ; mais la 
science expérimentale des corps vivants, c’est-à-dire 
la physiologie, n’a point encore ses laboratoires né¬ 
cessaires, et' elle en est en France à attendre son 
installation définitive et régulière, tandis qu’à l’é¬ 
tranger elle est complètement organisée. 

La physiologie expérimentale, n’ayant pas eu chez 
nous de refuges officiels, s’est développée, en quel¬ 
que sorte, sur la voie publique, au milieu des diffi¬ 
cultés, des plaintes et des antipathies bien naturelles 
du public contre les vivisections. On ne saurait ima¬ 
giner les luttes que Magendie a dû soutenir pour 
installer un coin de laboratoire d'expérimentation 
au Collège de France 232 . Il y a vingt-cinq ans, lors¬ 
que j’entrai dans la carrière de la physiologie expéri¬ 
mentale, je me trouvai dans des circonstances où 
j’eus moi-même, comme d’autres, à subir toutes les 
entraves qui étaient réservées aux expérimenta¬ 
teurs. Il fallait être soutenu alors par une vraie pas¬ 
sion pour la physiologie et avoir une patience et un 
courage souvent très-grands pour ne pas se laisser 
décourager. Dès qu’un physiologiste expérimentateur 
était découvert, il était dénoncé, voué à l’abomina¬ 
tion des voisins et livré aux poursuites des commis- 



204 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

saires de police. Au début de mes études expérimen¬ 
tales, j’ai éprouvé bien des fois des ennuis de cette 
nature; mais je dois dire qu’il m’arriva cependant 
par le fait du hasard, d’être protégé précisément paj 
un commissaire de police. Gela m’advint par suite 
d’une circonstance assez singulière, que je vais ra¬ 
conter pour donner une idée des difficultés physio¬ 
logiques du temps. C’était vers 1844; j’étudiais les 
propriétés digestives du suc gastrique, à l’aide du 
procédé découvert par M. Blondlot (de Nancy), qui 
consiste à recueillir du suc gastrique au moyen 
d’une canule ou d’une sorte de robinet d’argent 
adapté à l’estomac des chiens vivants, sans que leur 
santé en souffre d’ailleurs le moins du monde. Alors 
un célèbre chirurgien de Berlin, Dieffenbach, vint à 
Paris; il entendit parler de mes expériences par mon 
ami M. Pelouze, que la science vient de perdre, et 
il désira voir faire l’opération de l’application de la 
canule stomacale. Ayant été prévenu de ce désir, je 
m’empressai de le satisfaire, et je fis l’expérience 
sur un chien, dans le laboratoire de chimie que 
M. Pelouze avait alors rue Dauphine. Après l’opéra¬ 
tion, on renferma l’animal dans la cour, afin de le 
revoir plus tard. Mais, le lendemain, le chien s’était 
sauvé malgré la surveillance, emportant au ventre 
la canule accusatrice d’un physiologiste. Quelques 
jours après, de grand matin, étant encore au lit, je 
reçus la visite d’un homme qui venait me dire que 
le commissaire de police du quartier de l’École-de- 
Médecine avait à me parler, et que j'eusse à passer 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 205 

chez lui. Je me rendis dans la journée chez le com¬ 
missaire de police de la rue du Jardinet. Je trouvai 
un petit vieillard d’un aspect très-respectable, qui 
me reçut d’abord assez froidement et sans me rien 
dire; puis, me faisant passer dans une pièce à côté, 
il me montra, à mon grand étonnement, le chien 
que j’avais opéré dans le laboratoire de M. Pelouze, 
et me demanda si je le reconnaissais pour lui avoir 
mis l’instrument qu’il avait dans le ventre. Je ré¬ 
pondis affirmativement, en ajoutant que j’étais très- 
content de retrouver ma canule, que je croyais per¬ 
due. Mon aveu, loin de satisfaire le commissaire, 
provoqua probablement sa colère, car il m’adressa 
une admonestation d’nne sévérité exagérée, accom¬ 
pagnée de menaces, pour avoir eu l audace de lui 
prendre son chien pour l’expérimenter. J’expliquai 
au commissaire que ce n’était pas moi qui étais venu 
prendre son chien, mais que je l’avais acheté à des 
individus qui les vendaient aux physiologistes, et qui 
se disaient employés par la police pour ramasser les 
chiens errants. J’ajoutai que je regrettais d’avoir été 
là cause involontaire de la peine que produisait chez 
lui la mésaventure de son chien ; mais que l’animal 
n’en mourrait pas; qu’il n’y avait qu’une chose à 
faire, c’était de me laisser reprendre ma canule d’ar¬ 
gent, et qu’il garderait son chien. Ges dernières pa¬ 
roles firent changer le commissaire de langage; elles 
calmèrent surtout complètement sa femme et sa 
fille. J’enlevai mon instrument, et je promis en par¬ 
tant de revenir. Je retournai, en effet, plusieurs fois 




206 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

rue du Jardinet. Le chien fut parfaitement guéri au 
bout de quelques jours; j’étais devenu l’ami du 
commissaire, et je pouvais compter désormais sur 
sa protection. C’est pourquoi je vins bientôt in¬ 
staller mon laboratoire dans sa circonscription, et, 
pendant plusieurs années, je pus continuer mes 
cours privés de physiologie expérimentale dans 
le quartier, ayant toujours l’avertissement et la 
protection du commissaire pour m’éviter de trop 
grands désagréments jusqu’à l’époque où enfin je 
fus nommé suppléant de Magendie, au Collège de 
France. 

Telle était alors la triste destinée des débutants en 
physiologie expérimentale, lorsque, par des circons¬ 
tances spéciales, ils n’avaient pu trouver à être ca¬ 
chés ou tolérés dans quelques établissements pu¬ 
blics. J’en ai connu qui, malgré leur goût pour les 
études physiologiques, ont reculé devant de tels obs¬ 
tacles, et d’autres qui, malgré leur passion pour la 
physiologie, ont été vaincus dans la lutte et ont 
été obbgés de changer de direction ou de quitter la 
France 233 . Aujourd’hui les conditions sont meilleures 
sans doute; la physiologie n’est plus à l'index,; on 
commence à comprendre son importance, on veut 
la protéger et lui donner les moyens de développe¬ 
ment dont elle manque. 

Mais on ne pourra arriver à protéger efficacement 
la physiologie qu’en facilitant l’accès de la carrière 
physiologique aux jeunes gens qui veulent l’embras¬ 
ser. Ce n’est que par le rajeunissement incessant 



de la PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 207 

que la science, comme l’économie vivante, peut se 
nourrir et se développer. La jeunesse possède une 
force vive et une ardeur qu’il faut se garder de dé¬ 
courager par des difficultés trop grandes, et ne pas 
laisser s’user dans des travaux inutiles, ou s’égarer 
dans des luttes stériles. Il faut l’employer de bonne 
heure au profit de la science, mais en la soutenant 
et la dirigeant dans la bonne voie. 

La science expérimentale physiologique ne peut 
donc prospérer et grandir en France que si l’on aug¬ 
mente et si l’on étend son enseignement, en même 
temps que, par la création de laboratoires conve¬ 
nablement montés, on formera un grand nombre de 
physiologistes qui multiplieront la production des 
travaux scientifiques. Déjà on a créé, dans ces der¬ 
nières années, une chaire de physiologie expérimen¬ 
tale végétale (physique végétale) au Muséum d’his¬ 
toire naturelle, et une chaire de physiologie générale 
à la faculté des sciences. Mais les moyens de travail 
et d’étude ont complètement fait défaut à cette der¬ 
nière 234 . Ge qui importerait donc avant tout, ce 
serait la création de laboratoires où les maîtres au¬ 
raient les ressources nécessaires pour faire avancer 
la science physiologique et où les élèves trouveraient 
les moyens de l’apprendre et de la cultiver 235 . Dans 
les cours, on peut divulguer la science et en donner 
le goût; mais s’il est indispensable qu’il y ait des 
cours pour initier les étudiants aux connaissances 
scientifiques acquises, ce n’est, pour les sciences ex¬ 
périmentales, que dans le laboratoire qu’on apprend 



208 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

à découvrir et à élaborer les vérités scientifiques 
En un mot, si la chaire est le lieu où se dispense là 
science faite, le laboratoire est le champ où elle 
germe et se développe. 

L’expérimentation physiologique est nécessaire¬ 
ment complexe comme les phénomènes qu’elle ana¬ 
lyse. Elle expérimente sur des êtres vivants, étudie 
au moyen de la vivisection, les fonctions des appareils 
organiques ainsi que les propriétés dés tissus vi¬ 
vants, et poursuit, à l’aide de l’analyse chimique, 
les phénomènes qui se passent dans l’organisme; 
enfin elle traduit les manifestations de la vie en se 
servant d’instruments physiques qui doivent avoir 
une grande précision pour mesurer l’intensité et 
décrire la forme de phénomènes physiologiques très- 
délicats. C’est pourquoi un laboratoire de physio¬ 
logie générale exigera toujours un matériel compli¬ 
qué et plusieurs sortes d’aides 236 . Il faut que les 
uns soient habitués à opérer sur les êtres vivants, 
et soient profondément versés dans les études anato¬ 
miques et histologiques, qui sont la base essentielle 
de la physiologie ; tandis que les autres, plus habiles 
dans les manipulations chimiques délicates, seront 
capables de les appliquer avec sûreté comme des 
instruments indispensables aux recherches de la 
physiologie expérimentale. 

Si je désire avec tant d’ardeur que la physiologie 
soit pourvue en France des moyens de travail qu elle 
possède ailleurs, c’est que je me suis trouvé à inême 
de comprendre parfaitement que, sans ces moyens, 



DÉ LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 209 

les savants sont arrêtés dans leur évolution et ne pro¬ 
duisent qu’une faible partie de ce qu’ils auraient pu 
donner à la science. Durant ma carrière physiologi¬ 
que expérimentale, j’ai moi-même, comme d’autres, 
éprouvé bien souvent des pertes de temps immenses 
ou ressenti les impossibilités qui résultent de l’isole¬ 
ment scientifique et du manque d’aides. J’ai connu 
la douleur du savant qui, faute de moyens matériels, 
ne peut entreprendre ou réaliser les expériences 
qu’il conçoit, et est obligé de renoncer à certaines 
recherches ou de livrer sa découverte à l'état d’é¬ 
bauche 237 . Ce que je voudrais donc par-dessus tout, 
c’est que les efforts accomplis par les anciens physio¬ 
logistes aient aplani les difficultés pour les nouvelles 
générations. 

Nous avons vu que la physiologie française a 
marché en avant par l’initiation aux idées et aux 
découvertes. Elle a.fait des travaux nombreux et 
importants, et il est étonnant même qu’elle ait pu 
faire autant avec si peu de moyens. Mais, ainsi que ' 
je l’ai déjà dit, ce n’est pas dans notre pays que le 
développement de la science physiologique est au¬ 
jourd’hui le plus actif; d’autres pays l’ont de beau¬ 
coup dépassé. 

La conclusion toute naturelle à laquelle nous 
arrivons est qu’il faut protéger la physiologie fran¬ 
çaise et lui fournir les moyens de développement 
qui lui font défaut. J’ai la confiance que cela ne peut 
manquer d’arriver bientôt. En signalant les princi¬ 
paux besoins de l’enseignement qui m’est confié, j’ai 

14 



210 de la physiologie générale 

cru répondre à la pensée du Ministre et remplir mon 

devoir envers la science. 

Pour donner dans ce rapport une vue d’ensemble 
de la physiologie générale, j’ai nécessairement mis à 
contribution tous les travaux et toutes les décou¬ 
vertes modernes. Mais la nature de mon sujet, qui 
devait être restreint, m’a obligé à ne mettre en relief 
que des noms et des travaux de savants français ; 
j’avais seulement à indiquer la part que la France a 
prise au progrès général. Il serait donc bien loin de 
mon esprit d'avoir voulu établir une rivalité scienti¬ 
fique mesquine et jalouse entre les divers pays. La 
science, en effet, ne connaît pas de frontières, et les 
savant de toutes les nations ne forment qu’une 
vaste famille qui travaille au profit de l’humanité. 
Cependant il est éminemment utile de comparer le 
développement scientifique chez les différents peu¬ 
ples, Dans une juste appréciation des progrès com¬ 
paratifs des sciences, on peut puiser le sentiment 
d’une noble émulation et trouver les motifs d’un 
perfectionnement scientifique réciproque. On peut 
voir, par exemple, que si l’Allemagne tient la plus 
large place dans les publications de la science phy¬ 
siologique contemporaine, cela vient de ce que les 
moyens de culture de la physiologie expérimentale 
y sont considérables et bien institués 238 . Il en est ré¬ 
sulté que nulle part ailleurs il ne s’est formé autant 
de physiologistes éminents, et que nulle part ailleurs 
les élèves ne trouvent autant de moyens d’étude en 
même temps qu’une bonne direction scientifique. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 211 

C’est donc là un enseignement dont les autres 
pays peuvent profiter. 

En résumé, pour avancer dans la physiologie 
comme dans les autres sciences expérimentales, il 
faut deux choses : le génie, qui ne se donne pas ; 
les moyens de travail, dont on peut disposer. La 
physiologie française ne réclame que ce qu’il est 
facile de lui donner ; le génie physiologique ne lui a 
jamais manqué. 





NOTES 

ET DOCUMENTS A CONSULTER 


N° 1. 

AVANT-PROPOS 

J’ai pensé que, dans l’état actuel de la physiologie géné¬ 
rale, un simple exposé chronologique, ou par ordre de ma¬ 
tières, des travaux exécutés en France dans cette science 
depuis vingt-cinq ans serait nécessairement monotone et 
confus, à cause de l’impossibilité de fondre tous les maté¬ 
riaux et de les classer dans un ordre méthodique. J’ai adopté 
un autre plan qui m’a semblé plus utile aux intérêts de la 
physiologie générale et plus conforme au but que je devais 
me proposer dans ce rapport. J’ai essayé de donner une 
sorte de programme ou de conspectus de la science physio¬ 
logique dans son ensemble, en indiquant sa marche et ses 
tendances telles que je les conçois. Pour ne pas trop en¬ 
traver l’exposition du sujet, j’ai dû souvent me borner au 
simple énoncé de propositions qui auraient demandé de 
longs développements ou nécessité des démonstrations par¬ 
ticulières. C’est pourquoi j’ai ajouté des notes explicatives. 
Je les ai accompagnées d’une foule de réflexions, souvent 
très-diverses, qui se sont présentées à mon esprit, afin de 
donner une idée de la multiplicité des questions qui se 
rattachent à l’étude des problèmes physiologiques. 



214 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Je n’ai pu naturellement introduire dans mon cadre que 
les travaux qui se rapportent aux questions que j’examine. 
Toutefois je n’ai pas la prétention, même à ce point de vue, 
d’être complet. Cela m’eût été impossible dans les condi¬ 
tions difficiles où j’ai fait ce rapport, et nul plus que moi 
ne ressentira les lacunes et les imperfections de mon tra¬ 
vail. Mon seul but a été de signaler les idées directrices de] 
la physiologie générale et d’indiquer les besoins matériels J 
de cette science. Ce n’est point une œuvre d’érudition que 
j’ai voulu faire. Aussi n’ai-je recouru aux citations et aux 
renvois aux mémoires originaux que lorsque cela m’a été 
possible ou lorsqu’il y avait quelque question de priorité 
à fixer. 

Pour ne pas encourir le reproche d’avoir été injuste, il 
est important de signaler encore une nécessité inhérente au 
sujet que j’ai traité. La physiologie générale dérive naturel¬ 
lement des physiologies spéciales. Elle est le terme, en 
quelque sorte, de l’analyse physiologique expérimentale 
poussée aussi loin que possible. Pour retracer complète¬ 
ment le développement de la physiologie générale, il aurait 
fallu faire l’histoire entière de la physiologie humaine et 
de la physiologie zoologique ou comparée; mais c’aurait 
été me créer inutilement de grandes difficultés et sortir du 
cadre qui m’était imposé. N’ayant en vue que la marche et 
lés progrès de la physiologie générale dans ces derniers 
temps, j’ai dû me borner à exposer les points de physiologie 
analytique expérimentale qui peuvent concourir directement 
ou indirectement à la solution des questions actuelles de 
physiologie générale. Je n’ai donc pas eu à rechercher l’in¬ 
fluence qu’ont exercée sur son avancement les divers traités 
généraux ou spéciaux parus en France depuis vingt-cinq 
ans, et qui sont, par ordre de date, ceux de MM. Bérard, 
Longet, Béclard, Robin et Béraud, Colin, etc. La dernière 
et la plus complète de ces publications générales est celle 
des Leçons de physiologie comparée , par M. Milne-Edwards, 



DE LÀ PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 215 


qui constituent un répertoire précieux dans lequel on trouve 
le bilan de toutes nos connaissances physiologiques ac¬ 


tuelles. 


N° 2. 


Lavoisier est né en 1743 et mort en 1794. 
Laplace est né en 1749 et mort en 1827. 
Bichat est né en 1771 et mort en 1802. 

N° 3. 


Lavoisier, Expériences sur la respiration des animaux et 
sur le changement qui arrive à Vair en passant par les pou¬ 
mons ; Mémoire lu à l’Académie des sciences le 3 mai 1777. 
(Mémoires de VAcadémie des sciences , année 1777, p. 185, — 
Œuvres de Lavoisier, Imprimerie impériale, t. II, p. 174; 
1862.) 

N° 4. 


Lavoisier et de Laplace, Mémoire sur la chaleur. (Mémoires 
de VAcadémie des sciences, année 1780, p. 355.— Œuvres de 
Lavoisier, Imprimerie impériale, t. II, p. 318 ; 1862.) 

N» 5. 

Bichat, Anatomie générale, 1.1, p. 35, an X (1805). 

N» 6. 

Avant Magendie et au temps de Lavoisier, il existait des phy¬ 
siologistes français expérimentateurs : Petit de Namur, Housset, 
Le Gallois, Bichat lui-même, etc. Mais c’est réellement à Ma¬ 
gendie qu’il faut attribuer l’influence décisive pour l’introduction 
de l’expérimentation dans la physiologie moderne. 

Magendie est né en 1783 et mort en 1855. 


N» 7. 

Au point de vue physiologique, Bichat avait conservé beaucoup 
d’idées de l’animisme et du vitalisme. Il avait localisé les pro¬ 
priétés vitales dans les tissus ; mais il ne s’explique pas claire¬ 
ment sur la nature de ces propriétés. Il est difficile de penser 
Qu il les considère comme des propriétés physico-chimiques spé¬ 
ciales aux tissus et à la matière organisée. Car il admet, avec 
Stahl et les vitalistes, qu’il y a opposition entre les phénomènes 
physico-chimiques et la manifestation des propriétés vitales. 

N° 8. 


Voyez la note n° 16. 



216 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N» 9. 

C’est dans ces conditions difficiles que Magendie fit la pl us 
grande partie des travaux qui fondèrent sa réputation. 

N° 10. 

C’est seulement en 1830 que Magendie fut nommé professeur 
de médecine au collège de France. Il y établit le laboratoire de 
physiologie expérimentale qui existe encore aujourd’hui. 

N" 11. 

On ne saurait toutefois établir de loi absolue à cet égard ; car 
les classifications zoologiques sont loin de représenter toujours 
le degré d’organisation histologique des êtres. Parmi les inver¬ 
tébrés, il en est, tels que les insectes par exemple, qui ont des élé¬ 
ments musculaires très-distincts et très-parfaits, et d’autres, tels 
que les mollusques, chez lesquels l’élément musculaire est relatif 
vement très-inférieur, etc. 

N° 12. 

Ch. Bell est né en 1774 et mort en 1842. 

N» 13. 

L’enseignement anatomique de Ch. Bell succéda à la fameuse 
école d’anatomie fondée à Londres par les Hunters et illustrée 
dans la suite par les travaux de Baillie et de Cruiskshanks. 

N° 14. 

Les idées de Ch. Bell ne sont pas douteuses quand on lit avec 
attention, et quel’on considère tout l’ensemble de son mémoire, An 
idea of a new anntomy ofthe brain. Mais ces idées sont noyées 
dans des considérations philosophiques si obscures ou si diffuses 
qu’il est difficile de trouver des endroits où les opinions de l’auteur 
soient résumées succinctement. Je citerai en les traduisant les 
deux passages suivants comme étant des plus explicites : 

« Le cerveau, dit Ch. Bell, est le grand organe par lequel l’in¬ 
telligence est unie au corps. C’est par là qu’entrent tous les 
nerfs des organes extérieurs des sens (Ch. Bell comprend dans 
ces nerfs les nerfs de sensibilité générale, ainsi qu’il l’explique 
ailleurs). Tous les nerfs qui sont des agents de la volonté en sor¬ 
tent. ; 

« Quant aux nerfs postérieurs qui viennent du cervelet, ils 
n’ont plus de rapport avec l’intelligence ; ils agissent sur les ac¬ 
tions matérielles du corps et régissent l’opération des viscères 
nécessaires à la durée de la vie. 



217 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
N° 15. 

Magendie, Expériences sur les fonctions des nerfs rachi¬ 
diens. [Journal de physiologie, de Magendie, 1822, t. Il, 
p. 276 et 366.) 

N° 16. 

Pendant sa vie, Magendie n’apporta aucun soin à défendre sa 
découverte contre les attaques auxquelles elle fut en butte ; il les 
dédaignait ou ne s’en préocupait pas; il les ignorait même le plus 
souvent. Les partisans de Ch. Bell, au contraire, ne négligeaient 
aucune occasion de faire valoir leurs prétentions ; ils s’autorisaient 
même du silence de Magendie et s’en faisaient un argument. Néan¬ 
moins, dans deux circonstances particulières, Magendie fut amené 
à faire valoir ses droits à la découverte des fonctions des nerfs ra¬ 
chidiens. 

En 1822, aussitôt après la publication de ses premières expé¬ 
riences, Magendie reçut une réclamation de Schaw, qui était l’é¬ 
lève et le parent de Ch. Bell. Schaw écrivit à Magendie que 
Ch. Bell avait fait la section des racines spinales treize ans 
auparavant, et qu’il avait vu que la section des racines posté¬ 
rieures n’empêche pas le mouvement de continuer. Schaw ajou¬ 
tait que Ch. Bell avait consigné ce résultat dans une petite 
brochure imprimée seulement pour ses amis, mais non pour 
la publication. Magendie demanda au docteur Schaw de lui 
faire parvenir la brochure de Ch. Bell, afin qu’il lui rendît la 
justice qui lui serait due. Schaw envoya la brochure qui a pour 
titre : ldeaofa new anatomy ofthe brain submitted for the 
observations of his friends , by Ch. Bell, E. A. S. E., et il in¬ 
diqua à la page 22 le passage sur lequel Ch. Bell fondait ses 
droits à la découverte des fonctions des racines des nerfs rachi¬ 
diens. Magendie transcrivit dans son Journal de physiologie 
(t. II, p. 370) ce passage tout entier. Je le reproduis textuelle¬ 
ment comme devant être naturellement le plus important en fa¬ 
veur de Ch. Bell, puisqu’il a été indiqué par Schaw, son élève et 
son parent. 

Next, considering that the spinal nerves hâve a double 
root, and being of opinion that the properties of the nerves 
are derived from their connexions with the parts of the 
brain, I thought that I had an opportunity of putting my 
opinion to the test of experiment and of proving at thesame 
time that nerves of different endowments were in the same 
cord and held together by the same sheath. 


218 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

On laying tare the roots ofthe spinal nerves Ifound that I 
could eut across the posterior fasciculus of nerves, which took 

its origin fromthe posterior portion ofthe spinal marrow,vit- 

hout convulsing the muscles of the back ; but that on touching 
the anterior fasciculus with the point ofthe knife , the mus¬ 
cles of the back were immediately convulsed . 

Magendie fait remarquer d’abord que ni lui ni personne en 
France ne pouvait connaître la brochure de Ch. Bell, puisqu’elle 
n’avait point été publiée. Il s’empressa de reconnaître que Ch. 
Bell avait eu avant lui l’idée de couper les racines des nerfs spi¬ 
naux. Il ajoute même que Gh. Bell a été très-près de découvrir 
les fonctions des racines spinales, qui cependant lui avaient 
échappé ; c’est à les avoir établies expérimentalement et d’une 
manière positive que Magendie borne ses prétentions. (Voyez 
Journal de Magendie, t. II, 1822, p. 369.) 

Mais il ne faut pas oublier que, si Ch. Bell a eu le premier 
l’idée d’employer un procédé expérimental qui pouvait lui per¬ 
mettre de découvrir les fonctions des racines spinales, son esprit 
était resté bien éloigné de la connaissance réelle de ces fonctions. 
Nous savons que, s’il a pu avoir la pensée que les racines anté¬ 
rieures sont pour le mouvement, il était bien loin de croire que 
les racines postérieures pouvaient être destinées à la sensibilité. 

La seconde circonstance dans laquelle Magendie fit valoir ses 
droits à la découverte des nerfs rachidiens se présenta vingt- 
cinq ans plus tard. En 1847, M. Flourens lut à l’Académie des 
sciences une note touchantles effets de l'inhalation de l'éther sur 
la moelle allongée. Dans ce travail M. Flourens attribue à Ch. Bell 
l’honneur d’avoir localisé le mouvement et le sentiment dans les 
faisceaux et les racines antérieures et postérieures de la moelle. 
Magendie réclama, et demanda à M. Flourens d’indiquer sur 
quelles raisons il se fondait pour attribuer cette découverte à 
Ch. Bell. M. Flourens s’appuya sur le passage tiré du mémoire 
de 1811, et c’est en effet le seul passage qu’on a toujours opposé 
à Magendie. Nous savons maintenant que penser de sa valeur. 

Depuis la mort de Magendie, ayant eu l’intention de repren¬ 
dre la question et d’examiner de près les pièces du débat, il me 
parut d’abord nécessaire de me procurer le mémoire original 
de Ch. Bell de 1811. Cela me semblait en effet important, parce 
que, dans le passage indiqué par Schaw à l’attention de Magen¬ 
die, il ne s’agit que d’un résultat vagué et sans indication de 1 a- 
nimal sur lequel il a été obtenu, tandis que, dans des repro¬ 
ductions ultérieures de cet écrit, il est question d’un lapin 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 219 

récemment mort, même d’un lapin vivant, sur lequel l’expérience 
aurait été pratiquée. Tous mes efforts furent inutiles pour me 
procurer le mémoire original de Ch. Bell. Mais, il y a cinq où 
six ans, ayant réussi par un de mes amis à en obtenir à Londres 
une copie exacte, j’ai pu constater que, dans ce mémoire im¬ 
primé en 1814 , il n’est réellement question d’aucun lapin, ni 
récemment mort ni vivant. Ces détails d’expériences ont donc 
été ajoutés ultérieurement dans les écrits de Ch. Bell qui ont 
paru après la découverte de Magendie. 

D’après une lecture superficielle des écrits de Ch. Bell et de 
Magendie, on aurait pu croire être juste en tranchant la ques¬ 
tion par le partagedela découverte entre Ch.Bell et Magendie.Ma¬ 
gendie lui-même pouvait l’admettre jusqu’à un certain point parce 
que, bien qu’il eût conscience de ne rien avoir emprunté à Ch. Bell, 
il avait reconnu cependant qu’il avait ouvert le canal vertébral et 
coupé des racines rachidiennes avant lui. Mais s’autoriser de 
cela pour attribuer toute la découverte des fonctions des racines 
rachidiennes à Ch. Bell, c’est le comble de l’injustice, car la jus¬ 
tice sévère, fondée sur l’examen impartial et sérieux des faits, 
exige au contraire que l’honneur de la démonstration des fonc¬ 
tions des nerfs rachidiens revienne tout entier à Magendie. 

Aujourd hui des expériences multiplées et variées de toutes 
les manières sont venues établir cette vérité physiologique indes¬ 
tructible, qu eles racines antérieures des nerfs rachidiens sont 
destinées exclusivement aux fonctions motrices , tandis que 
les racines postérieures sont exclusivement dévolues à la sen¬ 
sibilité. Si, dans son premier mémoire, mais surtout dans ceux 
qui le suivirent, Magendie ne fut pas complètement affirmatif, et 
s’il crut parfois qu’il pouvait exister un peu de faculté motrice 
dans les racines postérieures et une faible action sensitive dans 
les racines antérieures, cela tient à ce que les racines rachi¬ 
diennes, quand elles communiquent encore avec la moelle, exer¬ 
cent l’une sur l’autre des réactions qui alors n’étaient pas con¬ 
nues et n’avaient pas été analysées. La racine postérieure donne 
lieu par son influence sur l’antérieure à des mouvements ré¬ 
flexes; l’antérieure, en réagissant sur la postérieure, produit les 
phénomènes de sensibilité récurrente. Aujourd’hui tous ces 
phénomènes secondaires sont parfaitement élucidés, et c’est Ma¬ 
gendie lui-même qui plus tard, en 1839, découvrit cette singu- 
gulière propriété de sensibilité récurrente qui se transmet des 
racines postérieures aux antérieures. Les réserves précédentes 
avaient donc leurs motifs, et elles n’étaient que l’expression fi- 



220 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

dèle des faits d’expériences. Or Magendie gardait pour les faits 
un respect absolu parce qu’il n’avait dans l’esprit aucune idée 
préconçue qui le portât à désirer voir les choses d’une façon pl u . 
tôt que d’une autre. C’est pour ne pas avoir compris l’empirismè 
scientifique de l’esprit de Magendie que des physiologistes l’ont 
critiqué très-injustement, et lui ont reproché d’avoir tergiversé 
dans ses opinions sur les fonctions des nerfs. 

La science a besoin pour s’édifier de posséder d’abord des 
faits bien observés, puis le raisonnement vient pour les relier et 
en déduire les lois. En se reportant à un autre temps et en se 
plaçant au point de vue de la marche de la science, on pourrait 
soutenir sans doute que l’empirisme expérimental de Magendie 
était trop exclusif. Mais il avait alors, comme on le voit, son 
utilité contre les dangereuses et funestes tendances d’une physio¬ 
logie fondée sur des systématisations anatomiques. Ch. Bell est 
surtout un grand anatomiste; il a fait faire des progrès impor¬ 
tants à l’anatomie du système nerveux, et il a eu le mérite 
d’attirer l’attention sur la diversité de ses fonctions. Il a eu 
avant tout autre l’idée et il a tenté d’expérimenter sur les racines 
[rachidiennes. Mais, au fond, Ch. Bell n’est pas un véritable 
\ expérimentateur. Il est de la race des physiologistes anatomistes 
dont le règne doit disparaître de plus en plus parce qu’ils dé¬ 
duisent la physiologie de considérations anatomiques bien plus 
qu’ils ne la fondent sur l’expérimentation. En physiologie,; 
comme dans toutes les sciences expérimentales, l’expérience 
est le critérium suprême, et s’il était nécessaire d’invoquer 
l’histoire de la découverte des nerfs rachidiens pour le prouver 
on pourrait dire que toutes les vues que Ch. Bell a déduites de 
l’anatomie sur les fonctions cérébrales et cérébelleuses, sur les 
fonctions des nerfs moteurs volontaires et respiratoires, ont dis¬ 
paru de la science comme autant d’erreurs, tandis que tous les 
résultats des expériences empiriques de Magendie sont resté 
debout comme les bases sur lesquelles se sont appuyés tous le 
progrès ultérieurs de la physiologie expérimentale du système 
nerveux. 

En résumé, la grande découverte des fonctions des nerfs ra¬ 
chidiens a été préparée et poursuivie par Ch. Bell, mais elle lui 
a échappé; il a fait fausse route à travers ses systèmes. Elle a été 
réalisée et établie par Magendie : elle appartient à la France. 

Maintenant, que Ch. Bell ait revendiqué pour lui la découverte 
en voyant qu’il en était allé si près; que l’on ait cherché à inter¬ 
préter faussement ce qu’il avait dit des fonctions distinctes des 



DÉ LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 221 

deux ordres de racines rachidiennes, et que les modifications 
apportées dans des publications ultérieures ait rendu la vérité dif¬ 
ficile à démêler; enfin que la passion ait profité de ces obscu¬ 
rités, et qu’on ait été amené, par des sentiments étrangers à la 
science, à contester à Magendie, même en France, la découverte 
qui lui appartient, toutes ces choses sont arrivées maintes fois 
dans des discussions scientifiques de cette nature; mais avec le 
temps les passions s’apaisent, les obscurités se dissipent et la jus¬ 
tice se fait. Ce moment devait inévitablement venir pour Magendie. 

M. Longet est le physiologiste qui a le plus insisté pour attri¬ 
buer la découverte des fonctions sensitives et motrices des 
racines spinales à Ch. Bell au détriment de Magendie. Dans sa 
critique, cet auteur s’est évidemment trompé par deux raisons : 
d’abord parce qu’il a mal interprété les expériences et les idées 
de Ch. Bell antérieures à 1822, et, ensuite, parce qu’il n’a pas 
compris l’esprit expérimental empirique de Magendie, ce qui 
l’amena à lui reprocher de prétendues contradictions qui ne sont 
que l’expression des faits eux-mêmes. 

Relativement à Ch. Bell, M. Longet invoque, comme toujours, 
le fameux mémoire de 1811, et il le cite aux pages 27 et 28 du 
premier vqlume de son Anatomie et physiologie du système 
nerveux, Paris, 1842. En lisant cette citation, on voit d’abord 
que M. Longet n’a pas eu entre les mains le vrai mémoire 
de 1811, mais une reproduction publiée en 1839. En effet, dans 
le mémoire de 1811, il n’est pas question d’animal vivant, ainsi 
que je l’ai déjà dit. Du reste, nous rétorquerons les prétentions 
de M. Longet en faveur de Ch. Bell par le même argument que 
nous avons déjà donné, savoir, que, si Ch. Bell a vu que l’attou¬ 
chement des racines antérieures fait convulser les muscles, il 
ne faut pas croire qu’il en concluait que les racines postérieures 
fussent pour la sensibilité. Nous savons que Ch. Bell était dans 
des idées tout autres. Ch. Bell n’a donc jamais dit ni pu dire que 
la racine antérieure était pour le mouvement et la postérieure 
pour le sentiment. Mais c’est M. Longet qui le lui fait dire en 
ajoutant cette interprétation entre deux parenthèses dans sa cita¬ 
tion. En outre, M. Longet raisonne ailleurs comme si Ch. Bell 
avait agi sur les racines antérieures et postérieures séparées de 
la moelle épinière, ce qui n’a jamais eu lieu. 

Quant au second reproche que j’adresse à M. Longet de né pas 
avoir compris l’empirisme expérimental de Magendie, c’est un 
reproche général qui peut s’appliquer à toutes les critiques 
souvent ardentes que M. Longet a faites des travaux de Magendie. 



222 de la physiologie générale 

(Voir ce que j’ai écrit à ce sujet, Introduction à l'étude de la 
médecine expérimentale , p. 305 et suiv.) 

N° 17. 

M. Vulpian a parfaitement développé les arguments qui 
prouvent que la découverte des fonctions des nerfs rachidiens 
appartient à Magendie. J’ai lu ce qu’il a écrit à ce sujet avec une 
grande satisfaction dans l’intérêt de la vérité et pour la gloire 
de la physiologie française. 

N» 18. 

On doit citer principalement, à l’étranger, les travaux de 
J. Müller, Stilling, Valentin, Van Deen, etc. En France, M. Lon¬ 
get est le physiologiste qui a le plus fait à cette époque pour la 
généralisation de la théorie des nerfs moteurs et sensitifs. Par 
beaucoup de recherches expérimentales qui lui sont propres, il 
s’est d’abord appliqué à bien établir les origines anatomiques et 
à mieux caractériser les propriétés physiologiques des nerfs mo¬ 
teurs et sensitifs. Dans un ouvrage en deux volumes publié en 
18JÈ sous ce titre, Anatomie et physiologie du système ner¬ 
veux de l'homme et des animaux vertébrés, il a résumé toutes 
les connaissances que l’on avait antérieurement sur l’anatomie et 
la physiologie des nerfs, et les a systématisées d’après le fait fon¬ 
damental de la distinction des nerfs en sensitifs et moteurs. 
M. Longet, en vulgarisant des expériences nombreuses sur le sys¬ 
tème nerveux restées jusqu’alors isolées et sans lien, a contribué 
aux progrès ultérieurs de la physiologie du système nerveux. 

N° 19. 

Longet, Recherches expérimentales sur les conditions né¬ 
cessaires à l'entretien et à la manifestation de l'irritabi¬ 
lité musculaire, 1842. 

N° 20. 

Les travaux de Kühne en Allemagne ont été la base et le point 
de départ des recherches nouvelles qu’on a entreprises, dans ces 
derniers temps, sur la terminaison des nerfs dans les muscles. Le 
mode de terminaison des nerfs moteurs par une plaque ou une 
intumescence nerveuse a été constaté dans les muscles d’ani¬ 
maux vertébrés et invertébrés, mais on n’a pas encore fait cette 
vérification pour tous les muscles; ainsi on n’a pas encore déter¬ 
miné la manière dont se terminent les nerfs moteurs dans les 
fibres musculaires du cœur ni dans celles des muscles lisses e 
l’intestin, etc. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 223 

N° 21. 

Ch. Robin, Recherches sur les deux ordres de tubes nerveux 
élémentaires et les deux ordres de globules ganglionnaires, 
qui leur correspondent. (Comptes rendus de l’Académie des 
sciences, 21 juin 1847, p. 1079.) Presque à la même époque 
R. Wagner fit la même découverte en Allemagne. 

N° 22. 

A. Vulpian, Sur la racine postérieure ou ganglionnaire du 
nerf hypoglosse. (Journal de physiologie, etc., par Brown- 
Sequard, t. V, janvier 1862.) 

M. Vulpian a confirmé dans ce travail l’opinion, déjà émise 
par Kôlliker et par d’autres, que le ganglion intervertébral chez 
les mammifères constitue une sorte de centre qui, par les 
cellules unipolaires qu’il contient, donnerait naissance à des fi¬ 
bres nerveuses se dirigeant surtout vers la périphérie. Ce qui 
expliquerait pourquoi la racine postérieure est souvent plus 
grosse après son ganglion qu’entre celui-ci et la moelle. Il y au¬ 
rait en outre dans le ganglion intervertébral des fibres nerveuses 
qui ne feraient que le traverser, sans contracter de rapport direct 
avec les cellules nerveuses. Ces fibres auraient donc seulement 
une extrémité périphérique dans une cellule cutanée ou autre et 
une extrémité centrale dans la cellule médullaire. 

Chez la grenouille j’ai constaté à l’œil nu, sur la paire bra¬ 
chiale prise en dehors du canal vertébral, qu’il y a dans la ra¬ 
cine postérieure au niveau du ganglion intervertébral deux por¬ 
tions distinctes, l’une composée de fibres nerveuses qui sont 
étrangères au ganglion, l’autre composée de fibres qui entrent 
dans la masse ganglionnaire. Avec une aiguille à cataracte, j’ai 
séparé les fibres qui vont dans le ganglion en ménageant aussi 
complètement que possible le faisceau des fibres qui passent en 
dehors. Après cette opération j’ai vu que l’animal avait conservé 
la sensibilité, mais les mouvements, et particulièrement les mou¬ 
vements réflexes, m’ont paru altérés. (Voyez Comptes rendus 
de la Société debiologie, t. IV, l re série,p. 151; 1852.) 

Chez les mammifères le mélange des deux racines des nerfs 
rachidiens se fait en général après le ganglion intervertébral 
placé sur le irajet de la racine postérieure, et leur intrication est 
telle qu’on ne peut plus distinguer dans le nerf mixte qui en 
résulte les fibres motrices des fibres sensitives. M. A. Mo¬ 
reau ( Recherches anatomiques et physiologiques sur la sé¬ 
paration des nerfs de sentiment et de mouvement dans la 



224 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

classe des vértébrés; Société philomathique, séance du 11 f£. 
vrier 1860) a trouvé que, chez certains poissons, il est possible 
de suivre jusqu’à leur terminaison les nerfs moteurs et sensitifs 
rachidiens, qui restent pendant tout leur trajet simplement acco¬ 
lés l’un à l’autre. 

N° 23. 

C’est à propos de mes études sur le curare que j’ai été amené à 
penser que l’on pouvait se servir des substances toxiques pour 
distinguer les propriétés des éléments histologiques et analyser 
les phénomènes vitaux élémentaires. (Voyez Notes n° 24 et 32). 
Sans doute la recherche de la localisation de l’action toxiqne n’est 
point une chose nouvelle, puisqu’on a toujours recherché dans les 
empoisonnements à déterminer quels sont les organes qui sont 
atteints par le poison. Fontana, bien qu’il se soit complètement 
trompé dans l’explication des effets du curare, a voulu, dans le 
siècle dernier, localiser l’action de ce poison, qu’il appelle ticunas. 
Magendie, ainsi que nous l’avons vu, a depuis longtemps employé 
la noix vomique pour distinguer si les racines rachidiennes anté¬ 
rieures étaient motrices. Mais je crois avoir vu le premier que les 
vrais poisons agissent toujours sur des éléments histologiques et 
1 avoir dit qu’ils peuvent, par conséquent, constituer les instruments 
d’une nouvelle méthode d’analyse physiologique de ces éléments. 
J’aurai d’ailleurs l’occasion de développer plus loin cette idée en 
fournissant de nouveaux exemples de son application. En France, 
quelques physiologistes, mais surtout M. Vulpian, ont suivi cette 
méthode analytique expérimentale dans l’étude de divers poisons. 
(Voyez Vulpian, Recherches toxico-physiologiques. Mémoires 
de la Société de biologie , 1.1, 3 e série, p. 123; 1859.) 

J’ai aussi montré qu’on peut employer en physiologie le cu¬ 
rare en petite dose comme moyen contentif sinon comme agent 
anesthésique. Cette méthode a été également suivie, surtout à l’é¬ 
tranger, par beaucoup de physiologistes expérimentateurs. 

Mes premières recherches sur le curare remontent à 1844. 
J’ai pendant longtemps démontré mes expériences dans mes 
cours particuliers avant de les publier. Les principales publica¬ 
tions que j’ai données sur ce sujet sont : 

1° Recherches sur le curare, en commun avec M. Pelouze, 14 
octobre 1850 ( Comptes rendus de VAcadémie des sciences ), 

2° Leçons sur les substances toxiques et médicamenteuses, 
cours fait au Collège de France en 1856 ; 

3° Leçons faites au Collège de France en 1865 ; publiées dans 
la Revue des cours publics. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 22ô 

No 24. 

J’ai publié les expériences qui démontrent que le curare sépare 
les propriétés physiologiques de l’élément nerveux moteur de la 
contractilité du muscle longtemps avant celles qui établissent que 
ce poison sépare aussi les propriétés des éléments nerveux sen¬ 
sitifs et moteurs. C’est en 1855 que j'ai fait ces dernières expé¬ 
riences, et je les ai d’abord communiquées verbalement et mon¬ 
trées à la Société de biologie. Dans une communication que 
M. Vulpian fit à cette Société pendant le mois d’avril 1856, il 
rappelle mes expériences, qui étaient nécessairement antérieures. 
« D’après les expériences de M. Bernard, dit-il, à qui l’on doit 
d’ailleurs la connaissance du premier fait (laconservation de l’irri¬ 
tabilité musculaire), la sensibilité est conservée dans l’empoi¬ 
sonnement par le curare; mais cette sensibilité est muette, elle a 
perdu tous ses moyens d’expression, qui sont les nerfs moteurs. »En 
1856 j’ai repris et publié ces expériences dans mon Cours au 
Collège de France. Dans le même temps, M. Kôlliker, qui avait 
entrepris des reherches sur le curare, arriva, de son côté, au 
même résulat que moi- Rien n’est d’ailleurs moins surprenant 
que de découvrir les mêmes faits en étudiant le même sujet. 
(Voyez mes Leçons sur les effets des substances toxiques et 
médicamenteuses , p. 461.) 

Relativement à la séparation de la motricité nerveuse et de la 
contractilité musculaire à l’aide du curare, elle parut évidente à 
tous les expérimentateurs. Toutefois quelques physiologistes al¬ 
lemands (Eckardt, Funke) admirent que. dans mon expérience, 
les propriétés physiologiques du nerf ne sont pas atteintes par 
le curare, mais que le poison paralyse seulement une sorte d’ap¬ 
pareil nerveux terminal (Endapparat) qui relierait le nerf au 
muscle. Plus tard, M. Yulpian a adopté la même manière de 
voir. D’après l'interprétation qui précède, le curare laisserait le 
nerf moteur intact dans ses rapports avec la moelle, et ne ferait 
en quelque sorte que le décrocher ou le séparer du muscle, sur 
lequel la volonté ne pourrait plus agir. J’ai montré que l’expé¬ 
rience est contraire à cette hypothèse, et que le premier effet du 
curare est au contraire de séparer ou de décrocher le nerf mo¬ 
teur de la moelle, tandis qu’il reste encore soudé au muscle 
et capable de déterminer en lui des contractions énergiques. 
(Voyez note 32.) 

Parmi les arguments nombreux qu’on peut invoquer pour dé¬ 
montrer l’indépendance des éléments nerveux et musculaires, no us 
citerons encore ceux qu’on peut tirer de leur isolement dans les 



2î6 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

organismes les plus simples et des faits de développement em¬ 
bryonnaire. Chez les animaux inférieurs le système contractile ou 
musculaire existe sans avoir le système nerveux pour organe exci¬ 
tateur et coordinateur ; ce sont les agents cosmiques extérieurs 
qui jouent ce rôle. Chez l’embryon on voit le cœur et les mus¬ 
cles des membres jouir de la propriété contractile bien avant q ue 
le système nerveux soit soudé avec eux et puisse présider à leur 
contraction. (Voyez, sur la physiologie du cœur, Revue des Deux- 
Mondes ; Revue des cours scientifiques, 1865. Voir note 
n" 49.) 

J’ai constaté chez le poulet que le nerf sciatique excité ne dé¬ 
termine des mouvements dans les muscles auxquels il se rend 
que vers le 17 e jour environ de l’incubation, c’est-à-dire seule¬ 
ment trois ou quatre jours avant l’éclosion. Chez les mammifères 
cette soudure du nerf au muscle doit avoir lieu plus tôt, puisque 
les fœtus ne sauraient être v : ahles qu’à cette condition, fi est 
possible aussi que les nerfs soient doués de leurs propriétés phy¬ 
siologiques avant de se souder aux muscles. 

25. 

On peut démontrer par l’expérience suivante que le curare 
respecte l’élément nerveux sensitif chez les mammifères comme 
chez les batraciens : . 

Sur un chien on met à nu lamoelle épinière dans la région lom¬ 
baire, ainsi que les racines des nerfs qui se rendent aux membres 
postérieurs ; puis, sur l’un de ces membres, on fait la ligature 
de l’artère très-haut afin de suspendre la circulation aussi com¬ 
plètement que possible. Aussitôt on injecte dans la veine jugulaire 
une solution de curare et l’animal est comme foudroyé parce qu’il 
se trouve ainsi empoisonné subitement. Tousles nerfs moteurs du 
corps sont devenus inexcitables, excepté ceux du membre pos¬ 
térieur dont l’artère a été liée. En excitant alors directement les 
racines antérieures qui se rendent à ce membre., on y voit éclater 
des convulsions, tandis qu’en agissant sur les racines antérieures 
du membre postérieur opposé on n’en détermine pas. Mais ou 
prouve encore que, dans cette expérience, les nerfs sensitifs ont 
conservé leur propriété. En effet, si l’on pince une racine posté¬ 
rieure quelconque d’un côté ou de l’autre , on produit toujours 
des mouvements par action réflexe., mais seulement dans Je 
membre anémié, tandis qu’on n’en obtient point dans le membre 
qui a reçu le sang empoisonné par le curare. Je cite ici celte ex¬ 
périence inédite, parce que M. Yulpian a cru pouvoir adme 
fre que, chez les animaux supérieurs, on ne démontre pas avec e 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 227 

■curare la même distinction des nerfs que chez les animaux à sang 
froid. (Voyez Vulpian, Sur la durée de la persistance des 
propriétés des muscles , des nerfs et de la, moelle épinière 
après Vinterruption du cours du sang dans ces organes. 
— Gazette hebdomadaire de médecine, 1861, t. VIÏL, n° 21, 
p. 350.) C’est là une opinion que beaucoup de considérations 
théoriques de physiologie générale auraient dû faire repousser; 
mais l’expérience vient encore la contredire directement. 

N° 26. 

J’ai constaté que le curare n’agit pas sur les phénomènes 
de l’intelligence chez les animaux. Dans un travail intéressant 
sur les effets du curare, MM. Liouville et Voisin ont constaté 
que chez l’homme le curare ne produit pas non plus de troubles 
intellectuels. (Voyez Aug. Voisin et H. Liouville, Etudes sur le 
curare, etc. Paris, 1866.) 

N» 27. 

J’ai été conduit à examiner les propriétés toxiques du sul- 
focyanure de potassium, parce qu’on avait eu à tort la pensée 
que ce sel devait être très-vénéneux par le cyanogène qu’il con¬ 
tient. L’action que j’ai constatée sur les muscles n’est sans doute 
pas spéciale aux sulfocyanures.Le sulfocyanure de potassium agit 
probablement sur le tissu musculaire comme le*s sels de potasse. 
J’ai reconnu en effet depuis que les sels de potasse, injectés 
dans le sang en certaine quantité, produisent la mort en amenant 
une rigidité cadavérique prompte avec un arrêt subit du cœur, 
précédant la cessation des mouvements respiratoires. C’est pour¬ 
quoi, après la mort, on trouve le sang rouge dans les cavités gau¬ 
ches du cœur et noir dans les cavités droites. Les sels de soude ne 
produisent pas le même effet, non plus que les sels de rubidium, 
malgré leur grande analogie chimique'avec le potassium, ainsi 
que l’a démontré M. Grandeau. (Voyez Journal de Vanatomie 
et de la physiologie, etc., par M. Ch. Robin, juillet 1864 : Ex¬ 
périences sur l'action physiologique des sels de potassium, 
de sodium et de rubidium, par M. L. Grandeau.) 

La bromure de potassium agit d’une autre manière. Il produit 
des effets anesthésiques singuliers, spécialement sur les mem¬ 
branes muqueuses, telles que celle du voile du palais, de l’arrière- 
gorge, du col de la vessie, etc. Cette propriété a permis d’employer 
le bromure de potassium comme un anesthésique spécial du voile 
du palais et du col de la vessie. (Voyez Ch. Huette, Recherches 
sur les propriétés physiologiques et thérapeutiques du bro- 


228 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

mure de potassium. Mémoires de la Société de biologie t If 
ire série, p. 19; 1850.) Le bromure de potassium paraît atteindre 
spécialement les phénomènes réflexes et les faire disparaître avant 
de détruire les mouvements volontaires ou directs. C’est peut-être 
en raison de cette propriété que cette substance a pu être employée 
utilement dans l’épilepsie. Il faut d’ailleurs, pour que le médica 
ment agisse, le donner jusqu’à la dose où il amène dans le voile du 
palais la disparition de la sensibilité réflexe au vomissement. Mais 
lorsque cette sensation réflexe du voile du palais n’existe plus la 
sensation directe ou tactile y persiste encore. Il en est de même pour 
les sensations réflexes lacrymales de l’œil ou pour les sensations 
sternutatoires du nez ; le bromure de potassium peut les éteindre 
sans abolir la sensation tactile directe. En un mot, les phénomènes 
de sensibilité directe et réflexe peuvent être séparés physiologi¬ 
quement, et le bromure de potassium est une substance qui peut 
servir à faire l’analyse de ces propriétés nerveuses. La question 
consisterait maintenant à rechercher si le bromure de potassium 
porte son actionintime sur les nerfs de sensibilité, de mouvement 
ou sur les ganglions agissant comme centres de cette sensibilité 
motrice réflexe. Il se pourrait que le bromure de potassium, 
contrairement au curare, agît spécialement sur le système ner¬ 
veux grand sympathique, puisqu’il anéantit les mouvements ré¬ 
flexes avant d’atteindre les mouvements volontaires. 

L’upas antiar, la digitaline, le venin de crapaud, etc., sont 
comptés au nombre des poisons du cœur ou des poisons muscu¬ 
laires; mais il en existe encore beaucoup d’autres. J’ai reçu de 
diverses personnes des substances toxiques et des flèches em¬ 
poisonnées qui sont des poisons musculaires très-violents ; toute¬ 
fois je n’en ai pas encore suffisamment analysé les effets pour 
pouvoir bien en spécifier l’action. Du reste, les poisons muscu¬ 
laires sont ceux dont le mécanisme toxique est le moins connu. 
J’ai signalé aussi la nicotine comme portant son influence sur 
le tissu musculaire. (Voyez Comptes rendus de la Société de 
biologie , le système t. II, l re série, p. 195; 1850.) Mais ces expé¬ 
riences, comme toutes celles qui ont été instituées sur les poisons 
musculaires, ont besoin d’être revues et analysées de plus près. 
N° 28. 

Ainsi que Magendie et beaucoup d’autres expérimentateurs, 
M. Brown-Sequard a montré que la strychnine ne peut agir qu’au- 
tant qu’elle est portée sur la moelle, tandis qu’elle circule en 
contact avec la périphérie des nerfs sensitifs sans produire de 
convulsions, bien que des mouvements réflexes existent très- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 229 

marqués dans les membres. (Voyez Brown-Sequard, Recherches 
sur le mode d'action de la strychnine. Comptes rendus de la 
Société de biologie, t. I, p. 119; 1849.) 

J'ai prouvé par une expérience nette et décisive que la stry¬ 
chnine n’agit pas sur l’extrémité périphérique des nerfs, comme 
le curare. On coupe comparativement sur deux grenouilles le 
nerf sciatique, en ayant soin de ne pas léser les vaisseaux, et on 
empoisonne ensuite les deux animaux, l’un par une forte dose de 
curare, l’autre par une forte dose de strychnine. On constate après 
la mort que le nerf sciatique coupé a seul conservé ses pro¬ 
priétés chez la grenouille strychnisée, tandis que chez la grenouille 
curarée, son nerf sciatique coupé a non-seulement perdu ses 
propriétés motrices, mais il les a perdues plus rapidement que 
les nerfs attenant à la moelle. 

La strychnine empoisonne donc d’une façon inverse du curare. 
Le curare tue le nerf moteur en engourdissant et en déprimant ses 
propriétés. La strychnine, au contraire, empoisonne le nerf sen¬ 
sitif en excitant ses propriétés et en les exagérant, de sorte 
qu’elle amène la mort de l’élément sensitif par l’épuisement qui 
résulte de son excès d’activité. Or, comme par la relation naturelle 
des éléments, l’élément nerveux sensitif réagit sur le nerf moteur 
et celui-ci sur le muscle, il s’ensuit que l’irritation du nerf sen¬ 
sitif excite le nerf moteur qui agit à son tour sur le muscle. C’est 
pourquoi la strychnine finit par épuiser à des degrés divers, sui¬ 
vant la dose du poison, les trois éléments, mais en détruisant 
d’abord les propriétés de l’élément sensitif, puis celles de l’élé¬ 
ment nerveux moteur, et enfin celles du muscle. 

Quand la dose du poison est très-forte, ces trois éléments 
arrivent à être complètement anéantis; et même dans certaines 
conditions, leur mort survient sans convulsions. Avec une dose 
intermédiaire de strychnine, il peut se faire que l’élément mus¬ 
culaire soit le seul qui persiste encore à manifester son action 
sous l’influence du galvanisme. C’est alors qu’on a pu confondre 
comme l’ont fait MM. Buisson et Martin Magron, (V. Comptes 
rendus des séances et mémoires de la société de biologie, 
t. V, 2 e série, p. 125; t. I, 2e série p. 147. — Journal de 
physiologie de Brown-Séquard, t. II 1859, t. III 1860), et 
mêmeM. Yulpian, ( Vulpian, Sur la durée de la persistance des 
propriétés des muscles, des nerfs et de la moelle épinière après 
l interruption du cours du sang dans ces organes. — Gazette 
hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1861, t. VIII, 
n ° 21, p. 350,) l’empoisonnement par la strychnine avecl’empoi- 



230 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

sonnement par le curare, et soutenir, bien à tort, que ces deux 
substances ont de l’analogie ou même de la ressemblance dans 
leur manière d’agir. Il n’en est pourtant absolument rien et l’on 
pourrait même ajouter que ce sont deux poisons tout à fait 
opposés. Le curare agit sur l’extrémité périphérique de l’élément 
nerveux, peut-être sur la plaque nerveuse motrice. La strychnine 
agit sur l’extrémité centrale du nerf sensitif, peut-être sur sa cel¬ 
lule terminale dans la moelle, qui serait sous ce rapport et 
jusqu’à un certain point l’analogue de la plaque nerveuse du 
nerf moteur. 

La ligature des vaisseaux d’un membre préservera donc les 
nerfs moteurs de l’action du curare, tandis qu’elle n’empêchera 
pas dans ce membre les effets de la strychnine, qui se traduisent 
par des convulsions. Quand on lie sur une grenouille les vais¬ 
seaux des membres postérieurs et qu’on empoisonne le corps de 
l’animal en plaçant la strychnine sous la peau du dos ou dans la 
bouche, les membres postérieurs aussi bien que les membres an¬ 
térieurs, entrent en convulsion strychnique. En effet, la strychnine 
ayant pu être portée sur l’extrémité médullaire des nerfs sensitifs 
des membres postérieurs produit les convulsions par réaction de la 
cellule nerveuse sensitive de la racine postérieure sur la cellule 
nerveuse motrice de la racine antérieure, ainsi que cela a lieu du 
reste dans les mouvements réflexes normaux. Mais si, dans l’ex¬ 
périence précédente instituée d’une manière exactement sem¬ 
blable,on substitue le curare à la strychnine, on verra, ainsi que 
nous l’avons déjà dit, que tout est différent : les membres anté¬ 
rieurs ressentent l’effet du poison, tandis que les postérieurs en 
sont complètement préservés. Cette seule expérience comparative 
faite dans des circonstances identiques suffirait pour différencier 
l’action des deux poisons. C’est une méthode expérimentale fausse 
que celle qui consisterait à prendre isolément, et dans des con¬ 
ditions diverses, des caractères de similitude ou de dissemblance 
pour rapprocher ou séparer l’action de deux ordres de poisons. 
Il faut toujours considérer l’action des poisons dans des circon¬ 
stances identiques et exactement comparables, et, n’y eût-il qu’une 
circonstance dans laquelle on verrait les deux agents toxiques 
produire des phénomènes différents, que cela suffirait pour auto¬ 
riser d’une manière absolue à les séparer. 

N° 29. 

En introduisant du curare sous la peau d’un membre d un e 
grenouille dont les vaisseaux ont été liés pour empêcher la gène- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 231 

ralisation de l'empoisonnement, on voit bientôt que les nerfs 
moteurs de ce membre sont paralysés par l’action locale du 
curare, tandis qu’en expérimentant de même avec de la stry¬ 
chnine on n’obtient aucun effet toxique. Mais si, sur une autre 
grenouille, après avoir arrêté la circulation dans la portion lom¬ 
baire de la moelle, pour empêcher également la généralisation 
de l’empoisonnement, on vient à porter de la strychnine sur la 
moelle elle-même, c’est-à-dire sur l’origine centrale des nerfs 
sensitifs des membres postérieurs, on voit bientôt l’empoison¬ 
nement strychnique se manifester dansees membres, tandis que 
le curare dans les mêmes conditions ne produit sur eux aucun 
effet toxique. 

N° 30. 

Pour bien constater la mort successive des nerfs et des mus¬ 
cles, il convient de faire l’observation sur un animal à sang froid 
(grenouillé), parce que l’extinction des propriétés des tissus et des 
éléments étant beaucoup plus lente que chez les animaux à sang 
chaud, on peut en suivre plus facilement les diverses phases. 
Mais au fond les choses ne diffèrent pas chez les animaux à sang 
froid et chez les animaux à sang chaud. Si l’on excise, par 
exemple, le cœur à une grenouille, afin de déterminer la mort 
par hémorragie, on voit, au bout d’un certain temps, la grenouille 
perdre ses mouvements volontaires comme un mammifère. 
Pendant l’été, la sensibilité et les mouvements volontaires de la 
grenouille peuvent durer deux ou trois heures, mais quel¬ 
quefois moins si la grenouille est préalablement affaiblie. 

Pour bien se rendre compte des phénomènes de la mort com¬ 
parative des nerfs sensitifs et moteurs, il faut faire l’expérience 
suivante : sur un animal anémié on pratique la ligature d’un nerf 
sciatique par éxemple, puis on excite le nerf au-dessus et au- 
dessous du point lié, et l’on observe d’abord que les deux parties 
du nerf sont excitables. Par l’excitation au-dessous de la ligature 
on a des mouvements directs, qui proviennent de l’excitation de 
l’élément moteur. Par l’excitation au-dessus de la ligature, on a 
des mouvements réflexes qui proviennent de l’excitation du nerf 
sensitif. Le nerf moteur survit au nerf sensitif, mais on voit 
parfois le nerf sensitif mourir si rapidement qu’il perd, pour ainsi 
dire, ses propriétés en bloc et dans toute son étendue à la fois. 
Il se comporte peut-être ainsi parce qu’il cesse subitement d agir 
sur les nerfs moteurs qui sont décrochés de la moelle. 



232 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N» 34. 

Anémie périphérique. Interprétation de la paralysie qui 
survient et des phénomènes de la mort dans les deux ordres 
de nerfs. 

Quand, sur un animal élevé (mammifère), on fait la ligature 
de l’aorte, l’animal est paralysé et perd presque instantanément 
tout mouvement volontaire des membres postérieurs. Cette para¬ 
lysie tient à ce que, par l’absence du contact du sang à sa péri¬ 
phérie, le nerf moteur meurt et cesse de pouvoir obéir à la 
volonté de l’animal. L’animal est paralysé et tombe, non parce 
que le nerf moteur est incapable par son extrémité périphérique 
de déterminer la contraction des muscles, mais parce que ce 
même nerf moteur ne peut plus recevoir, par son extrémité cen¬ 
trale, l’influence motrice volontaire de la moelle épinière. En 
effet, j’ai vu que, dès que le sang cesse par ses qualités physico¬ 
chimiques, d’exciter et de vivifier le bout périphérique de 
l’élément nerveux moteur qui pénètre dans le muscle, le nerf 
commence à perdre successivement ses propriétés conductrices 
de la motricité, mais en débutant toujours par la mort de son 
extrémité médullaire ou centrale. Cela est d’autant plus remar¬ 
quable que cette extrémité centrale continue à être en contact 
avec le sang et que l’anémie n’atteint que l’extrémité nerveuse 
périphérique. Une fois que l’élément nerveux s’est ainsi décroché 
de la moelle épinière par son extrémité centrale, il meurt ensuite 
du centre à la périphérie, c’est-à-dire de son extrémité passive 
vers son extrémité active , qui persiste la dernière. Cette mort 
successive du nerf n’est toutefois pas régulière. J’ai vu qu’elle se 
fait en quelque sorte en deux temps : d’abord dans la moelle et 
dans la racine antérieure jusqu’au niveau du ganglion interver¬ 
tébral; puis, une fois que la mort de l’élément moteur arrive 
dans le nerf mixte, elle marche avec une très-grande rapidité et 
est souvent presque instantanée d’un bout à l’autre du nerf. 
Quand le nerf mjxte est préalablement divisé, les choses semblent 
se passer autrement, et il est plus facile de suivre alors la mort 
du nerf moteur du centre à la périphérie. 

Les faits qui précèdent s’établissent expérimentalement de 
la manière la plus claire. Au moment où, après l’interruption de 
la circulation dans les membres postérieurs, l’animal mammifère 
(chien) tombe paralysé du mouvement volontaire, on peut très- 
facilement constater, en découvrant le nerf sciatique, que son 
excitation fait parfaitement encore contracter les muscles. Mais si 
préalablement on a ouvert le canal vertébral, on trouvera qu’à ce 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 233 

moment déjà les racines antérieures ne peuvent plus être mises 
eu activité par actions réflexes, sous l’influence de l’excitation 
(Ürecte de la moelle ou des racines postérieures correspon¬ 
dantes. Un peu plus tard on verra l’irritation portée sur les 
racines antérieures immédiatement à leur sortie de la moelle ne 
plus déterminer de contractions musculaires, tandis que le 
mêmè excitant, appliqué au nerf sciatique, le fait encore très- 
bien réagir sur les muscles, qui se contractent. Enfin on pourra 
encore constater que le nerf sciatique devient inexcitable dans 
son tronc avant de l’être dans ses derniers rameaux périphériques. 
Toutefois, ainsi que nous l’avons dit, dès que la mort s’est emparée 
du tronc du nerf, elle semble marcher avec une très-grande rapi¬ 
dité. Cela tiendrait-il à ce qu’alors les muscles, commençant à 
s’altérer, deviennent acides et de moins en moins excitables? 

J’ai encore démontré de la façon suivante que la mort du 
nerf moteur arrive toujours du centre à la périphérie, bien que 
l’anémie ne soit que périphérique et que la circulation continue 
à être normale dans la moelle épinière autour de l’extrémité cen¬ 
trale du nerf : sur un animal vivant (chien), j’ai disséqué deux 
muscles de la cuisse, en isolant avec soin les vaisseaux et les 
nerfs qui s’y rendent et en conservant aussi longs que possible 
les rameaux des nerfs que j’avais séparés du sciatique. Ayant 
ensuite constaté que les muscles et les nerfs étaient très- 
irritables, j’ai suspendu la circulation dans le muscle en com¬ 
primant l’artère musculaire avec une serre fine à mors plats. Au 
bout d’un certain temps, un peu variable suivant diverses cir¬ 
constances, j’ai vu non-seulement que le nerf devenait inapte à 
déterminer des contractions dans le muscle, mais j’ai constaté 
que Tinexcitabilité de ce nerf ne se montrait pas dans toute sa 
longueur à la fois au même degré, mais qu’elle se propageait 
toujours de haut en bas, c’est-à-dire du centre à la périphérie. 
J’ai encore fait cette remarque importante que l’anémie péri¬ 
phérique épuise plus tard un nerf moteur intact, tenant encore 
à la moelle épinière; mais, dans tous les cas, le nerf, moteur 
meurt toujours de la phériphérie au centre. Enfin, pour dernière 
épreuve, on peut constater, en rétablissant, à un moment con¬ 
venable, la circulation dans le muscle, que la propriété du nerf 
moteur réapparaît de la périphérie au centre. 

Dans Vanémie périphérique la paralysie de la sensibilité ar¬ 
rive plus ou moins promptement, suivant que la Suspension de 
la circulation est plus ou moins complète. (Vulpian, Sur la durée 
de la persistance des propriétés, etc. — Gazette hébdoma - 



234 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

daire de médecine et de chirurgie, 1861, t. VIII, po 21 
p. 350.) M. Flourens a imaginé pour supprimer la circulation un 
procédé très-ingénieux, qui consiste à injecter dans les artères 
une poudre inerte, telle que de la poudre de lycopode ou d’amidon 
en suspension dans l’eau. (Flourens, Comptes rendus deVAca¬ 
démie des sciences, 1847, p. 905 et suivantes ; 1849, p. 37 et 
suivantes.) 

M. Vulpian, en arrêtant la circulation par le procédé de M. Flou¬ 
rens, c’est-à-dire en injectant-dans les artères des poudres inertes 
a étudié d’une manière plus précise qu’on ne l’avait fait avant lui 
la disparition des propriétés des tissus après la soustraction du 
sang. Il a vu qu’après que la sensibilité s’est retirée de la peau 
elle persiste encore dans les troncs nerveux. Il a constaté, chez 
les mammifères, que le nerf sciatique était encore sensible trois 
heures après l’interruption de la circulation dans les membres 
postérieurs, et lorsqu’il y avait déjà un commencement de rigi¬ 
dité cadavérique. Ce qui démontre bien clairement que 'l’élément 
sensitif n’était pas encore mort, lorsque depuis longtemps l'élé¬ 
ment nerveux moteur et l’élément musculaire avaient perdu dé¬ 
finitivement leurs propriétés. 

J’ai constaté les mêmes résultats chez les grenouilles. Après 
l’interruption de la circulation dans les membres postérieurs, la 
peau reste encore sensible quand l’animal est déjà paralysé des 
mouvements volontaires. Cette persistance de la sensibilité de là 
peau, est plus durable pendant l’hiver que pendant l’été. M. Brown- 
Sequard 1 a trouvé également chez les mammifères que la sensibi¬ 
lité se conserve plus longtemps dans les parties qui sont soumises 
à une basse température. Chez les grenouilles, comme chez les 
mammifères, les troncs nerveux sont donc encore sensibles 
longtemps après que la peau ne l’est plus. J’ai vu bien souvent 
le nerf sciatique rester sensible dans un membre presque rigide. 
J’ai vu alors le galvanisme, appliqué à ce nerf, déterminer de la 
douleur, tandis que le même agent ne provoquait plus aucune 
contraction dans les muscles, soit directement, soit indirecte¬ 
ment. C’est seulement quand les muscles rigides commencent 
à s’altérer qu’on voit le nerf sciatique devenir insensible. 

Mais j’ai fait une expérience qui est importante pour l’explica¬ 
tion des phénomènes qui nous occupent : si l’on intercepte a 
circulation dans la cuisse d’une grenouille, par une ligature en 
masse qui ménage seulement les nerfs, on verra que les musc es 

1 Voyez Journal de la physiologie de l'homme et des animaux, rédig 
par M. Brown-Sequard. janvier 1831. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 235 

et les nerfs perdront peu à peu leurs propriétés dans la partie 
anémiée, c’est-à-dire dans la partie située au-dessous de la liga¬ 
ture; mais on constatera en même temps que le tronc nerveux 
du nerf sciatique ne devient insensible que jusqu’au niveau de la 
ligature ; il reste doué d’une très-vive sensibilité immédiatement 
au-dessus. Cette observation prouve bien que la mort du nerf 
sensitif après l’interruption de la circulation périphérique n’est 
pas une mort physiologique qui envahit le nerf d’un bout à l’au¬ 
tre, mais une mort accidentelle et locale, en quelque sorte, qui 
ne se montre que là où la circulation arrêtée a amené l’altéra¬ 
tion des liquides ambiants. 

N° 32. 

Anémie 'périphérique comparée à V action du curare dans 
la mort du nerf sensitif et dans la mort du nerf moteur. 

• Je dirai d’abord que l’expérience faite sur une grenouille em¬ 
poisonnée par le curare, et chez laquelle on a réservé les deux 
membres postérieurs, est très-instructive. En effet, dans cette 
expérience, les membres postérieurs anémiés éprouvent les effets 
purs et simples de la suppression totale du sang ; dans les mem¬ 
bres antérieurs et dans le tronc, l’action toxique du curare n’a¬ 
mène en réalité la suppression du sang que pour les nerfs mo¬ 
teurs, la circulation continuant normale pendant un certain 
temps, au moins pour les nerfs sensitifs et pour les muscles. 
Nous savons en effet que, dans cette expérience, la grenouille, 
paralysée du mouvement dans le tronc et dans les membres an¬ 
térieurs, reste sensible dans les membres postérieurs réservés, 
ainsi que dans tout le reste du corps, et qu’on produit des mou¬ 
vements réflexes dans les membres postérieurs, soit en les 
pinçant directement, soit en pinçant la peau du tronc ou celle 
des membres antérieurs. Toutefois les nerfs sensitifs des membres 
postérieurs anémiés deviennent bientôt insensibles. Mais ce qu’il 
faut bien remarquer, c’est qu’ils deviennent insensibles avant 
ceux du tronc et des membres antérieurs. Ce qui prouve que le 
sang curaré peut encore entretenir la vitalité des nerfs sensitifs, 
lorsqu’il détruit immédiatement celle des nerfs moteurs. 

Quand l’élément nerveux moteur des membres postérieurs ré¬ 
servés commence à mourir et se décroche de la moelle, on n’a 
plus de mouvement réflexe (et le temps pendant lequel on obtient 
ces mouvements réflexes est précisément celui qui est nécessaire 
pour amener le décrochement du nerf). L’élément musculaire 
meurt aussi et devient rigide ; mais dans le tronc et les membres 
antérieurs, où le sang empoisonné circule, les muscles se con- 



236 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

servent plus longtemps que dans les membres postérieurs ané 
miés, parce que la circulation du sangcuraré, continuant dans les 
premiers, nourrit encore les muscles, qui ne deviennent acides 
que plus tard. Pendant l’hiver, l’animal revient parce q ue l e 
poison a le temps de s’éliminer avant l’acidification ou l’épui¬ 
sement des muscles. 

J’ai fait connaître mes expériences sur le mécanisme réel de 
la mort du nerf moteur dans l’empoisonnement par le curare, dans 
mon cours du Collège de France en 1864-1865. ("Voyez Revue des 
cours publics, t. II, p. 383, 4354 438.) Ces expériences démon¬ 
trent que le genre de mort du nerf par le poison curarique ne 
diffère pas de la mort par anémie, et par conséquent elles se¬ 
ront de nature à éclairer le mode d’action particulier du curare. 

Autrefois j’avais dit, d’après mes premières expériences faites 
sur des grenouilles et de petits mammifères, qu’à la suite de l’em¬ 
poisonnement par le curare, le nerf moteur ne réagissait plus 
sur les muscles, même sous l’influence des plus forts excitants. 
Divers expérimentateurs trouvèrent que ma proposition n’était pas 
absolue. M. Vulpian remarqua que parfois, chez les chiens em¬ 
poisonnés par le curare, les nerfs réagissaient encore sur les 
muscles sous l’influence du galvanisme, et il en tira la conclusion 
paradoxale que le curare agit autrement sur les batraciens et les 
mammifères. Ne pouvant pas admettre cette conclusion, qui est 
en désaccord avec les principes de la physiologie générale, puis¬ 
qu’elle tendrait à faire admettre que les nerfs ne sont pas de 
même nature chez les deux sortes d’animaux, je répétai les expé¬ 
riences et je vis que ces différences tenaient à la dose du curare 
employée. Quand on fait absorber des doses très-fortes du cu¬ 
rare, ou quand on l’injecte directement dans le sang, l’empoison¬ 
nement du nerf est rapide et complet; on ne détermine plus 
alors de contraction dans les muscles quand on excite les troncs 
nerveux aussitôt après la mort de l’animal. Mais lorsqu’on donne 
de petites quantités du curare ou qu’on expérimente sur de 
grands animaux avec des doses relativement plus faibles, l’em¬ 
poisonnement du nerf n’est pas complet ; le nerf est seulement 
décroché de la moelle, les mouvements volontaires seuls sont 
abolis, tandis que l’excitation portée sur les troncs des nerfs peut 
encore faire contracter les muscles. 

M. Yulpian, se fondant, pour combattre la spécialisation des 
nerfs de mouvement, sur des idées préconçues qu’il considère 
lui-même comme hypothétiques, est arrivé à émettre sur l’action 
du curare des opinions que je ne saurais partager, bien quelles 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 237 

reposent sur des faits généralement exacts, mais suivant moi faus¬ 
sement interprétés. Ainsi, M. Yulpian croit que le curare ne pa¬ 
ralyse pas plus le nerf moteur que le nerf sensitif. (Voyez Leçons 
de physiologie générale et comparée du système nerveux fai¬ 
tes au Muséum d histoire naturelle, 1866, p. 207 et suivantes.) 
Il pense que le poison agit sur les muscles ou sur quelque chose 
d’intermédiaire au muscle et au nerf moteur, et que c’est cette 
lésion périphérique qui intercepte l’action de la volonté de l’ani¬ 
mal. Mais cela est en contradiction directe avec le fait observé 
par M. Yulpian lui-même sur le chien. En effet, sur un chien 
empoisonné par une faible dose de^ curare, on constate qu’au 
moment où l’animal tombe paralysé du mouvement volontaire, 
l’excitation des nerfs musculaires détermine de très-fortes con¬ 
vulsions dans les muscles. Cela prouve bien clairement que l’in¬ 
fluence du nerf sur le muscle n’est ni interceptée ni affaiblie, et 
cependant l’animal est paralysé. Mais d’autres faits démontrent 
d’une manière péremptoire que cette paralysie ne saurait tenir à 
ce que le nerf moteur n’est plus capable de faire contracter le 
muscle, mais bien à ce que la moelle ne peut plus exciter le nerf 
moteur, ainsi que je l’ai démontré. C’est donc par une altération 
centrale et non périphérique du nerf moteur qu’il faut expliquer 
la paralysie du mouvement volontaire après l’empoisonnement 
par le curare ou après l’arrêt de la circulation. Je ne saurais donc 
admettre que la soustraction du sang normal, pas plus que l’ac¬ 
tion du sang empoisonné par le curare, se bornent à paralyser 
l’extrémité nerveuse seule et à le décrocher purement et simple¬ 
ment du muscle. 

Pour fixer dans l’esprit cette action toxique singulière qui ne 
peut atteindre le nerf de mouvement que par la périphérie, bien 
qu’il lui fasse perdre ses propriétés par le centre, c’est-à-dire 
par l’extrémité opposée à celle qui ressent l’action perturbatrice 
ou toxique, je donne dans mes cours l’image suivante : que l’on 
se représente hypothétiquement pour un instant le nerf moteur 
comme un tube plein d’un fluide nerveux qui ne peut s’écouler 
que par l’extrémité périphérique, et par suite de l’altération ou 
de la paralysie d’un orifice qui serait muni d’une soupape quel¬ 
conque. Dans cette supposition il faudra bien que l’agent capa¬ 
ble de produire cet effet aille nécessairement toucher la périphé¬ 
rie du nerf pour déterminer l’écoulement du fluide nerveux; mais 
on comprend aussi que le tube nerveux deviendra d’abord vide, 
c est-à-dire inerte à son extrémité opposée à celle par où l’écou¬ 
lement nerveux a lieu. 


238 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N° 33. 

Anémie centrale. Interprétation de la paralysie survenant 
dans les deux ordres de nerfs. 

Nous allons voir que l’élément nerveux sensitif se comport 
tout autrement que l’élément nerveux moteur, à la suite de la 
soustraction du sang à son extrémité centrale, c’est-à-dire dans la 
moelle épinière. 

. M. Flourens, interceptant la circulation dans lejtrain posté¬ 
rieur chez des chiens, a vu qu’en injectant la poudre obstruante 
du côté du cœur jusqu’à une certaine hauteur dans l’aorte on 
obtient, outre la paralysie immédiate du mouvement volontaire 
une disparition subite de la sensibilité, non-seulement dans la 
peau mais dans toute la longueur du nerf sciatique. De sorie 
que dans ce cas, au lieu que ce soit (ainsi que cela s’observe 
dans l’anémie périphérique) la sensibilité qui survive à la mo¬ 
tricité dans le nerf sciatique, c’est au contraire la motricité 
qui survit de beaucoup à la sensibilité. M. Vulpian, qui a répété 
ces expériences, a parfaitement vu et expliqué que ce' dernier 
résultat tient à ce que le sang a été supprimé, non pas seule¬ 
ment dans les. membres, mais en même temps dans la partie 
inférieure de la moelle elle-même. La suppression du sang 
dans la moelle enlève donc immédiatement les propriétés du nerf 
sensitif. On ne saurait en effet expliquer le fait de la disparition 
subite de la sensibilité dans les nerfs des membres autrement que 
par la cessation du contact du sang autour de l’extrémité centrale 
du nerf sensitif. Aussitôt que le sang ne stimule plus cette ex¬ 
trémité centrale, le nerf commence à perdre ses propriétés; il se 
décroche, se sépare de la moelle, et dès lors il ne peut plus lui 
apporter les excitations qu’il reçoit. 

Quant à la moelle., ainsi que l’a constaté M. Yulpian, elle n’est 
nullement altérée dans sa texture ; la circulation y est seulement 
suspendue. En découvrant sur des mammifères la moelle épinière 
lorsque la circulation vient d’y être arrêtée, M. Brown-Sequard 
et M. Yulpian ont constaté que la moelle était sensible, c’est-à- 
dire capable de transmettre les impressions douloureuses. Par 
conséquent, si l’irritation du nerf sensitif eût pu exciter la moelle 
épinière comme à l’ordinaire, celle-ci était en état de propager 
cette excitation au sensorium commune. La moelle anémiée ne 
perd pas non plus immédiatement ses propriétés motrices; elle se 
montre excitable pendant très-longtemps, c’est-à-dire qu’elle est 
encore capable, quand on l’excite, de déterminer des mouvements 
dans les muscles des membres postérieurs. Ce qui signifie clai- 



de la PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 239 

rement que, chez les mammifères, l'arrêt de la circulation du 
sang dans la moelle épinière n’a pas détruit l’activité de l’élé¬ 
ment nerveux moteur, mais a seulement déterminé la mort 
presque instantanée de l’élément nerveux sensitif. 

La mort du nerf sensitif par anémie centrale arrive lors même 
que la circulation périphérique continue; la même chose ne s’ob¬ 
serve pas pour le nerf moteur. 

Si, par une plaie faite sur les côtés de la colonne vertébrale 
chez une grenouille, on décolle avec soin, à l’aide d’un instru¬ 
ment fin, l’aorte de la colonne vertébrale, la circulation cesse 
bientôt après dans la partie lombaire de la moelle épinière, tan¬ 
dis que le sang continue à être porté dans les membres postérieurs, 
ce que l’on peut vérifier en constatant la continuation de la cir¬ 
culation dans l’artère de la cuisse ou dans la membrane interdigi- 
taire. Après l’opération, l’animal conserve les mouvements volon¬ 
taires et la sensibilité très-longtemps. Il ne perd la sensibilité de 
la peau et des troncs nerveux que très-tardivement, parce que sans 
doute on ne peut pas empêcher, d’une manière absolue, le sang 
d’arriver à la moelle, et que probablement aussi il y a uneinfluence 
du cerveau sur la moelle et peut-être aussi du sang à la périphé¬ 
rie nerveuse. Cette persistance de la sensibilité et des mouve¬ 
ments volontaires dans les membres postérieurs est mêmeunsigne 
que la circulation continue à la périphérie : car, sans cela, le 
nerf moteur se décrocherait bien vite de la moelle. Mais, si l’on 
vient alors à couper la moelle derrière les bras, on voit la sen 
sibilité disparaître très-rapidement dans les membres postérieurs, 
tandis que la motricité ainsi que la contractilité musculaire s’y 
conservent très longtemps et quelquefois pendant plusieurs 
jours, si l’animal survit. 

L’expérience précédente prouve bien nettement que la sous¬ 
traction du sang dans la moelle n’a détruit physiologiquement 
que les propriétés du nerf sensitif, mais non celles du nerf mo¬ 
teur. Le nerf moteur, recevant toujours du sang par son extré¬ 
mité périphérique, conserverait, en effet, ses propriétés indéfini¬ 
ment, en quelque sorte, si la moelle ne s’altérait pas. Quand 
la moelle s’altère, le nerf moteur se détruit chimiquement par 
corruption ou stagnation des liquides, absolument comme cela a 
lieu pour l’extrémité périphérique du nerf sensitif quand on a 
supprimé la circulation dans la peau. Dès que la moelle com¬ 
mence à s’altérer, l’animal perd la faculté d’agir volontairement 
sur ses membres postérieurs, quoique ses nerfs, qui reçoivent 
toujours du sang par la périphérie, soient encore très-longtemps 



240 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

irritables, c’est-à-dire actifs, sur les muscles. J’ai encore répété 
la même expérience de la manière suivante : sur des grenouilles 
on coupe la moelle ainsi que la colonne vertébrale derrière les 
bras, puis on soulève la colonne vertébrale, en rompant avec 
précaution jusqu’au sacrum les rameaux aortiques qui vont à 
la moelle. Alors la moelle épinière est isolée de là circulation 
mais gardée dans son étui rachidien, tandis que l’arrière-train de 
la grenouille communique encore avec le corps par les vaisseaux. 
On voit alors que la sensibilité dure peu dans le train postérieur, 
mais que la motricité des troncs nerveux ainsi que la contractilité 
musculaire y persistent très-longtemps. 

Pour que les propriétés nerveuses se rétablissent par la trans¬ 
fusion sanguine, ce n’est pas tant sur le tronc des nerfs que le 
sang doit être dirigé que sur leurs extrémités périphériques ou 
musculaires pour les nerfs moteurs, et centrales ou médullaires 
pour les nerfs sensitifs. Fontana avait déjà observé que les nerfs 
ne s’empoisonnent pas par leur tronc. Le tronc d’un nerf scia¬ 
tique de lapin enveloppé pendant plusieurs heures dans un lin ge 
humecté de ticuna, c’est-à-dire de curare, n’avait aucunement 
perdu la propriété de faire contracter les muscles de la patte. 
(Fontana, sur le Venin de la vipère, t. II,p. 115 à 120.) 

34. 

Anémie complète périphérique et centrale. — Mort des 
deux ordres de nerfs. 

Quand on injecte des poudres obstruantes dans l’aorte chez 
des animaux supérieurs (mammifères) de façon à interrompre 
la circulation à la fois dans la partie lombaire de la moelle et 
dans les membres, il y a suppression simultanée du sang à l’ori¬ 
gine centrale et à l’extrémité périphérique des nerfs des mem¬ 
bres postérieurs. Dans l’expérience ainsi pratiquée, il y a, ainsi 
que nous l’avons vu, paralysie subite de la sensibilité et du mou¬ 
vement ; mais le nerf moteur persiste plus longtemps que le nerf 
sensitif, et le muscle perd le dernier ses propriétés. 

Sur les grenouilles, les phénomènes sont les mêmes que sur 
les mammifères, seulement ils surviennent plus lentement. 

Je n’ai pas à m’arrêter plus longtemps sur les résultats de ces 
expériences, parce qu’ils se trouvent implicitement compris dans 
tous les développements que j’ai donnés dans les notes précédentes, 
j’ajouterai seulement que les idées et les considérations que j’ai 
développées au sujet de la mort des deux ordres de nerfs, ainsi que 
beaucoup de faits nouveaux que j’ai signalés, sont extraits de re¬ 
cherches sur le système nerveux que je poursuis depuis plusieurs 



DE LA. PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 241 

années et qui sont encore inédites. Il y a sans doute encore dans 
toutes ces questions des lacunes et des obscurités. Les caraclè- 
res par lesquels nous pouvons distinguer actuellement les nerfs 
moteurs et sensitifs sont encore bien insuffisants. Je n’ai pas 
voulu cependant discuter des vues nouvelles que j’aurais pu 
émettre sur la distinction des nerfs. J’ai conservé, autant que 
possible, les idées courantes pour ne pas augmenter ces notes 
déjà si étendues. 

En résumé, dans les analyses expérimentales qui précèdent, 
j’ai voulu seulement montrer la tendance de la science et indi¬ 
quer la voie dans laquelle la physiologie générale cherche la so - 
lution de ces questions complexes. J’ai donné sur les faits les 
opinions qui me paraissent aujourd’hui les plus probables ; mais 
je ne prétends pas qu’elles 'doivent être absolues ni définitives. 
En effet, tant qu'il reste des lacunes dans l’expérimentation, tou¬ 
tes nos interprétations théoriques ne sont que provisoires ; elles 
sont destinées à se modifier à mesure que d’autres faits arrivent : 
c’est ainsi que se fait le progrès dans les sciences. Admettre 
qu’une interprétation ou une théorie ne doit plus changer, ce se¬ 
rait dire que la science est finie sur ce point. Chaque fois que 
l’on peut changer d’opinion, dans un sujet qui est à l’étude, cela 
prouve donc que l’on avance et que l’on accroît ses connaissan¬ 
ces. 

N° 35. 

C’est à un physiologiste anglais, M. Waller, que l’on doit la 
connaissance de ces faits intéressants. Il reste encore des doutes 
à éclaircir relativement au centre nutritif des nerfs de sentiment. 
Le ganglion intervertébral est bien pour eux un centre nerveux 
nutritif, mais il est probable qu’il y en a d’autres, et que des cel¬ 
lules nerveuses ganglionnaires périphériques, cutanées ou au¬ 
tres, pourraient jouer ce rôle : après la section du nerf optique, 
par exemple, c’est le bout central qui s’altère. Ce sont des faits 
de ce genre qui m’ont porté à considérer l’extrémité médullaire 
ou centrale des nerfs sensitifs de la moelle épinière comme une 
extrémité périphérique fonctionnelle ou active. 

Dans les organismes jeunes et vigoureux les nerfs détruits peu¬ 
vent se régénérer et leurs fonctions se rétablir. On avait cru 
qu’il fallait, pour que cette régénération eût lieu, que le bout at¬ 
tenant à la cellule conservatrice se soudât avec le bout détruit, 
et lui communiquât en quelque sorte une influence régénéra¬ 
trice. Mais MM. Philippeaux et Vulpian ont démontré, par des 
expériences nombreuses, que la régénération du bout ^nerveux 



242 DE -LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

détruit peut avoir lieu autonomiquement sur place et indépen¬ 
damment de l’influence centrale. (Philippeaux et Vulpian, Re¬ 
cherches expérimentales sur la régénération des nerfs sépa¬ 
rés des centres nerveux ; dans les Mémoires de la Société de 
biologie, 1859.) 

Sur des chiens dont les racines rachidiennes postérieures 
avaient été coupées entre le ganglion intervertébral et la moelle, 
j’ai vu moi-même la sensibilité se rétablir dans le membre 
après un temps plus ou moins long, preuve que le bout central 
ou médullaire de la racine s’était régénéré et que cette partie du 
nerf se comporte comme un bout périphérique nerveux. 

N° 35 bis. 

On a signalé dans les nerfs une propriété d’excitabilité et 
une propriété de conductibilité qui seraient distinctes l’une de 
l’autre. Je n’ai pas constaté si, dans un nerf qui meurt, ces deux 
propriétés se séparent et présentent des rapports d’intensités dif¬ 
férents. 

N° 36. ■ 

E. Faivre, Expériences sur Vextinction des propriétés 
des nerfs et des muscles apres la mort chez les grenouilles. 
(Comptes rendus de la Société de biologie, p. 123, 1858 ; 

p. 26,1860.) 

J’ai montré que les nerfs pouvaient devenir plus excitables lo¬ 
calement, et que c’était à des degrés divers d’excitabilité artifi¬ 
ciellement provoqués qu’il fallait attribuer toutes les alternati¬ 
ves voltianes dont on a voulu faire des lois physiologiques. Ce ne 
sont là, au contraire, que des états pathologiques des nerfs ou 
des états physiologiques qui accompagnent la mort. (Voyez 
mes .Leçons sur la physiologie et la pathologie du système 
nerveux faites au Collège de France, t. I, p. 160 et sui¬ 
vantes.) 

J’ai beaucoup insisté sur cette excitabilité des nerfs (Voir 
Cours de pathologie expérimentale), qui non-seulement se 
montre sur les bouts périphériques des nerfs moteurs, mais aussi 
sur les bouts centraux des racines rachidiennes postérieures di¬ 
visées; ce qui fait qu’on peut considérer ces derniers comme des 
bouts périphériques se terminant dans le réseau nerveux médul¬ 
laire. 

N» 37. ' 

Chez les animaux morts après une longue abstinence la réac¬ 
tion acide des muscles manque souvent. La réaction du suc mus- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 243 

culaire ne paraît pas du reste avoir une aussi grande importance 
que certains physiologistes l’avaient pensé. 

N° 38. 

Sur des écrevisses, j’ai constaté que, dans certaines conditions, 
les muscles de la queue restent très-alcalins, quoiqu'ils soient 
pris depuis longtemps par la rigidité cadavérique. 

N° 39. 

En 1855, j’ai découvert que les muscles des mammifères ren¬ 
ferment une matière glycogène qui peut se transformer en sucre 
par une sorte de fermentation glycosique et lactique à la fois : ce 
qui donne alors au muscle une réaction extrêmement acide. J’ai 
vu d’abord ce phénomène très-marqué dans les muscles du fœtus 
de veau. (Voyez Leçons au Collège de France , p. 381, 1855.) 
Plus tard, j’ai isolé cette matière glycogène dans le foie, dans les 
muscles, dans le placenta, etc. 

N° 40. 

La durée de l’irritabilité musculaire après la mort est variable. 
Tous les muscles ne la perdent pas en même temps. La rigidité ca¬ 
davérique musculaire arrive d’autant plus rapidement que le mus¬ 
cle est antérieurement plus épuisé, par l’abstinence ou l’excès d’ac¬ 
tion. C’est pourquoi, en coupant, comme je l’ai fait, chez des 
animaux mourant dans les convulsions, les nerfs d'un membre, 
ce membre devient rigide moins vite. De même, en galvanisant les 
nerfs d’un membre, les muscles deviennent rigides plus vite, 
surtout si l’on empêche en même temps le sang d’aller dans ces 
muscles. 

La rigidité cadavérique survient aussi plus tard dans des mus¬ 
cles paralysés; les muscles paralysés par section de leurs nerfs 
présentent même une irritabilité exagérée. Quand on sacrifie les 
animaux dans ces conditions, les muscles paralysés restent plus 
longtemps irritables que ceux du côté sain, et la rigidité s’y 
montre également plus tardivement. 

Voyez, sur ce même sujet, des expériences de M. Brown-Se- 
quard, dans les Comptes rendus de la Société de biologie, 
t. III, l re série, p. 144, 1851; — Journal de physiologie de 
Brown-Sequard, t. V, p. 253. 

N° 41. 

Brown-Sequard, Recherches sur le rétablissement de Virri¬ 
tabilité musculaire. (Comptes rendus et Mémoires de la So¬ 
ciété de biologie, p. 103-147, 1851.) 



244 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N» 42. 

Voyez mes Leçons au Collège de France , publiées dans le 
Medical Times and Gazette , 13 avril 1861. 

La rigidité musculaire peut être produite artificiellement par 
la chaleur, le chloroforme et divers autres agents. On peut dans 
ces circonstances la faire également disparaître soit à l’aide de la 
transfusion, soit à l’aide d’agents spéciaux. 

N° 43. 

J. Béclard, De la contraction musculaire dans ses rapports 
avec la température animale. (Comptes rendus de V Académie 
des sciences , 5 mars 1860, et Archives générales de médecine , 
janvier 1861.) 

N° 43 bis. 

A l’étranger ces phénomènes ont été étudiés spécialement par 
R. Heidenhain, A. Fick, etc. En France M. Marey s’est particu¬ 
lièrement occupé de ces mêmes questions. 

N° 44. 

Marey, Etudes graphiques sur la contraction musculaire. 
(Journal de Vanatomie et de la physiologie de M. Ch. Robin, 
1 er mars 1866.) 

N° 45. 

Les expériences électro-physiologiques de MM. Becquerel et 
Berschet en France, de M. Matteucci en Italie, furent les premières 
conquêtes dans cette voie. Mais l’électro-physiologie n’est devenue 
une branche de la physiologie générale que depuis les grands 
travaux de M. Du Bois-Reymond en Allemagne. Récemment 
M. J. Regnauld a perfectionné divers points de ce sujet difficile. 
(J. Regnauld, Recherches sur les courants musculaires ; dans 
les Comptes rendus de VAcadémie des sciences , 15 mai 1854. 
— Productions d’électricité dans les êtres organisés, thèse 
d’agrégation, Paris, 1847.) 

N° 46. 

M. Vulpian, en soutenant son opinion de l’identité des nerfs de 
sentiment et de mouvement, a trouvé des faits intéressants, mais 
qui, suivant moi, doivent être interprétés tout autrement. (Voyez 
Vulpian, Leçons sur la physiologie générale et comparée du 
système nerveux , 1866.) 

Quand on généralise en science, il ne faut pas vouloir identi¬ 
fier les phénomènes. Il faut bien distinguer la généralisation, qui 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 245 

simplifie et éclaire, de runiformisation, si l’on peut ainsi dire, 
qui confond et embrouille. Le généralisation n’est que la réduc¬ 
tion de variétés phénoménales distinctes à une loi commune. 
L’uniformisation est la tendance à faire disparaître toutes les 
variétés phénoménales, en cherchant à prouver que tout est iden¬ 
tique et que tout est dans tout : ce qui est contraire aux lois phy¬ 
siologiques, puisque les phénomènes vitaux ne se perfectionnent 
que par une différenciation de plus en plus variée. 

N° 46 bis. 

Il faut surtout se garder de confondre les propriétés des nerfs 
avéc leurs fonctions. Ce sont deux choses essentiellement dis¬ 
tinctes. Il me suffit de signaler ici cette distinction ; j’aurai l’oc¬ 
casion ultérieurement de développer avec beaucoup de détail 
cette importante question. 

. N° 47. 

Une expérience de M. Bert a pour objet de montrer qu’on peut 
changer, dans certains cas, la direction suivant laquelle l’im¬ 
pression sensitive se transmet dans les organes et dans la peau. 

Après avoir greffé chez un rat l’extrémité libre de sa queue 
sous la peau de son dos, on la retranche à son origine de manière 
que sa base devienne son hout libre, et son bout libre sa base. 
Au moment delà séparation du corps, toute cette queue ainsi ren¬ 
versée est insensible. La sensibilité y revient peu à peu, et d’a¬ 
bord confusément, puis distincte; au bout d’un an elle est com¬ 
plètement revenue. Les nerfs qui existent dans cette queue greffée 
sont les anciens nerfs régénérés; mais ils transmettent, comme 
on le voit le courant sensitif dans un sens inverse de celui suivant 
lequel ils le transmettaient dans la queue primitive. (Voyez Paul 
Bert, Recherches expérimentales pour servir à l'histoire de 
la vitalité propre des tissus animaux , thèse de la faculté des 

sciences, à Paris; 1866.) 

N» 48. 

J’ajouterai de plus que, d’après des expériences inédites qui 
me sont propres, je pense que les nerfs sensitifs peuvent non- 
seulement exciter les nerfs moteurs parleur boutcentral pourpro- 

mre les mouvemen' s réflexes, mais qu’ils possèdent encore la pro¬ 
priété de les exciter aussi du côté de la périphérie, pour produire 
dans certaines circonstances une sorte de mouvement récurrent. 

Nous sommes loin de connaître tous les modes de communica- 

10n ^ es u erfs entre eux soit à leurs extrémités centrales, soit à 



246 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

leurs extrémités périphériques. Les phénomènes de sensibilité 
récurrents qu’on a trouvés entre les différents nerfs font pencher 
pour l’idée d’un réseau existant entre les diverses sortes de nerfs. 
N° 49. 

On n’a pas constaté de nerfs dans l’amnios du poulet, qui est 
contractile. Le cœur, dans les premiers temps de son développe¬ 
ment, se contracte également sans qu’on soit en droit d’attribuer 
sa contraction à l’influence du système nerveux. Cependant la 
contractilité de l’amnios du poulet se développe sous l’influence 
d’excitants directs. 

On peut constater aussi que les muscles des membres chez le 
poulet se contractent directement sous les influences extérieures, 
lorsque ces muscles ne paraissent pas encore pouvoir être in¬ 
fluencés par le système nerveux. 

N° 49 bis. 

D’après une observation de M. Sert, curieuse et intéressante 
pour la physiologie générale, l’élément nerveux visuel serait exac¬ 
tement doué des mêmes propriétés physiologiques à l’égard de 
l’excitant lumineux dans toute la série animale. M. Bert a en 
effet constaté que l’énergie relative des sensations visuelles dans 
les régions diverses du spectre est la même chez l’homme et chez 
la daphnie puce, petit crustacé presque microscopique. Voyez 
P. Bert, Sur la visibilité des divers rayons du spectre pour 
les animaux, Comptes rendus de VAcadémie des sciences, 
t. LXIX, p. 365, 2 août 1869. 

N» 50. 

i Si l’histologiste est en droit d’affirmer les différences de struc- 
t ure quand il les voit, il ne lui est pas permis de les nier quand 
il ne les voit pas. En effet, dans un corps vu par transparence, s’il 
p’y a pas de différence de réfrangibilité dans les substances, on 
ne distingue pas les parties. C’est pourquoi on emploie des réac¬ 
tifs qui modifient la matière et font apparaître des différences 
jà où l’on n’en voyait pas d’abord. 

N» 51. 

En effet, le savant, sans connaître les formules ou les théories 
des phénomènes, peut affirmer les principes de la science. Ja¬ 
mais le savant ne peut se flatter d’avoir la vraie formule, c’est-à- 
dire la vérité absolue. Nos interprétations des choses ou nos 
théories ne représentent que des vérités provisoires et relatives, 
mais le principe de la science expérimentale est absolu : c est le 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 247 

déterminisme des conditions des phénomènes. (Voir mon Intro¬ 
duction à la médecine expérimentale , 1865.) 

N° 52. 

L. Pasteur, Recherches sur les propriétés spécifiques des 
deux acides qui composent Vacide racémique. [Annales de 
chimie et de physique, 3 e série, t. XXVIII, 1849.) 

L. Pasteur, Mémoire sur la fermentation de l’acide tar- 
trique. (Comptes rendus de l’Académie, 29 mars 1858.) 

Dans ce mémoire il est prouvé que l'acide racémique est dé¬ 
doublé par un ferment qui ne détruit que l’acide tartrique droit. 
(Voir le Rapport du prix de physiologie expérimentale, 30 jan¬ 
vier 1860.) 

N° 53. 

La différenciation des éléments est donc le grand principe de 
perfectionnement organique. A mesure que les organismes s’é¬ 
lèvent, les différences anatomiques et physiologiques s’accroissent 
et donnent aux phénomènes de la vie une diversité plus grande et 
un épanouissement plus complet. 

Dans les êtres d’une organisation histologique tout à fait infé¬ 
rieure, nous trouvons les systèmes musculaire et nerveux con¬ 
fondus et tout à fait indistincts. Quand l’organisation s’élève, l’é¬ 
lément musculaire se sépare d’abord de l’élément nerveux, mais 
les éléments (nerveux peuvent rester très-longtemps encore con¬ 
fondus. Chez beaucoup d’invertébrés, les éléments musculaires 
sont déjà parfaitement distincts des nerfs que les éléments, ner¬ 
veux moteurs et sensitifs ne le sont pas encore, nettement. M. E. 
Faivre a trouvé que, chez le dytique, l’excitation de la face 
supérieure des ganglions donne lieu à des mouvements, sans pro¬ 
voquer de douleur, tandis que l’excitation portée sur la face in¬ 
férieure des mêmes ganglions manifeste une vive sensibilité, qui 
se traduit par des mouvements généraux violents. C’est bien évi¬ 
demment là une tendance à la séparation des phénomènes de 
sensibilité et de mouvement; mais cependant elle n’existe point 
encore réellement, et on ne trouve pas là des nerfs moteurs et 
sensitifs distincts. Aussi arrive-t-il que les agents toxiques ou les 
réactifs physiologiques qui distinguent les éléments nerveux bien 
caractérisés des vertébrés ne semblent plus les différencier de la 
même manière chez les invertébrés. 

_ Chez tous les vertébrés, les éléments nerveux sont nettement 
séparés en moteurs et sensitifs ; mais, parmi ceux-ci, il se crée 
encore une multitude de nuances et de distinctions, qui marchent 



248 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

parallèlement au développement graduel de tous les phénomènes 
nerveux, moteurs et sensitifs. 

Il est impossible sous ce rapport d’assigner les limites où doit 
s’arrêter cette différenciation, c’est-à-dire ce perfectionnement 
des espèces ou des individus. En effet, si nous admettons qu’un 
simple changement dans l’arrangement moléculaire de la matière 
organisée puisse amener ces différences fonctionnelles, nous con¬ 
cevrons que, sous l’influence de modificateurs nombreux, il sur¬ 
vienne des différences physiologiques variées à l’infini, amenées 
tantôt d’une manière durable, tantôt d’une façon transitoire. 

C’est par des changements de cette nature que se produisent 
sans doute certains caractères physiologiques de races animales. 
J’ai constaté, par exemple, que, chez les différentes races de 
chevaux et de chiens, le système nerveux présente de très-no¬ 
tables différences dans ses propriétés. J’ai observé que la section 
du grand sympathique du cou chez les chevaux de race anglaise 
amène aussitôt une grande élévation de température dans la tête 
et dans le cou, qui se couvrent d’une sueur abondante, tandis 
que, chez les chevaux de race bretonne, le phénomène est à 
peine marqué. J’ai constaté également qu’en agissant sur le sys¬ 
tème nerveux sympathique abdominal chez les chiens de chasse 
et chez les chiens de berger, les premiers mouraient constamment 
d’une opération que les seconds supportaient bien. Ce qu’on ap¬ 
pelle le sang dans la race réside dans les propriétés du système 
nerveux. 

C’est dans des modifications matérielles encore plus délicates 
et plus fugaces, qui, parfois, se réduisent à un simple change¬ 
ment dans la proportion d’eau de la substance constituante des 
éléments, que nous devons trouver l’explication de certaines va¬ 
riétés individuelles, que les zoologistes négligent, mais que les 
médecins caractérisent et désignent par le nom à?idiosyncrasie. 

En résumé, il faut admettre qu il ne peut jamais se produire 
de modification dans les propriétés d'un élément organique sans 
qu’il survienne en même temps dans sa structure des change¬ 
ments matériels plus ou moins profonds et plus ou moins stables, 
suivant qu’il s’agit de différences histologiques génériques , 
spécifiques , ou même de simples variétés dans l’espèce histolo¬ 
gique. 

On pourrait dire que toutes les différenciations physiologiques 
que nous cherchons à établir entre les expressions fonctionnelles 
des éléments appartenant à un même système ne sont que des 
degrés divers d’une même propriété vitale. Sans doute il peut en 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 249 

être souvent ainsi ; mais ces différences de degrés n’en sont pas 
moins très-importantes à connaître et à déterminer, car elles 
seules peuvent nous faire comprendre et nous permettre d’expli¬ 
quer les variations qu’on observe dans les propriétés physiologi¬ 
ques musculaires et nerveuses des divers animaux. 

Dans beaucoup de circonstances, une faible différence ou même 
une simple nuance dans l’activité d’une propriété vitale constitue 
pour l’organisme une condition de vie ou de mort, et fait qu’un 
animal résiste à certains modificateurs à l’action desquels un autre 
succombe. J’ajouterai que ces variétés spécifiques, individuelles 
ou idiosyncrasiques, sont celles qui doivent plus spécialement 
être étudiées, parce que, comme elles résident dans des modifi¬ 
cations matérielles délicates et peu stables, le physiologiste pourra 
les maîtriser plus facilement. Il pourra arriver à les provoquer 
par l’influence de certaines conditions, ou à les détruire à l’aide 
de modificateurs appropriés introduits dans le milieu organique 
intérieur, etc. 

Chez les animaux à sang chaud et chez les animaux à sang 
froid, il existe,des différences dans les propriétés physiologiques 
des muscles et des nerfs qui peuvent être le fait de l’influence 
des modificateurs ambiants. C’est ainsi que les muscles et les 
nerfs d’une marmotte engourdie, ou ceux d’un lapin placé dans 
certaines conditions qui le font ressembler à un animal à sang 
froid, sont tout à fait semblables à ceux d’une grenouille ou 
d’une tortue observées dans l’hiver. Chez les animaux engourdis, 
la propagation de l’excitation nerveuse se fait lentement, et la 
contraction musculaire dure après que l’excitation du nerf a 
cessé, tandis que, chez les animaux non engourdis, la contraction 
musculaire se fait rapidement au moment de l’excitation, et cesse 
avec elle. Mais la modification spéciale que le froid produit dans 
les muscles et dans les nerfs des animaux doit pouvoir être ame¬ 
née sous l’influence d’autres conditions. Chez les animaux à sang 
chaud on trouve en effet que les nerfs et les muscles, apparte¬ 
nant aux systèmes du grand sympathique, se comportent comme 
les muscles et les nerfs du système cérébro-spinal engourdi. 
On ne peut même distinguer les deux systèmes de nerfs et de 
muscles que par le plus ou moins de rapidité dans l’action des 
agents excitateurs sur eux. Il est probable que là cet engourdis¬ 
sement normal ou physiologique des muscles et des nerfs du 
grand sympathique dépend d’une organisation histologique moins 
parfaite, qui coïncide avec une excitabilité ou une irritabilité plus 
faible de la matière organisée. Ces variations histologiques ne 



250 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

feraient donc pas réellement différer les propriétés musculaires 
et nerveuses ; elles constitueraient seulement dans un même or¬ 
ganisme des éléments d’un degré d’organisation inférieure et des 
propriétés physiologiques d’un ordre moins élevé. De sorte qu’au 
fond toutes ces variétés rentreraient dans une seule et même loi. 

II est d’un grand intérêt de bien étudier tous ces changements 
dans les propriétés des tissus ou des éléments, suivant les mo¬ 
dificateurs qu’on fait agir sur eux. C’est par là en effet qu’on 
aura la raison de ce qu’on appelle la tolérance ou le mithrida¬ 
tisme. On pourra aussi trouver dans des différences de cette 
nature l’explication des actions toxiques différentes chez certaines 
espèces d’animaux très-rapprochées. Ainsi chez la grenouille des 
prés et la grenouille ordinaire, il y a de grandes différences pour 
la résistance aux divers poisons ou à certains modificateurs orga¬ 
niques, etc. 

Quand on étudie les actions toxiques ou médicamenteuses chez 
des animaux éloignés les uns des autres par leur organisation, il 
peut y avoir quelquefois de grandes différences, qui tiendront à 
ce que chez les animaux il existe des éléments de différenciation 
histologique qui ne se rencontrent pas chez d’autres. Il existe par 
exemple un cerveau chez tous les animaux vertébrés ; mais il est 
évident que, bien que le cerveau soit toujours constitué par des 
éléments nerveux, il y a chez certains vertébrés des éléments cé¬ 
rébraux et par conséquent des propriétés cérébrales qui n’existent- 
pas chez d’autres. Or, si la substance toxique ou médicamen¬ 
teuse agit sur un élément nerveux qui existe sur un animal et 
manque chez l’autre, on voit qu’il doit nécessairement en résulter 
une différence d’action du poison ou du médicament chez les 
deux vertébrés. 

Enfin il y a encore à tenir compte, dans les divers organismes, 
de la dose nécessaire de la substance active. C’est ainsi que j’ai 
vu que, pour arrêter le cœur d’un crapaud, il faut une dose de 
poison beaucoup plus forte que pour arrêter le cœur d’une gre¬ 
nouille. 

Les organismes, même les plus parfaits, conservent toujours en 
eux les vestiges, le souvenir en quelque sorte des degrés infé¬ 
rieurs d’organisation qu’ils traversent dans leur évolution. C’est 
ainsi qu’on a dit que le développement embryologique donne l’i¬ 
mage de la série zoologique, parce qu’on peut voir dans l’évolution 
des organes et des tissus une sorte d’échelle histologique zoolo¬ 
gique. En effet, on trouve à la fois dans le même organisme des 
éléments très-perfectionnés et d’autres qui, par une dégradation 



de la PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 251 

insensible, forment une véritable série histologique, dont les ' 
derniers termes ressemblent aux éléments confus des êtres infé¬ 
rieurs. C’est pourquoi nous trouvons, même chez les êtres supé¬ 
rieurs, à côté de la différenciation la plus variée des phénomènes 
sensitifs et moteurs, des éléments musculaires et nerveux indis¬ 
tincts, et sur lesquels les réactifs toxiques agissent comme sur 
les éléments des animaux invertébrés. 

J’ai empoisonné des animaux invertébrés avec le curare, etj’ai 
constaté qu’ils perdaient les mouvements volontaires ou sponta¬ 
nés et qu’ils conservaient les mouvements réflexés ou involontai¬ 
res. Le curare ne distingue donc les éléments histologiques que 
là où ils sont à un degrés d’organisation qui les différencie. Ce 
poison, dont l’action est si nette sur les nerfs volontaires, 
semble ne pas agir sur les nerfs involontaires. J’avais avancé 
autrefois que le curare n’atteint pas le grand sympathique; mais 
j’avais changé d’opinion en voyant que l’influence du nerf vague 
sur le cœur est paralysée après l’empoisonnement par le cu¬ 
rare. M. Yulpiam a de nouveau insisté avec raison sur l’inaction 
du curare sur certains nerfs involontaires ; mais il a eu tort, selon 
moi, d’en conclure que le curare n’agit pas sur les autres nerfs. 
M. A. Moreau a vu que le curare n’agit pas sur le nerf de l’or¬ 
gane électrique de la torpille, bien que l’on considère cependant 
la décharge électrique comme volontaire chez la torpille. Il faut 
admettre tous les faits quand l’observation rigoureuse les établit. 
Ce serait une erreur de méthode en physiologie que de vouloir 
nier les faits positifs au nom des faits négatifs, ou bien de vou¬ 
loir repousser des faits qui semblent contradictoires relativement 
à d’autres. Je dirai, par rapport à la question, qui nous occupe, 
que c’est précisément en étudiant et en cherchant à expliquer 
toutes ces différences d’influences toxiques sur les divers élé¬ 
ments nerveux qu’on arrivera à trouver le véritable mécanisme 
de l’action si singulière du curare. Ces études pourront ensuite 
amener à faire entre les différents nerfs des distinctions vraiment 
physiologiques ; car toutes nos distinctions des nerfs sympathi¬ 
ques et cérébro-spinaux ne sont rien moins que scientifique¬ 
ment fondées. 

Je terminerai en indiquant encore un autre fait bien singu¬ 
lier que j’ai trouvé relativement à la mort des nerfs, et qu’il est 
impossible d’expliquer dans l’état actuel de nos connaissances 
sur la physiologie du système nerveux. J’ai vu que, dans la mort 
par asphyxie ou par hémorragie, par exemple, les systèmes ner¬ 
veux cérébro-spinal et sympathique meurent, c’est-à-dire per- 



252 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

dent leurs propriétés d’une manière inverse de ce qui s’observe 
dans l’empoisonnement par le curare'; c’est-à-dire que, dans l’as¬ 
phyxie ou dans l’hémorragie, les nerfs moteurs involontaires per¬ 
dent leurs propriétés les premiers, tandis que les nerfs de la vie 
animale ou volontaires persistent les derniers. 

N° 54. 

Dans l’état dynamique ou fonctionnel, le nerf sensitif réagit 
sur le centre nerveux, le centre nerveux sur le nerf moteur et le 
nerf moteur sur le muscle. Dans l’état statique ou de repos, on 
pourrait croire que ces différents éléments de la fonction sensi- 
tivo-motrice sont inertes et n’exercent plus d’action les uns sur 
les autres. Il n’en est rien ; car, même à l’état statique, les élé¬ 
ments nerveux agissent toujours les uns sur les autres et sur le 
muscle comme des freins ou des modérateurs. La contraction 
musculaire n’est donc pour ainsi dire jamais isolée de l’in¬ 
fluence nerveuse ; la propriété de la contractilité présente même 
des variétés suivant que le muscle tient au nerf moteur ou sui¬ 
vant que celui-ci est isolé ou non de la moelle, etc. Toutes ces 
différences, que je ne puis développer ici, ont un grand intérêt 
pour le physiologiste, car il ne doit jamais perdre de vue l’en¬ 
semble des phénomènes ni l’association des éléments histologi¬ 
ques dans les mécanismes fonctionnels de l’organisme. Le mus¬ 
cle est l’élément sur lequel viennent se concentrer en définitive 
toutes les actions nerveuses ; toutefois rappelons-nous qu’il peut 
être soustrait à cette influence par l’action du curare. 

De même, dans les organes glandulaires, les nerfs sont les 
freins ou les modérateurs des sécrétions. Les nerfs paraîtraient 
agir sur des cellules glandulaires mêmes ; on a décrit des termi¬ 
naisons nerveuses dans des cellules glandulaires et même dans 
des cellules épithéliales muqueuses. Mais dans ces cas l’action du 
nerf sécréteur serait peut-être encore analogue à celle du nerf 
musculaire, s’il était prouvé qu’il porte son influence sur une 
matière contractile des cellules sécrétoires. 

N° 54 bis. 

La constitution anatomique de ce qu’on appelle un centre ner¬ 
veux est encore fort obscure.. Toutefois la physiologie porte à 
considérer ces centres comme des espèces de réseaux ou de carre¬ 
fours nerveux où aboutissent et où viennent communiquer entre 
eux divers systèmes de nerfs périphériques. (Voir ce que j'ai dit à 
ce sujet dans mon Discours de réception à l’Académie française, le 
28 mai 1869.) 



253 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
N° 55. 

Les mouvements conscients ne diffèrent pas, en tant que mé¬ 
canismes nerveux, des mouvements inconscients. La volonté 
n’est, en effet, qu’une forme de la sensibilité; il serait possible de 
prouver physiologiquement et expérimentalement cette opinion. 
> Mais ce qui à première vue paraît impossible, cest de com¬ 
prendre comment la sensibilité, d’abord inconsciente, peut deve¬ 
nir ensuite consciente. Je pense que c’est là une question que la 
physiologie parviendra à résoudre ; mais il faut pour cela consi¬ 
dérer le problème en physiologiste et débarrasser son esprit de 
certains préjugés philosophiques qui nous font illusion. Les ap¬ 
parences des phénomènes nous trompent toujours sur leur réa¬ 
lité. C’est ainsi qu’il nous semble que la conscience et l’intelli¬ 
gence doivent être nécessairement de deux choses l’une : ou des 
principes immatériels indépendants des organes, ou bien des 
produits d’une matière qui sent et qui pense. Ni l’une ni l’autre 
de ces deux opinions ne serait vraie. La sensibilité consciente 
n’est pas un principe mystérieux extra-physiologique qui vient 
se surajouter, à un certain moment, à l’organisme, et qui établit 
une limite infranchissable entre les phénomènes conscients et 
inconscients de l’être vivant. La sensibilité inconsciente, la sensi¬ 
bilité consciente et l’intelligence sont des facultés que la ma¬ 
tière n’engendre pas, mais qu’elle ne fait que manifester. C’est 
pourquoi ces facultés se développent et apparaissent par une évo¬ 
lution ou une sorte d’épanouissement naturel, à mesure que les 
propriétés histologiques nécessaires à leur manifestation appa¬ 
raissent. On pourrait donc considérer ces mêmes phénomènes à 
la fois comme résultantes et à la fois comme principes d’action. 

N° 56. 

J’ai constaté chez le chien que le ganglion sous-maxillaire 
peut, en dehors de l’action cérébrale, jouer pendant quelque 
temps le rôle de centre nerveux relativement à la sécrétion de 
la glande sous-maxillaire. Cependant il n’y a pas indépendance 
complète; car, après la séparation du centre cérébral par suite 
de la section du nerf lingual, le ganglion sous-maxillaire s’al¬ 
tère bientôt, ainsi que la fonction salivaire à laquelle il est 
annexé. 

N» 57. 

L’élément nerveux moteur agit spécialement sur les éléments 
musculaires les plus développés ; mais il est des expériences qui 
permettent de penser qu’il exerce aussi son action sur certaines 



254 


DE LA PHYSI0LÔG1E GÉNÉRALE 

matières contractiles à l’état amorphe ( sarcode , protoplasma) 
Toutefois il paraît aussi exister, même dans les organismes élevés 
des éléments musculaires qui ne se contractent pas au moyen 
de l’action nerveuse, mais qui fontionnent sous l’influence d’exci¬ 
tations ambiantes, telles que celles qui sont produites par les agents 
physico-chimiques, calorifiques ou autres. 

N° 58. 

Dans l’état actuel de nos connaissances physiologiques, cette 
action paralysante des nerfs est fort dificile à expliquer. Jus¬ 
qu’à présent je l’ai considérée comme le résultat d’une sorte 
d’interférence nerveuse ou d’une réaction d’un nerf sur un 
autre, etc. 

N° 59. 

Chez l’homme, les mécanismes physiologiques peuvent être 
poursuivis, depuis les fonctions les plus grossières jusqu’aux 
expressions les plus élevées des sentiments et des passions, et par¬ 
tout on voit que les muscles sont les agents immédiats de mani¬ 
festation de tous les phénomènes. Un médecin physiologiste fran¬ 
çais, M. le D r Duchenne (de Boulogne), a étudié avec beaucoup 
de soins et de succès le jeu et le rôle des muscles du corps de 
l’homme à l’aide de la méthode de l’électrisation localisée. Il a 
publié sur ce sujet divers ouvrages importants que nous n’avons 
pas eu à indiquer parce qu’ils se rapportent à la physiologie des¬ 
criptive normale et pathologique plus qu’à la physiologie générale 
proprement dite. Cependant nous signalerons ici l’ouvrage Sur 
le mécanisme de la physionomie humaine , non pour l’a¬ 
nalyser au point de vue scientifique ou esthétique, mais pour y 
rattacher une considération qui nous semble offrir de l’intérêt 
pour la physiologie générale et la psychologie. En effet, M. Du¬ 
chenne a pu, en agissant sur les divers muscles de la face dont il 
avait déterminé l’action, obtenir successivement sur une seule et 
même figure la manifestation des passions diverses et opposées 
que le modèle ne ressentait aucunement. Même sur un cadavre 
récemment mort il a pu produirel’apparence de semblables expres¬ 
sions en électrisant les mêmes muscles. D’après toutes ces expé¬ 
riences, il faut donc admettre que la face n’est qu’un masque formé 
de parties qui traduisent mécaniquement les sentiments et les pas¬ 
sions comme un instrument de musique peut rendre des mélodies 
dont il n’a nullement conscience. Cela est du reste d’accord avec le 
jeu des grands acteurs qui, comme Talma, M lle Mars, Rachel, etc. , 
arrivent à faire éprouver au public des sentiments dont ils 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 255 

connaissent à fond le mécanisme d’expression, mais qu’ils n’é¬ 
prouvent pas au moment où ils les expriment. 

F Dans les animaux, les mécanismes auxquels président les sys¬ 
tèmes musculaires et nerveux sont d’une variété infinie. Mais 
il faudrait, comme M. Duchenne l’a fait pour l’homme, étudier 
expérimentalement ces mécanismes au lieu de se borner le plus 
souvent à les déduire uniquement de considérations anatomiques. 

La physiologie comparée est une des mines les plus fécondes 
pour la physiologie générale. Mais il faut pour cela étudier les 
différences fonctionnelles qui existent entre les divers êtres 
vivants, non pour y trouver des caractères de distinctions zoolo¬ 
giques ou phytologiques, mais pour y découvrir, à l’aide de l’expé¬ 
rimentation, le jeu de certains mécanismes vitaux dont la connais¬ 
sance peut concourir à l’explication des phénomènes de la vie en 
général. Quand on considère les différences fonctionnelles chez 
des animaux construits sur un même plan d’organisation, comme 
les vertébrés le sont, la comparaison paraît simple et toujours 
légitime; mais quand on compare ces différences entre les 
vertébrés et les invertébrés, par exemple, la comparaison paraît 
souvent impossible, et l’on pourrait croire quelquefois à tort que, 
chez ces divers êtres , les lois des manifestations vitales sont 
d’une nature tout à fait différente. 

Le physiologiste doit voir, dans les expériences toutes faites 
que lui présentent les diversités fonctionnelles des êtres vivants, 
des problèmes qu’il faut attaquer là comme partout, par l’analyse 
physiologique expérimentale, afin d’y trouver des arguments déci¬ 
sifs pour l’explication des phénomènes vitaux. 

Les mécanismes vitaux doivent donc être étudiés d’une manière 
spéciale chez tous les animaux, et sous ce rapport la physiologie 
comparée présente encore beaucoup de lacunes. Mais, je le 
répète, il faut dans tous les cas, si l’on veut expliquer ces méca¬ 
nismes, les étudier expérimentalement ; on ne saurait se contenter 
de les déduire de l’anatomie comparée. 

N° 60. 

Relativement au curare, le poison est porté d’abord à l’extrémité 
périphérique de tous les nerfs moteurs ; mais tous ces nerfs ne sont 
point atteints à la fois : les nerfs les plus élevés dans la série his¬ 
tologique, les plus volontaires pour ainsi dire, ceux de la voix, cer¬ 
tains nerfs des yeux 1 , ceux des membres, sont empoisonnés les 

1 Le nerf moteur oculaire commun paraît être le premier atteint par 
-e curare, ce qui produit une exophthaimie très-visible chez les animaux 



256 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

premiers; puis les nerfs moteurs respiratoires, les derniers. Tant 
que les nerfs de la voix et ceux des membres et des yeux sont seuls 
atteints, la vie de l’organisme n’est pas en danger; mais il en est tout 
autrement quand les mouvements respiratoires sont paralysés 
Alors l’oxygène ne peut plus pénétrer dans le sang, et les globules 
sanguins ne peuvent plus fonctionner et aller vivifier le milieu 
intérieur. Les autres éléments histologiques des tissus périssent 
successivement par une simple asphyxie. Quand on ne savait pas 
quel était le mode d’action toxique du curare, on pouvait sup¬ 
poser que cette substance agissait sur le principe vital ou sur la 
vitalité de l’organisme en général. Maintenant que nous con¬ 
naissons l’élément histologique que ce poison paralyse, non- 
seulement nous expliquons le mécanisme physiologique de l’em¬ 
poisonnement, mais nous agissons scientifiquement sur les symp¬ 
tômes toxiques. En graduant la dose du poison, nous pouvons 
obtenir, sans aller jusqu’à l’asphyxie, des effets paralysants variés, 
qui cessent quand le curare est éliminé en dehors du sang. Quand, 
à la suite d’une blessure, le poison n’a pas encore pénétré en 
quantité toxique dans la circulation, on peut régler l’absorption 
de manière à faire éliminer le poison sans avoir d’asphyxie. (Voir 
‘ce que j’ai écrit à ce sujet dans la Revue des Deux-Mondes, 
1 er septembre 1864.) Enfin, si l’asphyxie est déjà survenue, on 
peut sauver l’individu par la respiration artificielle entretenue 
jusqu’à ce que le poison soit éliminé. 

Pour les poisons musculaires, la physiologie nous apprend 
qù’ils agissent tout autrement. L’agent toxique n’a pas pour effet 
d’engourdir la fibre nerveuse motrice, mais il attaque les proprié¬ 
tés chimiques de la substance musculaire; il épuise le muscle et 
le coagule. Toutes les fibres musculaires ne sont pas empoison¬ 
nées à la fois ; mais, pour certains poisons, celles du cœur sont 
atteintes les premières, puis successivement celles du tronc et 
des membres. Une fois que le cœur est devenu rigide et a cessé 
son action, la mort des autres éléments de l’organisme non atteints 
par le poison est devenue inévitable, par suite de la cessation de 
la circulation. Si maintenant nous voulons agir scientifiquement 
sur les symptômes de ces empoisonnements, la physiologie seule 
pourra encore nous diriger. En donnant une faible dose du poi¬ 
son, nous obtiendrons un ralentissement des mouvements du 
cœur, qui pourra devenir un moyen thérapeutique. Nous aurons 

et des phénomènes de diplopie observables chez l’homme. Il serait 
intéressant de rechercher si le curare paralyse le nerf moteur oculaire 
commun avant les autres nerfs moteurs de l’œil (4 e et 6 e paires). 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 257 

alors ce qu’on appelle une action locale , limitée à un organe. 
Mais, il ne faut pas s’y tromper, l’analyse expérimentale du phé¬ 
nomène nous apprend que cette action localisée n’est qu’un degré 
d’une action générale qui s’exerce sur tout un système ; il en est 
probablement de même pour toutes les actions toxiques ou médi¬ 
camenteuses localisées. Enfin, si l’action toxique est arrivée 
jusqu’à l’arrêt du cœur, la physiologie nous apprend que les 
moyens employés contre l’empoisonnement par le curare ne 
pourraient avoir ici aucune utilité. Le muscle est atteint de rigi¬ 
dité ; il faudrait avant tout arriver à rendre la fluidité à la matière 
musculaire coagulée. Nous n’en avons pas les moyens dans l’état 
actuel de nos connaissances, mais rien ne prouve que cela soit 
absolument impossible. 

No 61. 

On a reconnu de tout temps qu’il fallait un milieu extérieur 
approprié à l’organisme pour vivre. Mais je n’ai pas vu qu’on ait 
distingué un milieu extérieur et un milieu intérieur. Je crois 
avoir été le premier à émettre et à développer cette idée que le sang 
ou plus exactement la lymphe ou le plasma sanguin doivent être 
considérés comme le milieu intérieur des éléments organiques. 

Depuis douze ans je professe mes idées sur le milieu organi¬ 
que intérieur dans mes cours de physiologie générale à la Sor¬ 
bonne etau Collège de France. (Voyez mon Cours de physiologie 
générale de 1864; — Leçons sur les propriétés des tissus 
vivants, etc., p. 54 ; — Leçons sur les propriétés des liquides 
de l’organisme faites en 1857, t. I, p. 42; 1859; — Introduc¬ 
tion à Vétude de la médecine expérimentale, p. 107-206.) 

No 62. 

Sous ce rapport les propriétés du milieu intérieur végétal doi¬ 
vent être analogues à celles du milieu intérieur animal, sauf 
quelques différences dans les mécanismes d’absorption. C’est à 
raison de ces différences que les acides, par exemple, sont nuisibles 
pour les végétaux et non pour les animaux. (Voyez Recherches de 
physiologie végétale; De l’action des poisons sur les plantes , 
par 0. Reveil, 1865.) Il arrive en effet que, chez les animaux, les 
acides dilués, étant saturés par les sécrétions intestinales et par 
le sang, ne peuvent pas agir directement sur les éléments, tandis 
que, dans les végétaux, cette saturàtion n’ayant pas lieu, l’acide 
agit comme acide dans le milieu intérieur, sur l’élément histolo¬ 
gique. On voit donc qu’il faut toujours ramener les questions 
toxiques ou modificatrices à des actions du' milieu intérieur sur 

17 



258 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

les éléments organiques. Autrement on ne pourrait arriver à rien 
de précis sur la toxicologie comparée des animaux et des végé¬ 
taux. 

N° 63. 

Sur la cause de la mort des animaux soumis à une haute 
température. (Comptes rendus de la Société de biologie 
p. 59 ; 1859.) 

N° 64. 

Un physiologiste français, M. Fourcault ( Influence des enduits 
imperméables, etc., dans les Comptes rendus de VAcadémie 
des sciences , t. XVI, p. 139-338), a fait cette découverte inté¬ 
ressante qu’en enduisant d’un vernis imperméable des animaux 
mammifères, on amène chez eux un refroidissement graduel du 
milieu intérieur sanguin, dont la mort est la conséquence. J’ai 
remarqué, dans des expériences de ce genre, que la rigidité ca¬ 
davérique n’amenait pas l’acidification des muscles. 

En blessant la moelle épinière dans un point déterminé, j’ai 
produit chez les lapins et les cochons d’Inde un refroidissement 
du milieu intérieur avec des caractères particuliers, mais ayant 
cependant certains rapports avec les symptômes de l’hiber¬ 
nation. M. Bert ( Recherches expérimentales pour servir à 
Vhistoire de la vitalité propre des tissus animaux, thèse de 
la faculté des sciences de Paris, 1866) a soumis des greffes ani¬ 
males à des températures extrêmes. Il a observé qu’un tissu peut 
être placé à une température au-dessous de 0° sans perdre ses 
propriétés vitales et la faculté d’être greffé. Quant aux tempéra¬ 
tures élevées, elles sont beaucoup plus funestes à la vitalité des 
tissus et des éléments organiques. 

Lorsqu’on réchauffe modérément le milieu intérieur, jusqu’à 
certaines limites, la vie extérieure ou manifestée devient plus 
active et est surexcitée ; quand, au contraire, le milieu intérieur 
est refroidi, les manifestations vitales extérieures sont engour¬ 
dies ou ralenties.. Alors la vitalité est abaissée en quelque sorte ; 
mais aussi la mort est plus difficile à produire, soit par l’as¬ 
phyxie simple, soit par l’empoisonnement des éléments histolo¬ 
giques. 

N° 65. 

M. Legros a observé également que, pendant l’hibernation chez 
le loir, la plasticité organique se manifeste énergiquement. Il se 
passe alors des phénomènes de rédintégration qui n’ont pas lieu 
pendant la veille. Si, dans cet état, par exemple, on coupe la 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 259 

queue de l’animal, elle peut repousser (cité par M. Bert dans sa 


Poiseuille, Recherches sur la force du cœur aortique. (Jour¬ 
nal de physiologie de Magendie, t. VIII, p. 272.) 

N° 67. 

Chauveau et Marey, Appareils et expériences cardiographi¬ 
ques, 1863. — Marey, Physiologie médicale de la circulation 
du sang, 1863. 

N» 68. 

J’ai depuis longtemps établi cette distinction, que je crois im¬ 
portante (Voyez mes Leçons sur les liquides de Vorganisme, 
1 .1. p. 207 et suivantes, 1859.) 

N» 69. 

Pour éviter les complications qui résulteraient des influences 
d’absorption, il faut supprimer l’absorption, en injectant la subs¬ 
tance toxique directement dans les vaisseaux. 

N° 70. 

Chez les différents animaux la rapidité de la circulation ou du 
renouvellement du milieu est assez difficile à évaluer d’une ma¬ 
nière absolue, parce qu’il y a de grandes variétés dans les circu¬ 
lations locales, suivant les divers états fonctionnels des organes. 
Cependant on peut estimer qu’en 18 ou 20 secondes le sang par¬ 
court chez un grand mammifère le cercle entier de la grande 
circulation. Pour que la circulation du sang se fasse bien, il faut 
que ce liquide tienne en dissolution des matières albuminoïdes 
qui s’opposent à son infiltration dans les tissus et à l’obstruction 
consécutive des vaisseaux capillaires. La fibrine paraît nécessaire 
à la suspension des globules dans le plasma et à leur circulation 
dans les capillaires. Cette observation est due à M. Poiseuille. (Re¬ 
cherches experimentales sur le mouvement des liquides, etc., 
état de la fibrine dans le sang vivant ; dans les Annales de 
chimie et de physique, 3 e série, t. XXI. — Recherches sur Vé- 
coulement des liquides dans les capillaires vivants ; dans les 
Comptes rendus de l’Académie des sciences, 9 janvier 1843.) 

No 71. 

J’ai constaté qu’en injectant en même temps, par deux veines 
différentes et éloignées l’une de l’autre, un sel de peroxyde de 
fer, et du prussiate jaune de potasse, il ne se formait de bleu de 



260 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Prusse ni dans les vaisseaux ni dans les tissus, mais qu’on en 
rencontrait dans l’estomac et dans la vessie. Les résultats précé¬ 
dents s’expliquent très bien par la composition albumineuse et 
la réaction alcaline du sang. Le sel de fer et le prussiate de po¬ 
tasse circulent dans le sang, sans pouvoir se combiner; mais 
dès qu’ils passent du sang dans une sécrétion acide, telle que 
celle du suc gastrique ou de l’urine, immédiatement la combi¬ 
naison s’opère et le bleu de Prusse apparaît. On pense générale¬ 
ment qu’il ne se fait que des oxydations dans le sang. J’ai vu 
dans ces expérience qu’il faut admettre aussi qu’il s’y produit 
des désoxydations : car en injectant dans les veines un sel de 
peroxyde de fer, je l’ai retrouvé dans l’urine à l’état de sel de 
protoxyde. 

Quand, au lieu des substances minérales précédemment indi¬ 
quées, j’injectais dans le sang, de la même manière, de l’émul- 
sine et de l’amygdaline qui, en se rencontrant, pouvaient réagir par 
fermentation l’une sur l’autre et donner naissance à un produit 
éminemment toxique, l’acide prussique, l’animal mourait presque 
instantanément comme foudroyé. On s’explique encore très-bien 
ce résultat, parce que le sang, par sa nature chimique, ne s’oppo¬ 
sant point aux fermentations, l’acide prussique se développe dans 
le sang et empoisonne l’animal. Ce qui est rendu évident d’ailleurs 
par l’odeur cyanhydrique qui se dégage ainsi que par tous les 
autres symptômes de la mort. Il arrive en outre un phénomène 
singulier dans ces expériences : c’est que l’émulsine injectée 
seule dans le sang se localise dans le foie, de sorte que, si l’on 
prend ensuite le tissu hépatique, qu’on le coupe et qu’on le broie 
avec de l’amygdaline, on obtient la réaction qui dégage l’odeur 
de l’acide prussique, ce qui n’a pas lieu avec les autres tissus. On 
ne rencontre pas non plus l’émulsine dans l’urine, ce qui indi¬ 
querait que cette substance ne serait pas éliminée par les reins. 
Serait-elle éliminée par le foie, par la bile? Que devient cette 
émulsine dans le foie ? Il y a là autant de questions à poursuivre. 

Le physiologiste doit donc admettre, d’après les faits précé¬ 
dents, que si le milieu liquide intérieur s’oppose par sa nature à 
l’accomplissement de certaines réactions minérales, il peut, au 
contraire, être facilement le théâtre de tous les phénomènes chi¬ 
miques de fermentation ou de combustion organiques qui accom¬ 
pagnent les manifestations vitales des éléments histologiques. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 261 

No 72. 

M. Rouget (. Tournai de la physiologie de l’homme et des 
animaux , rédigé par M. Brown-Sequard, t. II, p. 660, 1869) a 
décrit des globules rouges chez certains invertébrés. Cependant 
il est bien positif qu’un plasma sanguin privé de globules rouges 
peut entretenir faiblement la respiration des tissus, car il tient, 
ainsi que la lymphe, de l’air en dissolution. 

N» 73. 

F. Leblanc, Recherches sur la composition de l’air con¬ 
finé, 1842. 

N° 74. 

La respiration de l’oxyde de carbone tue très-rapidement. L’ab¬ 
sorption de ce gaz par le tissu cellulaire sous-cutané n’est pas 
toxique au même degré. J’ai empoisonné des grenouilles en in¬ 
troduisant l’oxyde de carbone sous la peau; mais les mammifères 
(lapins) ne sont pas empoisonnés par le même procédé, parce 
que sans doute le gaz est trop peu soluble et le tissu cellulaire 
sous-cutané trop peu vasculaire. 

M. le docteur Faure a montré récemment (Archives générales 
de médecine ) que l’oxyde de carbone est toxiqué lors même 
qu’on ne le fait parvenir que dans un seul poumon. 

(Voir, pour mes expériences sur l’oxyde de carbone, Notes of 
M. Bernard’s lectures on the blood , Vith an appendix, by 
Walter F. Atlee, m. d., Philadelphia, 1854, pages 19 à 22 ; — 
Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamen¬ 
teuses , Paris, 1857 ; — Sur la quantité d’oxygène que contient 
le sang veineux des organes glandulaires à l'état de fonction 
et à l’état de repos , et sur l’emploi de l'oxyde de carbone pour 
déterminer les proportions d’oxygène dans le sang. Comptes 
rendus de l'Académie des sciences, t. XLVII, séance du 6 sep¬ 
tembre 1858, etc.) 

N» 74 bis. 

v L’absorption de l’oxygène par le sang peut varier aussi sous 
1 influence de la pression. Le sang est moins riche en oxygène 
quand on respire sur de hautes montagnes et on a ainsi expliqué 
1 anémie endémique de certains lieux élevés. (Voir Expérience 
sur l’influence de la pression sur la respiration par M. Bert, 
G- R. de l 'Académie des sciences, 1871.) L’influence delà pres¬ 
sion atmosphérique sur la plus grande absorption de l’oxygène par 
le sang prouverait-elle que cette absorption est un phénomène pure- 



262 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ment physique de dissolution, au lieu d’être une combinaison chi¬ 
mique? Non, car les phénomènes chimiques sont eux-mêmes modi¬ 
fiés par l’influence des variations considérables dépréssion. (Voir" 
expériences de M. Cailletet et de M. Berthelot, C. R. de l’Aca¬ 
démie des sciences, 1870-1871.) 

L’absorption de l’oxygène par le sang varie aussi suivant la 
composition de l’atmosphère extérieure. C’est ainsi que j’ai mon¬ 
tré que la présence de l’acide carbonique dans une atmosphère 
confinée empêche l’absorption de l’oxygène dans le sang et s’oppose 
à l’élimination de l’acide carbonique qu’il renferme. J’ai expliqué 
de cette manière mécanique l’asphyxie par l’acide carbonique, au 
lieu de la regarder comme une action toxique proprement dite. 
Voir Mes leçons sur les substances toxiques et médicamen¬ 
teuses au Collège de France , p. 210 et suivantes, 1857. 

Cette théorie nouvelle que j’ai donnée de l’asphyxie a été con¬ 
firmée par les Expériences récentes de M. Bert. [Expérience 
sur la respiration, C. R. de l'Académie des sciences, 1871.) 
N° 75. 

Y. Fernet, Recherches sur la dissolution des gaz dans cer¬ 
taines solutions salines, thèses de la faculté des sciences de 
Paris. 

J’ai fait une expérience qui me semble bien prouver que 
l’oxygène est fixé à l’état de combinaison dans le globule. J’ai 
injecté de l’acide pyrogallique dans les veines d’un animal sans 
qu’il en éprouvât d’accident et sans que la sang fût dépouillé de 
son oxygène. Mais en passant à la surface pulmonaire l’acide 
pyrogallique dissous dans le sang, se trouvant au contact de l’air, 
absorbait de l’oxygène et noircissait le tissu pulmonaire. Mais 
le sang artériel mis à l’abri du contact de l’air, en contact avec 
l’acide pyrogallique, n’en reste pas moins vermeil et oxygéné. C’est 
donc encore là une réaction chimique qui ne s’opère pas dans le 
sang. (Voyez Leçons sur les substances toxiques et médica¬ 
menteuses, p. 222. 1857.) 

N° 75 bis. 

L’oxyde de carbone finit-il par se détruire dans le sang, et dis¬ 
paraît-il en se transformant en acide carbonique ? Cela a été 
supposé, mais on n’en a pas encore la preuve directe. Dans tous 
les cas, on peut constater que les globules du sang qui se séparent 
si difficilement de la combinaison d’oxyde de carbone quand i s 
sont hors du corps vivant, peuvent au contraire se débarrasser 
assez rapidement de ce gaz quand ils continuent à circuler dans 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 263 

l’organisme; à l’aide du spectroscope, on peut facilement suivre 
cette élimination de l’oxyde de carbone chez un animal qui a été 
amené sur les limites de l’empoisonnement. (Voir à ce sujet mes 
Leçons au Collège de France sur l’asphyxie ; Revue des cours 
publics, 1870.) Serait ce dans le tissu musculaire en contraction 
que cet oxyde de carbone se brûlerait et serait dégagé du globule? 
et dès lors quand l’empoisonnement est complet et que les mou¬ 
vements respiratoires ont cessé, pourrait-on ramener l’animal à 
la vie par la respiration artificielle combinée avec l’excitation ou la 
galvanisation des muscles? Toutefois, il y a un moment où la trans¬ 
fusion elle-même ne pourrait plus rappeler l’animal à la vie. Il y 
a sans doute un point dans le système nerveux central, centre res¬ 
piratoire ou tout un autre qui, ayant une fois perdu définitivement 
son excitabilité, ne permet pas au mécanisme vital de se rétablir. 
Il y aurait, à ce sujet, beaucoup de recherches intéressantes 


Pour sauver l’animal, en se fondant sur les données de la 
physiologie générale on a cherché à détruire la combinaison 
de l’oxyde de carbone avec l’hématoglobuline ; jusqu’à présent 
on n’a rien pu trouver qui remplisse cette indication. Le poi¬ 
son ne peut être enlevé, car il fait corps en quelque sorte avec 
l'élément sanguin dont il a détruit les usages physiologiques. 
Mais, s’il est vrai que tous les éléments du corps soient restés 
sains moins les globules du sang, ceux-ci étant mobiles, on a 
la ressource de les enlever et de les remplacer par d’autres; 
la transfusion était finalement le seul remède. L’expérience a 
confirmé ces idées. On a fait revivre par ce moyen des animaux 
empoisonnés par l’oxyde de carbone, et des hommes asphyxiés 
par le charbon ont pu être sauvés par le même procédé. On voit 
donc encore par cet exemple que la physiologie générale est une 
science qui, bien qu’essentiellement spéculative, comme toutes 
les sciences pures, ne reste pas pour cela dans les régions con¬ 
templatives de l’observation ; par sa nature de science expéri¬ 
mentale, elle conclut toujours directement à l’action. 

N° 77. 

J’ai fait construire un appareil dans lequel on pourra en outre 
doser les globules du sang dans les diverses conditions physiolo¬ 
giques et pathologiques à l’aide de la quantité d’oxyde de car¬ 
bone absorbé ; et tout cela en agissant sur de petites quantités de 
ce liquide. Cette dernière condition est importante à considérer, 



264 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

parce que, lorsqu’on opère sur le sang des organes, on ne peut s’en 
procurer que de faibles quantités. On modifierait en effet les con¬ 
ditions de l’expérience si l’on faisait des saignées trop abondantes 
N° 78. 

Voir les expériences de MM. Estor et Saint-Pierre : Du siège 
des combustions respiratoires. (Journal de l'anatomie et de 
la physiologie, etc., rédigé par M. Ch. Robin, mai 1865.) 

N° 79. 

Je ne prétends pas dire par cela que c’est l’oxygène même du 
globule qui entre directement en combinaison avec le carbone de 
sa substance pour produire l’acide carbonique. En effet, dans 
des expériences anciennes, j’ai constaté, avec Magendie, que du 
sang dans lequel on a fait passer de l’hydrogène et déplacé l’acide 
carbonique qu’il contient, peut, si on le laisse en repos et à une 
température convenable, former encore de l’acide carbonique à 
plusieurs reprises èn l’absence de tout contact d’oxygène. L’acide 
carbonique ne se produit donc pas dans le globule sanguin par 
ce qu’on pourrait appeler une combustion directe, mais proba¬ 
blement par un phénomène de dédoublement et de fermenta¬ 
tion. Il en est de même pour tous les autres éléments histologi¬ 
ques, qui peuvent aussi fournir de l’acide carbonique lors même 
qu’on les soustrait complètement au contact de l’oxygène. 

N° 80. 

Voir mon mémoire Sur la quantité d’oxygène que contient 
le sang veineux des organes glandulaires d l’état de fonc¬ 
tion et à l’état de repos, etc. ( Comptes rendus de l’Acadé¬ 
mie des sciences , t. XLVII, 6 septembre 1858.) 

N° 81. 

L’oxygène paraît être le pabulum vitce par excellence, et il 
semble nécessaire à la vie de tous les êtres vivants, simples ou 
complexes. Toutefois, il est probable que tous les tissus et tous 
les éléments ne sont pas dans le même cas, et qu’il s’en ren¬ 
contre qui non-seulement vivent sans oxygène, mais pour les¬ 
quels ce gaz pourrait être délétère. M. Pasteur a montré qu’il 
existe des animalcules infusoires déterminant des fermentations, 
et vivant sans oxygène. Il est parfaitement admissible qu’il en 
soit ainsi pour la nutrition des éléments histologiques des corps 
vivants. (Voir Pasteur, Examen du rôle attribué au gaz oxy¬ 
gène atmosphérique dans la destruction des. matières ani¬ 
males et végétales après la mort ; dans les Comptes rendus de 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 265 

l'Académie, 20 avril 1863 ; — Recherches sur la putréfaction, 
29 juin 1863 ; — Animalcules infusoires vivant sans gaz oxy¬ 
gène libre déterminant des fermentations ; dans les Comptes 
rendus de l’Académie des sciences, 25 février 1861 ; — Nou¬ 
vel exemple de fermentation déterminée par des animalcules 
infusoires pouvant vivre sans oxygène libre et en dehors de 
tout contact avec Vair de l’atmosphère ; dans les Comptes 
rendus de VAcadémie, 9 mars 1863.) 

D’après ces expériences, il semble que l’oxygène s’opposerait 
aux fermentations qui ne sont cependant elles-mêmes que des 
phénomènes de nutrition. Toutes ces questions sont encore fort 
difficiles à résoudre, et cela montre au moins que l’on ignore abso¬ 
lument aujourd’hui le vrai rôle de l’oxygène dans l’économie 
vivante. Ce gaz est nécessaire, dira-t-on, pour entretenir les phé¬ 
nomènes de combustion organique, mais ces phénomènes de 
combustion sont eux-mêmes fort difficiles à bien définir et à 
séparer nettement des divers autres phénomènes chimiques orga¬ 
niques qu’on désigne sous le nom de fermentation. 

N° 82. 

M. Brown-Sequard admet que l’oxygène nourrit les tissus et 
que l’acide carbonique les excite. ( Recherches expérimentales 
sur les propriétés physiologiques et les usages du sang rouge 
et du sang noir ; dans le Journal de Vanatomie et de la phy¬ 
siologie, 1858, t., Il, p. 95.) 

N» 83. 

L’oxygène est l’excitateur indispensable de la vie. Toutefois 
quand il est en excès dans le sang il irrite les tissus et produit des 
phénomènes toxiques. De même, l’oxygène pur (Voy. la note 92) 
irrite les plaies et retarde leur cicatrisation, tandis que l’acide car¬ 
bonique la favorise. (Demarquay etLeconte, Comptes rendus de 
la Société de biologie, 3 e série, 1.1, p. 274; 1859.) 

N° 84. 

A l’appui des idées qui précèdent, je puis citer ce qui se 
passe dans la circulation et dans la respiration des muscles et 
des glandes. J’ai montré, dans mon travail sur les variations de 
couleur dans le sang veineux des organes glandulaires sui¬ 
vant leur état de fonction ou de repos (Comptes rendus de 
lAcadémie des sciences, 25 janvier 1858); j’ai montré, dis-je, 
que la circulation oxygénée est inversé quant au moment où elle 
s opère dans les muscles et dans les glandes, suivant létat de 



266 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

fonction ou de repos de ces organes. Dans les muscles, pend 
le repos, le sang en contact avec l’élément musculaire cirent 
relativement rouge et chargé d’oxygène ; pendant la fonction S 
circule au contraire très-noir et très-chargé d’acide carbonique 1 
Dans, les glandes, pendant le repos, le sang en contact avec l’élé 
ment glandulaire circule relativement noir et chargé d’acide 
carbonique, tandis que pendant la fonction, il circule rouge et 
très-oxygéné. Cette différence de circulation est en rapport.avec 
la différence de fonction et de nutrition des deux genres d’orga¬ 
nes. Dans les muscles, la faculté contractile se développe et 
s’accumule pendant le repos sous l’influence du sang oxygéné. 
Mais c’est pendant la fonction, sous l’influence du sang noir vei¬ 
neux, que le muscle se nourrit. Dans les glandes c’est pendant le 
repos que la glande se nourrit et produit les principes caractéristi¬ 
ques de la sécrétion ; pendant la fonction elle se dénourrit et 
manifeste ses propriétés sous l’influence de l’oxygène. Il fau¬ 
drait donc, d’après ce qui précède, regarder le sang artériel 
comme destiné à la respiration des éléments, et le sang veineux 
comme destiné à leur alimentation. Cette vue trouverait encore 
un argument dans la physiologie végétale : car dans les végétaux 
c’est également la sève veineuse, c’est-à-dire celle qui a été éla¬ 
borée dans les feuilles, qui sert à la nutrition. 

N° 85. 

Je ne pense pas que l’acide carbonique soit un agent toxique ; 
il est peut-être même utile aux phénomènes de nutrition. Tou¬ 
tefois quand il est en excès dans le sang, il engourdit ou éteint 
les propriétés des muscles et des nerfs. Il agit probablement sur 
les propriétés des éléments nerveux par leur extrémité active ou 
spécifique. 

N° 86. 

Le foie glycogénique sécrète la matière glycogène, bien qu’il 
reçoive une très-grande proportion de sang veineux. 

N° 87. 

On pourrait encore utiliser les transfusions locales, toxiques 
ou autres, pour étudier les propriétés des tissus. Des recherches 
au moyen de circulations artificielles peuvent rendre de grands 
services à l’analyse physiologique expérimentale. 

N° 88. 

Brown-Sequard, Sur les propriétés physiologiques et les 
usages du sang rouge et du sang noir. (Journal de la physio¬ 
logie de l homme et des animaux.) 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


267 


N° 89. 

Il faut en effet se garder de confondre les fonctions des or¬ 
ganes avec les propriétés de la matière organisée. Dans toutes 
les manifestations de la vie, les fonctions se montrent à nous 
comme des phénomènes métaphysiques que nous ne pouvons 
rattacher à la constitution de la matière considérée en elle-même, 
tandis que les propriétés organiques au contraire nous apparais¬ 
sent comme des phénomènes physiques ou physiologiques qui 
dérivent directement de la constitution matérielle elle-même. 
J’aurai ailleurs l’occasion de développer longuement ces vues que 
je crois importantes. 

No 89 bis. 

Dans les végétaux, c’est par un vice de langage qu’on a donné 
le nom de respiration à la fonction des feuilles. Ces fonctions 
sont précisément, inverses à celles des poumons qui absorbent 
l’oxygène et rendent l’acide carbonique. Les feuilles au contraire 
absorberaient l’acide carbonique et exhaleraient de l’oxygène. Mais 
néanmoins il y a des phénomènes de respiration chez les végé¬ 
taux comme chez les animaux, c’est-à-dire des phénomènes dans 
lesquels l’oxygène est absorbé et l’acide carbonique exhalé. C’est 
ce phénomène seul qui se rencontre chez le végétal pendant la 
germination lorsque la matière verte non encore développée n’a 
pas encore manifesté ses fonctions. Plus tard chez le végétal 
adulte les deux ordres de phénomènes existent. Mais seulement 
il ne faut pas les confondre et ne pas croire surtout que les phé¬ 
nomènes de respiration des végétaux soient d’une nature opposée 
à ceux des animaux, ils sont au contraire identiques. 

Voyez la note n° 216. 

N° 90.. 

« On peut conclure, dit Lavoisier, qu’il arrive de deux choses 
« l’une, par l’effet de la respiration : ou la portion d’air éminem- 
« ment respirable contenue dans l’air de l’atmosphère est conver¬ 
ge tie en acide crayeux aériforme en passant par le poumon, ou 
« bien il se fait un échange dans le viscère. D’une part l’air émi- 
« nemment respirable est absorbé, et de l’autre le poumon res- 
« titue à la place une portion d’acide crayeux aériforme presque 
« égale en volume. La première de ces deux opinions a pour elle 
«une expérience que j’ai déjà communiquée à l’Académie... 
« mais, d’un autre côté, de fortes analogies semblent militer en 
« faveur de la seconde opinion. ( Œuvres de Lavoisier, Impri- 
« merie impériale, t. II, p. 180 ; 1862.) 



268 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N» 91. 

W. Edwards, Influences des agents physiques sur la vie 
p. 444. (Voir ce que W. Edwards dit de l’opinion de Lavoisier’ 
p. 437.) ’ 

N° 92. 

On a beaucoup étudié la résistance des divers animaux à l’as¬ 
phyxie; mais il est bien évident, d’après ce que nous avons dit 
précédemment, que cette résistance à l’asphyxie doit être en re¬ 
lation directe avec l’activité respiratoire des globules sanguins et 
avec la susceptibilité vitale des éléments histologiques pour l’a¬ 
cide carbonique. Aussi les animaux à sang chaud résistent beau¬ 
coup moins à l’asphyxie que les animaux à sang froid. Mais il n’y 
a pas que la température à considérer dans la résistance à l’as¬ 
phyxie, il faut tenir compte également de l’âge des animaux. 
(Brown-Sequard, Recherches sur Vasphyxie, dans le Journal 
de Vanatomie et de la physiologie, 1859, t. II, p. 93.) La ré¬ 
sistance à l’asphyxie peut être augmentée pour un animal, quand 
il s’habitue peu à peu à une atmosphère viciée. C’est ainsi que 
j’ai montré qu’un oiseau périt instantanément quand on l’in¬ 
troduit dans l’atmosphère confinée d’une cloche sous laquelle un 
autre oiseau de même espèce respire depuis un certain temps 
sans succomber aux mêmes effets délétères. 

Quand on fait respirer de l’oxygène pur et qu’on sursature par 
conséquent le milieu intérieur avec ce gaz, il arrive le contraire de 
l’asphyxie, c’est-à-dire qu’on voit survenir une sorte d’excita¬ 
tion qui donne lieu à des troubles physiologiques encore fort 
peu connus. (Voir mes Leçons sur les substances toxiques et 
médicamenteuses, p. 203 et suivantes, 1856-1857.) Chez des la¬ 
pins en digestion auxquels j’avais fait respirer de l’oxygène, j’ai 
vu les urines, d’alcalines qu’elles étaient, devenir acides, puis 
redevenir alcalines quelque temps après la cessation de la res¬ 
piration de l’oxygène. 

Sur d’autres lapins, j’avais injecté un peu d’huile ou du sain¬ 
doux fondu dans les poumons par la trachée, voulant ainsi hui¬ 
ler la surface pulmonaire afin de voir si l’échange gazeux en se¬ 
rait modifié. Dans cette expérience j’ai vu aussi les urines deve¬ 
nir acides. J’ai encore observé le même phénomène dans l’as¬ 
phyxie lente, comme d’ailleurs dans toutes les circonstances qui 
arrêtent plus ou moins complètement la digestion. D’où je crois 
pouvoir conclure qu’il y a un rapport entre les fonctions du pou¬ 
mon et celles de l’intestin, et qu’il pourrait bien arriver que la 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 269 

respiration d’oxygène pur rallentît ou troublât la digestion. (Voy. 
les notes 74 bis, 81 et 83.) 

N° 93. 

Voir mes Leçons sur les liquides de l’organime, t. I, p. 63 
et suivantes, 1857-1858. 

N° 94. 

M. Colin a publié récemment des expériences sur la température 
du sang dans le cœur droit et dans le cœur gauche. (Voir le 
rapport de M. Longet sur le travail de M. Colin, dans les Comp¬ 
tes rendus de VAcadémie des sciences, 11 mars 1867.) M. Co¬ 
lin a montré que le sang veineux superficiel est plus refroidi 
quand la peau est dépourvue de ses poils ou plus exposée au 
froid, ce qu’il était facile de prévoir, et il a trouvé aussi que 
dans ces cas le sang du cœur droit était moins chaud que le sang 
du cœur gauche. Toutes les expériences de M. Colin peuvent être 
très-exactes en elles-mêmes ; mais en les présentant d’une ma¬ 
nière tout empirique et, en quelque sorte, statistique, l’auteur a eu 
le tort de sembler les mettre en opposition avec la possibilité 
d’une théorie de la chaleur animale. En effet, l’empirisme expéri¬ 
mental a ses limites. Il est utile et même indispensable quand les 
faits ne sont point encore assez nombreux pour établir une théo¬ 
rie ; mais quand la théorie peut être fondée, l’empirisme, trop 
prolongé, ne fait qu’embrouiller les questions et nuire aux pro¬ 
grès de la science, qui a pour but de trouver la loi des phénomènes. 
N° 95. 

On peut donc conclure de tout ce qui précède que les com¬ 
bustions respiratoires, ou les fermentations qui s’opèrent dans 
le sang et dans les tissus sont bien réellement des sources de 
chaleur animale. Mais les causes de la chaleur animale se ratta¬ 
chent encore d’une manière intime à beaucoup d’autres phéno¬ 
mènes chimiques de la nutrition et mécaniques de la circulation, 
li^ s’agit là d’un problème très-complexe : c’est ce qu’ont 
très bien fait comprendre MM. Régnault et Reiset, dans leur beau 
travail sur la respiration. (Régnault et Reiset, Recherches sur la 
respiration des animaux des diverses classes; dans les An¬ 
nales de chimie et de physique, 3 e série, t. XXVI ; 1849.), 

Les fermentations engendrent de la chaleur, comme les com¬ 
bustions. Les combustions qui s’accomplissent dans les êtres 
vivants ont été comparées à celles qui se passent en dehors 
d eux. Cependant il n’est pas encore prouvé qu’il y ait combus¬ 
tion de l’hydrogène dans l’organisme, et, par suite, formation 


270 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

d’eau. Dans les cas de combustion incomplète dans l’organisme 
on n’a pas non plus constaté la production d’oxyde de carbone 5 
Les animaux chez lesquels la température est la plus élevée ne 
sont pas non plus ceux chez lesquels on rencontre toujours les 
produits d’une plus complète combustion. C’est ainsi que, chez 
les oiseaux, qui sont les animaux à sang chaud pourvus de la 
température la plus élevée, on constate l’excrétion d’acide urique 
(produit de combustion nutritive imparfaite), absolument comme 
cela se voit chez les reptiles, qui sont des animaux à sang froid. 
Ici la physiologie comparée présenterait donc des objections à la 
théorie actuelle de la chaleur animale. Ce sont là des problèmes que 
je me borne à signaler aux investigateurs, en ajoutant que c’est 
ainsi que j’entends le rôle de la physiologie comparée. Elle doit 
toujours être pour le physiologiste un moyen de contrôle et 
l’occasion de nouvelles investigations expérimentales. 

En résumé, je pense que, bien que les phénomènes chimiques 
qui se passent dans les animaux soient finalement soumis aux 
mêmes lois que ceux qui se passent en dehors d’eux, il y a entre 
eux des différences qui tiennent au procédé ou à la manière dont 
ils s’accomplissent, à raison de l’instrument physiologique qui 
les produit. Nous verrons plus tard que c’est même là un carac¬ 
tère général de toutes les actions chimiques des êtres vivants. 
Les phénomènes de fermentation, qui ne sont en réalité que des 
phénomènes de physiologie chimique, opérés à l’aide de matières 
ou d’éléments histologiques créés par la vie, sont ceux qui domi¬ 
nent tous les autres dans les êtres organisés. Les phénomènes chi¬ 
miques qui se passent dans les tissus et dans les globules du sang 
sont regardés le plus généralement comme des phénomènes de 
vraie combustion ; ils me semblent participer beaucoup plus à la 
nature des dédoublements ou des fermentations. En effet la quan¬ 
tité d’acide carbonique exhalé par le poumon ne répond pas tou¬ 
jours, comme cela alieu dansles combustions, à la quantité d’oxy¬ 
gène absorbé. Il est vrai qu’on pourrait objecter que la diminution 
du volume du gaz expiré vient de ce qu’une grande quantité d’a¬ 
cide carbonique peut s’échapper par d’autres voies que par 
le poumon. Toutes ces questions présentent donc encore, comme 
on le voit, une foule de problèmes irrésolus. 

La chaleur du sang des parties centrales se maintient dans des 
limites qui varient peu chez les animaux à sang chaud, par suite 
d’une équilibration qu’amène le rafraîchissement constant du 
sang à la périphérie du corps. Dans les conditions physiologiques 
ordinaires, c’est le système nerveux vaso-moteur périphérique 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 271 

qui règle cette équilibration. Si la masse du sang tend à trop s’é¬ 
chauffer, les nerfs vaso-moteurs dilatent les vaisseaux superfi¬ 
ciels, et le sang se porte à la surface du corps ; si la masse du sang 
tend au contraire à se refroidir, les nerfs vaso-moteurs resserrent 
les vaisseaux superficiels, le sang se concentre à l’intérieur et 
ne se porte plus à la surface rafraîchissante extérieure. La sur¬ 
face de la peau doit jouer, à ce point de vue, un rôle important 
chez les animaux à sang chaud ; car nous avons vu que, si on 
l’empêche de servir ainsi de régulateur à la température du mi¬ 
lieu sanguin intérieur, en appliquant à la surface du corps, d’une 
manière prolongée, une température trop chaude ou trop froide 
l’animal meurt de chaud ou de froid, parce qu’alors l’action ner¬ 
veuse régulatrice ne peut plus intervenir utilement. 

Chez les animaux à sang chaud, la chaleur animale et, par con¬ 
séquent, la température du sang varient un peu suivant l'état de 
nourriture et suivant l’état de digestion ou d’abstinence. J’ai 
constaté fréquemment chez les chiens et les lapins à jeun un 
abaissement de.la température d’un degré environ. M. Martins et 
M. Brown-Sequard ont observé le même fait chez les oiseaux. 
(Ch. Martins, Mémoire sur la température des oiseaux palmi¬ 
pèdes du nord de VEurope; dans le Journal de Vanatomie et 
de la physiologie , rédigé par M. Brown-Sequard, 1858, t. II, 
p. 10 et suivantes; l. c.,42.) La température animale prise dans le 
rectum, comme étant un point assez fixe et comparatif chez les 
divers animaux, montre que, chez les mammifères, la température 
est de 38° à 40° cent. ; chez les oiseaux, de 13° à 45° cent. Ce¬ 
pendant il y a des oiseaux chez lesquels la température ne dé¬ 
passe pas 38° cent., ainsi que l’ont observé MM. Martins et Brown- 
Sequard. ( Loc . cit., p. 42.) 

On ne pourrait mieux préciser d’une manière exacte le rôle 
du froid et du chaud dans l’organisme. Cependant il est certain 
que les phénomènes physiologiques de la nutrition sont ren¬ 
fermés dans des limites très-étroites de température. Il y a 
même dans la vie des altérations d’élévation et d’abaissement de 
température qui doivent être liés avec des phénomènes différents 
de nutrition. C’est le système nerveux dans les animaux supé¬ 
rieurs qui règle ces variations. Ici nous ne pouvons qu’indiquer 
les questions sans pouvoir entrer autrement dans leur examen. 

N° 96. 

Autrefois on admettait que la transfusion avait des limites 
très-étroites, et que les globules dü sang ne pouvaient pas vivifier 


272 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

les éléments d’un animal d’une autre espèce. On avait cru 
exemple, que les globules ronds ne pouvaient pas être substitués 
aux globules elliptiques et vice versa. On a cru voir depuis que 
ces limites ne sont pas aussi resserrées qu’on le croyait, et l’on dit 
avoir révivifié des éléments histologiques d’oiseaux avec des élé¬ 
ments sanguins de mammifères, et réciproquement. M. Brown' 
Sequard a pensé aussi déterminer la durée de la vie des globules 
du sang, en constatant le temps que les globules elliptiques met¬ 
taient à disparaître dans le sang d’un mammifère. Mais ces ques¬ 
tions de la formation et de la destruction des globules rouges 
sont entourées encore des plus grandes obscurités. 

N» 97. 

Davaine, Recherches sur les globules blancs du sang. ( Mé¬ 
moires de la Société de biologie, 1850, p. 403.) 

N° 98. 

Voyez mes Leçons sur la physiologie expérimentale appli¬ 
quée à la médecine, t. I, p. 247, 400, 401 ; 1855. — « Les 
globules blancs, disais-je, ne sont que des cellules organiques des¬ 
tinées à une évolution ultérieure. » 

J’ai vu à la même époque que la levûre de bière peut se for¬ 
mer aussi spontanément sous les yeux de l’observateur dans un 
liquide parfaitement transparent, où l’on n’aperçoit rien au dé¬ 
but de l’expérience. (Voyez loc. cit., p. 246.) En disant que les 
globules blancs ou la levûre de bière se forment là spontanément, 
je n’entends pas donner ün argument en faveur de l’hétérogénie ou 
de la génération spontanée. Je ne suis pas de ceux qui admettent 
des effets sans causes, ni de ceux qui croient expliquer les cho¬ 
ses en leur donnant une origine merveilleuse. Rien ne naît 
de soi-même dans les êtres vivants ; tout se forme en vertu d’une 
loi de tradition organique avec hérédité et en vertu de conditions 
antérieures parfaitement déterminées, soit dans un milieu semi- 
solide, soit dans un milieu liquide (œuf, cellule ou blastème). Ce 
sont ces conditions seules que le savant doit chercher à détermi¬ 
ner, afin de pouvoir se rendre maître du phénomène. Plus loin 
j’aurai l’occasion de revenir sur ces idées, et bientôt j’espère 
pouvoir publier des recherches expérimentales nouvelles sur la 
formation des éléments histologiques. La formation de la levûre 
de bière, comme celle de tous les éléments organiques, présente 
de grandes obscurités ; car il est possible que le germe d’un élé¬ 
ment histologique interne change d’évolution et par suite de pro- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 273 

priété dès que les conditions de développement dans lesquelles il 
se rencontrait deviennent des conditions de milieu extérieur, au 
lieu d’être des conditions du milieu organique intérieur dans le¬ 
quel il était destiné à se développer. 

N° 99. 

Le plasma du sang sert encore de milieu pour la vie et le dé¬ 
veloppement de beaucoup d’organismes vivants inférieurs qu’on 
désigne sous le nom d’ hématozoaires. (Voyez Chaussât, Des 
hématozoaires , thèse de la faculté de médecine de Paris, 


La fibrine se forme dans les capillaires et disparaît dans cer¬ 
tains organes, tels que le rein, le foie, etc. (Brown-Sequard, Sur 
des faits qui semblent montrer que plusieurs kilogrammes de 
fibrine se forment et se transforment chaque jour dans le 
corps de l’homme; dans le Journal de la physiologie de 
l’homme et des animaux , 1 . 1, p. 208 ; 1858.) 

N° 101. 


Les fibres mu sculaires sont distribuées d’une manière inverse 
dans le système artériel et dans le système veineux. Les fibres 
musculaires sont plus abondantes dans les petites artères que 
dans les grosses, tandis que, au contraire, les grosses veines sont 
'beaucoup plus musculeuses que les petites. 

N° 102. 

Voyez Ranvier, article Capillaires, dans le Dictionnaire en¬ 
cyclopédique des connaissances médicales publié sous la di¬ 
rection du docteur Dechambre, 1867. 

Marey, Physiologie médicale de la circulation du sang , 
1863. 

Gimbert, Structure des artères, dans le Journal de l’anato¬ 
mie et de la physiologie, dirigé par M. Ch. Robin. 

Les parois des véritables vaisseaux capillaires paraissent par¬ 
fois manquer, et il semble que les artères soient coupées ou 
débouchent dans un tissu où le sang s’épanche directement dans 
les interstices des éléments histologiques. Cela s’observe particu¬ 
lièrement dans des animaux très-inférieurs et chez les embryons. 
Dans ces cas la paroi des vaisseaux capillaires serait formée, 
suivant certains auteurs, d’une sorte de matière muqueuse 
comme une simple couche de protoplasma qui séparerait le sang 
de l’élément histologique. Faudrait-il alors considérer que les 



274 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

vaisseaux ne constituent plus un système clos et que cette paroi 
molle pourrait livrer passage à des corps solides, comme cela a 
été dit pour les extrémités des vaisseaux chylifères dans l’in¬ 
testin ? 

N° 103. 

Y a-t-il des communications entre les capillaires sanguins et les 
lymphatiques ? Considérée anatomiquement, cette question doit 
être résolue par la négative ; mais, envisagée au point de vue 
physiologique, elle doit être résolue affirmativement. En effet, 
j’ai injecté bien souvent dans le sang des sels, tels que du prussiate 
de potasse par exemple, et j’ai constaté que ces substances, ar¬ 
rivées dans les capillaires, passaient non-seulement dans les 
veines, mais que l’on pouvait aussi les retrouver facilement dans 
la lymphe. J’ai vu aussi qu’en faisant des injections par double 
décomposition soit avec du prussiate de potasse et un sel de fer, 
soit avec du chromate de potasse et de l’acétate de plomb, l’in¬ 
jection passait des artères dans les lymphatiques. Il y a donc 
bien réellement des communications entre les lymphatiques et 
les capillaires sanguins ; mais ce sont des communications physiolo¬ 
giques, analogues à celles qui existent entre lanière et le fœtus. Les 
matières liquides peuvent passer par des phénomènes d’endos¬ 
mose au travers des membranes ténues des capillaires, mais les 
éléments histologiques du sang ne peuvent entrer par cette voie 
d’un vaisseau dans l’autre. L’anatomie s’accorde avec cette inter¬ 
prétation. On ne rencontre pas d’ouverture directe faisant com¬ 
muniquer les capillaires sanguins et les lymphatiques, mais on 
voit parfois, ainsi que l’a découvert M. Ch. Robin, les capillaires 
sanguins entourés par la lymphe et comme plongés dans des po¬ 
ches lymphatiques. (Ch. Robin, Comptes rendus et Mémoires 
de la Société de biologie , 1855.) 

Maintenant on pourrait se demander comment les globules 
blancs peuvent sortir du sang ou entrer dans les vaisseaux san¬ 
guins. Dans ces derniers temps, on a admis que les globules 
blancs peuvent sortir à travers des parois des vaisseaux capillaires. 
Mais ces corpuscules qui sont sans doute formés dans les mailles 
du tissu cellulaire doivent avant pénétrer dans les vaisseaux 
sanguins par l’intermédiaire des lymphatiques. Dans tous les cas 
ces questions de pénétration ou de sortie des globules sont fort 
difficiles à bien préciser. 

N° 104. 

Poiseuille, Sur Vécoulement des liquides dans les tubes de 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 275 

petits diamètres. (Mémoires des savants étrangers de VAca¬ 
démie des sciences .) 

La circulation capillaire, qui a été l’objet d’études nombreu¬ 
ses, offre de grandes variations, tantôt normales, tantôt acci¬ 
dentelles. Les globules du sang s’accumulent quelquefois de 
manière à obstruer les vaisseaux capillaires. Mais les plus grands 
obstacles à la circulation capillaire sont la présence dans le sang 
de bulles de gaz, de globules graisseux ou de poudres inertes, etc. 
Magendie avait déjà constaté autrefois que c’est par l’obs¬ 
truction de la circulation capillaire du poumon que l’air intro¬ 
duit dans les veines cause la mort. Un physicien français, 
M. Jamin, a bien expliqué le mécanisme par lequel la présence 
de bulles d’air interrompt la circulation capillaire dans les végé¬ 
taux et chez les animaux. (Jamin, Leçons sur les lois d'équili¬ 
bre et de mouvement des liquides ; Société chimique de Pa¬ 
ris, 1862.) 

N» 105. 

Voyez mes Recherches expérimentales sur le grand sympa¬ 
thique , etc. ( Mémoires de la Société debiologie, p. 77 ; 4853.) 

N°106. 

J’ai montré dans cette même expérience qu’en galvanisant le 
bout supérieur du sympathique, la rougeur produite par une 
goutte d’ammoniaque versée dans l’œil disparaissait au moment 
de la galvanisation par resserrement des vaisseaux. ( Comptes 
rendus de la Société debiologie, p. 168 ; 1852.) 

N° 107. 

Comptes rendus de VAcadémie des sciences , 6 septembre 
1858. 

Outre la corde du tympan, j’ai vu que le nerf sécréteur de la 
parotide que j’ai découvert agit dans le même sens; seulement 
j’ai remarqué que l’excitabilité du nerf secréteur de la glande sous- 
maxillaire est beaucoup plus grande. J’ai observé également que 
la section des nerfs auriculaire ou auriculo-temporal produit une 
dilatation des vaisseaux de l’oreille avec accélération de la circu¬ 
lation; mais si on galvanise le bout périphérique de ces nerfs, on 
ne voit pas de contraction vasculaire survenir comme cela a lieu 
pour le grand sympathique. 

N° 108. 

Depuis lors on a beaucoup parlé des actions paralysantes des 
nerfs. Il s’agit ici d’une action paralysante périphérique. 


276 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

J’ai montré aussi que d’autres nerfs allant aux artères de la 
face avaient la propriété de dilater ces vaisseaux. (Voyez mes 
Leçons sur les liquides de l’organisme, etc.) 

N° 108 bis. 

Quand on coupe le grand sympathique au cou, on voit la sécrétion 
de la sueur apparaître à la surface de la peau, le liquide intersti- 
ciel de lymphe plastique s’accumule dans le tissu cellulaire. De 
même dans les séreuses et les muqueuses. C’est ainsi que j’ai 
produit des pleurésies et des péricardites de péritonites des anté- 
rites en enlevant soit le ganglion cervical supérieur, soit le gan¬ 
glion cervical inférieur ou premier thoracique, soit les ganglions 
semi-lunaires. Ces exhalations à la surface des séreuses et des 
muqueuses étaient souvent accompagnées d’une injection consi¬ 
dérable avec fausses membranes et pus. Il y a donc là tout un 
cortège de phénomènes physiologiques qui peuvent s’exagérer 
et produire alors tous les caractères de ce qu’on appelle en 
pathologie les inflammations. 

No 108 ter. 

Indépendamment des phénomènes précédents, il ya augmen¬ 
tation de la température locale; de sorte que les éléments peuvent, 
sous l’influence du système nerveux, subir des variations de tem¬ 
pérature qui sont en rapport avec leur nutrition et leurs divers 
états fonctionnels. 

N°109. 

Pour les deux ordres de vaisseaux capillaires dans le foie, 
pour les circulations locales, voyez Leçons sur les liquides de 
l’organisme. 

N° 110. 

Sucquet, De la circulation dans la tête et dans les membres 
de l’homme, 1860. Rapport de M. Ch. Robin sur ce travail. 

(Bulletin de l’Académie de médecine, 1861, t. XXVI.) 

N°111. 

L’influence du pneumogastrique sur l’arrêt du cœur a été cons¬ 
tatée à peu près vers la même époque en Allemagne par Weber 
et par Budge. Il arrive très-souvent d’ailleurs qu’une même dé¬ 
couverte se fait simultanément dans plusieurs pays à la fois ; cela 
n’a rien d’étonnant, et c’est en quelque sorte une démonstration 
de l’évolution naturelle et progressive des sciences. 

Pour mon expérience voyez la thèse de M. Lefebvre soutenue 
à la faculté de médecine de Paris. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 277 

No 112. 

Voyez mes Leçons sur le système nerveux, 1.1, p. 275. 

N» 113. 

En faisant des expériences sur la température du sang dans le 
cœur, j’ai observé que les cavités du cœur étaient douées d’une 
sensibilité spéciale très-délicate. Quand le thermomètre touchait 
la paroi du ventricule, l’animal (mouton) ne paraissait pas le 
sentir, au moins il ne faisait que peu ou pas de mouvements 
généraux, mais aussitôt le cœur précipitait ses battements, qui 
devenaient beaucoup plus apparents, pour reprendre ensuite 
leur type normal quand l’irritation de la paroi ventriculaire avait 
cessé. 

N° 113 bis. 

J’ai remarqué que l’électricité est un excitant plus puissant 
que les excitations mécaniques ou chimiques dans certains cas ; 
ainsi le sympathique souvent donne des signes de douleur à des 
courants électriques faibles, tandis qu’il est insensible aux contu¬ 
sions les plus violentes. L’électricité qui excite le tissu muscu¬ 
laire à se contracter n’agit pas sur le tissu glandulaire qui paraît 
plus excitable par la chaleur. 

. N° 113 ter. 

C’est ainsi que les circulations abdominale et périphérique sont 
en corrélation par l’intermédiaire des nerfs splanchniques. La 
section des nerfs splanchniques augmente l’afflux du sang à la 
périphérie, et amène une diminution dans la pression du sang. 
(Voir mon Rapport sur le prix de physiologie, 1867.) 

N® 114. 

Il faut à ce propos distinguer dans le poumon les bronches et 
les vésicules pulmonaires. Les tuyaux bronchiques sont revêtus 
par une membrane muqueuse dont l’épithélium vibratile n’est 
pas favorable à l’absorption des gaz. Mais à l’extrémité des con¬ 
duits aériens se trouve une sorte de tissu cellulaire spongieux, 
comme l’appelait Magendie, formé par le rapprochement des 
vésicules pulmonaires Ces vésicules, dont l’intérieur est tapissé 
par un épithélium pavimenteux, et dont la surface extérieure est 
parcourue par les réseaux sanguins pulmonaires, sont spécialement 
destinées à l’absorption des gaz. 

M. Gréhant a trouvé qu’un demi-litre d’air est introduit en 
moyenne chez l’homme dans les poumons à chaque inspiration. 



278 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Les deux tiers pénètrent dans la profondeur du poumon et se 
distribuent d’une manière homogène dans les vésicules pulmo¬ 
naires ; l’autre tiers de l’air inspiré est rejeté avec les deux tiers 
de l’air vicié. On doit conclure de là qu’il suffit d’une seule res¬ 
piration pour que les substances inspirées se mettent en contact 
avec le sang à la surface des vésicules pulmonaires. 

La peau de certains animaux, comme celle des grenouilles par 
exemple, qui est très-perméable aux gaz et qui n’est pas enduite 
d’un vernis huileux, doit absorber l’eau. Chez les mammifères 
la faculté absorbante de la peau paraît devoir être extrêmement 
faible pour l’eau ainsi que pour les gaz ; cependant, quand chez un 
mammifère, à l’aide d’une cloche ou par un autre procédé, on 
tient de l’air en contact avec la peau pendant un certain temps, 
cet air s’altère, absolument comme dans le poumon, c’est-à-dire 
que l’oxygène disparaît en même temps que de l’acide carbonique 
apparaît. On s’est fondé sur ces expériences pour dire que la 
mort par l’application des vernis imperméables sur la peau est 
une mort par asphyxie. Cette explication ne me paraît pas ad¬ 
missible. 

N°415. 

Willemin, Recherches expérimentales sur Vabsorption. 

(Archives générales de médecine , mai 1861.) 

Delore, Absorption des médicaments. (Comptes rendus de 
l'Académie des sciences , 1863.) 

Les corps gras permettent l’absorption de médicaments parce 
qu’ils se mêlent aux vernis huileux de la peau. Mais les glycérolés 
ne sont pas absorbables; ils sont comme l’eau, et peut-être 
encore moins absorbables. 

N° 115 bis. 

Voir les travaux de M. Becquerel sur les actions capillaires. 
C. R. de VAcadémie des sciences , 1870. Voir Mémoires de l'A¬ 
cadémie des sciences. 

No 116. 

M. Béclard pense que la condition qui favorise le plus l’endos¬ 
mose est la différence de chaleur spécifique des deux liquides. 
(Voyez le Traité de physiologie de cet auteur.) 

N° 116 bis. 

Les phénomènes osmotiques qui sans aucun doute constituent 
les conditions élémentaires des phénomènes sécrétoires sont 
directement influencés par le système nerveux d’une manière 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 279 

qu’il est très-difficile de comprendre. Ainsi sous l’influence 
de l’excitation-de la corde du tympan, le courant osmotique se 
fait extérieurement avec une force de beaucoup supérieure à 
la pression sanguine, ainsi qu’on peut le constater par mon ma¬ 
nomètre différentiel dont une branche est fixée sur le conduit 
salivaire et l’autre sur une branche artérielle du tronc qui porte 
le sang à la glande. Il en est de même quand on coupe les nerfs 
de l’iutestin; il se produit alors du liquide intestinal qui, au lieu 
de distendre le conduit sécréteur, distend l’anse de l’intestin 
qui lui sert de réservoir après avoir été cernée par deux ligatures. 
(Voyez A. Moreau, Recherches sur la sécrétion intestinale.) 
Dans ces deux cas l’expulsion osmotique du liquide se fait hors 
de la glande sous des influences en apparence inverses : l’exci¬ 
tation d’un nerf pour la glande sous-maxillaire et la paralysie 
des nerfs pour l’intestin. Mais au fond ce doit être la même action 
élémentaire, et ce serait un argument pour appuyer la manière 
de voir que j’ai avancée sur l’action de la corde du tympan, à savoir, 
qu’elle ne ferait que paralyser les nerfs sympathiques qui se ren¬ 
dent à cette glande. (Voir C. R. de la Société de biologie, 1860.) 

Lorsqu’il y a osmose sécrétoire, il y a toujours suractivité de la 
circulation, et il devait en être ainsi, car c’est toujours le sang 
qui fournit la partie liquide de la sécrétion. Quand on excite un 
nerf musculaire, on sait qu’il y a toujours un certain temps qui 
s’écoule entre l’excitation du nerf et la contraction : de même 
quand on excite la corde du tympan, on voit le phénomène d’ac¬ 
célération de la circulation précéder un peu l’apparition de la 
sécrétion. Il y aurait du reste d’autres rapprochements à faire entre 
les nerfs sécrétoires et les nerfs musculaires proprement dits. 

N°117. 

J’ai injecté dans le tissu cellulaire sous la peau, dans les pou¬ 
mons ou dans des séreuses, une solution d’albumine d’œuf, et 
j’ai retrouvé l’albumine dans l’excrétion urinaire. De même, 
après l’injection dans une veine d’une égale quantité du même 
liquide albumineux, on voyait bientôt l’albumine apparaître dans 
l’urine. J’ai injecté encore sous la peau et dans le poumon des 
ferments solubles, tels que de la diastase, de l’émulsine, de la 
pancréatine, etc. Je n’ai pas vu d’une manière très-claire ces 
ferments passer dans le sang ; mais, ainsi que je l’ai déjà dit, l’é- 
mulsine n’arrive pas dans l’urine ; elle reste localisée dans le 
foie, soit qu’on l’injecte directement dans le sang, soit qu’on la 
fasse absorber dans le tissu cellulaire sous-cutané. Il n’en serait 



‘80 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

sans doute pas de même de tous les ferments solubles, car en 
injectant du suc pancréatique dans une veine, j’ai retrouvé la 
pancréatine dans l’urine avec ses propriétés caractéristiques sur 
l’amidon hydraté et sur les matières grasses. Ainsi la couche épi- 
théliale vasculaire n’empêche pas les matières albuminoïdes de pas', 
ser soit de dehors en dedans soit de dedans au dehors. Cependant 
l’albumine du sang n’est pas normalement éliminée, ce qui est 
un argument en faveur de ceux qui pensent que les matières al¬ 
buminoïdes se rencontrent dans le liquide sanguin à un état par¬ 
ticulier de non-solubilité. 

N°118. 

C’est ainsi qu’à la surface de la membrane muqueuse vésicale, 
non-seulement les matières albuminoïdes, mais encore des subs¬ 
tances d’une tout autre nature ne sont pas absorbées. On peut 
injecter impunément de la strychnine, du curare dans la vessie, 
et l’empoisonnement n’a pas lieu, ce qui indique que ces subs¬ 
tances ne sont pas absorbées ou qu’elles le sont d’une manière si 
faible que l’effet toxique ne peut se produire. Les différentes 
parties de la membrane muqueuse intestinale ne sont pas 
également absorbantes. L’estomac absorbe peu. M. H. Bouley 
(De l'action de la section du pneumogastrique sur l’em¬ 
poisonnement par la noix vomique, dans les Comptes rendus 
de la, Société de biologie, t. II, l re série, p. 195, 1850) a cons¬ 
taté que chez le cheval la ligature du pylore empêche l’empoi¬ 
sonnement par la strychnine. La surface du gros intestin paraît 
douée d’une absorption plus active que celle de l’intestin grêle. 
Dans ce dernier point l’absorption varie aussi selon l’état de 
jeûne et de digestion. La surface de la vessie, avons-nous dit 
plus haut, absorbe fort peu ; mais la partie membraneuse de 
l’urètre est au contraire douée d’une faculté absorbante très- 
active. 

Le curare, introduit dans l’intestin pendant la digestion, n’em¬ 
poisonne pas, parce que alors l’absorption est trop faible relati¬ 
vement à l’élimination du poison, qui est toujours très-rapide. Il 
ne peut par conséquent pas s’accumuler dans le sang une quan¬ 
tité de curare suffisante pour devenir délétère. Pendant l’absti¬ 
nence le curare, introduit dans l’intestin, donne lieu à l’empoi¬ 
sonnement, parce qu’alors l’absorption est plus active que 
pendant la digestion, l’activité de l’élimination restant la même. 
Ce qui le prouve, c’est que le curare peut devenir toxique pen¬ 
dant la digestion si l’on fait l’ablation des reins. 

Quand on veut juger de l’absorption des substances par leurs 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


281 


effets toxiques, il est donc très-important de tenir compte de la 
relation ou plutôt de l’équilibre qui peut s’établir entre l’absorp¬ 
tion et F élimination de la substance toxique. 

L’absorption des sels de fer dans l’intestin paraît très-faible et 
même douteuse. Je n’ai point constaté clairement le passage de 
ces substances dans l’urine ; mais j’ai observé qu’elles excitaient 
énergiquement la vitalité de la membrane muqueuse digestive. 
Cela m’a porté à penser que l’action médicamenteuse des ferru¬ 
gineux est plutôt un effet local sur l’intestin qu’une action géné¬ 
rale par absorption de la substance. Les sels de fer ne s’absorbent 
pas non plus dans le tissu cellulaire sous-cutané. C’est pourquoi 
en injectant chez un lapin une solution de lactate de fer dans le 
tissu cellulaire du cou, par exemple, et du prussiate de potasse 
dans le tissu cellulaire sous-cutané de la cuisse, on voit bientôt 
du bleu de Prusse se former dans le tissu cellulaire du cou, mais 
non dans le tissu cellulaire de la cuisse; ce qui prouve que le . 
prussiate de potasse absorbé est venu se combiner avec le sel 
de fer dans le tissu cellulaire du cou, tandis que le sel de fer 
n’est pas allé trouver le prussiate dans le tissu cellulaire de la 
cuisse. 

N°119. 

Pendant l’abstinence ou à jeun, l’absorption des matières albu¬ 
minoïdes est plus active et ces substances peuvent passer dans 
l’urine : j’ai cité un cas de ce genre. Mais pendant la digestion 
l’absorption des substances albuminoïdes doit aussi s’opérer en 
très-faible proportion : on trouve presque toujours, à une cer¬ 
taine période delà digestion, un peu d’albumine dans les urines. 
Des faits qui précèdent il faudrait donc conclure que toutes les 
matières albuminoïdes qui sont directement absorbées par l’in¬ 
testin, soit au début soit dans le cours delà digestion, ne restent 
pas dans le sang. 

Je pense que ce qui vient d’être dit pour les matières albumi¬ 
noïdes est également vrai pour les matières sucrées. A jeun, ces 
substances paraissent être très-activement absorbées, tandis 
qu’elles ne semblent l’être que très-faiblement pendant la diges¬ 
tion. 

Si l’absorption à la surface de l’intestin varie d’intensité, sui¬ 
vant l’état de jeûne ou de digestion, cela tient à ce que la mem¬ 
brane muqueuse intestinale est à la fois absorbante et exhalante 
ou sécrétante, et à ce que ces deux états fonctionnels se déve¬ 
loppent en quelque sorte d’une manière inverse et en antagonisme 
1 un avec l’autre. La faculté absorbante diminue pendant la diges- 



282 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

tion, quand la membrane muqueuse intestinale est vasculaire et 
turgide; l’absorption devient au contraire très-énergique pendant 
l’abstinence, quand la membrane intestinale est pâle et sèche 
La turgescence vasculaire est aussi une des conditions qui em¬ 
pêchent les ferments digestifs d’être absorbés et de digérer la 
membrane muqueuse intestinale. Ce n’est pas en vertu d’une ré¬ 
sistance vitale mystérieuse comme l’avaient avancé certains 
physiologistes, car j’ai montré que des animaux peuvent être di¬ 
gérés vivants quand ils n’ont pas un épithélium qui les protège 
contre l’action du ferment propre au suc gastrique. J’ai encore 
prouvé par une autre expérience directe que la faculté sécrétante 
s’oppose à l’absorption. J’ai injecté une solution de strychnine 
dans le conduit d’une glande salivaire qui ne sécrétait pas ; puis 
j’ai fait une ligature pour empêcher la substance toxique de s’é¬ 
couler au dehors. Au bout de quelques secondes les phénomènes 
de l’empoisonnement avaient lieu, ce qui indiquait que la subs¬ 
tance toxique était absorbée. Mais, si en répétant l’expérience je 
venais aussitôt après l’injection de la solution de strychnine à 
galvaniser le nerf de la glande pour la mettre dans un état de sé¬ 
crétion, l’empoisonnement n’avait pas lieu, bien que la ligature 
empêchât le poison de s’écouler et les liquides sécrétés de l’en¬ 
traîner. L’intoxication et par conséquent l’absorption ne se mon¬ 
traient que lorsque je cessais l’excitation du nerf et que je faisais 
cesser l’acte sécrétoire. 

N° 120. 

Gruby et Delafond, Comptes rendus de VAcadémie des 
sciences , t. XVI, p. 1494. 

Il existe, en effet, à l’extrémité des vaisseaux chylifères un 
épithélium spécial qui permet à la graisse émulsionnée du chyle 
de pénétrer dans leur intérieur. Des particules solides très-tenues 
pourrait arriver par les mêmes voies; seulement il faut savoir 
qu’il peut y avoir aussi des pénétrations accidentelles par plaies 
microscopiques des vaisseaux capillaires sans qu’il en résulte 
d’accidents. C’est par plaie microscopique des vaisseaux que du 
charbon pilé peut pénétrer dans le sang. C’est ainsi que certains 
hématozoaires armés peuvent arriver dans les voies circulatoires, 
que les larves de trichines, par exemple, émigrent de l’estomac 
où elles se développent dans la fibre musculaire où elles se trans¬ 
forment, etc. 

N° 124. 

Voir ma thèse de médecine sur le suc gastrique, 4843. 



233 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
N°122. 

D’après de nouvelles recherches encore inédites, je pense que 
l’absorption digestive est d’une tout autre nature que les absorp¬ 
tions ordinaires. J’ai vu chez la grenouille des glandes pyloriques 
disparaître pendant l’hiver quand la digestion cesse, et se régé¬ 
nérer au printemps quand la digestion recommence. Je suis 
porté à admettre, d’après mes expériences, qu’il y a à la surface 
de la membrane muqueuse intestinale une véritable génération 
d’éléments épithéliaux qui attirent les liquides alimentaires, les 
élaborent et les versent ensuite par une sorte d’endosmose dans 
les vaisseaux. La digestion ne serait donc pas une absorption ali¬ 
mentaire simple et directe. Les aliments dissous et décomposés 
par les sucs digestifs dans l’intestin ne forment qu’un blastème 
générateur dans lequel les éléments épithéliaux digestifs trouvent 
les matériaux de leur formation et de leur activité fonctionnelle. 
Je ne crois pas, en un mot, à ce qu’on pourrait appeler la diges¬ 
tion directe. Il y a un travail organique ou vital intermédiaire. 
Ce n’est pas une simple dissolution chimique, comme l’avaient 
admis la généralité des physiologistes. J'espère pouvoir plus tard 
développer toutes les conséquences de ces nouvelles idées. 

N» 123. 

J’ai vu que la strychnine ou le curare injectés dans le sang 
n’agissent pas instantanément. Quand on n’injecte que de faibles 
quantités de substance, on voit que le temps nécessaire à Faction 
du poison dépasse de beaucoup celui qui est nécessaire pour 
que la circulation le transporte dans tout l’organisme. (Voyez 
Revue des cours publics : Leçons sur le curare , 1864.) 

No 124. 

Voyez P. Bérard, Leçons de physiologie. 

N° 125. 

(Voyez Ranvier : Sur l'influence du système nerveux dans 
l’œdème. — C. R. de l’Académie des sciences , 1869.) 

Le système nerveux semble devoir agir aussi sur l’absorption 
gazeuse, car les grenouilles empoisonnées par le curare, c’est-à- 
dire paralysées des nerfs moteurs, ne peuvent plus respirer par 
la peau. Elles sont bien plus vite asphyxiées que quand on leur 
enlève simplement les poumons. 

No 125 bis. 

La cellule sécrétoire des animaux concentre-t-elle, crée-t-elle 
les principes immédiats qu’elle renferme? C’est une question dif- 



284 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ficile à résoudre. J’ai constaté par exemple que chez les animaux 
en hibernation, la cellule pancréatique ne contient pas de pancréa 
tine. Il en serait de même chez les animaux à jeun; mais aussitôt 
que l’on donne des aliments et que la digestion commence ce 
cellules se rempliraient de pancréatine et deviendraient actives S 
Il faudrait admettre que daus ce cas il y a eu création de pan¬ 
créatine dans la glande par l’influence nerveuse ou bien qu’il y a eu 
apport par le sang de la matière. Nous avons déjà vu que l’émul¬ 
sion injectée dans le sang se localise et se concentre dans le tissu 
du foie. 

N°126. 

On donne en botanique le nom de sécrétion à une sorte d’ab¬ 
sorption élective qui localise certains produits dans un orga¬ 
nisme. Les plantes marines, par exemple, sécrètent l’iode, c’est- 
à-dire le séparent de l’eau de mer et l’accumulent dans leurs 
tissus. Dans les animaux l’excrétion sépare quelque chose du 
milieu intérieur , et l’expulse au dehors. Mais il serait bien en¬ 
core possible qu’un principe formé dans le milieu intérieur orga¬ 
nique fût séparé par un organe qui le retînt et ne le rejetât pas 
au dehors. C’est ainsi que l’émulsine introduite dans le sang est 
séparée du sang par le foie et retenue dans son tissu. Il pourrait 
peut-être bien y avoir aussi quelque chose d’analogue dans la 
sécrétion de la matière glycogène qui, dans certaines circons¬ 
tances, existe à l’état de diffusions dans les tissus. 

Dans les végétaux les produits sécrétés par les fruits sont pro • 
bablement dans la sève. Ils sont seulement élaborés plus profon¬ 
dément dans le fruit par la maturation. Dans un cas, en faisant 
brûler le bois d’un poirier, j’ai constaté qu’il répandait une odeur 
tout à fait semblable à celle qu’on obtenait en faisant cuire les 
poires que portait cet arbre. Il y a encore beaucoup de points 
obscurs dans le mécanisme des sécrétions, il est surtout très- 
difficile de délimiter d’une manière absolue les phénomènes d’ab¬ 
sorption, de sécrétion et d’excrétion. 

N» 127. 

Cette classification des sécrétions est celle que je suis dans 
mon cours de physiologie générale. 

On pourrait regarder, d’une manière très-générale, les sécré¬ 
tions comme des produits de la nutrition spéciale des ' élé¬ 
ments. Tous les éléments organiques produisent ou sécrètent 
quelque chose de spécial. Ces produits de sécrétions peuvent être 
chimiques , physiques ou organiques. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 285 

Les produits de sécrétion chimique sont des principes immé¬ 
diats : ainsi le glycogène, l’amidon, la fibrine, l’albumine, la 
caséine, la ptyaline, la pancréatine, etc. On pourrait considérer 
l’alcool comme une sorte de sécrétion de la levûre de bière. Il y 
a encore des sécrétions végétales en grand nombre qui rentre¬ 
raient dans les sécrétions chimiques ; telles sont les sécrétions 
des essences végétales, etc. La gomme et la gélatine ne sont pas 
des produits de sécrétion, mais des modifications spéciales d’au¬ 
tres substances sécrétées. 

Les produits de sécrétions physiques sont fournis par les élé¬ 
ments des systèmes nerveux et musculaire; ce sont eux qui 
donnent naissance aux mouvements, à l’électricité, à la sensibi¬ 
lité, etc. 

Les produits de sécrétions organiques sont fournis parles 
éléments qui concourent à la génération des éléments. Ainsi 
l’ovaire, le testicule, donnent des produits qui sont organisés, 
en ce sens qu’une fois formés, au lieu d’avoir en eux le type 
d’une évolution chimique qu’ils suivent quand les conditions le 
leur permettent, ils ont en eux le type d’une évolution organisa¬ 
trice, etc. 

N° 128. 

Voyez mon Mémoire sur une nouvelle fonction du pla¬ 
centa. (Comptes rendus de VAcadémie des sciences, 10 jan¬ 
vier 1859.) 

N° 128 bis. 

L’étude histologique attentive de ce phénomène dans le jabot 
des pigeons serait de nature à éclairer beaucoup, je crois, le méca¬ 
nisme des sécrétions. J’ai vu que la section des pneumo-gastriques 
amène une modification dans cette sécrétion; mais il faudrait 
n’agir que sur les rameaux de ces nerfs qui se rendent au jabot. 

N° 129. 

Voyez Leçons sur les liquides de Vorganisme, t. II, p. 322. 

N° 130. 

Voyez Leçons sur les liquides de Vorganisme, t. II, p 239. 
N°131. 

M. Colin a montré que la sécrétion salivaire peut alterner 
dune glande à l’autre. J’ai vu la même alternance des deuxreins 
pour l’excrétion urinaire. 



286 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N° 132. 

Ce liquide excrété du saug entraîne avec lui des matières en 
circulation dans le sang. C’est ainsi que dans le lait il p eu t se 
rencontrer, outre les produits spéciaux de la cellule lactée des 
substances appartenant au sang, telles que l’urée, ou des subs¬ 
tances médicamenteuses absorbées. Toutefois il y a des spécialités 
d’excrétion qui sont difficiles à expliquer, les glandes salivaires 
excrètent très-facilement l’iode, et plus difficilement le sucre et 
le prussiate de potasse. 

Picard, Sur la ■présence de Vurée dans le sang et sa diffu¬ 
sion dans V organisme ; thèse de la faculté de Strasbourg. 

N°133. 

Leçons sur les liquides de l’organisme faites au Collège 
de France , 1.1, p. 321 et suivantes, p. 353 ; 1859. 

N° 134. 

Voyez mon cours publié dans Medical Times and Gazette, 
1860-1861. ( Comptes rendus de la Société de biologie, 
3 e série, t. II, p. 23.) 

N»135. 

Comptes rendus de la Société de biologie, 3 e série, t. I, 
p. 49. 

N° 136. 

Voyez mes Leçons au Collège de France, 1856, p. 48. 

N° 137. 

Voyez Miahle, Digestion et assimilatiou des matières su¬ 
crées ,1846. 

N°138. 

Blondlot, Traité analytique de la digestion , 1843. — A peu 
près à la même époque que M. Blondlot, un autre physiologiste 
étranger faisait également l’étude du suc gastrique à l’aide de 
fistules stomacales. Nous avons plus d’une fois constaté cette si¬ 
multanéité d’une découverte dans deux pays à la fois ; ce qui 
prouve, comme nous l’avons déjà dit, que la science a une mar¬ 
che évolutive qui amène l’apparition de certaines idées et la so¬ 
lution de certaines questions à un moment donné. 

N° 139. 

Voyez Blondlot, Inutilité de la bile dans la digestion pro¬ 
prement dite, Nancy, 1851. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


287 


N°140. 

Oré (de Bordeaux) a oblitéré la veine porte sur des chiens, et 
il a vu la sécrétion se continuer. (Voyez Oré, Fonctions de la 
veine porte, Bordeaux, 1861.) 

N° 141. 

Voyez mon Mémoire sur le pancréas et sur les usages du 
suç pancréatique dans la digestion. (Supplément aux Comp¬ 
tes rendus de VAcadémie des sciences , t. I.) Voyez L. Corvi- 
sart, Sur une fonction peu connue du pancréas, 1857-1858. 

N° 141 bis. 

Y a-t-il une digestion chez le fœtus et les ferments digestifs 
se rencontrent-ils déjà dans le tissu des glandes? Ce sont là des 
questions à examiner ; cependant il m’a paru que chez le fœtus 
de veau et de poulet, il y a des phénomènes digestifs réels bien 
que probablement d’un ordre spécial. 

N° 141 ter. 

Les cellules qui sont à la surface de l’intestin s’atrophient très- 
rapidement quand elles sont soustraites au travail digestif. J’ai 
vu par exemple qu’en isolant une anse intestinale de façon à ce 
que les aliments n’v passent plus, il y a une atrophie rapide de 
la membrane muqueuse, bien que la circulation continue à s’y 
faire d’une façon normale. 

N° 142. 

La graisse peut provenir en partie du dehors, mais il s’en 
produit certainement dans l’organisme animal comme dans les or¬ 
ganismes végétaux. Tout porte à penser que cette graisse n’existe 
pas d’abord à l’état de graisse isolée, elle se trouve à l’état de 
combinaison avec des matières albuminoïdes ou autres, puis 
c’est par une sorte de travail de décomposition, de dédoublement 
ou de fermentation, que cette graisse se sépare. C’est ainsi 
qu’on trouve que des graines récoltées peuvent s’enrichir en ma¬ 
tières grasses après avoir été séparées de leur tige. C’est ainsi 
qu’on peut expliquer l’augmentation de la graisse dans le lait, 
après qu’il a été extrait de la mamelle. Dans la moelle nerveuse 
la graisse se sépare par une sorte de fermentation quand le nerf 
s’altère. On avait cru que la graisse se formait par l’inflamma¬ 
tion. M. Ranvier a montré qu’il n’en est pas ainsi ; la graisse, 
au contraire, disparaît. L’action toxique du phosphore, qui produit 
la formation de la graisse dans certains éléments histologiques, 



288 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

agirait directement et, vraisemblablement, aussi par l’intermé¬ 
diaire des nerfs. Il y a arrêt de la nutrition de l’organe, ce qui 
donne lieu à un travail de fermentation organique dans lequel la 
graisse s’isole de ses combinaisons organiques normales. 

Il existe aussi un fait bien connu : c’est que, quand un tissu 
cesse de fonctionner, il s’infiltre de graisse, c’.est-à-dire devient 
graisseux. Divers auteurs ont discuté pour savoir si c’était une 
transformation ou une substitution graisseuse, sans pouvoir ré¬ 
soudre la question par des arguments décisifs. Il est probable 
qu’ici la graisse se forme par le procédé que nous avons indiqué 
précédemment. 

Pour étudier le mécanisme de la formation de la graisse, nous 
avions commencé, M. Berthelot et moi, des expériences consis¬ 
tant à nourrir des animaux avec de la graisse chlorée. Nous n’a¬ 
vons pas poursuivi ces expériences, qui mériteraient d’être re¬ 
prises. 

N° 143. 

Voyez mes Leçons au Collège de France , 1854. — Dans les 
travaux qui ont été publiés sur la glycogénie, il y a des faits er¬ 
ronés ou mal interprétés que je me propose de reprendre, mais 
dans l’examen desquels je ne puis entrer ici. 

N° 144. 

La finalité des choses nous semble, en effet, différente suivant 
la manière dont nous les considérons. Quand on envisage les or¬ 
ganismes ou les êtres d’une manière isolée, chaque être a en 
lui, comme le dit Aristote, son èntéléchie, et il nous apparaît 
comme un centre pour lequel est fait tout ce qui l’entoure. Le 
végétal n’est pas destiné physiologiquement à servir de nourri¬ 
ture à l’animal, bien que, dans l’ordre général de la nature, il 
n’en puisse être autrement. Quand nous considérons un orga¬ 
nisme entier, les éléments histologiques qui le composent pa¬ 
raissent créés pour lui, tandis que, quand nous considérons un 
élément histologique, l’organisme semble fait pour lui. Les usages 
des choses dans la nature ne sont donc que l’expression des rap¬ 
ports qu’elles ont entre elles et qui peuvent varier suivant la ma¬ 
nière dont nous les envisageons ; c’est ce qui fait la difficulté de 
l’appréciation des causes finales. 

N° 145. 

J’ai montré qu’il se forme dans les animaux une matière 
amylacée animale qui n’offre aucune différence avec la matière 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 289 

amylacée végétale. Elle a la même composition élémentaire, d’a¬ 
près l’analyse de M. E. Pelouze. ( Comptes rendus de VAcadé¬ 
mie des sciences.) Elle forme du glycose qui donne lieu aux 
mêmes combinaisons avec le sel marin. (Voyez Berthelot et de 
Luca, Sucre formé avec la matière glycogène hépatique ; 
dans les Comptes rendus de la Société de biologie , 3 e série, 

1.1, p. 139 ; 1859.) 

N» 146. 

Voyez mes Mémoires sur le mécanisme de la formation du 
sucredans le foie. (Comptes rendus de VAcadémiedes sciences, 
24 septembre 1855-23 mars 1857.) 

' N° 147. 

Dans les organismes élevés, c’est seulement par l’intermédiaire 
du système nerveux qu’on agit sur la plupart des phénomènes 
vitaux. 

N° 148. 

Voyez, sur le mécanisme de la formation du sucre dans le foie, 
Comptes rendus de VAcadémie, 24 septembre 1855. 

No 149. 

Ch. Robin, Programme du cours d'histologie. 

Morel et Willemin, Traité d'histologie humaine. 

N° 150. 

Voyez mon Mémoire sur une nouvelle fonction du placenta 
(Comptes rendus de l'Académie des sciences , 10 jan¬ 
vier 1859) ; — De la formation de la matière glycogène chez 
les animaux dépourvus de foie (Comptes rendus de la So¬ 
ciété de biologie, 3 e série, 1.1, p. 53 et 101 ; 1859). 

N°151. 

Sans doute il peut s’introduire du sucre dans le sang par l’ab - 
sorption intestinale, mais il n’en arrive que très-peu et en quel¬ 
que sorte accidentellement. Le sucre paraît nécessaire dans l’in¬ 
testin comme élément constituant du blastème destiné à la 
rénovation des cellules sécrétoires intestinales. 

N° 152. 

A l’état normal le sucre, l’albumine et les graisses ne sont pas 
éliminés ; cependant cela n’est pas absolu, car on a pu soutenir 
qu’il existe toujours des traces de ces substances dans les excré¬ 
tions. Ce n’est donc que l’excès qui constitue la maladie, ce qui 

19 



290 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

prouverait que les états pathologiques ont toujours des repré¬ 
sentants physiologiques. 

N u 153. 

Dans le poumon et à la surface cutanée les gaz peuvent être 
exhalés par un simple fait d’échange entre le milieu extérieur et 
le milieu intérieur; mais dans l’intestin, où il n’y a normalement 
pas d’air, l’exhalation gazeuse doit se faire en vertu d’un autre 
mécanisme. Il est probable que le système nerveux a une in¬ 
fluence sur la production de ces gaz, car je les ai vus se produire 
en grande quantité à la suite d’opérations pratiquées sur la moelle 
épinière. Les substances gazeuses qui sont éliminées sont en gé¬ 
néral celles qui peuvent être absorbées. Cependant l’hydrogène 
qui n’est pas sensiblement absorbé est parfois exhalé en plus ou 
moins forte proportion, ainsi que cela résulte des expériences de 
MM. Régnault et Reiset. 

N° 154. 

Voyez mes Leçons au Collège de France sur les substances 
toxiques et médicamenteuses , p. 57 ; 1857. 

Pour avoir une élimination bien marquée d’hydrogène sulfuré, 
il faut en injecter une assez forte proportion, ce qui ferait sup¬ 
poser que tout le gaz n’est pas éliminé et qu’une partie se détruit 
ou reste en dissolution dans le sang. 

N» 155. 

Voyez mes Leçons sur les liquides de Vorganisme, 1.1, p. 37 ; 
t. II, p. 182 et 373. 

N® 156. 

Voyez mes Leçons sur les liquides de Vorganisme, t. II, p. 47 
et suiv. 

N° 157. 

Picard, De l'urée et de sa diffusion dans Vorganisme ; thèse 
de Strasbourg. 

N° 158. 

Rayer, Maladies des reins, 1.1. 

N° 159. 

Voyez mes Leçons sur les liquides de l'organisme, t. I, 
p. 298-359. 

Il ne faudrait pas réduire la sécrétion à une pure modification 
vasculaire. Si les nerfs sécréteurs, comme la corde du tympan 
par exemple, produisent à la fois la sécrétion et la vascularisation, 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 291 

ce n’est que par coïncidence. La vascularisation se montre seule 
sans sécrétion quand on irrite très-faiblement la corde du tympan 
ou quand on coupe le grand sympathique. La sécrétion existe 
seule sans vascularisation quand on isole la glande sous-maxil- 
laire ou qu’on lie ses artères en même temps qu’on galvanise la 
corde du tympan. D’un autre côté, j’ai fait voir que, quand on 
galvanise très-fortement la corde du tympan, l’accélération de la 
sécrétion salivaire n’est pas constamment parallèle à l’intensité 
de l’écoulement sanguin ; il arrive un moment où l’écoulement 
sanguin par la veine glandulaire diminue, tandis que l’écoule¬ 
ment salivaire augmente encore. 

Il est donc probable que, dans la glande comme dans les 
muscles, il y a deux ordres de nerfs moteurs : les uns qui se 
rendent à l’élément histologique, élément contractile ou cellule 
glandulaire; les autres qui se rendent aux vaisseaux : ce sont des 
nerfs vaso-moteurs. 

Les deux ordres de nerfs agissent en général d’une manière 
simultanée, mais la vascularisation n’est qu’auxiliaire à la sécré¬ 
tion ; elle ne la produit pas directement. 

Gn pourrait donc espérer séparer dans les glandes, comme je 
l’ai fait dans les muscles, le nerf moteur de l’élément histolo¬ 
gique sécréteur du nerf vaso-moteur. Il m’a semblé que cette 
séparation était possible pour le nerf sécréteur de la glande 
parotide. 

L’électricité excite directement l’élément musculaire, mais elle 
ne détermine pas de même les fonctions de l’élément glandulaire. 
Toutefois ce ne serait point là une différence absolue, car l’élec¬ 
tricité n’agit que très-confusément sur les muscles de la vie or¬ 
ganique, tandis que la chaleur les fait contracter très-énergi¬ 
quement, c’est-à-dire qu’ils sont thermo-systaltiques. Les courants 
électriques continus paraissent agir dans le même sens que la 
chaleur sur les muscles ; les mêmes agents se comporteraient pro¬ 
bablement d’une manière semblable pour l’élément glandulaire. 

N°160. 

J’ai constaté que l’iode est très-facilement éliminé par toutes 
les excrétions et sécrétions en général. Toutefois, c’est par la 
sécrétion salivaire qu’il est le plus rapidement expulsé. La 
moindre trace d’iode absorbé apparaît dans la salive avant de se 
montrer dans l’urine ou dans d’autres sécrétions. Quand des 
quantités assez considérables d’iode sont introduites dans le 
sa ng, l’urine est regardée comme produisant son élimination 



292 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

complète. mais cette élimination n’est pas entière. J’ai con¬ 
staté que, lorsque la quantité restante d’iode est devenue très- 
faible, le rein la retient et ne l’expulse plus, tandis que la salive 
l’élimine encore. Mais comme la salive n’est pas une excrétion, en 
ce sens que le liquide salivaire est versé dans le canal intestinal 
il en résulte que l’iode réintroduit avec la salive est réabsorbé en 
quelque sorte indéfiniment. J’ai vu, en effet, l’iode rester encore 
dans la salive plus de trois semaines après son introduction dans 
l’organisme. Cette sorte d’emprisonnement des médicaments 
constitue un fait intéressant qui peut avoir ses applications en 
médecine. On a observé depuis longtemps que le prussiate jaune 
de potasse s’élimine par le rein très-facilement ; j’ai remarqué en 
outre qu’il passe aussi dans la sécrétion gastrique, mais qu’il 
n’apparaît jamais dans la salive en l’injectant dans le sang à la 
dose la plus forte que puisse supporter l’animal. J’ai voulu savoir 
si cette non-élimination du prussiate jaune par la salive était une 
résistance absolue de l’organe glandulaire. Pour le vérifier, j’ai 
injecté par un rameau de la carotide externe vers la périphérie 
une solution de prussiate jaune, de manière à exagérer considé 
rablement par cet artifice la dose du prussiate dans le sang qui 
arrivait à la glande-salivaire, sans risquer pourtant de tuer 
l’animal. Alors j’ai vu que, dans ces conditions, il passait du 
prussiate jaune dans la salive, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas 
.là d’une résistance absolue de la glande au passage du prussiate 
de potasse, mais seulement d’un degré de sensibilité dans sa 
propriété éliminatrice. Les mêmes différences ne s’observent pas 
pour l’absorption des mêmes substances à la surface des organes 
salivaires. L’iode et le prussiate jaune, injectés dans les conduits 
salivaires, s’absorbent facilement l’un et l’autre ; cependant l’iode 
est absorbé avec une activité telle qu’en l’injectant dans une 
glande, on le recueille en quelque sorte en même temps dans la 
salive de la glande du côté opposé. Il faut supposer cependant 
que la substance, pour arriver d’une glande à l’autre, a dû tra¬ 
verser tout le torrent de circulation ; ce qui fait voir, pour le 
dire en passant, l’incertitude de ces sortes de procédés employés 
pour mesurer la rapidité de l’absorption et de la circulation. J’ai 
constaté que les sels de fer, tels que le lactate et l’acétate de fer, 
par exemple, injectés dans le sang, passent dans l’urine et dans 
le suc gastrique, tandis qu’on ne les trouve pas dans la salive. 
Mais si l’on injecte en même temps de l’iode, il se forme de 
l’iodure de fer, qui passe alors avec facilité dans les liquides 
salivaires. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 293 

Cette espèce de sensibilité pour l’élimination que possèdent 
les divers organes dans des limites différentes ne se constate pas 
seulement pour les substances étrangères au sang, mais elle 
existe aussi vis-à-vis des substances qui font partie de la cons¬ 
titution normale du liquide sanguin, telles que le sucre, le 
chlorure de sodium et d’autres sels. De cette manière, tous les 
organes sécréteurs forment par leur ensemble un système de trop- 
plein physiologique qui doit maintenir équilibrée la composition 
du sang. Les modifications dans le rôle éliminateur des organes 
sécréteurs et excréteurs doivent tenir à des dispositions spéciales 
de leur épithélium. Mais ce sont là des phénomènes encore fort 
peu connus. On peut dire cependant que les troubles dans les 
phénomènes d’excrétion et de sécrétion sont généralement en 
rapport avec l’altération des propriétés des épithéliums. 

N° 461. 

Voyez mes Leçons au Collège de France , 1855, t. I, 
p. 291, etc. 

No 162. 

Voyez mon Mémoire sur l'influence du grand sympathique 
sur la chaleur animale (Mémoires de la Société de biologie, 
1853); — Leçons sur les liquides de l'organisme , 1.1, p. 249. 

N° 163. 

Quand, par exemple, sur un mammifère, on enlève un seul 
rein, l’animal ne meurt pas, parce que le rein restant supplée à 
celui qui manque. Si, au lieu d’enlever un rein, on ne fait que 
couper les nerfs qui s’y rendent, alors la glande rénale se dé¬ 
truit, se décompose et l’animal meurt, non par l’absence de 
fonction de l’organe, puisqu’un rein suffit, mais parce que la 
fonte putride du rein a engendré des substances septiques qui 
ont empoisonné l'animal. J’ai montré que la section des nerfs de 
la glande sous-maxillaire (corde du tympan) amène aussi sa dé¬ 
nutrition ou sa dégénérescence. Toutefois la mort de l’animal 
n ) e n résulte pas, ce qui permet à l’organe de se séparer au bout 
d un certain temps. (Voyez mes Leçons sur les liquides de 
V organisme , t. II, p. 34.) 

N° 163 bis. 

Toutes les explications physiologiques doivent se rapporter aux 
modifications chimico-physiques qui surviennent au moment de 
, fonc tion. C’est donc sur eux qu’il faut arriver à porter l’ex- 
penmentation. On a déjà commencé L’étude histologique des 



294 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

glandes en fonction et en repos. Mais il faudrait pouvoir observer 
des glandes assez transparentes pour constater au microscope les 
modifications qui se passent dans les éléments au moment où le 
nerf sécréteur détermine la sécrétion à se produire. 

N° 163 ter. 

C’est ainsi que cela a lieu à la suite de la section des nerfs du 
rein. Toutefois le genre d’altération produite sur le sang par la sup¬ 
pression de l’action nerveuse n’a pas été définie exactement il 
serait nécessaire pour cela de faire des analyses du sang de la 
veine rénale à l’état normal et après la suppression des nerfs. 

N°164. 

Le végétal et l’animal se nourrissent et vivent de même ; seu¬ 
lement ils agissent différemment sur l’atmosphère, parce qu’ils 
sont munis d’instruments physiologiques différents, et qu’ils cons¬ 
tituent en réalité des machines organiques bien distinctes. Mais 
ils ne fonctionnent pas moins d’après les mêmes lois physiolo¬ 
giques. De même les machines inorganiques, quoique obéissant 
aux mêmes lois de la mécanique, exercent sur ce qui les entoure 
les effets les plus divers. 

N°165. 

Nous savons que l’oxyde de carbone est le poison du globule 
rouge sanguin, mais non du globule de matière verte. Toutefois 
le globule de matière verte végétale aurait peut-être aussi ses 
poisons. M. Boussingault a fait récemment à ce sujet dès expé¬ 
riences très intéressantes. Il a vu que le mercure, introduit soùs 
une cloche où se trouve un végétal, détruit la propriété que pos¬ 
sèdent ses feuilles d’agir sur l’air, et il a constaté aussi que le 
soufré empêche cette action délétère de se produire. Ces in¬ 
fluences physiologiques toxiques du mercure et anti-toxiques du 
soufre, qui sont très-marquées, ont lieu sôas l’influence de 
qualités de substances en quelque sorte infinitésimales. En effet, 
dans ces expériences, le mercure et le soufre ne peuvent être 
décelés dans l’air par les réactifs ordinaires. Cette dernière cir¬ 
constance donne à ces phénomènes l’apparence des actions mias¬ 
matiques. qui, bien que très-réelles, sont le plus souvent elles- 
mêmes indéterminables par nos moyens d’investigation, dans 
l’état actuel de la science. 

Le mercure serait-il aussi un poison pour les globules de 
sang ? C’est ce qui semblerait résulter des expériences de Gaspar 
sur les œufs. (Yoy. Journal de Magendie , t. VIL) 



295 


de la physiologie générale 

N°466. 

Chez les végétaux les phénomènes de réduction sont nécessai¬ 
rement prédominants, parce que le végétal doit créer chaque 
année les principes ligneux organiques qui constituent ses organes 
foliacés caduques, et parce que, d’autre part, il s’accroît durant 
toute sa vie dans son squelette ligneux. La cellulose qui forme 
le bois ou le ligneux est un principe immédiat végétal qui est 
produit par réduction, par la fixation des éléments de l’eau et du 
carbone provenant de l’acide carbonique atmosphérique. Chez les 
animaux, les phénomènes de combustion doivent dominer, parce 
que les globules sanguins, le tissu musculaire, etc., qui forment la 
plus grande masse de leur corps, sont des organes à combustion 
énergiques, dont il n’existe pas d’analogues dans le règne végétal. 

Il y a des animaux qui forment la chitine dans leur enveloppe 
(insectes crustacés) ; ils font aussi du glycogène quand ils chan¬ 
gent de carapace. Est-ce le glycogène qui se change alors en 
chitine? En dehors de cette époque, ils ont un foie purement bi¬ 
liaire. Quand ces animaux grandissent, ils ont une espèce de 
blastoderme qui renaît en quelque sorte à chaque période de 
leur accroissement, et alors le glycogène apparaît dans tons les 
tissus. (Expériences inédites.) 

N°167. 

On peut arriver à ce résultat par l’analyse comparative du sang 
à l’entrée et à la sortie des organes musculaires, nerveux, glan¬ 
dulaires, etc. Il faut encore avoir soin de considérer les phéno¬ 
mènes suivant que ces organes sont en repos ou en fonction. J’ai 
déjà, depuis longtemps, commencé des études dans cette voie, 
ainsi qu’il a été dit ailleurs, mais la chimie organique n’est pas 
encore assez avancée pour nous fournir des moyens suffisants 
d’analyse physiologique du sang. Néanmoins, c’èst dans les 
modifications du milieu intérieur d’un côté qu’il faut trouver les 
éléments du problème nutritif, et dans l’activité vitale de l’élé¬ 
ment histologique, de l’autre, qu’il faut chercher l’explication 
des phénomènes. 

N°168. 

Il ne saurait y avoir de nutrition directe, c’est-à-dire sans un 
milieu spécial préparé par l’organisme pour l’élément histolo¬ 
gique 1 . 

1 Les aliments pris par l'organisme n’agis3ent donc jamais directement 
dans la nutrition, ce qui ôte leur valeur à tous les calculs chimiques 
Ça on pourrait faire à cet égard. Les ex citants alimentaires seuls peuvent 



296 1)E LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


Les animaux, même les plus simples, ne se nourrissent pas di¬ 
rectement des matériaux qui les entourent, ils ne se les assimilent 
qu’après qu’ils ont été modifiés et préparés sous forme d’un milieu 
intérieur. C'est pourquoi la rédintégration ne s’accompagne pas 
d’accroissement. Ainsi, quand on coupe en plusieurs fragments un 
polype hydraire ou une planaire, chacun de ces fragments forme 
un nouvel animal complet. Cette reconstitution ne se fait pas au 
moyen des substances nutritives qui sont dissoutes dans l’eau, mais 
aux dépens du fluide nutritif organisé qui restait dans le frag¬ 
ment séparé. Il s’ensuit que l’animal rédintégré a le même vo¬ 
lume que la partie qui lui a donné naissance ; il ne grandit que 
lorsqu’il s’est reformé et qu’il a repris des organes aptes à lui 
préparer le milieu intérieur. Il en est de même pour les rédinté¬ 
grations des pattes ou de la queue chez les lézards ou les sala¬ 
mandres. Il en est parfois de même aussi pour des tissus greffés; 
leurs éléments histologiques ne persistent qu’autant qu’ils n’ont 
pas épuisé les matériaux nutritifs de leur milieu organique qu’on 
avait greffés avec eux. C’est ce qui s’observe encore pour des 
parties séparées d’un animal qui continuent à vivre et même à se 
développer isolément, ainsi que l’a constaté M. Vulpian sur les 
queues de têtards. Dans ce cas la nutrition continue aux dépens 
des globules vitellins du milieu ou du blastème intérieur, mais 
non directement aux dépens du milieu ambiant qui entoure la 
queue du têtard. 

Le milieu intérieur, pour permettre le phénomène de la vie 
ainsi que le phénomène d’échange nutritif, doit être le théâtre 
de mutations chimiques très-actives. C’est pourquoi il doit d’a¬ 
bord être liquide et renfermer une grande proportion d’eau. Si 
l’eau manque, les phénomènes de la nutrition s’arrêtent et s’a¬ 
moindrissent considérablement ainsi que les manifestations de la 
vie ; il ne peut y avoir alors que vie latente. Nous rappellerons 
que tous les éléments histologiques ne peuvent se nourrir et vi¬ 
vre que dans un milieu liquide ; l’organisme ne vit dans l’air 
que par les artifices de sa construction. Nous savons encore que 
le milieu intérieur pour être apte aux phénomènes de nutrition a 
besoin de posséder une certaine température, qu’il doit renfer¬ 
mer les éléments nutritifs qui sont nécessaires à la réparation des 


agir directement, tels que l’alcool, par exemple, qui est un excitant 
alimentaire, en ce sens qu’il stimule les fonctions du système nerv_ . 
sans nourrir. Aussi n’est-il pas brûlé comme les chimistes lavaient 
cru ; il est rejeté par l’excrétion urinaire et par la respiration. ( 

Du rôle de l’alcool et des anesthésiques dans l'organisme. Recherches exp 
mentales, par T,. Lallemand, Perin et Duroy, 1860.) 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 297 

pertes faites par les éléments histologiques. D’où il résulte que 
le milieu nutritif sera d une composition d’autant plus com¬ 
plexe que l’organisme est lui-même plus compliqué et plus 
élevé. 

Un grand fait qui se retrouve dans tous les phénomènes de la 
vie, c’est la préparation et 1 ’emmagasinement des matériaux 
nutritif. On pourrait aussi dire qu’il y a emmagasinement de 
forces, car elles dérivent elles-mêmes de la nutrition des tissus. 

Chez les végétaux et chez les animaux à sang froid la nutrition 
s’amoindrit considérablement pendant l’hiver et augmente d’é=s 
nergie pendant l’été. Chez les animaux à sang chaud elle est 
constante. Il faut que dans les animaux le milieu intérieur ou sang 
contienne tous les éléments salins, azotés ou autres, qui entrent 
dans la constitution des éléments musculaires, osseux, ner¬ 
veux, etc. Pour les organismes inférieurs, le milieu doit être 
beaucoup plus simple, et M. Pasteur a montré que pour la le- 
vûre de bière par exemple le milieu peut être réduit à de l’eau, 
de l’ammoniaque, du sucre et un sel terreux. 

N° 169. 

Dès 1854 j’ai insisté sur l’importance de la présence du sucre 
pour l’accomplissement des phénomènes de nutrition et de déve¬ 
loppement. Les liquides animaux ou végétaux ne semblent pou¬ 
voir être le siège d’évolutions organiques qu’autant qu’ils renfer¬ 
ment des matières sucrées. J’ai constaté que la levûre de bière 
ne peut se développer dans le sérum du sang s il n’est préalable¬ 
ment sucré, et cependant c’est un milieu très complexe, qui con¬ 
tient des matériaux nutritifs en excès. J’ai observé également que 
dans le sérum sucré il se développe, sous l’influence d’une douce 
température, des productions amiboïdes tout à fait analogues aux 
globules blancs; j’ai vu enfin que chez le fœtus le développement 
des tissus s’accomplit au milieu de liquides sucrés, et j’ai montré 
la présence constante du sucre dans le sang de fœtus ainsi que 
dans les liquides de l’amnios, etc. 

Plus tard j’ai découvert l’élément glycogénique dans l’œuf ani¬ 
mal et dans l’embryon végétal. J’ai vu de même l’élément glyco¬ 
génique se développer dans le blastoderme de l’oiseau, dans la 
vésicule ombilicale, dans la cicatricule, autour de la vésicule 
germinative, dans le placenta, etc. La graine, le bourgeon, con¬ 
tiennent la matière sucrée sous la forme de fécule ou de sucre ; 
j’ai constaté que, dans les graines oléagineuses, il y a du sucre et 
de l'aleurone. Chez l’embryon la fonction glycogénique est géné- 



298 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

ralisée, mais dans l’organisme adulte cette fonction se restre' 
parce que les phénomènes de nutrition et de développement or*" 1 
nique continuent avec moins d’intensité; alors c’est le foie quiEf 
chargé de cette évolution glycogénique, qui reste toujours en rap¬ 
port avec les phénomènes de nutrition. *** 

La matière glycogène peut s’accumuler dans les tissus. J’avais 
vu qu’elle existe dans les muscles du fœtus et qu’elle peut, dans 
certaines conditions, donner du sucre. M. Sanson a constaté sa 
présence dans les muscles de cheval, et je l’ai retrouvée dans les 
muscles d’autres animaux. Cette matière glycogène du muscle 
paraît être apportée par la circulation pour le besoin de combus¬ 
tion que produit le travail chimique musculaire. J’ai trouvé en 
effet qu’elle s’accumule dans les muscles paralysés comme dans 
les muscles du fœtus. Cette matière existe alors à l’état d’infiltra¬ 
tion et à l’état diffus. 

J’ai constaté de la matière glycogène dans les tubes muscu¬ 
laires de fœtus de chats, mais il ne paraît pas pour cela que cette 
matière soit nécessaire à la formation des muscles, car je n’en ai 
pas trouvé chez les muscles d’oiseaux en développement. La ma¬ 
tière glycogène entre-t-elle directement dans la constitution des 
tissus? Je ne le crois pas, excepté peut-être dans la cellulose, 
dans la chitine, ou dans la matière cornée. C’est, en effet, dans 
le tissu corné de jeunes veaux qu’elle existe en plus grande 
abondance. 

La matière glycogène ne semble devoir servir au développe¬ 
ment qu’à l’état de sucre et en favorisant les mutations chimiques. 
Il faut pour cela qu’elle soit à l’état de glycose. car les autres 
formes de matière sucrée ne semblent pas aptes à entretenir les 
phénomènes de fermentation ni ceux de nutrition. J’ai constaté 
sur des larves de mouches que, lorsqu’on empêche leur dévelop¬ 
pement, il y a beaucoup de matière glycogène et pas de sucre ; 
mais, dès que la larve se développe, le sucre apparaît et la ma¬ 
tière glycogène se détruit. 

En résumé, le sucre est un principe qui paraît nécessaire au 
développement organique. Il est aussi un principe alimentaire 
qui semble indispensable aux animaux. Mais je pense que le su¬ 
cre qui pénètre dans le canal intestinal des animaux n’est pas 
destiné à être utilisé dans le sang. Il me semble avoir pour usage 
de contribuer à la formation du blastème évolutif des éléments 
épithéliaux de l’intestin qui servent eux-mêmes àla nutrition. 

Chez le fœtus il paraît y avoir une digestion. En effet on trouve 
dans l’estomac des fœtus de veaux un liquide fdant d’apparence 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 299 

gélatineuse et qui renferme toujours du sucre. Ce liquide stoma¬ 
cal sucré sert sans doute pendant la vie fœtale à l’évolution des 

épithéliums intestinaux qui préparent les éléments du sang. Il y 

a du reste aussi de la matière glycogène dans l’épith ilium intes ¬ 
tinal chez le fœtus; mais je n’en ai jamais constaté chez l’individu 
adulte. 

On pourrait à ce propos distinguer dans l’organisme des élé¬ 
ments histologiques constitutifs ou essentiels et des éléments 
histologiques transitoires ou auxiliaires. Quoique les uns et les 
autres se nourrissent autonomiquement, cependant il existe entre 
eux une sorte de solidarité hiérarchique, qui fait que les pro¬ 
duits des uns sont nécessaires au développement des autres. 
C’est ainsi que l’élément glycogénique est un élément épithélial 
qui paraît avoir pour rôle de préparer le milieu dans lequel doi¬ 
vent se développer les éléments constitutifs de l’organisme. C’est 
pourquoi il faut que ces éléments préparateurs du milieu évolutif 
existent avant les autres. En effet, l’élément glycogénique appa¬ 
raît dès le début de la vie embryonnaire animale ou végétale. Il 
continue durant toute l’existence de l'être organisé et ne dispa¬ 
raît qu’à sa mort. 

N° 170. 

L’influence de la chaleur et de l’oxygène est indispensable pour 
entretenir les mutations chimiques vitales. Cependant certains 
bourgeonnements organiques nutritifs paraissent pouvoir se faire 
en dehors de la présence de l’oxygène et dans une température 
peu élevée. Néanmoins le développement d’tin végétal s’arrête au 
sein d’une atmosphère d’acide carbonique, à moins que les par¬ 
ties vertes de la plante ne viennent absorber cët acide carbonique 
et restituer de l’oxygène à sa place. 

Le milieu organique ou les liquides blastématiques qui en dé¬ 
rivent doivent posséder, pour servir au développement, non-seu¬ 
lement des propriétés générales, mais encore des propriétés spé¬ 
cifiques ; c’est pourquoi, quand on transplante des éléments 
histologiques d’un individu sur un autre par la greffe, ils ne peu¬ 
vent y vivre qu’autant que les espèces sont rapprochées et peuvent 
avoir entre elles des croisements. 

Toutefois la greffe de l’épithélium semble faire exception. 
(Voir sur la greffe épidé mique, par M. Reverdin, Comptes 
rendus de VAcadémie des sciences , 1871.) 

Au lieu d’être le théâtre des développements histologiques or¬ 
ganiques réguliers de l’organisme, le milieu organique intérieur 



300 DE LA PHILOLOGIE GÉNÉRALE 

peut aussi servir a la nutrition et au développement de certains 
êtres parasites. Parmi ccs êtres parasitiques, il en est, les héma¬ 
tozoaires, qu’on pourrait appeler normaux, parce qu’ils ne vi¬ 
cient pas le milieu organique et se comportent comme s’ils 
étaient de la même famille que les éléments histologiques dont ils 
empruntent le milieu organique. Il y a de ces hématozoaires qui 
peuvent exister en nombre quelquefois immense dans un mi¬ 
lieu sans l’altérer. M. Chaussât a constaté, chez une femelle de 
rat pleine et parfaitement bien portante, des hématozoaires en 
quantité innombrable dans son sang, mais ces hématozoaires ne 
se trouvaient pas dans le sang des petits ; ce qui prouve, pour 
le remarquer en passant, qu’il n’y a entre la mère et le foetus 
que des communications osmotiques de liquides et non des com¬ 
munications directes d’éléments histologiques. Mais il est d’autres 
êtres parasitiques qu’on doit considérer comme anomaux en ce 
qu’ils altèrent la composition du milieu organique. C’est ce qui a 
lieu, comme l’a montré M. Davaine, pour les bactéridies qui exis¬ 
tent dans la maladie du sang de rate et pour les moisissures de 
la pourriture des végétaux, etc. 

N° 170 bis. 

Le placenta qui est l’organe intermédiaire entre la mère et le 
fœtus est considéré en général comme ayant un rôle d’épurateur 
du sang et respiratoire analogue à celui du poumon. Il est certain 
néanmoins que rien ne justifie encore ce rapprochement. Le sang 
du fœtus puise t-il de l’oxygène dans le placenta comme les brau- 
chœs des poissons le puisent dans l’eau? le tissu du placenta a-t-il 
quelques propriétés chimiques analogues à celles du tissu du 
poumon qui agit pour décomposer certaines substances contenues 
dans le sang, sur celles des cyanures par exemple, etc? Toutes 
ces questions auraient besoin d’être mises à l’étude, et des inves¬ 
tigations nombreuses seraient nécessaires pour élucider les fonc¬ 
tions encore si grandement obscures du placenta. 

N° 171. 

On peut se demander si le développement ou la création orga¬ 
nique se fait par une synthèse aux dépens de ces éléments dissociés 
dans un liquide en décomposition etsaisis en quelque sorte à Y état 
naissant. Je ne pense pas qu’il y ait là une vraie synthèse. L’élé¬ 
ment histologique, doué d’une sorte d’attraction organique, sem¬ 
blerait plutôt opérer en lui une espèce de condensation de maté¬ 
riaux. Dans la formation de l’œuf, les matériaux paraissent d’abord 
se condenser comme la matière cosmique des nébuleuses, puis 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 301 

l’organisation apparaît. Pour certains éléments la nutrition se con¬ 
fond bien visiblement avec leur développement. C’est ainsi que, 
dans la nutrition d’un épithélium, on voit des cellules jeunes 
naître au-dessous des anciennes et pousser les couches superfi¬ 
cielles; ici la nutrition est bien véritablement une génération con¬ 
tinuée. Mais pour d autres éléments on ne les voit pas se régénérer 
aussi clairement par les procédés embryogéniques ordinaires, à 
moins qu’on ne les détruise. Les éléments musculaires et nerveux 
paraissent se maintenir dans leur constitution normale, non par 
renouvellement histologique incessant, mais par une assimila¬ 
tion directe des éléments qui se rencontrent dans les liquides qui 
les baignent. Toutefois leur mode de nutrition ne se rattache pas 
moins à des procédés de régénération organique, puisqu’ils ont 
pour centre d’action les noyaux de cellules restés dans la paroi 
des tubes musculaires ou nerveux. 

N° 472. 

Voir, pour l’ensemble des idées de M. Ch. Robin, le résumé 
qu’en a fait M. Clémenceau. (De la génération des éléments 
anatomiques , par M. G. Clémenceau; avec une introduction par 
M. Ch. Robin, 1867.) 

N° 172 bis. 

Ce sont là des expériences extrêmement intéressantes, mais 
qui auraient besoin d’être reprises pour déterminer exactement les 
conditions. Jusqu’à présent, on n’est autorisé à les considérer que 
comme des cas exceptionnels. 

N°173. 

Voyez les expériences de M. Philippeaux. (Comptes rendus 
de l Académie des sciences, 11 mars et 10 juin 1867.) 

N° 173 bis. 

La même chose s’observe pour le rein; mais il n'y a là qu’un 
phénomène d’hypertrophie. Comment devra-t-on distinguer un 
phénomène d’hypertrophie d’un phénomène de rédintégration? 
Dans le premier cas, celui du rein, il n’y a eu qu’augmentation des 
fonctions de l’organe sans modification de ces fonctions, tandis 
que dans le second cas, celui du cerveau, il y a augmentation du 
volume de l’organe et réapparition d’une fonction qui avait disparu. 

No 174. 

Balbiani, Sur Vexistence d'une reproduction sexuelle che* 
les infusoires. (Comptes rendus de l’Académie des sciences, 



302 ni'. LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

t. XLVI, p. 628; t. XLVII, p. 383 ; 1858.) - y 0 y ez en cor e 
Journal de l’anatomie et de la physiologie rédiep 
M. Brown-Sequard. * 8 par 

N° 175. 

Voyez Comptes rendus de l'Académie des sciences. 

N° 175 bis. 

Les éléments histologiques d’un organisme complexe ne sont 
réellement pas des organisations élémentaires libres en ce sens 
qu’ils ne peuvent pas vivre libres et isolés de l’organisme 
auquel ils appartiennent. Lorsque ces éléments sont placés dans 
des milieux extérieurs où ils deviennent libres, ils se détruisent 
pour donner naissance à de nouveaux organismes élémentaires. Ce 
serait peut-être là l’origine des infusoires dont un grand nombre 
jouent ainsi qu’on le sait le rôle de ferments. 

' N°176. 

Voyez Comptes rendus de l’Académie des sciences, depuis 
1859. —Voyez Pouchel, Hétérogénie ou traité de la généra¬ 
tion spontanée, basée sur de nouvelles expériences , 1859. 

N° 177. 

'Voir Comptes rendus de VAcadémie des sciences : Rap¬ 
port sur la question des générations spontanées. 

N° 177 bis. 

La sexuaité dans les organismes inférieurs n’est physiologi¬ 
quement en quelqué sorte qu’un accessoire de la vie ; dans les. 
organismes élevés, elle a plus d’importance et dans l’homme'elle 
devient un des rouages principaux de la vie sociale. 

N» 178. 

Les origines de la sexualité sont entourées de beaucoup d’obs¬ 
curités. M: Balbiani a déj. éclairé ce sujet difficile et il poursuit 
ses recherches, qui seront d’un grand intérêt pour la physiologie 
générale. 

Dans les animaux et les végétaux, la sexualité ne se montre 
d abord que de loin en loin, comme, par exemple, dans les phé¬ 
nomènes de génération alternante sur lesquels plusieurs sa¬ 
vants français, MM. Quatrelages, Balbiani, Davaine, etc., ont fait 
des recherches importantes. La sexualité peut, chez les mêmes 
animaux, être alternativement réunie dans le même individu ou 
séparée sur deux individus distincts. On observe dans les végé¬ 
taux et aussi chez certains animaux, comme les abeilles, pai 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 303 

exemple, des générations parthénogénétiques qui ne sont que 
des générations vierges, c’est-à-dire sans fécondation directe. 
Du reste, chez les animaux élevés, bien qu’il faille dans chaque 
génération une fécondation directe, cependant les fécondations 
peuvent avoir des influences prolongées qui se mélangent et se 
combinent entre elles. C’est ainsi que chez des mammifères 
on voit l’influence d’une fécondation antérieure faire repa¬ 
raître les caractères d’une race étrangère à la fécondation 
actuelle et modifier les résultats de croisements que l’on voulait 
obtenir. 

M. Balbiani serait conduit par ses recherches à une opinion 
qui rappelle un peu celle de l’emboîtement des germes, en ce 
sens qu’il admet que dans l’œuf il y a un élément cellulaire 
dérivant de l’ovaire et constituerait en quelque sorte un élé¬ 
ment sexuel primitif qui serait renforcé par la fécondation. 
Considéré en dehors de ces éléments d’atavisme et de sexualité, 
l’œuf n’est en lui même qu’un élément plastique très-énergique. 
N° 179. 

Ainsi, on peut chez les vers de terre couper la tête et la voir 
se reproduire deux ou trois fois (E. Faivre), mais pas davantage; 
il semblerait donc que la fécondation nutritive est épuisée. Cer¬ 
tains animaux infusoires (paramécies) se propagent par scis¬ 
sion ou par prolifération nutritive pendant un certain temps ; 
puis, lorsque ce mode de génération nutritive s’épuise, ces êtres 
se reproduisent par la génération sexuée, qui donne une nou¬ 
velle impulsion nutritive. Il en serait de même chez les abeilles, 
dont les premières générations sont parthénogénétiques ; la 
fécondation arriverait ensuite comme pour renforcer la puissance 
nutritive génératrice et lui communiquer une impulsion capable 
de fournir carrière à une plus longue suite de générations. 

N° 179 bis. 

Voyez Balbiani, Mémoire sur la génération des aphides. 
Annales des sciences naturelles , 1871. 

N° 180. 

Ch. Robin, Revue zoologique, octobre et novembre 1848. 

N° 181. 

Dans les animaux comme dans les plantes, les deux cellules 
. ( jui renferment les produits mâle et femelle peuvent exister chpz 
deux êtres distincts ou être réunies sur le même individu dans 



304 


DE LA PHYSIOLOGIE GENERALE 

un même appareil sexuel. Alors les deux organes sécréteurs 
ovaire et testicule, sont confondus, comme M. Davaine l’a m 0 nt r : 
dans l’huître Les produits rr.âle et femelle se rencontrent et réa¬ 
gissent l’un sur l’autre, tantôt en dehors du corps, tantôt en de 
dans ; alors la fécondation est intérieure ou extérieure. Il existe à 
ce sujet dans les végétaux et chez les animaux des mécanismes 
de fécondations et de copulations variés à l'infini, dont je n’ai 
pas à parler ici, parce qu’ils rentrent dans des études de physio¬ 
logie spéciale. 

N° 182. 

M. Balbiani continue avec persévérance ses études sur les 
phénomènes si obscurs des origines de la génération et de la 
formation de l'œuf, chaque jour il pénètre davantage dans ce 
sujet difficile et y jette des clartés nouvelles par d’importants 
travaux. Nous avons déjà dit que M. Balbiani a découvert une vé¬ 
sicule dans l’œuf destinée spécialement à la formation du germe. 

Il a étudié récemment l’origine de cet élément chez les pucerons 
où il joue un rôle beaucoup plus important encore que chez les 
autres animaux. Chez ces animaux, en effet, c’est lui qui pro¬ 
voque la fécondation de l’œuf et sa transformation en un embryon. 
M. Balbiani a constaté que ce corps est lui-même une véritable 
cellule naissant de l’épithélium de l’ovaire sur un point opposé à 
celui d’où provient l’ovule auquel il s’incorpore ensuite. Cette 
situation rappelle complètement celle qu’occupent par rapport 
aux cellules embryonnaires (qui, selon M. Balbiani, sont les véri¬ 
tables représentants chez les végétaux, de l’ovule animal) les 
corpuscules énigmatiques désignés par les botanistes sous les 
noms de cellules ou de vésicules antipodes. C’est pour marquer 
cette analogie de situation et peut-être aussi de signification phy¬ 
siologique que M. Balbiani a décrit chez le puceron sous le nom 
de cellule antipode la petite cellule qui naît vis-à-vis de l’ovule 
et s’unit à celui-ci. M. Balbiani a trouvé un équivalent de ce 
corps dans l’ovule mâle ou cellule de développement des sperma¬ 
tozoïdes et il l’a décrit sous le nom de vésicule spermatogène 
dans son étude sur le mode de développement des filaments sper- 
matogènes chez le puceron mâle {Annales des sciences natu 
relies zoologiques; 5 e série, t. XI, p. 85). Quant à l’ancien noyau 
a.uq u el Kôlliker et d’autres histologistes ont voulu faire jouer un 
rôle si important dans la formation de ces.filaments, il ne repré¬ 
sente pourM. Balbiani que l’homologue de la vésicule germinative 
de Purkinge de l’œuf et disparaît comme cette dernière au moment 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 305 

de la maturité de l’ovule mâle sans prendre part à la formation 
du spermatozoïde. 

N° 182 bis. 

M. Duclaux a fait la découverte très-intéressante (Voyez 
Comptes rendus de l’Académie des sciences ) que le froid agit 
pour rendre l’œuf du ver à soie apte à subir son évolution, qui se 
fait cependant sous l’influence de la chaleur comme chez tous les 
autres animaux. Ce fait mérite d’être poursuivi et étudié de plus 
près afin de comprendre le mécanisme de cette influence si sin¬ 
gulière de la température. 

D’après des observations anciennes que j’ai faites à un autre 
point de vue, je pense qu’il ne s’agit là que d’un cas particulier, 
d’un fait général qui s’applique à tout un ensemble de phéno¬ 
mènes chez les êtres vivants. J’aurai ultérieurement occasion de 
développer mes vues à cet égard. 

N° 183. 

M. Davaine a conservé pendant cinq ans parfaitement vivants 
des œufs d’ascarides lombricoïdes de la tortue grecque, dans une 
solution d’acide chromique à 2 pour 100. 

N° 184. 

Toutefois ces opinions ont été contestées. Voyez Comptes ren¬ 
dus de l’Académie des sciences, Landois , et Sanson, Sur la 
sexualité des abeilles, 1867. 

N° 184 bis. 

C’est ainsi que, chez le poulet, pendant l’incubation, les muscles 
du gésier sont thermo-systaltiques, c’est-à-dire contractiles sous 
l’influence de la chaleur ; ce qui n’a plus lieu quelques jours 
après l’éclosion, c’est-à-dire après la naissance de l’animal. 

N° 185. 

Le déterminisme existe aussi bien dans les phénomènes des 
êtres vivants que dans ceux des corps bruts. 

Les organismes vivants sont nécessairement mortels ou péris¬ 
sables, parce que la matière organisée a pour caractère d’être 
éminemment altérable et destructible. Pour que la vie ne s’é- 
teigne pas dans l’espèce, il faut donc un renouvellement de 
1 organisme ou de la machine vivante individuelle. Pour que 
la vie de l’individu ait son développement et la durée qui 
lui est assignée, il faut toujours entretenir les fonctions vitales 
par une rénovation et une nutrition incessantes de la matière 



306 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

organisée. Or, cette faculté de se créer, de se renouveler inces¬ 
samment par la nutrition est considérée comme exclusive aux 
êtres organisés. Ce sont ces phénomènes, dit-on, qui constituent 
le quid proprium de la physiologie, parce qu’ils obéissent à 
des lois qui ne se rencontrent nulle part ailleurs. 

Cependant les cristaux blessés ou brisés se réparent et se cica¬ 
trisent par une suractivité du travail de cristallisation, sur le point 
où la réparation se fait. (Voir mémoire de M. Pasteur, Annales 
de chimie et de physique.) Il y aurait donc là quelque analogie 
avec ce qui se passe chez les êtres vivants. Mais la grande diffé¬ 
rence c’est que le cristal se cicatrise par les forces extérieures 
et dans le milieu cosmique ambiant, tandis que l’être vivant, ani- r 
mal ou végétal, se cicatrise aux dépens de son milieu intérieur, 
c’est-à-dire au moyen de matériaux que son organisme a lui-i 
même préparés. 

Mais quoi qu’il en soit de ce qui précède, devons-nous conclure 
que les phénomènes de génération et de nutrition, qui sont les 
phénomènes vitaux par excellence, sont en dehors du détermi¬ 
nisme scientifique et d’une nature insaisissable? Non, sans doute, 
car ces phénomènes, comme tous les autres, ont leur condition 
déterminée d’existence et de réalisation. Nous devons dire sim¬ 
plement que les machines vivantes, animées par la force har¬ 
monique que nous appelons vitale, sont incomparablement plus 
complexes que les machines brutes, qui sont elles-mêmes l’œuvre 
de l’intelligence de l’homme. Les machines vivantes sont con¬ 
struites de manière non-seulement à se régénérer par une création r 
organique spéciale, mais elles peuvent aussi s’entretenir et se* 
réparer elles-mêmes. C’est pourquoi les êtres vivants peuvent 
être malades et revenir à la santé. Quand les conditions de 
nutrition ou de réparation organique viennent à être modi¬ 
fiées, les fonctions de l’organisme sont, suspendues ou trou¬ 
blées; puis elles peuvent elles-mêmes se réparer et revenir à 
l’état normal quand lès conditions morbides, qui sont elles- 
mêmes de nature évolutive, viennent à cesser. En un mot, nous 
voyons les machines vivantes se former et s’organiser sous 
nos yeux par des procédés spéciaux à la force vitale qui s’ap¬ 
partiennent qu’à eux. Nous les voyons partir d’un élément histo¬ 
logique, d’un œuf microscopique qui réalise et représente à lui 
seul l’idée évolutive complète des organismes les plus compliqués. 
Mais, je le répète, tout cela n’est ni plus ni moins mystérieux 
que ce que nous voyons dans les autres sciences des corps 
qu’on désigne sous le nom de corps bruts. Les causes premières 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 307 

des phénomènes nous échapperont partout : nous ne pouvons 
en saisir que les manifestations. Or, les phénomènes de la vie, 
nous le verrons plus loin, bien qu’ils dérivent d’une source pre¬ 
mière microcosmique qui les isole du macrocosme ou monde 
extérieur, rentrent par le côté de leur manifestation dans les 
lois de la physico-chimie générale des corps qui constituent le 
monde extérieur ou le macrocosme ; d’où il résulte que les 
conditions d’existence des corps vivants peuvent toujours être 
ramenées à un déterminisme scientifique rigoureux et de nature 
physico-chimique. Mais si les conditions des manifestations vitales 
ne sont pas insaisissables à la science expérimentale, ces mani¬ 
festations n’en sont pas moins soumises à des lois spéciales d’é¬ 
volution qui les caractérisent. C’est dans la connaissance de ces 
lois, ainsi que je l’ai dit ailleurs, que la physiologie doit trouver 
ses véritables bases. 

Du reste tous les mécanismes vitaux se concentrent autour, 
d’un but commun qui est la nutrition de l’être. Et en effet c’est là 
le seul phénomène vital essentiel. On peut vivre sans avoir les 
appareils de circulation, de respiration, d’innervation ; mais on ne 
peut pas vivre sans nutrition. Si l’être est très-simple, c’est à cela 
que se réduisent toutes ses fonctions; à mesure que l’être se 
complique un organisme se forme par groupe de mécanismes qui 
ont tous finalement pour objet la nutrition de la dernière molécule 
organique. Les phénomènes de la vie de relation eux-mêmes sont 
en harmonie avec la conservation de l’organisme et par conséquent 
avec la nutrition. Cette propriété se trouve donc à la fois la cause 
elle but de l’organisation. 

N° 185 bis. 

L’œuf considéré en lui-même n’est au fond qu’un élément plas¬ 
tique qui, chez tous les êtres vivants, jouit de la propriété d’at¬ 
tirer autour de lui les matériaux nécessaires à la formation de 
l’organisme. Chez tous les êtres l’œuf offre à peu prés la même 
complication et la forme de l’œuf ne saurait pas plus caractériser 
un être d’une espèce que la forme d’une fibre musculaire, nerveuse 
ou une cellule quelconque. C’est donc ailleurs que nous de¬ 
vons rechercher la cause de cette force singulière de l’œuf qui 
consiste à donner toujours naissance à un être d’une espèce et 
d’une forme déterminées d’avance. On doit penser que cette puis¬ 
sance dérive de l’arrangement plutôt que de la nature de la ma¬ 
tière chimique qui compose l’œuf. 



308 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N° 186. 

Le système nerveux, qui chez les êtres élevés est un modifica¬ 
teur si puissant de toutes les manifestations vitales, est sans 
influence directe sur les phénomènes organiques évolutifs. Le 
système nerveux peut avoir par les nerfs vaso-moteurs une in¬ 
fluence indirecte sur les phénomènes de nutrition, mais il n’en 
a aucune directement sur les phénomènes de développement 
eux-mêmes. En effet, les phénomènes de développement orga¬ 
nique précèdent l’apparition des nerfs. J’ai coupé les nerfs sur 
des ailes de pigeons naissants, sans empêcher les plumes de 
pousser. M. Chauveau a constaté que la section bien complète 
des nerfs n’empêche pas la corne de se développer comme à 
l’état normal dans le sabot du cheval. 

Magendie le premier a montré que la section du nerf de la 
cinquième paire agissait sur la nutrition des parties. J’ai observé 
de mon côté un fait assez singulier; c’est que, quand le nerf 
sympathique est coupé, l’organe où il se rend ne supporte plus 
l’abstinence à l’égal des autres parties du corps, et il est pris de 
phénomènes inflammatoires et suppuratifs, dès que l’animal est 
affaibli par l’abstinence ou par d’autres causes. 

J’ai enlevé le ganglion cervical supérieur chez de jeunes chats 
et chez de jeunes lapins. L’accroissement de l’oreille n’a pas été 
modifié. La section du nerf maxillaire inférieur n’empêche pas 
non plus les dents de pousser, etc. 

N° 187. 

C. Dareste, Comptes rendus de l'Académie des sciences , 
4 mars 1867. 

N° 188. 

Naudin, Cas de monstruosités , devenus le point de départ 
de nouvelles races dans les végétaux. (Comptes rendus de 
VAcadémie des sciences , 13 mai 1867.) 

N° 189. 

On voit parfois des êtres frères se développer dans le même 
utérus et pourtant se montrer différents, au point qu’on a pu 
les prendre pour des individus appartenant à des espèces ou 
même à des genres différents. Malgré l’identité du lieu de déve¬ 
loppement, il faut néanmoins reconnaître qu’il y a eu des condi¬ 
tions différentes de nutrition chez ces deux êtres. (Voyez Balbiani 
et Signoret, Sur le développement du puceron brun de l'érable ; 
Comptes rendus de l'Académie des sciences , 17 juin 1867.) 



309 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N° 190. 

Certaines allures acquises par l’éducation peuvent, chez le che¬ 
val, se fixer et se transmettre par hérédité. Des maladies ou des 
dégénérescences intellectuelles se propagent également dans 
certains cas par la génération. Toutefois le perfectionnement 
intellectuel ou le génie ne semblent pas se transmettre, ce qui 
prouverait, pour le dire en passant, que le génie ne peut être, 
comme on l’a dit, assimilé à la folie. 

N° 191. 

La tradition organique ou l’hérédité n’est que la continuation 
ou le souvenir des états antérieurs qu’ont traversés les orga¬ 
nismes. 

On conçoit dès lors que des modifications nutritives imprimées 
aux organismes d’une manière durable puissent se joindre à la 
tradition organique des ancêtres et se transmettre par hérédité 
aux descendants. On conçoit même que ces modifications, si on 
les varie et si on les multiple, arrivent à faire disparaître ou à affai¬ 
blir l’influence de l’atavisme. 

N» 192. 

C’est par les phénomènes de la nutrition que nous pouvons 
atteindre les organismes vivants; l’empirisme nous l’a déjà 
prouvé surabondamment. C’est à la science physiologique, bien 
éclairée sur la nature de son problème, qu’il appartiendra de 
déterminer les lois scientifiques de cette action. 

Nous avons vu qu’il y a des excitants nutritifs ou des sub¬ 
stances qui agissent différemment sur la nutrition quand elles 
sont introduites dans le milieu où vivent les éléments organiques. 
Le sucre, par exemple, est l’excitant nutritif de la levûre de bière. 
Certains acides semblent être les excitants nutritifs du 'pénicil¬ 
lium, etc. Pour les éléments histologiques animaux, la même 
chose doit exister. Il doit y avoir des excitants spéciaux pour le 
développement et l’évolution de chacun d’eux ; mais il faut ad¬ 
mettre aussi que le milieu ou le blastème dans lequel se déve¬ 
loppent ces éléments possède des propriétés nutritives. Les milieux 
ou les blastèmes préalablement préparés par l’organisme pour¬ 
raient donc être virtuellement susceptibles de donner naissance à 
tous les éléments, mais seulement sous l’influence de conditions 
particulières et déterminées. 



310 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N° 193. 

Je ne pense pas que l’on puisse adopter les mots génération 
spontanée pour désigner la formation évolutive des éléments 
anatomiques dans un milieu ou blastème quelconque, en admettant 
bien entendu que cette formation puisse être démontrée. Si l’on 
veut dire que des éléments organisés peuvent apparaître dans un 
milieu où on ne les apercevait pas auparavant, cela exprime un 
fait vrai, car dans une goûte de sérum ou dans tout autre liquide 
organique sucré parfaitement transparent, dans lequel on n’aper¬ 
çoit d’abord rien au microscope ni germe ni autre corps, puis des 
granulations moléculaires à un certain moment, il se forme bientôt 
des leucocythes ou des globules de levûre de bière (notes n°s 98, 
469). Seulement on ne saurait jamais considérer ces formations 
comme étant des générations spontanées, car elles ne peuvent 
avoir lieu que sous l’influence de conditions parfaitement déter¬ 
minées et nécessaires. Or, dès qu’il y a détermination dans un 
phénomène, il est soumis à une loi fixe et n’est plus spontané. 
L’embryon apparaît aussi dans l’œuf où on ne le voyait pas, et si 
l’on admettait qu’il y apparaît par génération spontanée, alors on 
tomberait dans la plus grande confusion de mots. La véritable gé¬ 
nération spontanée serait une génération dans laquelle il n’y 
aurait pas eu de parents pour créer un milieu évolutif, œuf ou 
blastème. Or, jusqu’à présent, ce mode de génération doit être 
repoussé parce que rien ne le prouve. Mais les milieux blastéma- 
tiques créés par les organismes pourraient être regardés comme 
des dissolutions d’éléments organiques, les contenant virtuelle¬ 
ment ou en germe. Il ne serait donc pas étonnant que ces blas¬ 
tèmes donnassent naissance à des éléments qui leur ressemblent. 
Quand dans une dissolution saline il y a apparition d’un cristal, 
on ne saurait dire qu’il y a eu formation spontanée du cristal. 
Il fallait que la substance du cristal existât en dissolution, mais 
il fallait aussi des conditions spéciales pour déterminer la cristal¬ 
lisation; il n’y a donc rien eu là de spontané. C’est ainsi qu’il 
faudrait considérer l’apparition d’une cellule organique. 

N° 494. 

La question des générations spontanées, se rattachant à la 
question de l’origine des êtres, ne peut devenir une question 
scientifique qu’autant qu’on la soumettra à la méthode scientifique 
expérimentale. Or la science expérimentale ne peut marcher 
qu’en partant de ce qu’elle voit autour d’elle et en remontant 
aux causes prochaines, c’est-à-dire aüx conditions des phéno- 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 311 

mènes qu’elle observe directement, mais non en partant d’hy¬ 
pothèses arbitraires ou impossibles à vérifier sur l’origine du 
monde. En physiologie il ne s’agit pas de croire ou de ne pas 
croire aux générations spontanées, il faut les démontrer; sans 
cela la question n’est plus scientifique, elle devient une question 
religieuse ou de foi. 

N» 194 bis. 

Une fonction est déterminée par les connexions organiques. 
Elle résulte de Y arrangement des propriétés des éléments orga¬ 
niques qui constituent eux-mêmes les tissus et les organes. Il 
importe donc bien de distinguer la propriété de la fonction, 
ainsi que nous l’avons déjà dit à propos des fonctions et des 
propriétés des racines nerveuses rachidiennes. (Voir nos Leçons 
sur le système nerveux au Collège de France, 1858.) Il n’y a 
pas de propriétés fonctionnelles, il n’y a que des propriétés his¬ 
tologiques. La fonction est subjective, tandis que la propriété 
est toute objective. (Voir mon Discours de réception à VAcadé¬ 
mie française, 1869.) 

NM95. 

La graisse qui est déposée dans le tissu cellulaire remplit 
des qsages différents. Elle peut devenir un organe protecteur 
contre le refroidissement extérieur, en même temps qu’elle con¬ 
stitue un dépôt de matières nutritives dans l’abstinence, ainsi que 
cela s’observe pour les animaux hibernants. 

La graisse est déposée dans des cellules sans doute par une 
sorte d’infiltration des cellules plasmatiques. Elle s’y dépose 
quand les corps gras surabondent dans le sang et elle rentre dans 
le sang quand la graisse diminue, ainsi que cela se voit dans 
l’abstinence et dans la maladie. La graisse est quelquefois accu¬ 
mulée en si grande quantité dans le tissu cellulaire sous-cutané 
qu’elle atrophie les vaisseaux et les nerfs. La peau devient alors 
insensible et l’absorption ne se fait plus ou à peine dans ces épais 
pannicules graisseux (Voyez la note n° 142). 

N°.l95 bis. 

Voir Velpeau, Recherches sur les cavités closes, Comptes ren¬ 
dus de VAcadémie des sciences, t. XVI, et Annales de chi¬ 
rurgie. 

J’ai vu autrefois qu’en injectant de l’hydrogène sous la peau 
du dos des lapins, il se forme par la distension des tissus cellu 
laires de véritables bourses séreuses qui sont persistantes. 



312 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


N»196. 

Wertheim, Mémoire sur V élasticité et la cohésion des prin¬ 
cipaux tissus du corps humain, présenté à l’Académie des 
sciences dans la séance du 28 décembre 1846.', 

N° 196 bis. 

Le coefficient d’élasticité du tissu musculaire se comporte à 
la chaleur d’une manière inverse à l’élasticité du caoutchouc. 
(Voir Marey, Du mouvement dans la vie.) 

N" 197. 

Marey, Physiologie médicale de la circulation. 

N° 198. 

La théorie de la contraction musculaire est une question en¬ 
tourée de beaucoup de difficultés et qui n’a pas été encore résolue, 
malgré tous les travaux nombreux et importants dont elle a été 
l’objet. Voir Rouget, Théorie de la contraction musculaire, et 
Marey, Du mouvement dans la vie , etc. 

N° 199. 

En nourrissant des animaux avec de la garance, M. Flourens a 
démontré le mouvement nutritif qui se fait dans les os. 

N° 199 bis. 

Voyez Ranvier, Traité élémentaire d’histologie, 1870. Comp¬ 
tes rendus de l’Académie des sciences sur la structure du 
tissu cellulaire. 

Le tissu cellulaire serait assez bien représenté par le réseau de 
fibrine ; après la coagulation du sang dans le cruor les globules 
blancs et la lymphe imprégneraient ces réseaux et des cellules 
plates seraient groupées sur ces travées de fibres. 

N» 200. 

A. Milne-Edwards, Études chimiques et physiologiques sur 
les os. (Annales des sciences naturelles, 4 e série, t. XIII, cah. 
n° 2.) 

N° 201. 

Ranvier, Thèse de la faculté de médecine de Paris. 

N° 202. 

Berthelot, De la transformation en sucre de divers prin¬ 
cipes immédiats contenus dans les tissus des anifnaux in¬ 
vertébrés. (Comptes rendus de l’Académie des sciences, 

t. XLVII, p. 227; 1858.) 



313 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N° 203. 

P. Bert, Thèse de la faculté des sciences de Paris. 

N° 203 bis. 

Nous avons déjà dit que le tissu osseux ne se forme naturelle¬ 
ment que dans des lieux déterminés d’avance et que le tissu 
osseux transplanté soit à l’état d’os, soit à l’état de périoste, ne 
conserve pas son état antérieur et finit par disparaître par une 
rétrocession nutritive. 

L’autonomie des tissus sur laquelle on a, et avec raison, beau¬ 
coup insisté, n’est donc pas aussi absolue qu’on semble le croire. 
On sait en effet que l’élément osseux par exemple déplacé, peut se 
développer pendant quelque temps par la continuation d’une 
sorte de force acquise, mais au bout d’un certain temps ce dévelop¬ 
pement osseux rétrograde et le tissu se transforme en tissu de la 
région où il a été transplanté. Tandis qu’un os enlevé chez un très- 
jeune animal peut se régénérer sa place par l’évolution de nou¬ 
velles cellules embryonnaires qui apparaissent dans la plaie. Il y 
a donc une influence bien nette exercée par la place qu’occupe 
le tissu dans l’organisme. 

No 204. 

Cependant M. Vulpian dit avoir greffé des morceaux de nerfs 
qui, après avoir dégénéré, se seraient, dans certains cas, régé¬ 
nérés. Les tissus glandulaires doivent-ils tous être rangés sous 
ce rapport dans la même catégorie? Un morceau de foie ou de 
glande salivaire se greffera-t-il? Nous avons vu qu’un morceau de 
■'rate laissé en place reproduit une autre rate entière, d’après les 
expériences de M. Philipeau. Si le fragment dératé était greffé 
ailleurs, en serait-il de même? 

. N° 205. 

Dë sorte qu’on pourrait considérer le développement des tissus 
hétérologues comme le résultat d'une erreur de lieu. 

N» 206. 

Jusqu’à présent la physiologie s’est débattue dans des idées 
transitoires qui disparaîtront à mesure que la science se cons¬ 
tituera. Tout en cherchant à remuer le plus possible des idées, il 
faut donc tenir surtout aux résultats qui sont impérissables en 
tant que faits bien observés, mais dont l’interprétation peut varier 
parce qu’elle est soumise à toutes les vicissitudes de notre 
ignorance. En physiologie, nous en sommes aujourd’hui au temps 
°ù en était l’alchimie avant la fondation de la chimie. La physio- 



314 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

logie générale n’est donc point encore assez avancée pour fournir 
des preuves éclatantes de la puissance qu’il lui est réservé d’at¬ 
teindre dans l’avenir en suivant la voie expérimentale. Mais les 
travaux accomplis en France dans ce dernier quart de siècle et 
que nous avons cités et développés dans le cours de ce rapport 
indiquent nettement les tendances de la physiologie moderne et 
démontrent clairement que c’est dans cette direction qu’elle 
marche. Les vues que l’on pourrait émettre aujourd’hui relative¬ 
ment aux moyens d’action du physiologiste expérimentateur sur 
la nature vivante ne seraient que des résultats de tâtonnement 
encore plus ou moins vagues ; mais cependant ces actions n’en 
sont pas moins positives, et le principe scientifique de la physio¬ 
logie générale ne saurait rester douteux ou incertain. La physio¬ 
logie, comme toutes les sciences terrestres dont les phénomènes 
sont à notre portée 1 , doit avec le temps devenir une science 
expérimentale active sur les phénomènes de la vie. 

Depuis longtemps déjà l’homme exerce son action sur la nature 
vivante ; mais il l’exerce empiriquement. L’action des poisons, 
des médicaments sur les organismes à l’état sain ou malade, 
l'influence modificatrice des milieux sur la nutrition des végétaux 
ou des animaux pour la formation des races, des sexes, etc., 
sont autant de preuves irrécusables de la possibilité que nous 
avons d’exercer notre empire sur les êtres vivants comme sur 
les corps bruts. L’homme a commencé aussi par agir empirique¬ 
ment sur les corps bruts ; mais sa puissance n’est devenue réelle 
que lorsque la science l’a dirigée. Il en sera de même pour les 
corps vivants. 

La science physiologique expérimentale s’adresse à des phéno¬ 
mènes très-complexes et très-difficiles à analyser ; c’est pourquoi 
elle ne pouvait se constituer qu’après la physique et la chimie, 
qui lui sont corrélatives dans l’ordre des sciences des corps bruts. 
Mais elle n’acquerra pas autrement sa puissance. L’homme peut 
donc dire qu’il a déjà entre ses mains les instruments de sa 
puissance sur la nature vivante, puisqu’il lui est permis de 
troubler, de détruire la vie ou d’en changer les manifestations. 
S’il n’a encore pour guide que l’empirisme aveugle, les lumières 
de la science viendront plus tard, cela n’est pas douteux, éclairer 
ses expériences. Quand les progrès de la physiologie générale 
auront montré à l’expérimentateur les éléments organiques spé- 

1 L’astronomie par exemple estcondamnée à restera jamais une science 
naturelle ou d'observation, parce qu’il ne nous sera jamais permis a a 
teindre et de modifier les phénomènes des corps célestes. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 315 

ciaux sur lesquels il agit, et lui auront appris à se rendre maître 
des conditions de leur activité, alors il aura acquis le pouvoir de 
modifier et de régler scientifiquement les phénomènes de la vie. 
Il étendra sa domination sur la nature vivante comme le physi¬ 
cien et le chimiste ont conquis leur puissance sur les phéno¬ 
mènes de la nature inerte. 

N° 206 bis. 

La force régénératrice ou organotropliique va en diminuant avec 
l’âge, et c’est là le caractère de la vieillesse. Lorsqu’elle a dépensé 
sa vitalité, elle est beaucoup plus lente à se réparer ; les organes 
participent eux-mêmes à cette sorte de paresse organique. 

N° 207. 

Il est important sans doute de prouver que la contraction 
musculaire, par exemple, se ramène à des propriétés de contrac¬ 
tilité ou d’élasticité de tissu dont on peut inscrire graphiquement 
les formes et déterminer mathématiquement les coefficients ainsi 
que les équivalents mécaniques- . Il est intéressant de même de 
réduire les fonctions sécrétoires aux lois précises de la dialyse et 
de la diffusion. Cela prouve que les instruments organiques de 
l’être vivant peuvent fonctionner avec autant de précision et 
d'après les mêmes lois que les instruments mécaniques ou physi¬ 
ques inertes. Mais cette démonstration n’explique rien pour la 
fonction physiologique proprement dite. Ce qui importe surtout, 
c’est de savoir comment la fibre musculaire et la cellule sécrétoire 
engendrent leurs propriétés et entretiennent leurs fonctions. 
Pour cela il faut savoir, comment ces éléments naissent, se déve¬ 
loppent, se nourrissent, et sous l’influence de quelles conditions 
ils manifestent leur activité. C’est seulemeut, par le côté des 
phénomènes organogéniques ou organisateurs que le physiologiste 
pourra réellement comprendre et régler les fonctions physiolo¬ 
giques du corps vivant. 

Pour étudier une fonction, il ne suffira donc pas de comparer 
ni d’assimiler son instrument fonctionnel organique à un ins¬ 
trument inorganique en le ramenant aux lois physico-chimiques 
ordinaires ; mais il faudra connaître, au contraire, les caractères 
propres et les conditions d’activité fonctionnelles spéciales de 
l’élément organique tel qu’il est dans l’être vivant. 

N° 208., 

Les lois des phénomènes sont en quelque sorte les idées de la 
nature ; elles se développent et se manifestent logiquement au 



316 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

moyen de forces et de matériaux puisés dans le réservoir cos¬ 
mique général. Une loi, comme une idée, ne se manifeste, c’est" 
à-dire ne devient visible qu’autant que les conditions matérielles 
des phénomènes qui peuvent l’exprimer existent. Nous avons 
déjà dit et nous répéterons que ce n’est que par la connaissance 
des conditions physico-chimiques des milieux extérieur et inté¬ 
rieur au sein desquelles s’accomplit la loi organogénique, que le 
physiologiste pourra arriver à comprendre et à modifier les phé¬ 
nomènes de la vie. Le vrai point de vue de la physiologie^ est 
I donc, si l’on peut ainsi dire, le point de vue nutritioniste ou 
| trophique , qui n’est lui-même que l’évolution organique envi- 
Isagée d’une manière générale et dans toutes les phases de l’exis- 
' tence de l’être vivant. 

Maintenant nous pouvons voir que le but de la physiologie se 
rattache d’une manière étroite à son point de vue propre ; car la 
physiologie générale, ainsi que nous l’avons dit, est une science 
expérimentale qui a pour but de conquérir la nature vivante et 
d’agir scientifiquement sur les phénomènes de la vie. Mais si des 
conditions matérielles spéciales sont nécessaires pour donner 
naissance à des phénomènes de nutrition où d’évolution déter¬ 
minés, il ne faudrait pas croire pour cela que c’est la matière 
qui a engendré la loi d’ordre et de succession qui donne le sens 
ou la relation des phénomènes ; ce serait tomber dans l’erreur 
grossière des matérialistes. 

N° 209. 

Les sciences sont des monuments qui s’élèvent lentement et 
se construisent ou plutôt se découvrent par le travail incessant 
de l’esprit humain. Le plan de chaque édifice scientifique est 
tracé par les lois mêmes de la nature. Il ne saurait être conçu à 
priori , car il ne se manifeste qu’à mesure que les matériaux de 
la science, c’est-à-dire les faits, s’accumulent et se rapprochent; 
| c’est pourquoi le savant ne peut devenir architecte qu’après avoir 
été maçon. Sans doute, il est beaucoup de travailleurs qui n’en 
sont pas moins utiles .à la science, quoiqu’ils se bornent à lui 
apporter des faits bruts ou empiriques. Cependant le vrai savant 
est celui qui trouve les matériaux de la science et qui cherche en 
même temps à la construire en déterminant la place des faits et 
en indiquant la signification qu’ils doivent avoir dans 1 édifice 
J scientifique. 



317 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 
N° 210. 

Pour les corps bruts il y a deux ordres de sciences : sciences 
naturelles (la géologie et la minéralogie) •, sciences expérimen¬ 
tales (la physique et la chimie, etc.). 

pour les êtres vivants, il existe également deux ordres de 
sciences : sciences naturelles (\a zoologie, la botanique ou phy- 
tologie, etc.) sciences expérimentales (la physiologie, c’est-à- 
dire la physico-chimie animale et la physico-chimie végétale). 

N° 211. 

Il est évident que les êtres vivants, parleur nature évolutive 
et régénérative, diffèrent radicalement des corps bruts, et, sous 
ce rapport, il faut être d’accord avec les vitalistes. Mais faut-il 
pour cela aller chercher, avec eux, l’explication des phénomènes 
vitaux dans les attributs hypothétiques d’une force vitale insaisis¬ 
sable et mystérieuse? Évidemment non. La science ne remonte 
jamais aux causes premières, et la cause première de la vie nous 
échappera comme toutes les autres. Pour étudier et expliquer les 
mécanismes vitaux, nous n’avons pas besoin de connaître dans 
son essence la force créatrice de la matière vivante, pas plus 
qu’il ne nous est nécessaire de remonter au principe créateur de 
la matière minérale pour comprendre ses propriétés. 

Nous en sommes toujours réduits à étudier les phénomènes tels 
que nous les observons autour de nous, dans leurs rapports et 
avec leurs conditions de manifestation, qui constituent pour nous 
leurs causes prochaines. 

On doit distinguer deux espèces de sciences expérimentales : la 
physique et la chimie qui étudient les propriétés de la matière 
brute, la. physiologie qui étudie les propriétés de la matière 
vivante organisée. Mais si ces deux ordres de sciences se dis¬ 
tinguent, c’est seulement par le côté morphologique de leur objet, 
c’est-à-dire par l’arrangement de la matière et par la forme des 
phénomènes qu’elles étudient. Nous verrons en effet que les phé¬ 
nomènes des corps vivants et des corps bruts rentrent dans une 
méthode d’investigation commune et s’exécuïent sous l’empire de 
lois et de conditions générales identiques. 

N° 212. 

Les phénomènes physico-chimiques qui se passent dans les 
corps vivants sont exactement les mêmes, quant à leur nature, 
quant aux conditions et aux lois qui les régissent et quant à leurs 
produits, que ceux qui se passent dans les corps bruts ; ce qui 



318 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

diffère, ce sont seulement les procédés et les appareils à Va'ri 
desquels ils sont manifestés. 

Chaque jour les progrès des sciences physico-chimiques dé¬ 
montrent de plus en plus la vérité de cette proposition fondamen' 
taie. Il est déjà prouvé qu’un grand nombre de phénomènes qui 
s’accomplissent dans les corps vivants peuvent être reproduits 
artificiellement, en dehors de l’organisme, dans lé monde miné¬ 
ral. Mais ce que l’on ne peut pas reproduire, ce sont les prodédés 
et les outils spéciaux de l’organisme vivant. 

Les produits des forces chimiques de l’organisme vivant n’<%t 
rien de spécial. On peut les réaliser en dehors de lui. Le chimiste 
peut, dans son laboratoire, opérer des synthèses qui ne diffèrent 
pas, par leur nature chimique, de celles qui se font dans les vé¬ 
gétaux et dans les animaux. L’impulsion féconde que M. Berihelot 
a donnée de nos jours à la chimie organique synthétique sera 
très-utile à la physiologie générale en mettant dans toute son 
évidence cette proposition chimique fondamentale. On a fait déjà 
des essences végétales et des produits immédiats animaux et 
végétaux ; le chimiste imite donc les produits de la nature vivante, 
mais il ne saurait imiter ses procédés, parce qu’il ne peut créer 
la cellule sécrétoire, qui constitue son instrument spécial. On 
opère dans le domaine minéral une foule de dédoublements et de 
décompositions chimiques semblables à celles qui se font dans les 
animaux et dans les végétaux; mais encore dans ces cas, si la 
force chimique a donné lieu à des actions et à des produits iden¬ 
tiques, la nature vivante a employé un procédé spécial évolutif 
que le chimiste ne peut imiter. Certaines cellules organiques 
végétales ou animales réduisent l’acide carbonique et dégagent 
de l’oxygène, d’autres absorbent l’oxygène et dégagent de l’acide 
carbonique. Il est encore des cellules ou des produits de cellules 
(ferments solubles) qui donnent naissance, par des procédés 
spéciaux (de fermentation ou de dédoublement), à de l’alcool, à 
du vinaigre, à des acides gras, à de la glycérine, à de l’urée, etc. 
C’est ainsi que la diastase hydrate l’amidon et le transforme en 
dextrine et en glycose, que la pancréatine saponifie les corps gras 
et dégage de la glycérine et des acides gras. Ce sont là des phé¬ 
nomènes chimiques qui peuvent tous être reproduits dans le 
laboratoire en mettant en jeu les forces chimiques minérales, qui 
sont, au fond, exactement les mêmes que les forces chimiques 
organiques. Mais dans l’être vivant, je le répète, ces manifestations 
chimiques quoique identiques sont réalisées par des instruments 
physiologiques (cellules) qui constituent des procédés vitaux que 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 319 

l’on ne peut reproduire. Nous ne pouvons créer les cellules séeré- 
toires, parce que 1 élément histologique est un produit de l’évo¬ 
lution organique, qu’il a reçu en quelque sorte une éducation an¬ 
térieure quilui a appris ce qu’il doit sécréter. C’est une sorte d’œuf 
chimique, si l’on peut ainsi dire, qui ne peut pas être engendré 
d’emblée. La secrétion n est en effet que la conséquence du mode 
de nutrition et d’évolution de l’élément. C’est ainsi que la levure 
donne naissance à l’alcool, en même temps que s’accomplissent 
ses phénomènes dénutrition et de développement, etc. 

Les produits des forces physiques ou mécaniques de l’orga¬ 
nisme vivant n’ont rien non plus qui les distingue des forces 
physiques et mécaniques générales, si ce n’est les instruments 
qui les manifestent. Le muscle produit des mouvements qui, 
comme ceux des machines inertes, ne sauraient échapper aux 
lois de la mécanique générale, ce qui n’empêche pas que le 
muscle ne soit un appareil de mouvement spécial à l’animal et 
dont le jeu est réglé par des nerfs au moyen de mécanismes éga¬ 
lement spéciaux à l’être vivant. 

J’ai montré que les modifications digestives chimiques spé¬ 
ciales aux glandes ou sucs intestinaux' peuvent être opérées par 
des agents ou des réactifs minéraux. Les animaux produisent de 
la chaleur qui ne diffère en rien de la chaleur engendrée dans 
les phénomènes minéraux. Les poissons électriques produisent 
ou sécrètent de l’électricité qui ne diffère en rien de l’électricité 
d’une pile métallique, ce qui n’empêche pas l’organe électrique 
d’être un appareil vital tout à fait spécial, réglé par le système 
nerveux et que le physicien n’imitera jamais. Il en serait de i 
même des fonctions des nerfs et des organes des sens ; ce sont \ 
des instruments de physique spéciaux aux êtres vivants. 

11 n’y a donc en réalité qu’une physique, qu’une chimie et 
qu’une mécanique générales, dans lesquelles rentrent toutes les 
manifestations phénoménales de la nature, aussi bien celles des 
corps vivants que celles des corps bruts. Il n’apparaît pas, en un j 
mot, dans l’être vivant, un seul phénomène qui ne retrouve ses J 
lois en dehors de lui. De sorte qu’on pourrait dire que toutes les ma- *, 
nifestations de la vie se composent de forces empruntées, quant à 
leur nature, au monde cosmique extérieur, mais seulement mani¬ 
festées sous des formes phénoménales ou dans des arrangements 
particuliers à la matière organisée et à l’aide d’instruments physio¬ 
logiques spéciaux. Ne pourrait-on pas ajouter que l’intelligence 
elle-même, dont les phénomènes caractérisent l’expression la 
plus élevée de la vie, existe en dehors des êtres vivants, dans 



320 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

l’harmonie et dans les lois de l’univers? Mais nulle part ailleu 
que dans les corps vivants, elle ne se traduit avec des instnT 
ments qui nous la manifestent sous la forme de phénomènes d" 
sensibilité, de volonté, etc. 

Je pourrais encore exprimer l’idée qui précède en disant que 
dans les corps vivants, les forces directrices ou évolutives ie S 
phénomènes sont morphologiquement vitales, tandis que leurs 
forces exécutives sont les mêmes que dans les corps bruts. Ainsi 
un os se fait à l’aide de substances chimiques que le chimiste 
pourra reproduire, mais il ne fera pas l’os avec sa forme spéci¬ 
fique, ni avec son arrangement caractéristique. Il en est de même 
de tous les autres tissus. La morphologie organique caractérise 
donc l’être vivant, mais cette loi morphologique, qui donne nais¬ 
sance à la matière organisée, est servie cependant par les forces 
physico-chimiques générales. De sorte que la chimie physiolo¬ 
gique pourra bien chercher à réduire les phénomènes chimiques 
des corps vivants aux mêmes lois que ceux des corps bruts; mais 
elle serait dans le faux si elle voulait les ramener à des procédés 
identiques. Une morphologie, tant extérieure qu’intérieure, carac¬ 
térise les machines vivantes. De même que les êtres vivants ont 
un corps d’une forme particulière, ils possèdent des instruments 
vitaux à formes variées et spéciales, qui donnent naissance à des 
phénomènes également variés par leur forme et leurs apparences, 
bien que, je le répète, ils soient sous l’empire de lois identiques. 

Comme conséquence de ce qui précède, on peut donc poser 
en principe que jamais un phénomène chimique ne s’accomplira 
dans les corps vivants à l’aide des mêmes moyens que dans les 
corps bruts. C’est pourquoi c’est une mauvaise tendance que de 
vouloir assimiler les procédés chimico-physiques de l’organisme 
à ceux de la nature minérale. On pourrait citer bien des exem¬ 
ples pour prouver que celte tendance a conduit à l’erreur. Ainsi, 
en dehors du corps vivant, l’acide chlorhydrique dilué trans¬ 
forme l’amidon en dextrine et en glycose ; dans le corps vivant, 
c’est un ferment, la diastase, qui accomplit le même changement. 
C’est en voulant poursuivre cette même assimilation entre les 
procédés organiques et les procédés minéraux qu’on s’est trompé 
sur les usages de la bile relativement à son action sur les corps 
gras et sur le rôle des alcalis du sang pour détruire le sucre de 
l’organisme. On doit supposer que le sucre se détruit dans le 
sang par un autre procédé approprié à la nature organisée. De 
même on peut faire de l’urée artificielle synthétiquement, et par 
des procédés minéraux; mais si la loi que je veux établir ici est 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 321 

exacte, il faut admettre a priori que dans l’organisme l’urée 
doit se faire par d’autres procédés chimiques, qui sont propres à 
l’organisme vivant. 

N° 212 bis. 


Les instruments sont les organes et les éléments anatomiques, 
c’est pourquoi l’anatomie fine, l’histologie, est la base de toutes les 
explications physiologiques, mais les agents anatomiques se modi¬ 
fient suivant le mouvement, le repos, l’âge, etc. Il faudrait donc ins¬ 
tituer ce qu’on pourrait appeler V anatomie fonctionnelle, c’est-à- 
dire l’anatomie en rapport avecles propriétés etles activités physico¬ 
chimiques de la partie en fonction; c’est ainsi que l’histologie, la 
chimie et la physique sont également inséparables de la physiologie. 

N° 213. 


Dans les êtres vivants, les phénomènes sont l’expression des 
mécanismes et des propriétés de la matière organisée créée par 
la force vitale et n’existant par conséquent pas en dehors de l’or¬ 
ganisme. Les mots force vitale n’interviennent donc pas ici pour 
différencier et spécifier la nature des phénomènes, mais seule¬ 
ment pour désigner la cause créatrice de la matière organisée 
qui donne la forme des mécanismes vitaux. 

Le but du physiologiste expérimentateur étant d’agir sur les 
phénomènes des corps vivants, il lui importe uniquement d’ex¬ 
pliquer les procédés et de connaître les instruments spéciaux que 
l’organisme vivant met en usage pour les réaliser ; c’est là toute 
la science physiologique. Elle est fondée avant tout, comme on 
le voit, sur la connaissance exacte de la structure intime et des 
propriétés de chacune des parties de l’organisme vivant. 

Les phénomènes propres aux êtres organisés ou aux machines 
vivantes se distingueront, ainsi que nous l’avons déjà dit, par une 
morphologie spéciale et par l’existence d’une force qui crée et 
régénère tous les instruments des mécanismes vitaux. Mais cela 
ne saurait faire différer l’étude des phénomènes de la vie de l’é¬ 
tude des phénomènes des corps bruts. Le chimiste est obligé de 
partir des propriétés élémentaires innées de la matière minérale, 
comme le physiologiste doit s’arrêter aux propriétés élémentaires 
innées de la matière organisée. La cause première de la création, 
soit de la matière brute, soit de la matière vivante, nous échappe 
également. La vie n’engendre rien, elle ne crée ni force ni 
matière première, elle ne fait que déterminer l’arrangement 
organique qui caractérise la substance organisée et donne la 
forme ou la morphologie spéciale des phénomènes vitaux. 


322 DE LA PHYSIOLOGIE GENERALE 

La forme des phénomènes de la vie, ainsi que les propriétés 
de la matière organisée une fois données, la science physico¬ 
chimique des corps vivants a les mêmes bases et les mêmes 
principes que la physico-chimie des corps bruts. La matière 
organisée, pas plus que la matière minérale, n’engendre les phé¬ 
nomènes dont elle est le siège ; elle leur sert seulement de con¬ 
ditions morphologiques de manifestation. 

Il faut que la matière possède des propriétés convenables pour 
exprimer les phénomènes. Sous ce rapport certaines substances 
peuvent être substituées les unes aux autres quand elles possè¬ 
dent des propriétés analogues. C’est ainsi qu’on a dit que la 
magnésie pouvait être substituée à la chaux pour la formation de 
la coque des œufs. La chimie a montré que le chlore peut être 
substitué à l’hydrogène dans la graisse, sans que le composé 
perde ses qualités essentielles. On pourrait conclure de là que 
ce n’est pas la nature de la matière elle-même qui engendre le 
phénomène, mais sans doute son arrangement. Néanmoins, et 
quoi qu’il en soit, les conditions de chaque phénomène n’en sont 
pas moins soumises à un déterminisme absolu et à des lois phé¬ 
noménales identiques. 

Nous avons dit plus haut que la physiologie n’a pas à pour¬ 
suivre la recherche de la nature soi-disant spéciale des phéno¬ 
mènes de la vie, mais qu’elle n’a à se préoccuper que de l’expli¬ 
cation des procédés particuliers que l’organisme met en usage 
pour les manifester. Cela signifie, en d’autres termes, que ce qui 
importe avant tout au physiologiste c’est de connaître tous lest 
instruments physiologiques du corps vivant, afin d’arriver part 
suite à comprendre, à expliquer et à régler les mécanismes de lal 
vie. Or, pour cela, le physiologiste doit s’attacher à étudier, dans! 
l’organisme lui-même et dans leurs relations naturelles, les 
conditions d’activité de ces divers instruments organiques. Si 
parfois il détache de la machine vivante des parties dont il cher¬ 
che à mieux comprendre les conditions d’action en les étudiant 
à part et d’une manière artificielle , il ne doit pas oublier que 
c’est à l’ensemble de l’organisme vivant qu’il faut reporter toutes 
les explications, et que c’est dans l’intérieur du milieu organique 
qu’il faut descendre s’il veut agir sur les phénomènes de la vie. 
L’étude physico-chimique des éléments organiques et vitaux, la 
connaissance de leurs propriétés et de leurs conditions d’activité 
dans le milieu organique intérieur, constituent donc le problème 
spécial que le physiologiste ne doit jamais perdre de vue. (Voyez 
la note n° 185.) 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


323 


N° 214. 

La physiologie générale peut donc être définie la physiologie 
des éléments actifs de la vie ou des radicaux physiologiques. Il 
faut nécessairement qu’elle arrive à la détermination de ces élé¬ 
ments et a la connaissance des conditions physico-chimiques de 
leur activité, afin de pouvoir expliquer et régler scientifiquement 
les manifestations de l’être vivant. 

C’est en effet à l’élément histologique qu’il faut toujours arri¬ 
ver pour avoir la raison des mécanismes vitaux. C’est lui qui est 
toujours en jeu dans tous les actes physiologiques. Quand nous 
voyons un animal se mouvoir de mille et mille manières, ce ne 
sont point, en réalité, les membres qui se fléchissent ou s’éten¬ 
dent, ce ne sont point les muscles qui se meuvent diversement, 
mais c’est l’élément contractile ou musculaire qui manifeste ses 
propriétés. Quand nous voyons se produire des sécrétions si diffé¬ 
rentes, la sécrétion n’est pas seulement l’expression fonction¬ 
nelle d’un appareil sécrétoire ou d’une glande, mais le produit 
d’un élément épithélial. Quand nous voyons le corps vivant et ses 
diverses parties se nourrir et se régénérer, ce n’est point en vertu 
d’une fonction nutritive ou régénératrice vague et générale, mais 
par la manifestation des propriétés de multiplication et de proli¬ 
fération d’éléments histologiques spéciaux, s’opérant dans des 
conditions physico-chimiques déterminées. 

Le physiologiste comprendra maintenant que, s’il veut agir sur 
une manifestation vitale quelconque, ce n’est point sur l’orga¬ 
nisme, ni sur les appareils, ni même sur les organes qu’il doi 
diriger son action, mais bien seulement sur l’élément histologique. 
Il ne saurait exercer son influence sur la vie ni sur les fonctions 
vitales; ce sont là de pures abstractions de langage, qui lui per¬ 
mettent de s’exprimer, mais au fond il ne peut ni les voir ni les 
saisir. Il ne peut atteindre qu’une seule chose, l’élément histolo¬ 
gique, en modifiant les conditions physico-chimiques de son 
activité spéciale ; c’est par là seulement qu’il pourra provoquer 
ensuite des réactions générales dans l’ensemble de la machine 
vivante. De même, quand un mécanicien veut modifier le jeu 
d’une machine inerte, il ne saurait s’adresser à la force méca¬ 
nique de la machine tout entière ; mais il ne peut exercer son 
action que sur un élément de cette machine, sur un ressort, un 
poids, etc., d’où émane le principe d’action qui doit ensuite re¬ 
tentir sur l’ensemble du mécanisme. 

En un mot, le problème de la physiologie générale se con¬ 
centre tout entier sur l’élément histologique, parce que c est par 



324 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

là seulement que cette science peut arriver à son but, qui est 
l’action sur les organismes vivants. Lorsque le physiologiste con¬ 
naîtra exactement les propriétés et les conditions vitales de tous 
les éléments histologiques, lorsqu’il saura quelles influences 
s’exercent sur ces éléments dans le milieu intérieur organique 
quels sont leurs excitants normaux et anomaux, alors seulement 
il comprendra véritablement les mécanismes de la vie, alors seu¬ 
lement il pourra agir scientifiquement sur eux. 

Le but que la physiologie générale se propose d’atteindre dé¬ 
termine d’une manière nécessaire la direction qu’elle doit suivre 
dans sa marche. La physiologie générale, dans son développe¬ 
ment, ne se sépare réellement pas des physiologies spéciales. 
Toutes les sciences physiologiques ont une marche essentielle¬ 
ment analytique; seulement la physiologie générale est l’expres¬ 
sion la plus élevée ou la plus avancée de l’analyse biologique 
expérimentale. Ce n’est que progressivement, en effet, que le 
physiologiste peut arriver, en décomposant expérimentalement 
les phénomènes complexes de la vie, à les réduire à leurs élé¬ 
ments actifs d’où il fait dériver ensuite toutes les actions vitales 
secondaires et l’explication de tous les mécanismes physiologi¬ 
ques particuliers. 

N° 214 bis. 

Nous avons déjà dit ailleurs que les propriétés vitales sont 
toutes physico-chimiques, tandis que les fonctions sont en 
quelque sorte métaphysiques et dérivent d’un arrangement ou 
d’une forme propre aux êtres vivants. Nous pouvons ajouter 
qu’on n’atteint que les propriétés, et qu’il est impossible d’agir 
directement sur les fonctions. 

N° 215. 

La méthode expérimentale est la méthode d’investigation com¬ 
mune aux sciences expérimentales des corps bruts et à la physio¬ 
logie elle-même. Je crois avoir démontré (voir Introduction à 
l'étude de la médecine expérimentale) que la spontanéité des 
corps vivants ne s’oppose nullement à l’emploi de l’expérimen¬ 
tation. En effet, si la forme des phénomènes vitaux est innée et 
réside dans la nature même de la matière organisée, ces phéno¬ 
mènes n’en ont pas moins tous leur déterminisme, parce que 
leurs manifestations sont toujours liées, ainsi que je l’ai répété 
souvent, à des conditions physico-chimiques déterminées. 

On peut donc mesurer les phénomènes de la machine vivante, 
comme on mesure les phénomènes des machines inorganiques, 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 325 

et c’est un progrès d’avoir appliqué, à ce point de vue à la 
physiologie les procédés graphiques et mensurateurs enusaçe 
dans les sciences physico-chimiques des corps bruts. 

N° 216. 

Il y a des physiologistes, tels que Haies, Sauvage, etc., qui, 
à l’exemple de Descartes, combinent en quelque sorte l’animisme 
et le mécanicisme; ils admettent que tous les phénomènes sont 
régis par une âme, ce qui n’empêche pas que ces phénomènes 
soient soumis aux lois mécaniques des corps bruts. 

Je n’ai pas à entrer ici dans l’examen des questions de maté¬ 
rialisme et de spiritualisme que j’aurai peut-être l’occasion de 
discuter plus tard. Je me bornerai seulement à dire que ces deux 
questions sont en général très-mal posées dans la science, de 
sorte qu’elles nuisent à son avancement. La science démontre, 
ainsi que je l’ai déjà dit, que ni la matière organisée, ni la ma¬ 
tière brute, n’engendrent les phénomènes, mais qu’elles servent 
uniquement à les manifester par leurs propriétés dans des con¬ 
ditions déterminées. Il répugne d’admettre qu’un phénomène de 
mouvement quelconque, qu’il soit produit dans une machine 
brute ou dans une machine vivante, ne soit pas mécaniquement 
explicable. Mais, d’un autre côté, la matière, quelle qu’elle soit, 
est toujours, par elle-même, dénuée de spontanéité et n’engendre 
rien ; elle ne fait qu’exprimer par ses propriétés Vidée de celui 
qui a créé la machine qui fonctionne. De sorte que la matière 
organisée du cerveau qui manifeste des phénomènes de sensi¬ 
bilité et d’intelligence propres à l’être vivant n’a pas plus cons¬ 
cience de la pensée et des phénomènes qu’elle manifeste, que la 
matière brute d’une machine inerte, d’une horloge, par exemple, 
n’a conscience des mouvements qu’elle manifeste ou de l’heure 
qu’elle indique ; pas plus que les caractères d’imprimerie et le 
papier n’ont la conscience des idées qu’ils retracent, etc. Dire 
que le cerveau sécrète la pensée, cela équivaudrait à dire que 
l’horloge sécrète l’heure ou l’idée du temps. Le cerveau et l’hor¬ 
loge sont deux mécanismes, l’un vivant et l’autre inerte, voilà 
toute la différence; ce qui n’empêche pas que l’un et l’autre 
fonctionnent toujours dans des conditions d’un déterminisme 
physico-chimique absolu. En effet, le cerveau renferme virtuelle- 
ment, par sa structure primordiale, tous les phénomènes qu il 
exprime; seulement il lui faut pour cela des conditions quil 
appartient aux physiologistes d’étudier. 

Ce qui précède peut s’appliquer à tous les organes du corps. 



326 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Les glandes stomacales, par exemple, ont la propriété innée de 
former le suc gastrique. Mais ce suc gastrique ne se sécrète nor¬ 
malement que sous l’influence de l’excitation de la surface de 
l’estomac par les aliments. Mais on ne saurait pour cela placer la 
cause de la formation du suc gastrique dans les aliments. Il n ’v 
a là qu’une des conditions déterminant la formation du suc gas¬ 
trique qui se sécrète par un mécanisme préétabli dans l’estomac 
comme les idées se manifestent dans le cerveau par suite d’un 
mécanisme préétabli dans ses diverses parties. 

En résumé, il ne faut pas confondre les causes et les condi¬ 
tions; tout est là. La matière n’est jamais cause de rien; elle 
n’est que la condition, et cela aussi bien dans les phénomènes 
des corps bruts que dans ceux des corps vivants. Or le savant ne 
peut placer le déterminisme des phénomènes que dans leurs 
conditions qui jouent le rôle de causes prochaines. Les causes 
premières sont hors de sa portée, et ne doivent jamais le préoc¬ 
cuper. C’est le déterminisme seul des phénomènes qui constitue 
son domaine. C’est là que se trouve tout le problème de la 
science expérimentale. 

N° 217. 

Il est des physiciens, des chimistes ou des mécaniciens qui 
pensent que toute la science doit consister à ramener aux mêmes 
explications les deux ordres de phénomènes et confondre en 
quelque sorte la physiologie avec la mécanique ou avec la physico¬ 
chimie. Considérer la physiologie dans un sens aussi absolu, ce 
serait, ainsi que nous l’avons déjà dit, une fausse direction. 

Les sciences physico-chimiques minérales sont encore des ins¬ 
truments ou des moyens auxiliaires pour la physiologie. L’objet 
de la physique et de la chimie physiologique est d’étudier les 
propriétés spéciales de la matière vivante, qui sont seules utiles à 
connaître en physiologie quand on veut se rendre compte des 
procédés organiques. En effet, c’est toujours aux propriétés spé¬ 
ciales de la matière qu’il faut s’adresser, car on n’agit pas di¬ 
rectement sur les lois générales des phénomènes, qui d’ailleurs 
sont identiques, ainsi que nous l’avons vu, dans les corps bruts 
et dans les corps vivants. 

N° 218. 

La structure des organes et des tissus, en admettant quon la 
connaisse complètement, ne peut donner que la forme, c’est-à- 
dire les procédés des manifestations vitales, mais elle ne saurai 
jamais en faire découvrir la loi génératrice. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 327 

Quand ou considère l’évolution d’un être vivant, on voit claire¬ 
ment que l’organisation est la conséquence d’une loi organo- 
génique qui préexiste. Nous savons que l’œuf est la première 
condition organique de manifestation .de cette loi. Mais l’œuf 
lui-même n’est qu’un élément histologique de prolifération, un 
centre nutritif qui, dans un milieu convenable, attire autour de 
lui les matériaux à l’aide desquels se crée l’organisme. Il y a 
là en quelque sorte des idées évolutives et des idées fonction¬ 
nelles qui se réalisent sous nos yeux. Ces idées sont virtuelles et 
les excitants chimico-physiques ne font que les manifester, mais 
ne les engendrent pas. La cellule ovarique qui est la même chez 
tous les êtres malgré leur diversité, est leur instrument commun. 
Toutefois, je ne veux pas dire que la spécificité de l’œuf n’a rien 
de matériel, mais c’est dans le germe que réside la partie spéci¬ 
fique ou ovarique de l’œuf. D’après les travaux récents de M. Bal- 
biani qui semblent destinés à jeter une vive lumière sur ces 
origines, l’élément de l’œuf proviendrait des parents par un pro¬ 
cédé organique qui rappellerait jusqu’à un certain point la théorie 
de l’emboîtement des germes. 

N°.219. 

Cette distinction des phénomènes de la vie et des phénomènes 
de la mort ne serait pas fondée. Les éléments histologiques plas¬ 
matiques de la nutrition et de l’évolution organique ne fonction¬ 
nent pas autrement que les éléments musculaires et nerveux. 
Chacun d’eux s’use et se détruit semblablement en accomplissant 
des fonctions qui sont distinctes. Le physiologiste pourra provo¬ 
quer de même des réactions tantôt sur les éléments histologiques 
de création organique , et alors il agira sur l’évolution de l’être, 
c’est-à-dire sur des phénomènes futurs, tantôt sur les éléments 
de manifestation organique , et alors il agira sur des phéno¬ 
mènes fonctionnels actuels. Mais dans tous les cas tontes ces 
actions sur les éléments histologiques sont toujours chimico- 
physiques, c’est à-dire des conditions de milieu. La vie est en 
réalité une résultante de toutes les propriétés organiques; mais 
cette résultante devient en même temps principe d’action; ce qui 
établit entre tous les phénomènes de l’organisme une harmonie 
et une réciprocité continuelle. 

Il y a deux sortes de phénomènes vitaux en apparence oppo¬ 
sés, les uns de rénovation organique qui sont cachés en quelque 
sorte, les autres de destruction organique qui se manifestent tou¬ 
jours par le fonctionnement ou l’usure des organes. Ce sont ces 



328 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

derniers qu’on qualifie généralement du nom de phénomènes de 
la vie; de sorte que ce que nous appelons bien est en réalité la 
mort. 

Parmi les conditions physico-chimiques qui président à ces 
phénomènes, le froid et le chaud semblent avoir une grande 
influence sur ces deux ordres de manifestations vitales. Le froid 
correspond aux phénomènes de synthèse organique, tandis q ue 
la chaleur favorise les destructions organiques qui accompagnent 
toutes les manifestations vitales. 

L’air, c’est-à-dire l’oxigène, est encore une condition physico¬ 
chimique indispensable au développement de l’œuf ou plutôt à 
l’accomplissement des destructions organiques qui accompagnent 
ce développement. Ainsi, l’œuf de poule ou ceux d’autres ani¬ 
maux ovipares ne peuvent se développer sans air; les œufs de 
grenouilles mis à l’air humide se développent plus vite que lors¬ 
qu'ils sont placés sous l’eau, quoique celle-ci soit aérée. Toutefois, 
chez les animaux vivipares, quand l’œuf est dans la matrice, on 
a de la peine à concevoir comment intervient l’influence de l’air, 
à moins qu’on ne suppose que l’oxygène apporté par le sang 
artériel soit exhalé autour de l’œuf. Il serait d’ailleurs aussi 
difficile de comprendre que l’oxygène puisse pénétrer par le 
placenta pour parvenir au fœtus. Il faudrait faire des analyses 
du sang des vaisseaux ombilicaux afin de savoir la propor¬ 
tion d’oxygène et d’acide carbonique contenu dans les sangs 
de l’artère et de la veine ombilicale. Dans tous les cas, certains 
phénomènes vitaux, ainsi que nous l’avons déjà dit, peuvent 
s’accomplir au sein de l’acide carbonique, tandis que d’autres 
exigeraient la présence de l’oxygène ; ce sont particulièrement les 
phénomènes de destruction organique qui sont dans ce cas. 
L’oxygène pur devient nuisible en troublant sans doute ces phéno¬ 
mènes, et il est probable que des œufs se développeront mal dans 
de l’oxygène pur. 

On ne sait pas encore le rôle que l’électricité peut jouer dans 
ces deux ordres de phénomènes vitaux, cependant on a vu des 
œufs se fractionner et se développer plus vite sous l’influence de 
l’électricité. 

N° 220. 

Quand on observe le développement de l’œuf mâle ou de 1 œuf 
femelle, on voit que la cellule qui formera l’œuf n’est d’abord 
qu’une simple cellule épithéliale impossible à distinguer des 
autres, puis, par son déplacement, cette cellule change de milieu 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 329 

nutritif et prend une évolution nouvelle. (Voyez Davaine, Re¬ 
cherches sur Vanguïllule du blé niellé; Mémoires de la Société 
de biologie , 2 e série, t. III, p. 224; 1856.) 

Dans les végétaux on observe aussi qu’une cellule indifférente 
peut devenir un bourgeon par une exagération de la nutrition. 
Quand on coupe les branches d’un arbre, par exemple, il se 
forme des bourgeons sur des points de l’écorce qui n’en auraient 
jamais porté si la sève, devenue plus abondante, n’y avait changé 
les conditions nutritives de ces cellules. Dans les végétaux les 
fonctions sont très-différentes sans doute de celles des animaux 
mais les propriétés vitales sont semblables et le mécanisme de 
la vie ne diffère pas dans les deux règnes ; on peut dire qu’ils 
sont de nature identique. 

L’expérimentateur peut agir sur les animaux de la même ma¬ 
nière que sur les végétaux. Quand on modifie la nutrition d’un 
être vivant, on arrive nécessairement à modifier la constitution 
du milieu interne et, par suite, la réaction de ce milieu sur les 
éléments histologiques. Ces éléments htstologiques se compor¬ 
tent alors absolument comme des infusoires qui subiraient l’in¬ 
fluence graduelle d’un milieu nouveau. Or on peut ainsi modifier, 
non-seulement les éléments fixes dans des tissus formés et 
adultes, mais on agit aussi sur les éléments plasmatiques, qui se re¬ 
nouvellent incessamment et qui peuvent amener des modifications 
dans les produits ovariques ou dans les sécrétions génératrices; 
c’est ainsi qu’il est permis de comprendre comment ces modifica¬ 
tions peuvent se transmettre aux descendants des êtres que l’on a 
soumis à ces modifications nutritives. Mais, je le répète encore, 
toutes ces modifications doivent se produire sous l’influence de 
lois organotrophiques et d’influences ataviques qui existent cer¬ 
tainement, mais qu’il faudrait avant tout étudier et déterminer. 

Considérée à ce point de vue, la vie n’est en quelque sorte qu’un 
emboîtement des êtres les uns dans les autres, une sorte de 
répétition ou de régénération successive. La nutrition n’est en 
elle-même qu’une régénération ou une prolifération organique 
qui diminue d’intensité avec l’âge et qui doit se répéter un 
nombre de fois déterminé d’avance, ce qui constitue la durée de 
la vie de chaque être. En effet, dans l’organisme jeune la répa¬ 
ration se fait rapidement, tandis que plus tard elle se fait déplus 
en plus lentement; c’est l’affaiblissement progressif de cette 
faculté de prolifération qui marque l’avancement en âge et qui 
cessant à un âge encore plus avancé amènerait la mort naturelle 
ou par vieillesse. 



330 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

N» 221. 

Il faut conclure que la physiologie est une science distincte 
autonome et indépendante, qui a son point de vue propre et son 
problème spécial : la recherche des lois de l’organisation. 

Le but de la physiologie générale expérimentale est, avons- 
nous dit souvent, de conquérir la nature vivante et d’agir scienti¬ 
fiquement sur les phénomènes de la vie. Or nous avons prouvé 
surabondamment que le physiologiste ne peut modifier les phé¬ 
nomènes de la vie qu'en modifiant l’organisation elle-même, 
c’est-à-dire en atteignant dans le milieu intérieur les propriétés 
organogéniques ou fonctionnelles des éléments histologiques. 

C’est pourquoi la physiologie est une science spéciale par son 
objet, et qui doit avoir sa constitution indépendante. 

En effet, la physiologie se caractérise comme une science 
physico-chimique, qui, au lieu d’étudier les propriétés de la 
matière inorganique, étudie les propriétés de la matière orga¬ 
nique, et qui, au lieu de vouloir maîtriser les phénomènes de la 
nature brute, veut régir les phénomènes de la nature vivante. 
Mais cependant il y a une différence profonde qui sépare le 
physiologiste du physicien. Le physicien étudie des appareils ou 
des machines brutes qu’il a fabriqués lui-même, qu’il connaît, 
par conséquent, d’une manière parfaite et sur lesquels il peut 
agir directement. Le physiologiste au contraire étudie des appa¬ 
reils, des machines vivantes qu’il n’a pas fabriqués, et dont il 
ignore entièrement le mécanisme. Il est donc obligé d’interpréter 
le jeu de ces machines vivantes au milieu d’erreurs et d’illusions 
auxquelles se trouverait également soumis un ignorant qui vou¬ 
drait expliquer une machine inerte compliquée dont il ne con¬ 
naîtrait aucunement les principes de construction. Nous ne pou¬ 
vons réellement connaître que ce que nous créons. Nous ne con¬ 
naîtrons par conséquent bien réellement les êtres vivants que 
quand nous pourrons les modifier à notre gré et les refaire en 
quelque sorte. Mais le physiologiste doit savoir qu’il ne pourra 
jamais agir directement sur les êtres vivants comme le physicien 
sur ses machines inertes; il est obligé d’agir toujours par l’inter¬ 
médiaire des phénomènes organotrophiques ou nutritifs. 

N» 222. 

Aujourd’hui la physiologie prend partout son essor comme 
science autonome et indépendante. Son enseignement, séparé de 
celui de l’anatomie, s’est engagé pleinement dans la méthode 



DE LA. PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 331 

d’investigation expérimentale commune aux sciences physico¬ 
chimiques. 

Il ne faut plus subordonner la physiologie à l’anatomie; c’est 
le contraire qu’il faut faire. L’anatomie n’est qu’une desnom- 
breuses sciences auxiliaires de la physiologie. 

N° 223. 

Aujourd’hui cette tendance physiologique de la médecine est 
générale. C’est depuis longtemps la tendance de l’enseignement 
du cours de médecine au Collège de France. A l’étranger, il 
faut mettre Virchow au premier rang parmi les promoteurs actuels 
de cette direction nouvelle de la médecine. 

N» 224. 

C’est en Allemagne que les laboratoires de physiologie ont été 
d’abord institués sous le nom d’instituts physiologiques. Au¬ 
jourd’hui il en existe en Russie, en Hollande, en Danemark, en 
Suède, en Italie, etc. 

N° 225. 

Les physiciens, les mécaniciens et les chimistes considèrent 
comme étant de leur domaine des phénomènes mécaniques, phy¬ 
siques et chimiques qui appartiennent cependant à la physiolo¬ 
gie. Sans aucun doute, ainsi que nous l’avons répété souvent, il 
n’y a qu’une mécanique, qu’une physique et qu’une chimie quant 
aux lois qui régissent les phénomènes des corps vivants et des 
corps bruts. Mais nous avons vu que ce serait néanmoins une er¬ 
reur d’assimiler complètement les phénomènes des corps vivants 
à ceux qui se passent dans les corps bruts. A raison des procédés 
toujours spéciaux que la nature organique emploie, l’étude de 
ces phénomènes appartient réellement aux physiologistes. C’est 
ainsi que les fermentations doivent être comprises dans les phé¬ 
nomènes physiologiques de nutrition et de développement, etc. 

N° 226. 

Sans doute toutes les sciences biologiques procèdent d’un 
même tronc, puisque l’être vivant est l’objet commun de leur 
étude ; mais elles ne sont pas pour cela des démembrements ou 
de simples fragments les unes des autres. En se subdivisant, les 
sciences s’élèvent et changent de point de vue, et, sous ce rap¬ 
port, les sciences expérimentales représentent un état scientifique 
plus avancé que les sciences naturelles. En effet, les sciences 
expérimentales se rapprochent davantage du but vers lequel tout 
doit converger, savoir : l’explication des phénomènes vitaux. 



332 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

Quelle serait, en effet, l’utilité de toutes les sciences anatomiques 
et zoologiques, si elles n’étaient des échelons successifs pour ar¬ 
river à la connaissance des phénomènes de la vie? 

Dans l’arbre scientifique, les branches montent donc toujours 
en s’éloignant du tronc, et ce sont les extrémités de ces branches 
qui portent les bourgeons et les fruits et atteignent le but scien¬ 
tifique, qui n’est lui-même rien autre chose que le produit ou le 
fruit le toutes les évolutions scientifiques antérieures. 

La physiologie, en tant que science expérimentale, se distingue 
donc nettement de la zoologie et de la botanique, qui sont des 
sciences naturelles. La physiologie ne cherche à déduire de ses 
recherches aucun caractère de classification ; elle néglige com¬ 
plètement les considérations de classe, d’ordre, de genre, d’es¬ 
pèce, qui sont l’objet essentiel des études des naturalistes, zoolo¬ 
gistes ou phytologistes. 

Pour la physiologie générale, il n’y a que des mécanismes vi¬ 
taux variés à l’infini, qui s’accomplissent à l’aide d’éléments actifs 
communs. L’objet de cette science est de déterminer ces éléments 
communs, avec leurs propriétés et dans leurs conditions d’acti¬ 
vité. La physiologie comparée est pour la physiologie générale 
une source d’études précieuses, mais à tout autre point de vue 
que celui du naturaliste zoologiste. La zoologie peut sans doute 
chercher dans la physiologie des caractères de classification ou 
de distinctions spécifiques des êtres vivants. Mais la physiologie 
générale ne cherche dans la zoologie que des explications de 
phénomènes. Dès que le physiologiste trouve une différence fonc¬ 
tionnelle entre deux animaux, il ne cherche pas à les rattacher à 
l’espèce ou au genre, mais il veut trouver les conditions fonc¬ 
tionnelles spéciales qui existent chez un animal et non chez 
l’autre. Par cela, il sera conduit à l’explication réelle du phé¬ 
nomène, s’il arrive, dans ces expériences naturelles et compara¬ 
tives, à saisir sa vraie condition d’existence. Si le physiologiste 
trouve, en un mot, qu’un appareil, un organe ou un tissu mus¬ 
culaire ou nerveux par exemple présentent des différences dans 
leurs propriétés chez les divers animaux, il n’en tire point, 
comme le naturaliste, des caractères pour distinguer les espèces, 
mais bien la preuve qu’il existe chez ces animaux des différences 
de conditions organiques qui doivent expliquer les différences 
fonctionnelles et lui apprendre le mécanisme réel des phéno¬ 
mènes. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 333 

N° 227. 

La géologie, la minéralogie, la physique et la chimie étudient 
les mêmes objets : les corps bruts ou minéraux. Mais chacune de 
ces sciences a son problème spécial; c’est pourquoi la minéra¬ 
logie ne renferme point la chimie, quoiqu’elle s’occupe des 
mêmes corps. La géologie et la minéralogie sont des sciences 
naturelles. La physique et la chimie sont des sciences expéri¬ 
mentales. On pourrait subdiviser encore les sciences naturelles 
et les sciences expérimentales des corps bruts qu’elles ne chan¬ 
geraient pas pour cela de point de vue, parce qu’alors ces subdi¬ 
visions ne seraient que des démembrements faits dans une même 
science naturelle ou expérimentale. 

La zoologie, la botanique et la physiologie étudient les mêmes 
objets : les corps vivants. Mais leur problème est aussi essentiel¬ 
lement différent. La zoologie et la botanique sont des sciences 
d’observation. La physiologie est une science expérimentale. On 
pourra subdiviser les sciences naturelles des corps vivants, mais 
ce ne seront que des démembrements d’une même science natu¬ 
relle. C’est ainsi que l’anthropologie est une science naturelle 
qui n’est qu’un démembrement de la zoologie. Mais jamais la 
physiologie ne pourrait être regardée comme une partie de la 
zoologie ou de la botanique. Elle est une science distincte parce 
qu’elle est expérimentale et placée à un point de vue différent. 

Sans doute les sciences naturel!es et expérimentales s’appuient 
les unes sur les autres et se font des emprunts réciproques. Les 
zoologistes pensent avec raison qu’ils doivent étudier les animaux 
sous le rapport physiologique ; mais ils ne sont pas des physio¬ 
logistes pour cela, de même que le physiologiste n’est pas zoolo¬ 
giste parce qu’il s’appuie sur des arguments empruntés à la zoo¬ 
logie ou à l’anatomie comparée. L’anthropologie, par exemple, 
doit considérer l’homme sous certain rapport de politique ou de 
législation; l’anthropologiste n’en restera pas moins toujours un 
naturaliste. C’est donc la nature de leur problème spécial qui 
doit distinguer les sciences et les séparer radicalement les unes 
des autres, malgré les relations nécessaires et les nombreux 
points de contact qu’elles ont nécessairement les unes avec les 
autres. C’est pour ne pas bien connaître ces principes des divi¬ 
sions des sciences qü’on voit souvent des savants tomber dans de 
grandes confusions ou prétendre que leurs sciences renferment 
toutes les autres. 



334 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


N° 228. 

La physiologie expérimentale est la science, qui marche à la 
conquête de la nature vivante ; cette direction conquérante est le 
caractère propre des sciences expérimentales modernes. L’anti¬ 
quité n’a pu connaître cette nouvelle idée scientifique parce que 
les sciences d’observation ou contemplatives ont dû se former 
avant les sciences d’expérimentation ou exécutives. Mais l’homme 
a compris que la contemplation passive n’était point le but de 
l’humanité; son rôle est le progrès et l’actionL L’homme ne 
peut se perfectionner qu’en s’emparant à son profit des phéno¬ 
mènes de la nature au milieu desquels et à l’aide desquels il vit. 
Le règne des sciences expérimentales physico-chimiques est ar¬ 
rivé, et ces sciences, bien que de date récente, ont déjà doté 
l’humanité d’une puissance immense dont on ne saurait calculer 
encore toute la portée. L’avénement de la science expérimentale 
physiologique sera nécessairement plus tardif, mais il viendra 
indubitablement. Les sciences descriptives des lois, des formes 
de la vie telles qu’elles sont exprimées dans les nomenclatures et 
les classifications des naturalistes ont dû être, comme dans les 
sciences des corps bruts, les premières à se constituer ; mais elles 
ne sauraient ici non plus représenter le but scientifique définitif. 
C’est la science biologique expérimentale active ou exécutive, 
c’est-à-dire la physiologie expérimentale, qui est la science la 
plus élevée des êtres vivants, parce que c’est elle qui poursuit le 
but suprême que l’homme se propose d’atteindre par la science, 
savoir : l’action sur les phénomènes de la nature vivante. 

L’évolution progressive des sciences des corps vivants se fait 
nécessairement dans cette direction. Les savants qui ne com¬ 
prennent pas ce développement scientifique ne sauraient l’em¬ 
pêcher; mais ceux qui le voient ou le pressentent peuvent le fa¬ 
voriser en appelant de ce côté les recherches scientifiques et en 
soutenant par l’espérance les efforts des travailleurs. C’est pour¬ 
quoi j’ai cru utile d’insister sur la direction que doit suivre la 
physiologie et sur le rôle qui lui est réservé dans l’avenir, quel- 

1 Le principe de l’action comme but de l’humanité substitué à la 
contemplation a pénétré aujourd’hui partout, dans les sciences, dans 
l’histoire, dans la morale. Les sciences modernes, en admettant le de- 
terminisme, en font la condition même de la liberté, ce qui distingue 
radicalement le déterminisme du fatalisme. En effet, l’acte libre ne 
peut exister que dans la période directrice du phénomène; mais une 
fois dans la période exécutive, le déterminisme doit être absolu, pour 
que la liberté en découle nécessairement. Le déterminisme est alors 
forcé, et les dieux mêmes y seraient soumis, selon l’idée des anciens. 
Je le répète, le déterminisme n’exclut pas la liberté. 



DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 335 

que éloigné qu’il puisse être encore de nous. Cela est d’autant 
plus utile que ce point de vue nouveau ne me semble pas avoir 
été encore indiqué suffisamment. On avait pu croire au premier 
abord que la vie était un obstacle à la domination de l’homme 
sur les phénomènes biologiques. Je crois avoir démontré dans un 
ouvrage spécial (Introduction à Vétude de la médecine expéri¬ 
mentale) qu’il n’en est rien, puisque l’expérimentation est ap¬ 
plicable aux phénomènes vitaux d’une manière aussi rigoureuse 
qu’aux phénomènes des corps bruts. 

En disant que la physiologie se rendra maîtresse des phéno¬ 
mènes vitaux, la liberté morale ne saurait être atteinte par cette 
puissance de l’homme sur la vie. D’ailleurs la science ne peut 
conduire qu’à la vérité, et la vérité non-seulement doit être 
recherchée par le savant, mais elle ne doit être redoutée par 
personne, quelles que soient les idées philosophiques que l’on 
professe. 

Si l’on annonçait qu’il nous sera possible un jour d’agir sur 
les phénomènes astronomiques, on pourrait taxer sans doute de 
rêveries de semblables prétentions, parce que les astres sont hors 
de notre portée et que l’astronomie est une science destinée à 
jamais à rester science d’observation ou une science naturelle. 
Mais la physiologie est une science terrestre ; elle est à notre 
portée ; seulement elle est si complexe que son avènement est 
nécessairement retardé. 

Nous avons dit quelque part que le physiologiste pourra comme 
le chimiste créer des organismes nouveaux; il n’y a, en effet, pas 
plus d’impossibilité à la création d’un être vivant qu’à celle d’un 
corps brut. Mais seulement le physiologiste devra partir de la 
matière organisée pour lui imprimer, par des conditions spécia¬ 
les, des modifications physiologiques et des directions phénomé¬ 
nales nouvelles. 

Toutes les créations du chimiste et du physicien ne sont en 
réalité que des exhibitions. Ils ne créent point les forces phy¬ 
sico-chimiques ; ils leur fournissant uniquement des conditions 
pour se manifester sous des formes qui sont nouvelles pour 
l’homme, mais qui existaient à l’état latent dans les lois éternel¬ 
les de la nature. De même le physiologiste en donnant naissance 
à des êtres vivants nouveaux ne saurait avoir l’idée qu’il a créé 
la force vitale : il n’aura fait, comme les chimistes et les physi¬ 
ciens, que découvrir des conditions particulières, dans lesquelles 
le germe vital pourra prendre des directions nouvelles et déve¬ 
lopper des organismes jusqu’alors inconnus. 



336 


DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 


N° 229. 

La physiologie est la science ultime des corps vivants ; car on 
ne veut finalement arriver qu’à expliquer les phénomènes de la 
vie. Toutes les autres sciences biologiques ne sont donc en réa¬ 
lité que les auxiliaires de la physiologie et elles concourent au 
même bût. A quoi bon les études anatomiques s’il n y avait des 
êtres vivants? A quoi serviraient les études sur tous les êtres vi¬ 
vants, si ce n’était pour arriver à mieux connaître l’homme? 

N° 230. 

Les naturalistes qui avaient compris la physiologie dans leur 
domaine en contestaient tout naturellement l’existence comme 
science indépendante. Cuvier, dont l’autorité scientifique était si 
grande, était au nombre de ceux qui non-seulement niaient l’in¬ 
dépendance de la physiologie, mais il ne reconnaissait pas même 
sa méthode, et il accusait les vivisections de conduire à l’erreur. 
("Voyez Lettre à Mertrud.) Cependant plus tard Cuvier fit des 
rapports académiques dans lesquels il rendait compte d’expé¬ 
riences physiologiques qu’il louait beaucoup. 

Il y a des zoologistes qui, moins exclusifs que ne Tétait Cuvier, 
admettent les résultats de l’expérimentation et les combinent avec 
les déductions purement anatomiques de la zoologie ; mais ils 
n’en nient pas moins l’indépendance de la physiologie. Cette es¬ 
pèce de mélange des sciences biologiques d’observation et d’expé¬ 
rimentation ne peut exprimer qu’un état de transition, une sorte 
de système bâtard dont il faut se hâter de sortir en établissant 
définitivement la physiologie expérimentale sur ses bases pro¬ 
pres. 

N° 231. 

Les sciences naturelles doivent en être pourvues dans des li¬ 
mites aussi larges que possible. Mais il ne faut point leur sacri¬ 
fier les intérêts des autres sciences expérimentales. Les collec¬ 
tions ne sauraient jamais être complètes. Ce ne sont, je le répète, 
que des moyens d’études et de démonstration ; car, à part cela, 
le but final de la science ne saurait être de collectionner et de 
réunir inutilement dès minéraux, des végétaux et des animaux. 

N° 232, 

Lorsque j’étais préparateur de Magendie, je pus être témoin de 
toutes les tracasseries que lui suscita l’administration. 



DÉ LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 337 

N° 233. 

Je me bornerai à citer à ce sujet M. Brown-Sequard, qui est 
resté très-longtemps en France. C’est là qu’il a fait tous ses tra¬ 
vaux et qu’il a publié un journal de physiologie. C’est pourquoi 
j’ai considéré ici M. Brown-Sequard comme un physiologiste 
français. 

M. Brow-Séquard, de retour en France en 1868, a été chargé 
d’un cours de pathologie expérimentale à l’Ecole de médecine de 
Paris. 

N° 234. 

Pendant dix ans je n’ai eu ni préparateur ni laboratoire. Il ne 
m’a donc pas été possible de donner à mon cours le développe¬ 
ment expérimental qu’il exigeait. Je ferai tous mes efforts pour 
réparer cette lacune, et j’ai lieu d’espérer qu’il me sera donné 
d’établir sur des bases qui assurent sa viabilité et le rendent digne 
de notre pays le seul enseignement de physiologie générale qui 
existe en France. 

Depuis la publication de ce rapport, mon enseignement de 
physiologie générale à la Faculté des sciences a été transféré au 
Jardin des plantes. Voyez la leçon d’ouverture de mon cours 
de physiologie générale , juin 1870. ( Revue scientifique, 
21 octobre 1871, n° 17 de la 2 e série.) 

N» 235. 

Il ne faudrait pas comprendre les laboratoires comme étant de 
simples annexes des cours publics. Les laboratoires scientifiques 
sont réellement distincts des laboratoires de démonstration des 
cours. Il serait même très-utile qu’il y eût des créations de labo¬ 
ratoires scientifiques en dehors des cours publics, qui ne doivent 
avoir pour but de divulguer la science élémentaire. En effet, il 
arrive très-ordinairement que les talents de vulgarisateur et d’in¬ 
venteur ne se rencontrent pas chez lès mêmes hommes. 

Le savant doit toujours avoir en vue un double but : faire des 
travaux pour avancer la science actuelle et en même temps former 
de jeunes savants qui lui succéderont. Lorsqu’en France un jeune 
homme suffisamment instruit et préparé par des études anté¬ 
rieures puisées dans les cours voudrait s’essayer dans quelques 
travaux ou aborder la carrière de la physiologie expérimentale, 
il faudrait qu’il pût en avoir les moyens matériels dans des labo ¬ 
ratoires où il trouverait en même temps une direction scientifi¬ 
que. Le professeur assumerait en quelque sorte la responsabilité 

22 



338 DE LA PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE 

scientifique des travaux faits sous sa direction ou par son inspi¬ 
ration. C’est ce qui arrive dans beaucoup de laboratoires physio¬ 
logiques de l’étranger où l’on publie chaque année les travaux 
réunis faits par le professeur et les élèves. De cette manière de 
jeunes physiologistes se formeraient et se feraient connaître • la 
science se développerait utilement par des travaux bien conçus 
et dirigés sur les questions importantes à résoudre. Enfin le 
professeur y trouverait des disciples et des auxiliaires qui pour¬ 
suivraient le développement de ses propres travaux. 

N» 236. 

La science physiologique est une science si vaste, si complexe 
qu’un seul physiologiste ne saurait jamais avoir la prétention de 
la cultiver dans toutes ses parties. Dans la théorie le savant doit 
toujours considérer l’ensemble de la science ; mais dans la pra¬ 
tique il doit se spécialiser; c’est le seul moyen d’approfondir les 
questions et de faire des progrès rapides et réels. Il faudra donc 
qu’après des études générales suffisantes, les jeunes gens eux- 
mêmes prennent de bonne heure des directions expérimentales 
un peu différentes, de manière que toutes les régions du champ 
de la physiologie se trouvent cultivées. 

Un cours de physiologie générale qui voudra exposer expéri¬ 
mentalement l’ensemble de la science devra donc avoir des aides 
exercés au moins dans les deux directions expérimentales que 
cette science comporte: la direction physico-chimique, qui repré¬ 
sente la méthode d’investigation commune à la physiologie et aux 
sciences expérimentales des corps bruts, et la direction anatomi¬ 
que ou histologique; qui représente l’objet spécial de l’étude de 
la science physiologique en tant que science des corps organisés. 
A l’étranger les laboratoires nouveaux des sciences biologiques 
expérimentales sont tous pourvus de plusieurs sortes d’aides. 

No 237. 

Toutes les découvertes et tous les travaux que j’ai publiés sont 
souvent, je le reconnais moi-même, à l’état de simples ébauches 
ou même parfois d’indications insuffisantes. Je crois qu’ils n’en 
ont pas moins exercé une influence utile sur la marche de la 
physiologie, en suscitant les recherches nouvelles de la part d’un 
grand nombre d’expérimentateurs. Mais je désire qu’on sache que 
les obscurités, les imperfections et l’incohérence apparente qu’on 
peut trouver dans mes divers travaux ne sont que les conséquen¬ 
ces du manque de temps, des difficultés d’exécution et des em¬ 
barras multiplés que j’ai rencontrés dans le cours de mon évolu- 



DE LA PHYSLOLOGIE GÉNÉRALE 339 

tion scientifique. Depuis plusieurs années, je suis préoccupé de 
l’idée de reprendre tous mes travaux épars, de les exposer dans 
leur ensemble, afin de faire ressortir les idées générales qu’ils 
renferment. J’espère maintenant qu’il me sera possible d’accom¬ 
plir cette deuxième période de ma carrière scientifique. 

N° 238. 

Nulle part ailleurs qu’en Allemagne il existe autant d’universi¬ 
tés, autant de physiologistes éminents, autant de bons et beaux 
laboratoires, autant d’élèves nationaux et étrangers qui cultivent 
la science physiologique expérimentale. 





TABLE DES MATIÈRES 


PRÉFACE. . i 

INTRODUCTION - Influence française sur la physiologie 
moderne.. I 

EXPOSÉ 

Découvertes et progrès principaux de la physiologie 

GÉNÉRALE EN FRANCE DEPUIS VINGT-CINQ ANS... 13 

I. Phénomènes de sensation et de locomotion. — Systèmes 

et éléments nerveux et musculaires. 14 

II. Phénomènes de circulation et de respiration. — Sys¬ 

tème vasculaire. — Éléments sanguins et lymphati¬ 
ques, etc..... 57 

III. Phénomènes d’absorption, de sécrétion et d’excrétion. — 

Systèmes cutané, muqueux, séreux. — Éléments épi¬ 
théliaux, glandulaires, etc.,. 97 

IV. Phénomènes de nutrition, de génération et d’évolution. 

— Éléments de cellule, ovule, germe, etc—. 129 

V. Phénomènes d’organisation et de connexions organiques. 

— Systèmes cellulaire, fibreux, cartilagineux, osseux, 
etc. — Éléments cellulaire, connectif, plasmati¬ 
que, etc. 163 

CONCLUSION 

Marche de la physiologie générale; son but, ses moyens 

DE DÉVELOPPEMENT EN FRANCE.. I 85 

Notes et documents a consulter . 213 


Coulommiers. — Typog. A. MOUSSIN, 















ERRATA. 


Page 16, ligne 18, au lieu de aller plus au delà marcher en avant, lisez : 
aller au delà et marcher en avant. 

Page 21, ligne 24, au lieu de mécanismes sensitivo moteurs, lisez : mé¬ 
canismes sensitifs et moteurs. 

Page 41, reporter 43 bis à la ligne 25, fin du paragraphe. 

Page 59, ligne 9, au lieu de par de l’dxggène, de l’acide carbonique et 
de l’azote, lisez : d’oxygène, d’acide carbonique et d’azote. 

Page 120, ligne 7, au lieu de inverse à celui, lisez : inverse de celui. 
Page 157, ligne 3, au lieu de ambiantes, que Von pourra, lisez : am¬ 
biantes que l’on pourra. 

Page 165, ligne 27, au lieu de Werthein, lisez : Wertheim. 

Page 168, ligne 10, au lieu de Werthein, lisez : Wertheim. 

Page 170, ligne 16, au lieu de tissu; de substance conjonctive, lisez : 
tissu de substance conjonctive. 

Page 215, ligne 1, au lieu de qui constituent, lisez : qui constitue. 

Page 252, note 54 bis, au lieu de : 28 mai, lisez 27 mai. 

Page 262, note 75, ligne 7, au lieu que la sang, lisez : le sang. 

Page 276, note 108 bis, ligne 5, au lieu de antérites, lisez : entérites. 
Page 295, note 166, ligne 11, au lieu de combustion énergiques , lisez : 
combustions énergiques. 

Page 297, ligne 7, note 168, au lieu de emmagasmements, lisez : 
emmagasinement.